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      Concessions autoroutières : l’ART lève les incompréhensions

      Thierry Raynaud · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 5 February, 2021 - 04:25 · 8 minutes

    concessions autoroutières

    Par Thierry Raynaud.

    Depuis que l’État a confié la gestion des autoroutes à des sociétés concessionnaires d’autoroutes, ce mode de fonctionnement alimente de nombreux fantasmes et il n’est pas rare de voir circuler de fausses allégations dans les médias . Parmi les reproches souvent formulés, les détracteurs des SCA déplorent un manque de contrôle sur leurs activités. C’est oublier un peu vite travail de l’Autorité de Régulation des Transports.

    S’il n’est pas rare que les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) soient les cibles d’attaques et de vives critiques, souvent fondées sur des préjugés ou une méconnaissance de leur fonctionnement , jusqu’à présent, jamais l’Autorité de régulation des transports (ART) n’avait été directement mise en cause.

    Cette autorité indépendante, créée en 2009 pour accompagner l’ouverture à la concurrence du marché de transport ferroviaire, a vu ses missions étendues en octobre 2015 au transport interurbain par autocar puis, en février 2016, aux autoroutes sous concession.

    Sur ce dernier point, la mission de l’ART est double :  vérifier que les concessionnaires d’autoroutes respectent les procédures de mise en concurrence pour l’attribution de leur marché et assurer le suivi des performances économiques et financières des SCA.

    C’est dans le cadre de cette activité que l’ART a publié en juillet dernier son premier rapport sur l’économie des concessions autoroutières . Et visiblement, ce document n’a pas eu l’heur de plaire à Jean-Baptiste Vila, maître de conférences en droit public à l’université de Bordeaux, et à Yann Wels, chargé d’enseignement à Aix-Marseille Université, qui ont tous deux violemment attaqué le travail de l’ART dans des articles publiés dans La Semaine Juridique parue le 30 novembre 2020.

    Une remise en cause qui a incité Bernard Roman, le président de l’ART, à sortir de sa réserve habituelle afin de répondre à ses deux détracteurs dans une lettre datée du 14 janvier 2021.

    Un premier article auquel d’autres ont déjà répondu

    D’emblée, le président de l’ART déplore que ces deux universitaires aient cédé à la tentation du « buzz médiatique » au détriment d’affirmations basées sur une argumentation solide, le tout sur un ton qu’il juge condescendant, « voire diffamant » vis-à-vis de l’ART.

    Il faut dire que le premier des deux articles, qui remet en cause la légalité de certaines pratiques, notamment fiscales et comptables, observées dans le secteur des concessions autoroutières, portent de graves accusations qui justifieraient, selon leur auteur, que l’État puisse mettre fin aux conventions de délégation de manière anticipée sans débourser un centime.

    Pourtant, le président de l’ART ne répond pas à ces allégations, sans doute parce que d’autres, avant lui, l’ont déjà fait, comme par exemple Noël Chahid-Nouraï, Jean-Luc Champy et Mikaël Ouaniche dans un article intitulé « Les concessions d’autoroutes : mythes et réalité » paru lui aussi dans La Semaine Juridique le 21 décembre 2020.

    Une réponse argumentée point par point

    Une fois le premier article écarté, Bernard Roman s’est donc concentré sur le second qui porte essentiellement sur deux aspects du rapport publié par l’ART : la rentabilité des concessions d’autoroutes et la définition du « bon état » applicable aux infrastructures restituées en fin de concession.

    Bien décidé « à ne pas laisser sans réponse les graves erreurs d’analyse » que comporte cet article, le président de l’ART développe son argumentation en sept points, en commençant par expliquer la méthode utilisée par l’Autorité indépendante pour établir son rapport.

    Il explique que « l’Autorité a construit son rapport selon une approche ouverte et méthodique, fondée sur une expertise reconnue et une robustesse des analyses » , prenant soin d’exposer « une présentation factuelle, précise et objective du secteur » .

    Bernard Roman rappelle les valeurs d’indépendance, d’expertise, de transparence et de dialogue chères à l’Autorité et combien elles sont importantes pour traiter ce sujet où « tous les éléments sont réunis pour alimenter de potentielles controverses » .

    À propos de controverses, justement, Yann Wels semble s’étonner que l’ART ait choisi le taux de rentabilité interne (TRI) pour analyser la rentabilité des concessions car cet indicateur serait, selon lui, source d’erreurs économiques.

    Or, le TRI prend en compte tous les flux financiers entrants et sortants sur l’intégralité de la durée du contrat et est utilisé lorsque la rentabilité d’une activité économique ne peut pas être mesurée à un instant donné, mais qu’elle doit s’apprécier sur l’ensemble de sa durée de vie, ce qui est le cas des concessions autoroutières.

    À l’assertion de l’universitaire, Bernard Roman répond que l’ART n’a nullement fait ce choix seule, mais qu’elle s’est conformée à l’article L 122-9 de la voirie routière qui lui demande d’assurer « un suivi annuel des taux de rentabilité interne de chaque concession » . Le président explique que l’ART a pris le temps nécessaire pour collecter des données pertinentes, pour les expertiser et pour organiser des échanges contradictoires avec les parties prenantes afin de fiabiliser les mesures dans le but d’apporter une expertise fine et d’effectuer le calcul de la rentabilité à travers le TRI avec une grande rigueur.

    « Ce travail de l’Autorité a été salué par nombre de juristes et d’économistes de renom » , écrit Bernard Roman, en réponse à l’universitaire pour qui « cinq ans d’attente pour une démarche déjà utilisée, pas seulement dans le secteur de l’autoroute, laisse pantois l’économiste et dubitatif le juriste » .

    Des indicateurs chiffrés justifiés et approuvés

    Outre le choix du TRI, l’universitaire marseillais remet en cause l’utilisation de la méthode du TRI « tronqué » employée par l’ART pour analyser la rentabilité des SCA. Cette critique est sans fondement selon le président de l’ART car, d’après lui, « la méthode du TRI « tronqué » permet, au contraire, malgré l’indisponibilité ou l’hétérogénéité de certaines données historiques, de tenir compte de toute la durée du contrat » .

    Bernard Roman explique que la « troncature » reflète simplement « la nécessité de modéliser les flux financiers antérieurs à une certaine date » et précise par ailleurs que cette « méthode du TRI « tronqué » n’est pas un concept théorique, mais seulement l’une des solutions les plus abouties de praticiens qui rencontrent des difficultés concrètes pour rassembler des données correspondant à la profondeur temporelle de leurs analyses » .

    Bernard Roman répond aussi à l’auteur de l’article paru dans La Semaine Juridique qui doute de la qualité des données utilisées par l’ART, tant en ce qui concerne le passé que le futur. S’agissant des chiffres antérieurs au rapport, le président de l’Autorité précise que les experts ont utilisé les comptes des SCA tels qu’ils ont été approuvés par les commissaires aux comptes.

    Des données qui ne souffrent donc aucune contestation. Quant aux prévisions, il explique qu’elles sont, par nature, incertaines, mais que l’ART s’est attachée « à expertiser les données venant des sociétés concessionnaires » mais aussi à présenter aussi ses propres prévisions.

    Désaccords et mises au point

    Décidément très critique à l’égard de l’ART, Yann Wels regrette qu’elle n’ait pas reconnu « un profil de risque surévalué ». Selon lui, ce risque supporté par les SCA serait même inexistant ou parfaitement couvert.

    Une idée reçue très répandue, mais que Bernard Roman ne partage pas. Outre le fait que c’est factuellement faux, car un contrat de concession entraîne un transfert total du risque à la société concessionnaire, le président de l’ART relève que l’auteur de l’article propose de mettre « de côté les événements imprévus et exceptionnels » , ce qui est pour le moins surprenant puisque ces aléas constituent une part importante du risque comme l’ont démontré les épisodes de 2008-2009 et de 2020.

    Enfin, le chargé d’enseignement phocéen semble estimer que définir ce que doit être le « bon état » des infrastructures autoroutières au terme des concessions n’est pas un sujet digne d’intérêt. Selon lui, le « bon état » de restitution serait l’ « état normal de fonctionnement » .

    Là-encore, Bernard Roman ne partage pas du tout son avis et estime que c’est méconnaître le sujet car ce n’est pas le seul paramètre à prendre en compte. Selon lui, « il ne fait aucun doute que cette approche n’est pas pertinente » , car elle ne prend pas en compte des équipements comme les bassins d’assainissement, qui représentent des enjeux financiers importants, ou encore la pérennité des chaussées d’autoroute.

    « Pour l’Autorité, l’absence de précision des contrats en cours signifie que le « bon état » doit être entendu de façon absolue, c’est-à-dire en définissant un référentiel technique couvrant l’ensemble des aspects de l’infrastructure à restituer. Retenir une autre définition du « bon état » reviendrait en effet à renoncer à exiger que les concessionnaires réalisent les investissements de remise en bon état prévus par leurs contrats, alors que la trajectoire d’évolution des péages a très certainement été établie pour compenser les coûts correspondants » , écrit-il dans sa longue réponse aux deux universitaires.

    Dans son rapport, l’ART préconise d’ailleurs que soit établie une définition exigeante du terme « bon état » afin de défendre au mieux les intérêts de l’État . Une analyse qui montre l’expertise dont fait preuve l’ART sur les spécificités du secteur des autoroutes concédées et, qu’aujourd’hui comme demain, elle compte bien jouer pleinement son rôle d’autorité de contrôle en toute indépendance et en toute transparence.