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      Pourquoi trouve-t-on toujours que "c'était mieux avant"? - BLOG

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Monday, 4 July, 2022 - 08:38 · 5 minutes

    Nous bichonnons notre passé… alors que, dans le présent, nous prenons fréquemment un malin plaisir, voire une étrange jouissance, à nourrir notre plainte, à éprouver le manque, la colère, ce Nous bichonnons notre passé… alors que, dans le présent, nous prenons fréquemment un malin plaisir, voire une étrange jouissance, à nourrir notre plainte, à éprouver le manque, la colère, ce "moitié vide" qui n’en finit pas de nous hanter!

    NOSTALGIE - La nostalgie est un penchant irrésistible. L’être humain en est souvent doté de manière excessive. En ces temps d’extrémisme politique débridé, l’idéalisation du passé est monnaie courante. Le “ C’était mieux avant ” est roi et fait l’affaire de bien des vendeurs de rêves. Mais pourquoi?

    D’un point de vue psychanalytique, cette passion folle pour un âge d’or s’explique. Mieux, elle se justifie parfaitement.

    En effet, nous avons toutes et tous traversé cette époque de la vie que l’on appelle l’ enfance , et pour la majorité d’entre nous, celle-ci, malgré ses tumultes et ses renoncements, s’est plutôt bien déroulée.

    Combien ai-je de patients me le jurant? Je ne les compte plus.”Ô comme je regrette mon enfance!” est peut-être la phrase que j’entends le plus souvent dans mon cabinet.

    Un présent trop lourd

    Tandis que le présent est lourd, insoutenable, comme pris dans une sorte d’injonction à exister, le passé, et l’ enfance au premier chef, paraît souvent léger, délesté de cette pression anxiogène qui nous incite à aller sans cesse de l’avant.

    Parfois, quand on la regarde de plus près, cette époque d’enfance, de totale dépendance, a été bien plus en demi-teinte. Mais quand on veut s’en souvenir, nous sommes comme frappés d’amnésie. Notre mémoire nous joue des tours, nous le savons, mais nous la laissons faire. Nous aimons presque tous idéaliser le temps derrière nous. Comme pour réparer les préjudices commis, pour effacer l’ardoise de la culpabilité, la spirale du mal de vivre… Les verts paradis des amours enfantines ont été entrevus par bien des écrivains, et de Proust à Colette en passant par Pagnol, ils ont dit cette propension à se “nostalgiser” avec délice et raffinement.

    En revivant nos souvenirs sans leurs aspérités, nous nous persuadons parfois même que notre vie n’a pas été si douloureuse que cela. Nous voulons voir cette fameuse “bouteille à moitié pleine”… Un peu comme nous nous rappelons un voyage compliqué, exténuant, et que nous nous acharnons à ne voir que les paysages découverts, les parfums rencontrés, en nous gardant bien de faire revenir à notre conscience, la chaleur étouffante, les attentes interminables et les punaises de lit dans l’hôtel!

    Nous bichonnons notre passé… alors que, dans le présent, nous prenons fréquemment un malin plaisir, voire une étrange jouissance, à nourrir notre plainte, à éprouver le manque, la colère, ce “moitié vide” qui n’en finit pas de nous hanter!

    “Il n’y a rien de plus difficile que de vivre le temps présent sans nous répandre dans l’angoisse”, rappelle le moine bouddhiste Matthieu Ricard, vacciné contre les enjoliveurs de passé! Les préceptes bouddhistes louent précisément notre capacité à faire fi de cet imaginaire mélancolique.

    La poule aux œufs d’or

    Mais le capitalisme, lui, a bien compris la petite ritournelle. La passion pour la nostalgie fait le lit de bien des producteurs. Qu’ils soient publicitaires, cinéastes, créateurs d’objets vintage ou spécialistes musicaux, ils ont tous compris l’appétence immodérée pour le “jadis”. Prenons les années 70 et la folie addictive qu’elles suscitent depuis les années 2000: il fallut attendre près de deux décennies pour que les lampes à gélatine fluo et les vieux tourne-disques s’installent à nouveau dans les salons d’étudiants! Autrefois moquées, ringardisées, les seventies connaissent à nouveau un état de grâce qui dure et se pérennise. Auteur de Dalida sur le divan , à l’affiche durant tout le festival d’Avignon cet été, je rencontre tant d’admirateurs de la chanteuse, qui n’étaient même pas nés à son décès. Si moquée de son vivant, Dalida aurait sûrement éprouvé une émotion infinie à entendre tant d’éloges amoureux à son sujet. Comme Frida Kahlo et d’autres génies mélancoliques, elle avait le cœur prêt à exploser. Fallut-elle dont qu’elle mourut pour que certains aient l’extrême audace d’avouer l’adorer?

    Mais si cela n’était qu’affaire de mode… Freud a bien décrit dans son fameux Deuil et mélancolie, le processus de deuil visant à idéaliser le défunt pour pouvoir admettre sa disparition définitive. Ainsi, la nostalgie idéalisante serait littéralement constitutive de notre humanité! À peine la personne est-elle morte que nous ne voyons presque plus que ses qualités, montées au pinacle, des qualités auxquelles nous nous cramponnons de toutes nos forces pour célébrer le passé… Et bien nous convaincre de l’amour que nous lui portons!

    Les dangers de la nostalgie

    En effet, “que serait un monde sans nostalgie?” me demandait l’excellente Leila Kaddour récemment sur France Inter. “Un monde triste. Car la nostalgie est un merveilleux sentiment. Ne jamais regretter le temps d’avant? Toujours vivre le présent? Ce serait atroce. Se souvenir, éprouver du chagrin, c’est le terreau de la mémoire humaine”, lui répondis-je, moi qui éprouve tant de plaisirs à m’adonner à mon tempérament mélancolique aux heures les plus chaudes.

    À force de vivre dans le passé, de célébrer seulement ce qui est mort, nous pouvons finir par ne plus pouvoir soutenir le présent, par rester figé comme des images déjà consommées, consumées, anéanties.

    Toutefois, ajoutais-je, « c’est une arme à feu à manier avec précaution ». Car à force de vivre dans le passé, de célébrer seulement ce qui est mort, nous pouvons finir par ne plus pouvoir soutenir le présent, par rester figé comme des images déjà consommées, consumées, anéanties.

    Il ne s’agit ainsi pas d’être complètement dupe de ce mouvement d’idéalisation, à la fois salutaire et toxique. Après tout, célébrer le passé est moins aventureux que penser l’avenir et ses incertitudes. L’homme délivré de ses fantômes va vers son futur la tête haute, sans s’économiser , et ne rumine pas ses défaites, ses ressentiments, ses pertes d’antan. Il peut même esquisser un sourire en éprouvant à la de la joie mâtinée d’une vague tristesse. Il « a vécu ».

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