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      Réindustrialisation : les leçons à tirer de la Suisse

      Claude Sicard · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 3 November, 2022 - 03:50 · 12 minutes

    Depuis des années, l’économie française est dans une situation très difficile : tous les indicateurs sont  au rouge et le pays recourt chaque année à la dette pour faire tourner la machine économique. Il semblerait bien que nos gouvernants ne sachent pas comment s’y prendre pour redresser la situation. Curieusement, ce problème n’a pas été abordé par les candidats lors de la dernière campagne présidentielle.

    Et voilà qu’à présent, nous entrons dans une période très trouble du fait des bouleversements amenés par la guerre en Ukraine : les prix de l’énergie ont été multipliés par trois ou par quatre, et l’inflation fait à nouveau son apparition mettant nos gouvernants dans le plus grand embarras. Emmanuel Macron dresse des boucliers tarifaires et distribue des chèques pour protéger la population et les entreprises. Le budget présenté à l’Assemblée nationale pour 2023 se soldera à nouveau par un très important déficit.

    Le problème est de savoir comment redresser la barre.

    De vaines recherches d’explication

    Il faut bien voir que la France est à la traine, comme le montrent les comparaisons avec les autres pays de l’Union européenne : le pays se situe maintenant en onzième position seulement en matière de PIB par tête, un seuil 30 % inférieur à celui de la Suède, et inférieur à la moitié de celui de la Suisse.

    Graphique PIB/capita

    Diminuer la pression fiscale

    Les libéraux disent qu’il faut baisser les impôts. Effectivement, la France est le pays où la pression fiscale est extrêmement élevée, comme le montre le relevé ci-dessous :

    Les prélèvements obligatoires en pourcentage du PIB (Source : INSEE 2020)

    • Danemark…………… 48,0 %
    • France………………… 47,5 %
    • Allemagne…………… 41,5 %
    • UE (27)……………….. 41,3 %
    • Pays Bas ……………… 40,0 %
    • Espagne ………………. 37,5 %

    Mais la pression fiscale n’explique pas tout : le Danemark dont la pression fiscale est pratiquement égale à la nôtre n’est pas dans la même situation au plan économique.

    Augmenter le temps de travail

    La France est le pays où les personnes travaillent le moins, comme l’a montré  l’OCDE qui a pris le soin de ramener le nombre total des heures travaillées au nombre des habitants.

    On a ainsi le tableau suivant :

    Moyenne annuelle du nombre d’heures travaillées par personne (Source OCDE)

    • France………………….. 630
    • Espagne……………….. 697
    • Allemagne……….……. 722
    • Grande Bretagne…… 808
    • Suisse…………………… 943
    • Corée …………………… 1000

    L’OCDE, qui s’inquiète de la situation française, note que sur chaque actif repose le revenu d’un jeune et d’un senior.

    Rexecode donne le nombre d’heures travaillées chaque année par les salariés à temps plein en Europe : en 2020 1680 heures pour la France contre une moyenne européenne de 1846 heures, et plus de 2000 heures dans les pays de l’est de l’UE. Aussi, avant la crise sanitaire Emmanuel Macron avait-il fait de la nécessité d’augmenter le temps de travail des Français l’un des axes de ses réformes. Mais il revient constamment sur ce projet.

    Le taux d’emploi de la population est très faible.

    Taux d’emploi en 2018 (Source : OCDE)

    • Suède………..…. 82,6 %
    • Suisse…………… 82,5 %
    • Allemagne…….. 79,9 %
    • Pays Bas……….. 79,2 %
    • France………….. 71,8 %
    • Italie…………….. 63,0 %

    En France une trop grande partie de la population est en dehors de la vie professionnelle, ce qui ressort également du tableau précédent.

    Curieusement, nos gouvernants n’ont pas cherché à comprendre comment des pays ayant des niveaux de PIB/habitant bien supérieurs au nôtre sont parvenus à ce résultat. Et de leur côté, les économistes n’ont pas non plus beaucoup contribué à les aider dans cette recherche.

    Examinons à grands traits le cas de la Suisse qui est, en Europe, le pays disposant du plus haut niveau de PIB par habitant, le Luxembourg mis à part. La Suisse est un pays dont l’économie est libérale et qui n’a pas voulu s’intégrer dans ce qui est aujourd’hui l’Union européenne afin de conserver toute sa liberté d’action. Elle a sa propre monnaie : le franc suisse.

    L’économie suisse

    Nous nous bornerons à quelques éléments essentiels, tout d’abord en rappelant qu’à la différence de notre pays, la Suisse est un pays à économie libérale où il est pratiqué un système de démocratie directe. Dans ce pays l’initiative populaire est un droit : les Suisses ont été appelés aux urnes 321 fois depuis 1848. Les citoyens proposent des mesures qui sont soumises au vote de la population, ce que les Suisses appellent des « votations populaires ».

    Que constate-t-on ? La monnaie suisse est très forte, sa balance commerciale est constamment excédentaire, le pays est très peu endetté, et le taux de chômage est le plus faible d’Europe :

    Taux de chômage (janvier 2022)

    • Italie…………… 8,8 %
    • France………… 7,0 %
    • Pays Bas……… 3,6 %
    • Allemagne…… 3,1 %
    • Tchéquie…….. 2,2 %
    • Suisse…………. 2,0 %

    La Suisse manque de main-d’œuvre, et chaque jour des milliers de travailleurs frontaliers se précipitent pour y travailler.

    À quoi donc sont dues ces excellentes performances ?

    Le premier constat que l’on peut faire, et c’est l’Institut des Libertés qui a eu le mérite de mettre en évidence le phénomène, c’est que dans ce pays il existe un parallèle très étroit entre l’évolution de la production industrielle et celle du PIB, comme le montre le graphique ci-dessous :

    Ce constat conduit à examiner la corrélation pouvant exister, dans différents pays, entre leur production industrielle et leur PIB per capita . Comme le montre le graphique précédent, l’industrie joue un rôle clé dans la création de richesse. Ce phénomène est finalement aisé à mettre en évidence en examinant l’importance de la production industrielle dans différents pays, une importance qui est très variable.

    C’est ce que montre le graphique ci-dessous où il est pris, en abscisses, pour variable explicative, la production industrielle des pays calculée par habitant (et non pas, comme le font habituellement les économistes, en pourcentage des PIB) et en ordonnées, les PIB/capita de ces pays. Les données sur la production industrielle sont fournies par la BIRD qui inclut la construction dans l’industrie, les productions industrielles étant mesurées, ici, en valeur ajoutée selon les données des comptabilités nationales.

    Graphique corrélation production industrielle/habitant et PIB/capita

    Avec une production industrielle faible de 6432 dollars par habitant la France a un PIB/capita de seulement 39 030 dollars ; avec un ratio bien meilleur de 12 279 dollars le PIB/capita de l’Allemagne s’élève à 46 208 dollars ; avec un chiffre record de 22 209 dollars, la Suisse dispose d’un PIB/capita de 87 097 dollars, le plus fort d’Europe.

    Il est aisé de comprendre d’où proviennent les difficultés de notre économie.

    Les effectifs du secteur industriel français ont fondu : de 6,5 millions de personnes à la fin des Trente glorieuses à seulement 2,7 millions aujourd’hui. La contribution du secteur industriel à la formation du PIB n’est plus que de 10 %, alors que dans les pays où l’économie est prospère et bien équilibrée, comme c’est le cas de l’Allemagne ou de la Suisse, les ratios se situent entre 23 % ou 24 %. La France est le pays le plus désindustrialisé d’Europe , la Grèce mise à part. C’est un pays sinistré, mais qui ne le sait pas.

    Du fait du recul de la production industrielle dans la formation du PIB, le pays s’est appauvri. L’État  s’est donc trouvé obligé d’augmenter chaque année ses dépenses sociales, d’où une augmentation régulière des dépenses publiques. Et cela a conduit inévitablement à des prélèvements obligatoires de plus en plus élevés. Ceux-ci n’étant jamais suffisants, le recours régulier à l’endettement a généré une dette extérieure du pays supérieure au PIB. Le pays est enfermé dans une spirale déclinante et  s’endette un peu plus chaque année.

    C’est avec la crise du covid que les dirigeants ont pris la mesure des graves inconvénients de la très forte désindustrialisation du pays, mais seulement sous l’angle de la sécurité des approvisionnements, en omettant celui de l’appauvrissement du pays. Aussi, pour tenter de réindustrialiser le pays, Emmanuel Macron vient de lancer le plan France 2030 destiné à faire naître de nouveaux champions  industriels. La tâche va être particulièrement longue et ardue, bien plus que nos dirigeants ne l’imaginent. Le président fait de gros efforts pour attirer des investissements étrangers et a lancé le programme Choose France pour les convaincre.

    Le climat social en Suisse

    Il est excellent. En Suisse, et il n’y a jamais de grève.

    Jours de grève par an pour 1000 salariés dans le secteur privé (Source : Fondation Hans-Böckler)

    • France ………………….. 114
    • Belgique………………… 91
    • Espagne………………… 54
    • Grande Bretagne……. 19
    • Allemagne……………….  6
    • Suisse……………………..  1

    Cette paix sociale est très précieuse pour le bon fonctionnement de l’économie. Elle est le résultat d’une convention passée en 1937 entre les syndicats et le patronat qui ont convenu de régler leurs conflits par des négociations et non pas par des grèves. Cet accord est devenu un élément de l’identité suisse. On est donc très loin de la situation française où la Charte d’Amiens a, jusqu’à une période récente, constitué l’ADN du syndicalisme français révolutionnaire qui prône la lutte des classes et qui a pour arme la grève générale.

    Le droit du travail suisse

    Le droit du travail en Suisse est extrêmement libéral : le Code du travail suisse ne contient qu’une trentaine de pages. L’État ne fixe que quelques règles qui constituent un cadre général, alors qu’en France l’État s’immisce dans le dialogue social, un dialogue à trois, ce qui n’est pas le cas en Suisse.

    Ainsi un employé peut être licencié sans motif, ce qui autorise beaucoup de souplesse dans la gestion des entreprises. La loi prévoit simplement des délais de préavis : un mois la première année, deux mois pour des anciennetés de 2 à 9 ans, et trois mois ensuite. Et il n’y a pas généralement d’indemnités de licenciement. La loi du travail indique que les durées de travail peuvent aller de 45 à 50 heures par semaine. Elle fixe une obligation de quatre semaines de vacances annuelles pour les salariés. Il existe d’assez nombreuses conventions collectives qui régissent les conditions de travail selon le secteur d’activité et accordent des avantages supérieurs aux dispositions légales.

    En dehors de ces conventions collectives ce sont les lois normales du travail qui s’appliquent, en respectant des règles fixées par le Code des obligations.

    La fiscalité suisse

    La Suisse figure parmi les pays où la fiscalité des entreprises sur le plan international est la plus basse : les règles sont assez complexes et PwC indique que les impôts sur les sociétés varient entre 12 % et 24%, la moyenne se situant à 14,9 %.

    Il y a trois niveaux : communal, cantonal et national.

    Le coût du travail

    Compte tenu du niveau des salaires, le coût du travail en Suisse est extrêmement élevé.

    En 2018, l’Office fédéral des statistiques indiquait comme coût horaire le chiffre de 69,90 francs suisses, ce qui en fait l’un des plus chers d’Europe. Les entreprises industrielles doivent donc se positionner sur des activités à très forte valeur ajoutée : industrie pharmaceutique nourrie constamment par des innovations, électronique de pointe, mécanique fine, horlogerie de luxe, etc.

    Une étude comparative avec la France, disponible sur le Blog de David Talerman , indique les chiffres suivants relatifs aux cotisations salariales :

    Charges patronales :

    • France…… 42,0 %
    • Suisse……. 28,9 %

    Charges salariales :

    • France……. 22,0 %
    • Suisse…….. 14,7 %

    Que retenir de l’expérience suisse ?

    La France n’est certes pas la Suisse : sa sociologie n’est pas la même, leurs histoires respectives sont très différentes. On peut néanmoins tirer de l’expérience suisse plusieurs pistes utiles.

    La place de l’industrie dans l’économie

    La production industrielle par habitant est le triple de la nôtre.

    Il faut donc reconstituer rapidement un secteur industriel de haut niveau et compétitif. La Suisse montre que le coût du travail n’est pas nécessairement un élément rédhibitoire. Il faudrait qu’en matière de production industrielle par habitant la France se situe au niveau de l’Allemagne, c’est-à-dire le double de la valeur actuelle.

    Le droit du travail

    Il est constitué de quelques règles très simples.

    Les entreprises ne sont donc pas étouffées par une réglementation paralysante et coûteuse. La France est-elle capable de procéder à une profonde réforme de sa législation du travail ? Déjà, en 2004, le Medef demandait que le Code du travail ne constitue plus une entrave à l’embauche.

    La durée du travail

    Les durées du travail s’étend jusqu’à 50 heures hebdomadaires.

    Depuis 1948 l’âge de départ à la retraite est fixé à 65 ans . Le temps de travail moyen annuel est de 943 heures et de seulement 630 heures en France.

    Le climat social

    Il est évidemment difficile de changer l’état d’esprit des syndicats mais il faudrait obtenir qu’ils cessent de lancer des grèves dans le secteur industriel tant que celui-ci ne sera pas reconstitué.

    Le coût des systèmes de santé et de retraites

    En Suisse les entreprises ne sont pas impliquées dans leur financement, ce qui allège leurs charges. Il conviendrait donc d’aller vers des systèmes d’assurances privées et de financement par capitalisation.

    Dans un article du 30 mars 2021 intitulé « La Suisse : modèle libéral et efficace aux portes de la France » l’IREF évoque « une population éduquée et d’une industrie de pointe ».

    La dette fédérale ne représente que 25,8 % du PIB. Le pays vient en tête dans les comparaisons internationales pour sa qualité de vie : numéro un dans le classement de la base de données Numbeo ,  et numéro deux pour la société d’assurance Aesio-Mutuelle ; la France est au 29e rang dans le premier cas et entre le 20e et le 30e rang dans l’autre, selon les critères.

    Rappelons ce qu’avait déclaré le président de la confédération, Didier Burkhalter, lors d’une manifestation publique organisée par le district de Zurich, le 17 janvier 2014 :

    « La Suisse est une puissance économique à forte capacité d’innovation. Elle constitue la septième économie d’Europe, ce qui est proprement incroyable pour un pays de huit millions d’habitants. La Suisse est un modèle de réussite dont nous pouvons être fiers » .