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      La chronologie de l'affaire Abad peut-elle affaiblir le gouvernement?

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Wednesday, 25 May, 2022 - 15:46 · 7 minutes

    Elisabeth Borne, photographiée ici le 23 mai au Muséum d'histoire naturel de Paris, savait-elle qu'une plainte avait été déposée contre Damien Abad?  Elisabeth Borne, photographiée ici le 23 mai au Muséum d'histoire naturel de Paris, savait-elle qu'une plainte avait été déposée contre Damien Abad?

    POLITIQUE - C’est un timing qui tombe mal. Pour sa première grande interview au Journal du Dimanche , le 22 mai, en tant que Première ministre, Élisabeth Borne fait la Une et promet: “Je ne mentirai pas aux Français”.

    Le même jour, elle affirme devant les caméras lors d’un déplacement dans le Calvados qu’elle n’était ’bien évidemment pas au courant” de l’ affaire Abad . “J’ai découvert l’article de Mediapart hier”, (samedi 21 mai, jour de sa publication) dit-elle devant la presse. Le site a dévoilé deux témoignages de femmes qui accusent le ministre des Solidarités, Damien Abad, de viol - il conteste les faits - et révèle que Les Républicains et La République En Marche ont été alertés par l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique.

    Trois jours après, des doutes apparaissent quant à la véracité des propos tenus par la Première ministre.

    Première contestation, du journal en ligne. Mediapart révèle avoir voulu interroger la Première ministre avant de publier cet article, et avoir contacté Matignon la veille, vendredi 20 mai. “J’ai appelé le service com’ de Matignon vendredi en fin de journée, j’ai envoyé mes questions avec la plainte de 2017 et le signalement de l’Observatoire”, affirme Marine Turchi, autrice de l’enquête, ce 25 mai sur Europe1 .

    Contacté sur le sujet, l’entourage d’Elisabeth Borne assure au HuffPost que la Première ministre “a pris connaissance des faits quand l’article est paru samedi soir”. Il confirme qu’un mail a “a été envoyé au secrétariat du Service de presse de Matignon à 19h43”. En revanche, il ne nous dit pas si les questions de Mediapart ont été transmises à la Première ministre entre vendredi et samedi.

    “Une Première ministre ne devrait pas faire ça”

    Sur ce point, l’opposition s’engouffre dans la brèche et attaque bille en tête la Première ministre. “Je n’ai aucune tendresse pour Damien Abad (...) mais il y a une présomption d’innocence qu’il faut respecter. En revanche, Élisabeth Borne inaugure son quinquennat en baratinant les Français, elle était tout à fait au courant. Ça montre que ce gouvernement est cynique, Élisabeth Borne commence mal”, dénonce par exemple Sébastien Chenu, député du Rassemblement national, sur Sud Radio ce 25 mai.

    “Une Première ministre ne devrait pas faire ça”, embraye Manuel Bompard, candidat insoumis aux législatives et ancien directeur de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon.

    Deuxième question: Élisabeth Borne savait-elle qu’une plainte avait été déposée contre Damien Abad, puis classée sans suite, en 2017, avant de le choisir pour être son ministre des Solidarités? “La Première ministre n’avait pas connaissance de ces faits avant la nomination de Monsieur Abad. Elle en a pris connaissance dans l’article de Mediapart samedi soir”, répond son service de presse au HuffPost ce mercredi 25 mai.

    L’Elysée au courant de la plainte classée sans suite

    En revanche, selon nos informations, confirmant celles de BFMTV, l’Élysée était  au courant de la plainte classée sans suite de 2017 visant Damien Abad, mais a estimé que la justice avait tranché. Le fait que la justice ait classé sans suite cette plainte a justifié sa nomination, selon plusieurs de nos interlocuteurs qui ne se sont pas intéressés à ce moment-là de près à son contenu.

    Ce 25 mai, on apprenait que le Parquet de Paris n’ouvrait pas d’enquête contre Damien Abad, ”à ce stade”, après le signalement envoyé par l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles “faute d’élément permettant d’identifier la victime des faits dénoncés et, dès lors, faute de possibilité de procéder à son audition circonstanciée”.

    Comment le gouvernement va-t-il gérer la crise?

    Une décision dont peut aussi bien se servir l’exécutif - sur le mode ‘circulez il n’y a rien à voir’ - mais qui peut aussi le desservir. Quelques jours avant cette décision du Parquet de Paris, un conseiller de l’exécutif confiait à demi-mots que l’ouverture d’une enquête aurait pu servir de porte de sortie pour le gouvernement qui s’en serait saisi pour limoger Damien Abad, conformément aux sous-entendus de la Première ministre dimanche dans le Calvados.

    “Je peux vous assurer que s’il y a de nouveaux éléments, si la justice est à nouveau saisie, on tirera toutes les conséquences de cette décision”, déclarait fermement la locataire de Matignon le 23 mai devant la presse.

    Ce qui est certain, c’est que les premiers pas du gouvernement Borne qui n’a pas encore une semaine sont largement pollués par cette affaire. Car contrairement à il y a quelques années, les accusations de violences sexistes et sexuelles sont désormais prises au sérieux, notamment dans les médias. Pas une interview de ministre n’est réalisée sans une question sur le sujet, les chaînes d’information sont en boucle et la défense du ministre vire au feuilleton.

    Quid de la grande cause?

    Si les éléments de langage du gouvernement sont accordés, “zéro impunité”, “présomption d’innocence” et “laissons faire la justice”, il apparaît forcément en soutien - dont Damien Abad se revendique , comme de celui du président de la République. Après avoir pris un mois pour faire son casting, Emmanuel Macron -qui ne s’est toujours pas exprimé sur le sujet- est désormais englué dans cette affaire qui vient aussi percuter la grande cause de son second quinquennat, identique à celle de son premier: la lutte contre les violences faites aux femmes.

    Elisabeth Borne qui a notamment été choisie parce qu’elle était une femme met en danger de son côté le peu de capital politique qu’elle a. Elle qui dédiait sa nomination à Matignon ”à toutes les petites filles”, est en première ligne pour gérer une affaire de violences sexuelles. Elle est attendue au tournant.

    Silences des ministres compétents

    Les ministres de la Justice et de l’Intérieur, concernés au premier chef par les dysfonctionnements dans leurs ministères sur ces sujets, invités à réagir dimanche 22 mai, ont préféré répondre “pas de commentaire”. Quant à la nouvelle ministre des droits des femmes, Isabelle Rome, elle est aux abonnés absents. Le message envoyé à la société est l’ignorance du récit des victimes présumées, malgré une enquête journalistique consolidée, dans un contexte où la plupart des plaintes pour viols sont classées sans suite en France. Cela peut-il leur coûter politiquement? Ce qui est sûr, c’est qu’à quelques semaines des élections législatives, le sujet est brûlant et colle à la peau du nouveau gouvernement qui n’a même pas encore défait ses cartons ni constitué son équipe.

    Alors que faire? “Il faut qu’il serre les poings”, se moque une source au sein de l’exécutif, en référence au handicap du ministre mis en cause. Comprendre: attendre que ça passe. Une forme de quitte ou double: soit le sujet n’est plus sur la table dans quelques jours pour toute raison liée à l’actualité, soit il se poursuit. Et dans ce cas, le temps perdu sera autant de perte de crédit politique.

    Les urnes rendront, elles, leur verdict les 12 et 19 juin pour la majorité actuelle et le députée de l’Ain, ex-LR, Damien Abad qui se représente à la députation. Sera-t-il encore ministre d’ici là? Un député LR présidait il y a quelques jours: “Il risque de tout perdre”.

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