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      Expositions professionnelles aux radiations en 2019

      alt.movim.eu / DoseEquivalentBanana · Saturday, 1 May, 2021 - 16:10 · 7 minutes

    Il s’agissait du « Röntgen equivalent man », abrégé « rem », remplacé par le Sv en 1979 mais encore assez utilisé en particulier en Amérique du Nord. Heureusement, la conversion est simple : 1 Sv = 100 rem. Ou 1 rem = 10 mSv. Et à une époque où la limite annuelle de dose qu’étaient autorisés à recevoir annuellement les employés du nucléaire atteignait 50 mSv voire plus dans certains pays (contre 20 mSv/an aujourd’hui en France au maximum), et bien cela faisait, pour les plus exposés, quelques rems. Ceux dont les métiers les exposaient aux plus fortes doses étaient parfois appelés « steaks à rem », ou « remsteak ». Un mélange poétique de chair à canon, de rumsteak, et de radioactivité. L’expression pouvait être utilisée aussi bien sur le ton humoristique… Que pour dénoncer des pratiques industrielles qui les exposaient excessivement sans respect pour les risques encourus.

    Disons que le principe de démarche ALARA, qui exige que l’on cherche à maintenir l’exposition des travailleurs « As Low As Reasonably Achievable », n’a pas forcément toujours été un standard… Hélas.

    Et tout ceci était une bien trop longue introduction pour vous dire que l’IRSN a publié son rapport 2020 sur l’exposition aux rayonnements des professionnels en France en 2019.

    395 000 travailleurs suivis, dans six domaines (industrie nucléaire, non nucléaire, recherche, médical, aviation et autres), 76% n’ayant reçu aucune dose mesurabl, et 5 (pas 5%, 5 tout court) ayant dépassé la limite légale de 20 mSv.

    Les statistiques par rapport à 2018 ne sont pas idéales. On va y revenir, mais notez que la dose moyenne sur les 24% ayant pris de la dose s’élève à 1,20 mSv, contre 1,12 mSv en 2018.

    À toutes fins utiles, je rappelle qu’un français moyen reçoit en moyenne 4,5 mSv par an, dont environ 3 de sources naturelles (radon, rayonnements telluriques, cosmiques) et 1,5 de sources artificielles (médical). Avec d’assez importantes disparités selon les modes de vies. Lieu d’habitation (exposition au radon ou altitude), consommation de fruits de mer ou de cigarette, suivi médical… L’IRSN donne quelques illustrations. Des niveaux d’exposition, qu’ils soient naturels ou artificiels, auxquels aucun effet sur la santé n’est connu. Donc pas de quoi s’inquiéter pour les 1,20 mSv de moyenne pour les travailleurs 😉

    La limite légale à 20 mSv prend elle-même de bonnes marges par rapport aux niveaux d’exposition où l’on connaît des effets probabilistes sur la santé. 5 personnes qui dépassent cette dose, c’est à la fois peu et beaucoup. Peu, parce que l’on revient de loin, très loin. Mais beaucoup, parce que l’on peut faire bien mieux aujourd’hui – même si c’était pire encore en 2018.

    Alors, vous demandez-vous sans doute, quel secteur a un peu trop irradié ses effectifs ? N’en déplaisent à certaines ONG et politiques, ce n’est pas l’industrie nucléaire… Ni l’industrie tout court.

    Il s’agit du domaine du médical et du vétérinaire. Qui n’avait déjà pas été épargné par la direction de l’Autorité de Sûreté Nucléaire lors de la remise de son rapport annuel à l’ OPECST sur l’année 2019.

    La catégorie « Autres », quant à elle, regroupe notamment les secteurs d’activité suivants : la gestion des situations de crise, l’inspection et le contrôle, les activités à l’étranger, et les activités de transport de sources dont l’utilisation n’est pas précisée.

    Dans les doses hautes mais encore dans la limite légale, avec 11 personnes entre 15 et 20 mSv engagés en 2019, toujours le même secteur médical, ainsi que l’industrie non-nucléaire, mais qui fait appel à des sources de rayonnements ionisants.

    Typiquement, il s’agit des radiographies gamma de soudures, un moyen de contrôle de la qualité d’une soudure qui fait appel à une source de rayons gamma, et donc aux risques d’exposition externe qui vont avec.

    Ensuite, on arrive sur le territoire de l’industrie nucléaire. Beaucoup d’industriels s’imposent des limites de doses inférieures à la limite légale, à des fins d’exemplarité… Ou pour avoir des marges avant la limite légale en cas de dépassement accidentel.

    Idem pour ces doses égales à moins de la moitié de la limite réglementaire, 5 à 10 mSv en 2019. Attention, en raison de la taille de la cohorte, je passe les données en pourcentages dans les graphiques.

    Ensuite, entre 1 et 5 mSv, donc des doses professionnelles comparables à celles reçues pour les personnes non exposées, on arrive dans le domaine… Des expositions professionnelles à la radioactivité naturelle.

    Ces travailleurs là sont en quasi-totalité les personnels navigants de l’aéronautique civile – et, dans une très moindre proportion, de l’aéronautique militaire. Parce qu’en altitude, on perd 10 km d’atmosphère protectrice contre les rayonnements cosmiques. Et, au cumul du nombre d’heures de travail, ces personnels navigants reçoivent une radioactivité naturelle environ deux fois supérieure au public. D’où une surveillance simple, mais bien réelle, de leur exposition.

    Sont aussi concernés (à raison de moins de 0,1% de la dose collective) les travailleurs dans le traitement des terres rares, les activités minières (essentiellement de surveillance), et quelques autres industries.

    La dose collective, c’est tout simplement la somme des doses reçues par chaque individu d’une cohorte. Une cohorte de 100 personnes à 5 mSv/personne en moyenne aura reçu une dose collective de 500 Homme.mSv. Un groupe de trois individus ayant reçu 1, 5 et 9 mSv -> Dose collective de 15 H.mSv. Et si on divise par le nombre de personnes, 15 H.mSv/3 H = 5 mSv, c’est la dose moyenne reçue dans la cohorte. Vous avez compris l’idée ?

    Je vous explique ça parce que l’on va à présent comparer les doses collectives d’une année sur l’autre. Je l’ai dit au début, la tendance est plutôt à la hausse. Cette évolution, sans relever d’enjeu sanitaire, doit néanmoins inciter à se poser des questions, et les bonnes. À commencer par se demander dans quels secteurs la hausse est la plus marquée, pour ensuite en étudier les causes. Et voilà les évolutions des doses collectives sur trois ans, par domaine :

    La taille de la cohorte a très peu augmenté, donc ce n’est pas ce qui explique l’évolution, que l’on retrouve aussi dans les doses individuelles moyennes :

    On a des hausses dans pas mal de domaines. Pas le médical/vétérinaire, et c’est une très bonne nouvelle, quasiment pas dans l’industrie non nucléaire, ce qui est une plutôt bonne nouvelle.

    Le gros de l’augmentation est porté sans équivoque par deux domaines : l’industrie nucléaire et l’exposition naturelle.

    Pour l’industrie nucléaire, le motif est bien connu : le Grand Carénage est à son maximum, il y a énormément de maintenance réalisée dans les centrales, et la maintenance est une activité souvent assez dosante. Sur les 45 H.Sv, 31 viennent effectivement de la logistique et de la maintenance, autrement dit, les prestataires. 6 de l’exploitation courante des réacteurs, 2 de la propulsion nucléaire, de la fabrication du combustible et 1 du démantèlement d’installations.

    Est-ce que ça justifie une augmentation des doses reçues par les personnels, je ne sais pas, mais en tout cas, ça l’explique.

    Enfin, l’augmentation de l’exposition à la radioactivité naturelle… M’a beaucoup surpris. Il n’y a pas eu d’envolée du trafic aérien en 2019 à ma connaissance, même un ralentissement en fin d’année. Alors ? En fait, j’aurais pu commencer mon thread par :

    « Le saviez-vous ? Les cycles d’activité du soleil ont une influence mesurable sur la radioactivité reçue en France par les professionnels exposés aux rayonnements et suivis par l’IRSN ».

    En effet, l’IRSN explique que le Soleil éjecte en permanence des particules avec une intensité qui varie selon un cycle d’environ onze ans. Ça je pense que tout le monde le sait à peu près. Pas forcément 11 ans, mais que ça varie de manière cyclique. Or, ce flux de particules, le vent solaire, va induire un champ magnétique qui va en dévier une partie et moduler le rayonnement cosmique. Le bouclier magnétique de la Terre, en quelque sorte. En particulier rayonnement d’origine galactique. Et, ce que j’ignorais : c’est lui la principale contribution aux altitudes de vol des avions !

    Ainsi, le rayonnement cosmique atteignant la Terre est moindre lorsque l’activité solaire est forte et inversement. Donc la baisse d’activité solaire induit une augmentation des doses reçues par les personnels navigants (et les passagers) !

    C’est sur cette anecdote que je clos ce panorama de la dosimétrie des professionnels en 2019. Merci à l’IRSN pour leur travail toujours propre et rigoureux 🙂