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      Motion de censure : un coup d’éclat tout sauf historique

      Jonathan Frickert · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 28 October, 2022 - 02:50 · 6 minutes

    L’ambiance est soporifique ce lundi après-midi au palais Bourbon. Les députés doivent examiner les trois motions de censure présentées par l’opposition dans le cadre du vote du budget. Du côté de la majorité, les élus bâillent. Certains lisent ostensiblement leur journal quand d’autres ont les yeux rivés vers leur partie de Candy Crush .

    Malgré l’absence de majorité pour les députés macronistes, aucune motion n’a de chance d’aboutir. La motion RN ne sera pas votée par la NUPES. Les motions NUPES ne seront – dit-on – pas votées par le RN.

    Les discours s’enchaînent. Chaque groupe ayant déposé une motion y va de ses poncifs. La gauche, représentée par la députée EELV de l’Isère Cyrielle Chatelain, ne déroge pas à son habitude en répétant ses obsessions comme un adolescent en crise face à ses parents : inégalités, urgence sociale, partage des richesses et sécurité sociale intégrale sont de la partie. Quelques sourcils se lèvent, mais sans plus, et la suite ne devrait pas changer la teneur du moment.

    Il est autour de 16 h 15 lorsque Marine Le Pen rejoint la tribune. Dans les heures qui suivent, les qualificatifs fusent : « bascule », « coup de théâtre », « alliance contre-nature » voire « blanchiment de vote extrême ». La force des mots est à la hauteur de la surprise et, parfois, de la rage.

    Le geste serait un « vrai coup de Baron noir », en référence à la célèbre série politique de Canal +, mais l’expression la plus approchante est sans doute celle de « coup de tonnerre », mots utilisés par Lionel Jospin au soir du 21 avril 2002, lorsque le candidat socialiste avait été éliminé face à Jean-Marie Le Pen aux portes du second tour.

    Ce coup se résume à une phrase : « Nous voterons également la motion présentée en des termes acceptables de l’autre côté de l’hémicycle ». Par ces quelques mots, Marine Le Pen aura fait à elle seule l’actualité de la semaine.

    Cependant, le vote de la motion de censure NUPES par les élus RN masque une réalité bien moins spectaculaire pour le parti mariniste.

    À quelques voix de la chute

    Trente voix. C’est ce qui a manqué à la motion portée par les groupes de gauche et donc votée par les 89 députés RN, pour renverser le gouvernement Borne.

    Il s’agit officiellement de la motion la plus proche d’atteindre son but depuis 30 ans et les 5 motions présentées contre les gouvernements Rocard, Cresson puis Beregovoy entre 1991 et 1992 et dont l’écart moyen avec la majorité absolue était de 22 voix avec un pic à 3 voix en mai 1992 dans le cadre du vote de la réforme de la PAC.

    Une motion tout sauf historique

    Le vote conjoint d’une motion de censure par la gauche et le parti lepeniste n’est pas une nouveauté.

    En 1986, la droite arrivait au pouvoir avec un projet inspiré par la révolution conservatrice. Le RPR et l’UDF avaient déjoué la manœuvre mitterrandienne visant à instaurer la proportionnelle intégrale afin de contrer une potentielle cohabitation. Les 35 députés menés par Jean-Marie Le Pen avaient alors joint leurs voix à celles des socialistes de Roland Dumas afin de faire chuter le gouvernement Chirac. Ce dernier avait engagé la responsabilité de son gouvernement sur une loi visant à supprimer la proportionnelle. Une idée qui n’arrangeait guère ni le FN ni le PS, ce dernier voyant là une épine dans sa stratégie de division de la droite par la montée du Front national.

    La motion a échoué de seulement 5 voix et, après une saisine du Conseil constitutionnel par les socialistes, le mode de scrutin majoritaire est rétabli pour les élections suivantes.

    La motion soutenue par la NUPES et le RN n’est donc pas une nouveauté et masque mal une opposition RN en réalité davantage portée par les coups politiques que par une quelconque réalité de co-construction parlementaire.

    L’immigration éludée

    Le vote de la motion NUPES par les députés RN cristallise un peu plus les divisions internes des différents groupes de gauche.

    Au PS, les opposants à cette alliance se frottent les mains, Stéphane Le Foll et François Khalfon en tête. Ce dernier n’hésite pas à accuser les députés insoumis d’avoir volontairement supprimé un passage lié à l’immigration de leur motion afin de s’assurer le vote des députés RN. Une preuve de plus que cette question, quoique fondamentale, est la seule véritable divergence des deux populismes.

    La gauche un peu plus divisée

    Ce nouvel épisode du rififi chez les socialistes n’est guère le premier.

    Dès le lendemain des élections, les différentes composantes de l’alliance ont été incapables de former un groupe unique. Chaque parti a retrouvé sa chapelle, laissant au RN le rôle de premier groupe d’opposition.

    Depuis, les députés NUPES n’ont guère brillé par leur travail parlementaire. Les différentes affaires de mœurs alimentées par l’ inquisitrice en chef Sandrine Rousseau n’ont fait que radicaliser de concert une gauche qui cherchait à faire oublier sa déliquescence.

    Mercredi soir, ces divisions ont amené la gauche à préférer quitter les bancs de l’hémicycle lorsqu’Elisabeth Borne a décidé de déclencher le 49-3 .

    Des LR dans l’après Macron

    Si la riposte des Républicains consistant à se positionner comme faiseur de rois n’est pas dénuée de justesse, le parti de droite souffre d’une volonté stérile d’indépendance. Le parti est pris en tenaille entre deux forces qui confondent alliance et vassalisation.

    Pourtant, la parole récente de Nicolas Sarkozy n’est pas dénuée d’intérêt. Quoiqu’en disent les mauvaises langues et malgré les points communs avec le locataire du Kremlin, il n’y aura pas de troisième mandat pour Emmanuel Macron. La droite a donc tout intérêt à la jouer fine pour récupérer les ruines d’une majorité privée de chef qui ne pourra qu’imploser à moyen terme.

    Malgré ce boulevard politique, les Républicains ont un concurrent inattendu dans le rôle de l’opposition constructive : le RN.

    RN-LFI : une affaire de communication

    Depuis plusieurs jours, le terme de « constructif » est volontairement présent dans les éléments de langage des députés RN. Un terme qui rappellera celui utilisé par les députés quelques LR qui, en 2017, se sont rapprochés de la Macronie afin de créer le groupe puis le parti Agir.

    Pourtant, comme le montrent les statistiques du site Datan répertoriant des données sur les groupes politiques, le qualificatif d’opposition « constructive » correspond bien davantage à LR qu’à aucun autre groupe parlementaire.

    Avec un taux de vote des textes gouvernementaux de 68 %, les LR parviennent à maintenir un équilibre que les députés RN ne sont pas en mesure d’assumer. Les troupes de Marine Le Pen ont un taux de vote des textes de 23,5 %, soit un taux similaire à ceux des communistes et seulement deux points de plus que ceux des élus LFI.

    La différence entre les deux groupes populistes n’est donc qu’affaire de communication.

    Un électrochoc pour la droite

    Les attaques habituelles et appuyées ces derniers jours sur les liens entre le RN et LFI concernant leur socialisme latent et leur allégeance commune à Moscou sont fondées.

    Le parti mariniste a ici voté une motion de censure NUPES portant des valeurs les plus antédiluviennes de la gauche. Malgré cela, elles apparaissent aujourd’hui dérisoires tant la forme a pris le pas sur le fond. Le sens stratégique de Marine Le Pen doit être reconnu. En l’état, le RN prend la part du lion de l’opposition. Peut-être ce coup de tonnerre sera-t-il l’électrochoc qu’il faudra à la droite libérale pour se réveiller.