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      La décision de la Cour suprême sur l'IVG nous rappelle que c'est un droit fragile, même en France

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Saturday, 25 June, 2022 - 05:45 · 7 minutes

    Deux militantes du droit à l'IVG après l'annonce de la décision de la Cour suprême sur le droit à l'avortement. Deux militantes du droit à l'IVG après l'annonce de la décision de la Cour suprême sur le droit à l'avortement.

    IVG - Un séisme. Ce vendredi 24 juin, la Cour suprême des États-Unis a mis fin à un arrêt garantissant le droit des Américaines à avorter. Les interruptions de grossesse ne sont pas rendues illégales par cette décision, mais elle indique que chaque État est libre de les autoriser, ou non.

    C’est donc un gigantesque retour en arrière pour les États-Unis, où l’avortement était jusqu’à présent protégé par l’arrêt emblématique “Roe v. Wade” . Et ses potentielles conséquences pour les droits des femmes inquiètent partout dans le monde.

    Cet événement nous rappelle que, même en France, des droits fondamentaux acquis de haute lutte, comme l’a été le droit à l’avortement en 1975 avec la loi Veil , restent fragiles et peuvent être remis en cause à tout moment.

    Si le contexte français est incomparable à la situation aux États-Unis, des voyants rouges restent allumés dans l’hexagone et indiquent que le combat féministe pour les femmes à disposer de leur corps n’est pas terminé.

    “Si le droit à l’avortement semble pour beaucoup être acquis en France, et que nous ne serions pas concerné.e.s par ce backlash , la réprobation sociale associée à l’IVG est encore largement entretenue par les militants du ‘droit à la vie’”, écrit la députée Albane Gaillot dans un communiqué au lendemain de la fuite du document de la Cour suprême américaine.

    La loi de 2014 pour l’égalité réelle a étendu le délit d’entrave à l’IVG au fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de s’informer sur l’avortement ou sur ces actes préalables (et non plus seulement d’avoir recours à l’acte en lui-même). Pourtant, le débat politique sur le droit à l’IVG est marqué depuis plusieurs années par la montée en puissance de mouvements conservateurs anti-IVG ou “anti‑choix”, également présents en France.

    Délai allongé de 12 à 14 semaines, mais...

    Au premier abord, le droit à l’IVG peut apparaître renforcé par le dernier quinquennat d’Emmanuel Macron: la proposition de loi Gaillot sur le renforcement du droit à l’avortement a été promulguée le 3 mars 2022, au bout de deux ans de débats. Le délai autorisé pour pratiquer une IVG a été allongé de 12 à 14 semaines.

    D’autres mesures visant à améliorer l’effectivité du droit à l’avortement ont été votées, comme la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer les IVG instrumentales et la surpression du délai de réflexion de deux jours imposés suite à un entretien psychosocial. Des mesures considérées comme de réels progrès par les associations de défense des droits des femmes.

    Mais il ne faut pas oublier que ce texte, salué par le ministre de la Santé Olivier Véran, a été promulgué après deux ans de débats et de nombreuses réserves du côté du gouvernement. Loin de soutenir ce texte, Emmanuel Macron lui-même utilise régulièrement les termes de “traumatisme” ou de “drame”, rhétorique présente chez les anti-IVG, pour parler de l’avortement.

    “C’est toujours un drame”

    “C’est un droit, mais c’est toujours un drame pour une femme”, a encore soutenu le président lors de la présentation de son programme le 17 mars dernier. Des propos stigmatisants pour les femmes , notamment pour celles ayant eu recours aux 220.000 IVG en France en 2020.

    S’il s’est engagé une fois réélu à ne pas revenir sur la loi Gaillot, ce n’est pas de gaieté de cœur. “Je respecte la loi de la République. Je l’ai promulguée, je ne la remettrai pas en cause, elle sera maintenue”, a-t-il soutenu.

    Sans pouvoir s’empêcher d’ajouter: “C’est toujours un moment difficile quand une femme a à se soumettre à ce choix médical”, un acte qui “marque les femmes à vie”.

    Le corps médical réticent

    Alors qu’au Royaume-Uni le délai légal de recours à l’avortement va jusqu’à 24 semaines, en Suède jusqu’à 18, ou en Espagne 14 semaines, son allongement en France a créé la polémique au sein du corps médical.

    D’un côté, le président du Collège national des gynécologues et obstétriciens (CNGOF), Israël Nisand, déclarait en 2021 que cette procédure serait “insoutenable pour beaucoup de professionnels” en raison du développement du fœtus.

    Le Syndicat national des gynécologues-obstrétriciens de France (Syngof), sur la même ligne, affirmait que 30% des gynécologues refuseraient aujourd’hui de pratiquer régulièrement des IVG tardives.

    De l’autre côté, les associations féministes et acteurs de terrains tels que le Planning familial, soutenaient cet allongement, soulignant que tout ce débat sur le délai s’éloignait en fait du cœur du problème: le droit pour les femmes de décider elles-mêmes.

    “Entre douze et quatorze semaines une difficulté technique se fait ressentir”, concédait Cloé Guicheteau, qui travaille au Planning familial et au centre IVG du CHU de Rennes, contactée par Slate en juin 2019.

    Maintien de la “clause de conscience”

    Le problème se situerait plutôt du côté psychologique que technique. “Pour les professionnels qui pratiquent l’IVG, ce n’est pas rien d’extraire un fœtus à ce terme-là. Heureusement, ils savent qu’ils ne sont pas en train de tuer une vie mais d’en sauver”, affirmait-elle.

    Autre bémol: la loi Gaillot prévoyait initialement de supprimer la “clause de conscience spécifique” permettant à des médecins de refuser de pratiquer un avortement. Cette clause, qui ne concerne que l’acte d’IVG, dispose qu’“un médecin ou une sage-femme n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens ou de sages‑femmes susceptibles de réaliser cette intervention.”

    Elle est aussi appelée “double-clause de conscience”, car elle vient s’ajouter à la clause de conscience générale des médecins, qui indique déjà que “hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles”.

    Sa suppression a finalement été abandonnée pour permettre au texte d’avancer dans son parcours parlementaire.

    Un accès inégal à l’avortement en France

    Un point d’alerte met d’accord tout le monde: les difficultés et inégalités d’accès à l’IVG en France. Au cours des dix dernières années, plus de 130 centres pratiquant l’IVG ont fermé, soulignait en 2013 un rapport du Haut Conseil à l’égalité (HCE).

    Selon une étude menée en 2019 par les agences régionales de santé, le délai de prise en charge pour les femmes désirant avorter peut varier de trois à onze jours selon l’endroit. En moyenne, il faut compter 7,4 jours pour que l’acte soit réalisé.

    Selon le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE), une quarantaine de départements connaissent une pénurie de gynécologues, ce qui conduit à des inégalités territoriales très fortes, soulignées dans tous les rapports au fil des ans. Et accrues lors de la crise sanitaire.

    “Elles n’ont pas eu le choix”

    Selon cette enquête de Mediapart réalisée en 2019, d’autres obstacles dans l’accès à l’IVG, méconnus, sont pourtant nombreux: “arnaques” à l’avortement, méthode imposée, éloignement des centres, délais d’attente à rallonge, non-respect de la confidentialité...

    “Après s’être heurtées à autant de murs, des femmes se retrouvent hors délai légal en France. Certaines, particulièrement en détresse, sont dirigées vers un parcours d’interruption médicale de grossesse (IMG) pour motif psychosocial: encore toute une épreuve”, dénonce Mediapart .

    Chaque année, entre 3000 et 4000 femmes seraient ainsi conduites à sortir du cadre légal français en se rendant à l’étranger pour avoir recours à un avortement. “D’autres encore accouchent sous X, rappelle le journal. C’est leur corps, elles en avaient le droit, mais elles n’ont pas eu le choix.”

    En septembre 2020, un rapport d’information parlementaire sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) préconisait notamment de revaloriser l’activité médicale d’IVG, de supprimer la double cause de conscience et de ne plus “assimiler l’IVG à un acte médical à part.”

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