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      En Tunisie, la Constitution de Kais Saied adoptée malgré l'abstention massive

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Wednesday, 27 July, 2022 - 08:44 · 6 minutes

    Des Tunisiens célèbrent le vote favorable pour la nouvelle Constitution, le 25 juillet 2022. Des Tunisiens célèbrent le vote favorable pour la nouvelle Constitution, le 25 juillet 2022.

    TUNISIE - Une victoire sans surprise pour Kais Saied mais lourde de conséquence pour le pays. Le président tunisien a engrangé un succès avec l’adoption à une large majorité d’ une nouvelle Constitution qui lui octroie de vastes prérogatives au risque de mettre en péril la jeune démocratie tunisienne.

    La nouvelle loi fondamentale a été adoptée à une majorité écrasante de 94,6%, selon des résultats officiels préliminaires annoncés tard mardi 26 juillet par le président de l’autorité électorale Isie, Farouk Bouasker, à l’issue de longues opérations de dépouillement. “L’Isie annonce que la nouvelle Constitution a été acceptée”, a déclaré M. Bouasker.

    Le taux d’abstention est toutefois massif: “2,756 millions d’électeurs”, soit 30,5% des inscrits se sont déplacés dans les urnes, selon de nouveaux chiffres de l’Isie. C’est un peu plus que les chiffres annoncés la veille qui avançaient 2,46 millions de votants et une participation de 27,54%.

    L’opposition a boycotté le scrutin

    La coalition d’opposants Front du salut national (FSN), qui avait appelé à boycotter le scrutin dénonçant un texte “taillé sur mesure” pour M. Saied, a accusé l’Isie d’avoir “falsifié” en les amplifiant les chiffres sur l’affluence au scrutin. Des manifestations où quelques centaines de personnes se sont rendues ont également été organisées dans les jours précédant le vote.

    Pour le FSN, dont fait partie le mouvement d’inspiration islamiste Ennahdha, bête noire de M. Saied, en n’allant pas aux urnes, “75% des Tunisiens ont refusé de donner leur approbation au projet putschiste lancé il y a un an par Kais Saied”.

    La Tunisie, confrontée à une crise économique aggravée par le Covid et la guerre en Ukraine dont elle dépend pour ses importations de blé, est très polarisée depuis que M. Saied, élu démocratiquement en 2019, s’est emparé de tous les pouvoirs le 25 juillet 2021, arguant d’une ingouvernabilité du pays.

    Liberté, séparation des pouvoirs... les inquiétudes à l’international

    Dans la première prise de position étrangère sur ce référendum contesté, les États-Unis ont mis en garde contre le risque que la Constitution ne garantisse pas suffisamment les droits et libertés des Tunisiens.

    “La nouvelle Constitution inclut des mécanismes de contrepoids affaiblis, qui pourraient compromettre la protection des droits humains et des libertés fondamentales”, s’est inquiété Ned Price, porte-parole du département d’État américain.

    Said Benarbia de l’ONG Commission internationale des juristes a émis des doutes “sur la légitimité” du vote avec une aussi faible participation. Pour l’analyste Youssef Cherif, “la plupart des gens ont voté pour l’homme (Kais Saied) ou contre ses opposants, pas pour son texte”.

    C’est le cas de Noureddine al-Rezgui, un huissier qui travaille à Tunis: “Après 10 ans de déceptions et de faillite totale dans la gestion de l’État et de l’économie, les Tunisiens veulent se débarrasser du vieux système et marquer un nouveau tournant”.

    Pour lui, “le fait que le niveau de participation ne soit pas génial, c’est normal et comme dans le reste du monde, par exemple aux dernières législatives en France”. L’expert Abdellatif Hannachi relativise aussi la faible affluence, la jugeant “tout à fait respectable compte tenu de l’organisation du scrutin en été, pendant les vacances et en pleine chaleur”.

    “La Tunisie est entrée dans une nouvelle phase”

    Dès la publication des estimations de l’institut de sondage indépendant Sigma Conseil lundi soir, des centaines de partisans du président sont descendus fêter “sa victoire” sur l’avenue Bourguiba, dans le centre de Tunis. Vers 3h du matin (heure française), Kais Saied s’est présenté devant la foule en liesse. “La Tunisie est entrée dans une nouvelle phase”, a-t-il dit, assurant que la Constitution permettrait de passer “d’une situation de désespoir à une situation d’espoir”.

    Les votants étaient surtout “les classes moyennes les plus lésées, les adultes qui se sentent floués économiquement, politiquement et socialement”, a analysé pour l’AFP le directeur de Sigma Conseil, Hassen Zargouni.

    La nouvelle Constitution accorde de vastes prérogatives au chef de l’État, en rupture avec le système parlementaire en place depuis 2014, qui a succédé au régime de Ben Ali, chassé du pouvoir en 2011. Le président qui ne peut être destitué désigne le chef du gouvernement et les ministres et peut les révoquer à sa guise.

    Il peut soumettre au Parlement des textes législatifs qui ont “la priorité”. Une deuxième chambre représentera les régions, en contrepoids de l’Assemblée des représentants (députés) actuelle. Sadok Belaïd, le juriste chargé par M. Saied d’élaborer une ébauche de Constitution, a désavoué le texte final, estimant qu’il pourrait “ouvrir la voie à un régime dictatorial”.

    La justice sera moins indépendante: les juges seront nommés par ordonnance présidentielle, ils n’auront pas le droit de grève et pourront être plus facilement révoqués par l’exécutif, ajoute TV5 Monde.

    Kais Saied, un hyper-président

    Les défenseurs des droits humains et l’opposition dénoncent l’absence de contrepouvoirs et de garde-fous dans ce texte. “Ce projet démantèle nombre des garanties figurant dans la Constitution post-révolution tunisienne et n’apporte pas de garanties institutionnelles pour les droits humains”, déclarait dans un communiqué publié début juillet Heba Morayef, directrice régionale d’ Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

    Un message “inquiétant”, jugeait-elle, d’autant que la “nouvelle Constitution à été élaborée en vase clos. La population n’a pas eu accès aux travaux du Haut comité et n’a pas bénéficié de la possibilité d’engager le dialogue dans le cadre de ce processus”, contrairement au texte voté en 2014.

    Kais Saied, 64 ans, considère cette refonte comme le prolongement de la “correction de cap” engagée le 25 juillet 2021 quand, arguant des blocages politico-économiques, il a limogé son Premier ministre et gelé le Parlement avant de le dissoudre en mars.

    Si des espaces de liberté restent garantis, la question d’un retour à une dictature comme celle de Zine el Abidine Ben Ali, déchu en 2011 lors d’une révolte populaire, pourrait se poser “dans l’après Kais Saied”, selon M. Cherif.

    Pour nombre d’experts, l’avenir politique de M. Saied dépendra de sa capacité à relancer une économie dans une situation catastrophique avec un chômage très élevé, un pouvoir d’achat en chute libre et un nombre de pauvres qui augmente.

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