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      Propos sur le Tacot du Mayet par Georges Felastre

      Lous · Sunday, 30 December, 2018 - 21:13 · 7 minutes

    Propos sur le Tacot du Mayet

    Pendant la deuxième Guerre Mondiale, Raoul DAUTRY, ex Ministre des Transports de la IIIéme République, donnait des cours à Paris. Il avait connaissance des pressions exercées par les Allemands afin qu'un certain nombre de voies ferrées fort peu utilisées fussent démontées, et que le métal fut récupéré. Devant ses étudiants, je me souviens qu'il tempêtait : "c'est une véritable entreprise de déséquipement national".

    L'Allier subit quelques conséquences de ces pressions, mais de façon curieuse. Il fut décidé de fermer la ligne Gannat-Saint Pourçain et les rails ainsi disponibles furent expédiés ... en Afrique du Nord, pour permettre le lancement du fameux Transaharien, jusqu'à Colomb Béchar ! Ainsi notre voie ferrée avait été contrainte d'abandonner les plantureuses et verdoyantes prairie Bourbonnaises pour un voyage exotique, à travers les dunes sableuses et le reg aride du désert...

    Vint après guerre le temps de l'automobile. Sa vogue envahissante bouleversa les traditions et modifia les calculs de rentabilité. On s'attaqua aux lignes secondaires, aux "chemins de fer d'intérêt local", qui ne présentaient plus d'intérêt, aux "chemins de fer économiques", qui ne l'étaient plus. Mais ces décisions ne furent-elles pas parfois un peu hâtives ?

    La Montagne Bourbonnaise n'avait pas été oubliée par la desserte ferroviaire, au début de notre siècle. Elle avait été plutôt gâtée, reliée qu'elle était avec Roanne et le bassin de la Loire, Vichy et le Val d'Allier.

    C'était reconnaître le rôle important de cet aimable bastion de hautes terres, réservoir d'hommes. Le Thermalisme, le textile en plein essor créaient une activité intense à l'époque. L'économie de la Montagne et celle des plaines se complétaient, s'épaulaient l'une l'autre. Cette solidarité s'était exprimée par le tacot. Il remplissait à cette époque une mission primordiale dans la vie de la région.

    Mais sans jamais se prendre tout à fait au sérieux. L'on avait baptisé les locomotives de prénoms féminins : Germaine, Gertrude. Les wagons de voyageurs trahissaient un souci pointilleux de l'égalité tarifaire. Dans chaque voiture, une cloison séparait une seconde classe, qui occupait les deux tiers de l'espace, et une première. Mais cette séparation comportait un vide, dont les contours étaient calculés pour permettre de loger un poêle, à cheval sur les deux compartiments. En hiver, le contrôleur arrivait, posait son seau à charbon, vérifiait les billets et remplissait enfin le fourneau avec une pelle. Il s'essuyait soigneusement les mains et continuait sa ronde. Mais on pouvait admirer le désir de justice absolu de la compagnie !. La moitié du corps de poêle devait chauffer les deux tiers du wagon affectés au Secondes, tandis que l'autre moitié des calories allaient aux Premières, qui bénéficiaient de plus de chaleur puisqu'elles étaient cantonnées dans un seul tiers wagon. Ainsi, pendant la saison froide, le prix du ticket payé par l'usager incluait une quantité de degrés centigrades strictement proportionnelle au sacrifice financier consenti.

    Le petit chemin de fer joua un rôle très particulier lorsque VICHY devint capitale... Les gens des Ministères se rendirent très vite compte des services qu'il pouvait rendre, en ces temps d'essence rare et de communications difficiles. Ils se mirent à l’emprunter... pour se procurer du ravitaillement. Les samedis et les dimanches, la gare de Cusset connaissait une animation insolite. Jamais de mémoire de cheminot, on avait eu à traiter autant de voyageurs... L'endroit était réputé moins surveillé que VICHY, et les expéditions alimentaires préféraient partir de là.

    Pour ces jours de pointe, le convoi comprenait une bonne douzaine de wagons, et cela créait des problèmes. Il fallait prévoir deux locomotives, une devant et une derrière. On ne peut pas dire que les conducteurs du train s'accomodaient avec aisance de ce bizarre attelage. Les départs en particulier donnaient lieu à des incidents, ponctués de jurons des employés de service. La machine de tête démarrait plus vite que celle de queue, ou bien l'inverse. Le convoi s'étirait de façon inquiétante, ou était brusquement comprimé entre les locos. Ce manque de synchronisation était devenu légendaire, et le moment du départ était attendu par les badauds comme une attraction.

    Le trajet Cusset-Lavoine prenait trois, quatre ou cinq heures (40 kms !) selon la forme manifestée par les chaudières et suivant la longueur des arrêts. Dans les rampes un peu rudes, le train se traînait lamentablement, calait parfois repartait en crachotant comme il pouvait après avoir repris de l'élan et fait patiner avec rage les roues motrices sur les rails. Quant au retour à Cusset-Vichy, la plus large fantaisie présidait. Entre 6 et 9 heures du soir ! Le problème dépendait principalement du départ de Lavoine, au sujet duquel l'imprécision la plus totale régnait. Les mauvaises langues affirmaient qu'une idylle était l'explication rationnelle de cet horaire arbitraire. Le chef de gare de Cusset, qui était un homme, aurait été amoureux du chef de gare de Lavoine, qui était une femme. Le moyen le plus commode pour se dire leur tendresse était somme toute le train. Pour honorer sa passion montagnarde, le fonctionnaire de la plaine accompagnait souvent le convoi, geste qui donnait à son penchant affectif une allure de conscience professionnelle. Il lui arrivait alors, parvenu au terminus, de rêver à des voyages sans retour et d'oublier les suggestions du Chaix.

    Ainsi, après guerre, la dure décision de fermeture a frappé le tacot de la montagne. Rentabilité ridicule ! Les chiffres ont raison. Du moins pour une époque donnée. Mais qui peut vraiment prévoir de quoi demain sera fait ? Et les économistes ont essuyé des échecs notables lorsqu’ils se sont aventurés dans des prévisions de conjoncture.

    Peu d'années passèrent, après l'arrêt de mort du tacot du Mayet... et l'on se mit bientôt à évoquer, en pleine civilisation de consommation et de loisirs, qu'ici ou là on se prenait à regretter la disparition de chemins de fer analogues... Sur le plan touristique, limitées à des trajets plus courts, les lignes de ce type auraient connu un grand succès. Elles auraient fait le bonheur des visiteurs, des enfants. Il fut tenté une expérience, en Vivarais, et le petit train de l'Ardèche fut une réussite. On recréa un circuit en Montagne Bourbonnaise.

    Dans le cadre du contrat de pays en gestation, pour le canton du Mayet, il est projeté d'utiliser au moins l'ancien tracé de la ligne comme sentiers pédestres, ou pistes de promenade à cheval. La présence parallèle du petit chemin de fer sur une partie du parcours, n'aurait pas déparé (hormis le frayeur possible des montures !) Elle aurait fourni, à l'imagination un aliment pour camper un Far West à usage personnel,un train de Santa Fé, ou même le "Tchou tchou train" cher à Duke Ellington. Le tourisme aurait pu donner, sur des sections limitées, la fameuse rentabilité, au nom de laquelle on avait détruit ce que d'autres avaient patiemment construit à coup de tunnels, de remblais, de ponts...

    Qui peut dire ce qui nous attend en matière d'énergie, de transports ? Certes, il semble qu'un certain pessimisme conduise à minorer les réserves mondiales de pétrole. En théorie, elles devraient nous permettre de "tenir" pendant quelques décennies. En pratique, il y a ... la politique, le Moyen Orient, les Arabes, la rivalité des deux grands, la réaction des pays sous développés et surpeuplés.

    En tout cas, on peut affirmer, sans beaucoup s'avancer, qu'au plus tard dans 50 ans, si les savants n'ont pas trouvé, une solution de rechange en matière énergétique, ce sera la catastrophe.

    Le monde est condamné à trouver un nouvel équilibre. Qui peut raisonnablement affirmer que notre tacot de la Montagne ne sera jamais regretté ?

    Sans se montrer passéiste impénitent et rétrograde, il est sagede que Raoul Dautry n'avait peut-être pas tort de d'indigner contre toutes les formes de "déséquipement national". Les froids techniciens n'ont pas toujours raison lorqu'ils prévoient, formules mathématiques à l'appui, un avenir précis pour le destion des hommes et de leurs œuvres.

    Georges FRELASTRE - Conseiller Général de Vichy.

    Extrait du "Courrier de la Montagne Bourbonnaise - Hiver 1979-80 N°11

    J'ai trouver ce document par hasard, et je l'ai lu avec une conviction que cela ne présentait aucun intérêt, et finalement cette lecture m'a touché. L'auteur écrit des chose dont on parle encore, et pour certains depuis peu, en 1979 ! Que de vérité dans ces lignes, et quel tristesse que l'avenir lui ait en grande partie donné raison. Le projet de trajet de randonné sur l'ancien tracé n'a pas vu le jour (ou cela n'a pas perduré). De nombreux ouvrages d'arts sont encore visible (surtout des viaducs) comme le viaduc des Peux vers le village de Laprugne.

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