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      Violences sexuelles: il n'y a rien de pire pour une société que des représentants sans exemplarité

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Thursday, 30 June, 2022 - 08:20 · 6 minutes

    Damien Abad, ministre des Solidarités, fait l'objet d'une enquête après le dépôt d'une plainte pour tentative de viol. Damien Abad, ministre des Solidarités, fait l'objet d'une enquête après le dépôt d'une plainte pour tentative de viol.

    TRIBUNE - Dénonciation d’un tribunal médiatique, demande de respect de la présomption d’innocence… À l’occasion des accusations de viol à l’encontre de Damien Abad (désormais sous le coup d’ une enquête pour tentative de viol , NDLR ) les réfractaires à #MeToo ont de nouveau fait de la condamnation pénale le juge de paix de toute affaire de violence faite aux femmes.

    Dans les entreprises et la fonction publique, il existe pourtant un devoir de protection, d’enquête et le cas échéant de sanction professionnelle en cas de harcèlement ou de violence sexuelle, qu’il y ait saisine de la justice ou non. De la même manière, Jean-Jacques Bourdin était récemment écarté de ses fonctions par BFMTV et RMC après une enquête interne à la suite de signalements pour agression sexuelle. La sanction pénale n’est donc pas l’alpha et l’oméga du traitement de ces affaires, pourquoi la sphère politique devrait-elle échapper à cette règle?

    Il existe une défaillance incroyable du monde politique dans la capacité à traiter ces sujets en amont de la médiatisation, qui est trop souvent la principale raison qui pousse à l’action. C’est dernièrement particulièrement le cas à droite, comme l’a montré hier l’affaire Hulot et comme pourrait le montrer aujourd’hui l’affaire Abad . Or, existe-t-il pire symbole pour une société que l’absence d’exemplarité de ses représentants? Qui plus est lorsque les ministres en question, de Gérald Darmanin à Damien Abad, ont en charge la protection des femmes via respectivement la police et le traitement du handicap - les femmes porteuses de handicap sont les plus exposées au risque de violence?

    Il existe une omerta propre aux sphères de pouvoir, et singulièrement en politique. Gabrielle Siry-Houari

    Le problème n’est pas de savoir s’ils seront pénalement condamnés ou non: c’est à la justice de trancher. Le problème est qu’aucune investigation interne à LR ou LREM n’ait été menée. Comme en témoignait Marilyn Baldeck de l’Association européenne contre la violence faite aux femmes au travail sur Mediapart en mai 2022, ces symboles rendent beaucoup plus difficile la prise de conscience dans le reste de la société, et notamment dans la sphère professionnelle.

    Si ces violences sont mal prises en charge dans l’ensemble de la société — en témoigne le faible taux de plainte et de condamnation — il existe une omerta propre aux sphères de pouvoir, et singulièrement en politique. Lieu de conquête, de séduction et de domination, la politique est prompte à attirer des caractères dominants.

    Dans La Familia grande (Seuil, 2021), Camille Kouchner décrit Olivier Duhamel , ancien homme politique, comme une personnalité “solaire”, cherchant à “régner”. Tous les partis, toutes les familles politiques sont une forme de familia grande . Les prises de parole sont rendues difficiles par la solidarité de fait qui existe entre leurs membres; par le risque d’être accusé de “tirer contre son camp”, quand ces affaires sont utilisées par les adversaires politiques à des fins de déstabilisation. Certains font aussi le choix du silence, car, pour paraphraser Élisabeth Guigou dans le documentaire Chambre 2806: L’affaire DSK , l’ascension d’un homme politique est la promesse d’un bel avenir pour ses amis. Enfin, la situation la plus compliquée est sans conteste celle des collaborateurs et collaboratrices politiques pour lesquels la prise de parole peut être synonyme de difficultés professionnelles.

    En réalité, le ver est dans le fruit bien avant que la violence ne soit commise: il existe un continuum entre sexisme dit “ordinaire” et violence. Dans un milieu encore caractérisé par un entre-soi masculin très fort, toute une série de comportements humiliants, dévalorisants rappelle aux femmes qu’elles sont “tolérées” en politique mais qu’elles ne sont pas vraiment à leur place. Les commentaires courants sur le physique et les vêtements des femmes politiques en sont un bon exemple, du tailleur d’Édith Cresson , qui avait focalisé toute l’attention lors de son premier discours à l’Assemblée nationale, à la robe à fleurs de Cécile Duflot accueillie par des sifflements au sein du même hémicycle. Cette désignation des femmes comme “l’Autre” avait été bien analysée par Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe (1986) comme ce qui fonde leur domination. En politique, c’est bien pour dominer, pour maintenir les femmes ”à leur place” dans un milieu très concurrentiel, que le sexisme s’exerce à plein: les femmes seraient différentes donc elles pourraient être dominées (et ultimement violentées).

    Toutes les familles politiques sont une forme de 'familia grande'. Les prises de parole sont rendues difficiles par la solidarité de fait qui existe entre leurs membres. Gabrielle Siry-Houari

    Les solutions sont en partie juridiques. Le Haut conseil pour l’égalité entre les femmes et les hommes prône ainsi un élargissement des missions de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique à la question de l’éthique en politique, afin de lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Il est en effet frappant qu’aujourd’hui, un ministre puisse être poussé à la démission en cas de déclaration trompeuse de son patrimoine financier mais pas en cas de violences faites aux femmes. Il s’agit aussi d’élargir les cas d’inéligibilité aux condamnations pour violences sexistes et sexuelles: peut-on concevoir qu’un homme condamné pour ce type de faits puisse être élu représentant de la Nation , c’est-à-dire investi de la mission de voter les lois, y compris celles relatives à l’égalité femmes-hommes et la protection contre les violences?

    Enfin, si le rythme de la victime doit être respecté et la priorité donnée au recueil de sa parole en confiance, les cas où une menace existe pour d’autres personnes pourraient donner lieu à une obligation plus stricte de signalement dans le cadre de l’article 40 du Code de procédure pénale (obligation pour les agents publics et élus de signaler les crimes et délits dont ils ont connaissance dans l’exercice de leurs fonctions), associée à une sanction en cas de manquement.

    Mais on voit bien, plus largement, que c’est d’un changement de culture profond dont le monde politique a besoin: intransigeance du personnel politique face aux comportements sexistes, renforcement des méthodes d’alerte et de traitement des signalements de violences au sein des partis (ce qui pourrait aussi faire l’objet d’une obligation légale).

    Peut-on concevoir qu’un homme condamné pour violences sexistes et sexuelles puisse être élu représentant de la Nation et voter des lois relatives à l’égalité femmes-hommes? Gabrielle Siry-Houari

    La gauche essaie désormais de distinguer le temps judiciaire du temps politique: dans la mesure où le traitement judiciaire des affaires de violence peut prendre plusieurs années, ces partis tentent désormais, avec un succès mitigé, d’agir en amont pour empêcher l’investiture d’hommes politiques qui font l’objet de signalements répétés au sein de leur parti. Cela a par exemple été le cas de plusieurs candidats aux dernières municipales pour le parti socialiste, après enquête interne. La droite est très à la traîne: que ce soit chez LREM, LR ou le RN, ces dispositifs sont inexistants.

    Enfin, une plus grande présence de femmes en politique contribuerait aussi à changer la donne. Ce sont elles qui font bouger les choses au sein des partis, ce sont d’abord elles qui portent la cause de l’égalité femmes-hommes. Enfin, plus elles seront nombreuses, moins elles seront identifiées à “l’Autre”, que l’on domine, qui peut être méprisée et in fine violentée.

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