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      Macron sans majorité à l'Assemblée peut-il s'inspirer de nos voisins européens?

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Wednesday, 22 June, 2022 - 04:30 · 7 minutes

    Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse à Naples, le 27 février 2020 Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse à Naples, le 27 février 2020

    ÉLECTIONS - La planète Jupiter désormais dans l’ombre de ses lunes. Le deuxième tour des élections législatives a laissé place à une Assemblée nationale morcelée et privé la Macronie d’une majorité. Avec seulement 246 sièges, il manque à Ensemble une quarantaine de parlementaires pour permettre au gouvernement d’Élisabeth Borne d’avancer sans souffrir.

    Alors que la Nupes a appelé à la démission de la Première ministre et que certains observateurs craignent une dissolution, le locataire de l’Élysée tentait  de ménager la chèvre, le chou, et l’ensemble du potager parlementaire. Emmanuel Macron recevait ainsi, ce mardi et mercredi 22 juin, les chefs de parti “afin d’identifier les solutions constructives envisageables au service des Français”.

    Pas question donc de faire table rase, mais plutôt dans l’immédiat de chercher un consensus autour d’une “union nationale”, a plaidé François Bayrou . Selon ce dernier, le président lui-même trouverait la situation “stimulante” et serait intéressé par “les défis actuels”.

    Pour y répondre, Emmanuel Macron pourra notamment amplement piocher dans sa besace européenne, en allant par exemple s’inspirer de certains voisins.

    “En Europe, la France est minoritaire avec son modèle ultra-présidentiel. Autour de nous, on a plutôt affaire à la culture du consensus parlementaire et aux coalitions pour gouverner”, constate Mathieu Gallard, directeur d’étude pour Ipsos France, interrogé par Le HuffPost . Et cette culture n’est pas nouvelle, entre 2004 et 2018, il y a eu pas moins de 17 grandes coalitions gouvernementales dans des pays européens.

    Le Graal du modèle allemand

    N’en déplaise à Christian Jacob, le patron des LR, qui assurait ce mardi matin ne pas avoir de “vocation d’allemand”, le modèle berlinois reste celui qui est le plus stable en matière de parlementarisme. L’exécutif actuel, avec Olaf Scholz dans le rôle du chancelier, s’est construit avec les Verts, les sociaux-démocrates, et les Libéraux. Chacun a dû faire des compromis sur certaines mesures tout en en défendant d’autres dans le programme commun.

    Différence notable cependant, la notion de coalition est tellement implantée outre-Rhin que les tractations durent longtemps après les résultats, et sont souvent déjà évoquées en amont du scrutin via des accointances programmatiques. Ce qui n’est guère possible à l’heure actuelle en France.

    Autre détail très allemand qui pourrait jouer dans la balance, les grandes coalitions ne sont pas sans risques pour les “petits” qui les rejoignent. Après avoir rejoint la CDU d’Angela Merkel en 2005 et 2013, le SPD a perdu une partie de son électorat.

    À l’inverse -comme le montre cette étude très fouillée signée Marco Morini et Matthew Loveless pour les presses universitaires de Cambridge- dans les coalitions en Europe, les partis dominants sont généralement récompensés dans les élections qui suivent. “De fait, il pourrait être dangereux pour les LR par exemple de rentrer dans une alliance formelle. Dans ce type de configuration, c’est le ‘junior partner’ qui souffre le plus”, abonde Mathieu Gallard.

    Quand l’Espagne casse son bipartisme

    Au-delà des éventuels gains politiques que peuvent générer des alliances, ces dernières s’avèrent quasi-inévitables en cas de blocage, rappelle cependant le spécialiste.

    En Espagne, à force de patience, Ciudadanos (centre) et Podemos (gauche) ont réussi au mitan des années 2010, à se faire une place entre le PP (droite) et le PSOE (gauche). “Il faut se rappeler qu’en Espagne , il y a eu quatre élections législatives en quatre ans parce que ni le PP ni le PSOE ne voulaient conclure de coalition avec Podemos ou Ciudadanos qui venaient les concurrencer à gauche et sur le centre droit. Cela n’a pas été facile d’accepter ce changement de donne, mais à force de blocage les partis finissent par céder”, abonde Mathieu Gallard.

    Autre exemple ibérique assez parlant pour la Macronie, celui du premier gouvernement Aznar entre 1996 et 2000. Pendant quatre ans, ce dernier gouverne avec une majorité toute relative, mais bénéficie au cas par cas des soutiens des partis régionalistes. Suffisant pour mettre en place les critères de Masstricht par exemple. “On imagine néanmoins que ce modèle laisserait moins de marge à l’exécutif pour des lois clivantes”, temporise Mathieu Gallard.

    L’instabilité italienne stabilisée et incarnée

    Si le premier gouvernement Aznar et le modèle allemand sont des modèles de stabilité, l’histoire européenne montre que même les exécutifs fragiles peuvent fonctionner, parfois en se reposant sur un appelé providentiel.

    L’Italie, habituée depuis une dizaine d’années à voir ses gouvernements tomber régulièrement, est depuis quelques jours un point de comparaison pour évoquer la France. “Je crains que nous soyons plutôt dans une situation politique à l’italienne où il sera difficile de gouverner que dans une situation allemande avec sa recherche de consensus”, a ainsi confié à Reuters , Christopher Dembik, analyste chez SaxoBank.

    Mais l’histoire récente italienne, malgré ses soubresauts, se veut plutôt rassurante. Après une crise en 2018-2019 , Rome est de nouveau confronté, deux ans plus tard, à la défection de son gouvernement - cette fois en pleine crise Covid. Le président italien rappelle alors Mario Draghi dans le jeu politique, le chargeant de former un nouveau gouvernement. Celui qui vient de passer dix ans comme gouverneur de la Banque d’Italie puis en tant que président de la Banque centrale européenne accepte et fait même la quasi-unanimité derrière lui.

    Outre son statut de sauveur de l’économie lors de la crise de 2008, Super Mario a bénéficié d’une espèce de statut d’homme providentiel , hors des tambouilles politiques. Une carrure rassurante au-dessus des partis.

    En France, difficile d’imaginer une personnalité similaire à Mario Draghi, capable à la fois de prendre la place d’Élisabeth Borne, et de parler à tout le monde. Et pourtant, analyse chez nos confrères de TV5 Monde , le politologue, Pascal Delwit, la situation actuelle va sans doute obliger à avoir moins de verticalité dans le processus décisionnel et déplacer l’espace de la prise de décision de la présidence à l’Élysée vers le Premier ministre à Matignon et de Matignon vers l’Assemblée nationale”.

    La Belgique un vrai anti-exemple?

    Quand il s’agit de remettre l’Assemblée au milieu du jeu, voire d’évoquer la nécessité d’un régime plus parlementaire, deux contre-exemples arrivent immédiatement sur la table: le cas de la IIIe République française, et celui de la Belgique . Mais en sont-ils vraiment?

    La Belgique, dont le système fédéral est souvent vu comme “immature”, a battu plusieurs fois le record de la plus longue période sans gouvernement: plus de 500 jours en 2011, plus de 600 en 2019, avec à chaque fois une incompatibilité fondamentale entre la N-Va, nationaliste flamande et à droite, et le PS, de gauche et Wallon. Ces deux crises se sont soldées par des alliances programmatiques bigarrées et fragiles -et sans la N- Va- mais qui ont néanmoins permis au pays d’avancer moyennant souvent l’établissement d’une “bible” de travail programmatique.

    “En France, on reste traumatisé par la IIIe République qui a pourtant fonctionné de 1870 à 1958 avec des grandes lois sur la liberté de la presse ou le syndicalisme. L’instabilité ce n’est pas forcément l’inefficacité. Ça peut donner lieu à des textes plus travaillés”, abonde Mathieu Gallard.

    À Bruxelles néanmoins, ce qui pourrait être en mesure d’inspirer le plus Emmanuel Macron, c’est aucun doute le Parlement européen. Premier exemple de la capacité des partis, malgré leur immense diversité, à négocier. Macron sans majorité, signera peut-être le retour de Macron l’Européen .

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