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      Le Festival de Cannes 2022, l'année de tous les changements?

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Tuesday, 17 May, 2022 - 05:00 · 7 minutes

    Les marches de Cannes seront sous le feu des projecteurs du mardi 17 au samedi 28 mai pour la 75e édition du festival (photo d'illustration du 25 mai 2019) Les marches de Cannes seront sous le feu des projecteurs du mardi 17 au samedi 28 mai pour la 75e édition du festival (photo d'illustration du 25 mai 2019)

    CINÉMA - Ce 75e anniversaire sera-t-il à marquer d’une pierre blanche? Le Festival de Cannes s’ouvre ce mardi 17 mai sur la Croisette dans une ambiance balançant entre stars , crème du cinéma d’auteur et échos de la guerre en Ukraine à travers plusieurs films sélectionnés. Mais derrière les 21 films en compétition pour la prestigieuse Palme d’or, plusieurs autres enjeux se jouent cette année.

    Pour cette édition 2022, le Festival a bazardé son partenariat historique avec Canal+, chaîne emblématique du cinéma dans les années 1980 et 1990, qui retransmettait notamment les cérémonies d’ouverture et de clôture depuis 28 ans. À la place: un attelage surprenant entre service public (France Télévisions) et Brut, qui doit permettre de s’adresser, notamment, aux jeunes générations.

    Ce média vidéo fondé il y a cinq ans (par Renaud Le Van Kim, un ancien de Canal+), tourné vers les formats courts, est présent également en Inde, en Égypte, en Côte d’Ivoire ou au Japon. Il revendique 500 millions de spectateurs dans plus de 100 pays, majoritairement chez les 18-34 ans. Tout un symbole, à l’heure où le cinéma en salles prend un coup de vieux, accéléré par deux ans de crise du Covid, subissant de plein fouet la concurrence des séries et du streaming.

    Exit le “festival de boomers”

    Et ce n’est pas tout. Dans sa quête éperdue de jeunesse, le Festival de Cannes a aussi scellé un partenariat avec Tiktok. Le réseau social préféré des ados et paradis de la vidéo ultra courte retransmettra chaque jour la montée des marches desquelles les smartphones étaient, ironie, jusqu’ici bannis. Tandis qu’un “jury TikTok”, où siègera Khaby Lame, 100 millions d’abonnés, départagera des vidéos de 30 secondes à 3 minutes pour un prix officiel, remis le vendredi 20 mai des mains du délégué général, Thierry Frémaux.

    “C’est clairement un nouveau positionnement pour rajeunir les audiences”, commente pour Le HuffPost Chloé Delaporte, enseignante-chercheuse en socio-économie du cinéma et de l’audiovisuel à l’université Paul-Valéry de Montpellier. “Il s’agit d’abord de rajeunir l’image de marque du festival pour ne pas en faire un événement de boomers”, analyse l’autrice de l’ouvrage La culture de la récompense: compétitions, festivals et prix cinématographiques, mais aussi de rajeunir, par ricochet, “les audiences du cinéma en ramenant les plus vers les salles”.

    “A côté d’un Tom Cruise qui va parler aux boomers, il y a à Cannes toute une génération d’acteurs super glamours, hyper suivis sur les réseaux sociaux” et à côté desquels les nouveaux médias ne veulent pas passer, abonde à l’AFP Julien Pillot, enseignant-chercheur en économie à l’Inseec.

    Et si Laurent Weil de Canal+ -absent l’an passé à cause d’un souci de santé- va donc laisser sa place aux journalistes Essie Assibu pour Brut et Louise Ekland sur Culturebox au pied des marches, un autre visage emblématique du festival vit là sa dernière édition. Pierre Lescure, président de la grand-messe du cinéma qui attend chaque soir ses célèbres invités en haut du tapis rouge depuis 1994, s’apprête à passer les rênes en juillet.

    Un autre mouvement symbolique, car c’est Iris Knobloch, une juriste au profil international et à la longue carrière dans le cinéma, aussi première femme à présider ce festival qui lui succédera pour les trois prochaines éditions. Loin des profils de ses prédécesseurs, Iris Knobloch a fait l’essentiel de sa carrière chez Warner, l’un des principaux studios américains, où elle a notamment préparé le lancement de HBO Max en Europe. Alors forcément, cela augure du changement. Avec sur toutes les lèvres l’idée que les films crées par et diffusés sur des plateformes de streaming puissent (re)faire leur entrée à Cannes.

    Place aux plateformes de streaming?

    En 2017, Netflix signait une arrivée remarquée en compétition avec Okja de Bong-Joon Ho (Palme d’or deux ans plus tard avec Parasite ) et The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach. Mais l’entrée en compétition de films destinés à ne jamais sortir dans les salles obscures avait réveillé toutes les craintes de l’industrie cinématographique française.

    Convaincu qu’il réussirait à persuader Netflix de diffuser Okja au cinéma, Thierry Frémaux avait finalement rétropédalé. Et à l’aune de l’édition 2018, le règlement du Festival avait même été modifié: “Dorénavant, tout film qui souhaitera concourir en compétition à Cannes devra préalablement s’engager à être distribué dans les salles françaises.”

    Alors que les grands auteurs n’hésitent plus à aller sur les plateformes (Scorsese ou Jane Campion chez Netflix, bientôt Ridley Scott chez Apple...), et que les habitudes des spectateurs évoluent, Thierry Frémaux souhaiterait que cette règle change, mais les exploitants français, au conseil d’administration du festival, s’y opposent.

    “Les exploitants français considèrent que les services de streaming représentent un danger. Je l’ai compris”, réagissait le directeur général dans une interview à Variety . “Mais moi, je suis payé par le Festival de Cannes, pas par les exploitants (...) Je fais des propositions et le conseil décide. Jusqu’à maintenant, je n’ai pas réussi à les convaincre. Mais j’espère y arriver un jour”.

    Alors que trois films Netflix ( The Power of the dog, La Main de Dieu et The Lost Daughter ) ont triomphé à la dernière Mostra de Venise - le principal concurrent de Cannes - et que les Oscars ont sacré Coda d’Apple en 2022, le Festival de Cannes fait figure de dernier des Mohicans.

    “Ils ne peuvent pas tenter de rajeunir leur audience en attirant les jeunes sur Tiktok, mais en continuant de mépriser les plateformes sur lesquelles ils regardent des films. Ce discours-là ne peut plus tenir”, souffle la chercheuse Chloé Delaporte, convaincue que le retour des films de plateformes arrivera pour l’édition 2023. La spécialiste en socio-économie du cinéma imagine bien la création d’une nouvelle sélection pour les films de plateforme, à l’écart de la compétition pour la Palme d’or. De quoi “montrer qu’ils suivent les nouveaux modes de consommation sans complètement les légitimer”.

    Où sont les femmes?

    Impossible enfin d’évoquer les tournants de cette édition sans évoquer celui, manquant, de la représentation des femmes réalisatrices en compétition. Valeria Bruni-Tedeschi, Claire Denis, Léonor Serraille, Kelly Reichardt et Charlotte Vandermeersch: elles ne sont que 5 réalisatrices en compétition sur 21 films. Et si cette année le Festival atteint ainsi son “record”, il a du mal à tenir sa promesse de parité.

    Du côté des autres grands festivals, la question de la parité n’est pas non plus évidente. En septembre, la Mostra de Venise avait sélectionné, en compétition, cinq films de réalisatrices. Sur 21 films. Seule la Berlinale fait mieux: pour son édition en février 2022, sept films sur les 18 en compétition étaient l’œuvre de réalisatrices.

    Comme à Cannes avec Julia Ducournau et son gore Titane , ce sont deux femmes - la Française Audrey Diwan et l’Espagnole Carla Simon - qui ont raflé les prestigieux prix de ces festivals l’an passé.

    Si cette 75e édition n’est pas dépourvue de réalisatrices, notamment dans les sections parallèles de la Semaine de la critique ou de la Quinzaine des réalisateurs, reste qu’interroger les organisateurs sur le manque des femmes cinéastes à Cannes semble poser problème: le site Deadline rapporte ainsi qu’une réponse de Thierry Frémaux à ce propos a été, parmi d’autres, caviardée d’une interview qu’il leur avait donnée.

    En soufflant ses 75 bougies, le Festival de Cannes réussira-t-il à dépoussiérer son image et à renverser certaines habitudes surannées? C’est tout ce qu’on lui souhaite.

    A voir également sur Le HuffPost: La bande-annonce des “Crimes du futur” de David Cronenberg, le film choc du festival