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      En Russie, la littérature pour enfants devient une arme de propagande

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 12 February, 2023 - 03:40 · 10 minutes

    Par Laure Thibonnier-Limpek et Svetlana Maslinskaia .

    En Russie, l’offre culturelle se transforme sous l’effet indirect des lois adoptées par les députés depuis le 24 février 2022. C’est notamment le cas dans le domaine de la littérature jeunesse, où des activistes et des spécialistes des questions culturelles favorables au régime ont appelé à restreindre l’accès des jeunes lecteurs à certains livres, voire à les interdire, visant surtout les ouvrages qui diffuseraient les «valeurs occidentales », comme ceux de J. K. Rowling .

    Le 13 décembre 2022, Vladimir Poutine a appelé le gouvernement à adopter des mesures susceptibles de populariser parmi la jeunesse « les héros de l’histoire et du folklore russe conformes aux valeurs traditionnelles ». Un objectif immédiatement soutenu par une partie des spécialistes des politiques culturelles .

    Il existe en Europe une tradition de régulation de la lecture enfantine par les adultes afin de transmettre à la jeune génération des connaissances et des valeurs communes. Généralement, les États optent pour la voie de la recommandation : ils font élaborer et diffusent des listes d’œuvres dont la lecture est recommandée aux enfants. Mais lorsque la littérature pour enfants devient une arme de propagande, le pouvoir utilise la censure pour restreindre l’accès des lecteurs aux textes qui, de son point de vue, menacent l’idéologie dominante. C’est ce qui se passe aujourd’hui en Russie.

    La doctrine patriotique et les livres pour enfants dans la Russie actuelle

    Désormais, la politique russe en matière de littérature jeunesse repose principalement sur l’idée que celle-ci doit transmettre des « valeurs spirituelles et morales traditionnelles » qui seraient propres à la Russie. Plusieurs lois fédérales encadrent l’édition jeunesse :

    Ce dernier document définit ainsi les « valeurs spirituelles et morales traditionnelles » :

    «La vie, la dignité, les droits et libertés de l’Homme, le patriotisme, le sens civique, le service de la Patrie et la responsabilité envers son destin, de hauts idéaux moraux, une famille solide, un travail créatif, la priorité du spirituel sur le matériel, l’humanisme, la charité, la justice, l’esprit collectif, l’entraide et le respect mutuel, la mémoire historique et la continuité des générations, l’unité des peuples de Russie. »

    Le secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Nikolaï Patrouchev, a déclaré le 30 mai 2022 que l’État devait commander plus de produits culturels susceptibles de « préserver la mémoire historique, susciter la fierté nationale et la formation d’une société civile mature consciente du rôle qu’elle a à jouer dans son développement et sa prospérité ».

    Selon la vision conservatrice du gouvernement, la Russie aurait été tout au long de son histoire encerclée par des ennemis déterminés à la détruire. Cette volonté de démantèlement de la Russie aurait culminé avec la Seconde Guerre mondiale, laquelle est largement ramenée, dans le récit déployé par les autorités russes, au triomphe de l’URSS sur le nazisme allemand, triomphe dont la Russie actuelle serait la seule héritière .

    L’art et l’éducation doivent donc inculquer aux jeunes cette idée que la Russie d’aujourd’hui est avant tout le pays qui a sauvé le monde du nazisme en un effort héroïque dont aucun aspect ne saurait être remis en question. Les évocations de faits historiques susceptibles d’assombrir cette vision irénique (rappel du pacte Molotov-Ribbentrop, des erreurs des dirigeants, de la quantité colossale des pertes humaines dont une partie au moins aurait probablement pu être évitée, etc.) sont considérées comme des falsifications de l’histoire et sont poursuivies en vertu de la loi fédérale n°278-FZ du 01.07.2021 Sur les modifications de la loi fédérale « Sur la commémoration de la victoire du peuple soviétique dans la Grande Guerre patriotique de 1941-1945 ».

    « L’Arbre de Noël d’armoise »

    Les mésaventures que subit actuellement le roman d’Olga Kolpakova L’Arbre de Noël d’armoise illustrent parfaitement les conséquences du durcissement du régime sur ces questions.

    Le livre, sorti en 2014 chez la maison d’édition Kompas Guide , a remporté en 2019 le prix Piotr Erchov, attribué à des ouvrages destinés à la jeunesse, dans la catégorie « meilleure œuvre patriotique pour la jeunesse ».

    Cependant, à l’été 2022, le département de politique intérieure de la région de Sverdlovsk (Oural) a donné aux bibliothèques la consigne orale de retirer le livre du libre-accès . Les bibliothèques ne peuvent plus prêter ce livre aux mineurs, ni l’utiliser dans leurs manifestations à destination du jeune public. Comment un livre jusque là salué par les enseignants et les fonctionnaires a-t-il pu faire l’objet d’une telle interdiction ?

    La protagoniste du roman, qui se déroule durant la Seconde Guerre mondiale, est une fillette de cinq ans, Marihe, du diminutif allemand Mariechen (petite Marie). Elle vit près de Rostov-sur-le-Don avec sa famille qui parle allemand et ne connaît que quelques rudiments de russe car elle appartient au groupe des Allemands de Russie .

    De même que les Allemands de la Volga , dont le sort tragique est plus connu, ces Soviétiques descendent des populations germaniques installées dans l’Empire de Russie dans la seconde moitié du XVIII e siècle. Catherine II les avait invitées pour peupler et cultiver les terres nouvellement rattachées à l’Empire de Russie dans les régions de la Volga, du sud de la Russie et de l’est de l’Ukraine actuelles. Dans les quelque 150 années suivantes, il n’y a pas eu, les concernant, de politique de russification ni d’assimilation massive. Les communautés allemandes formaient des villages entiers. La pénétration de la langue russe s’est faite de manière hétérogène, au gré des trajectoires sociales. La différence de religion a joué un rôle, limitant les mariages interconfessionnels dans lesquels le russe aurait pu devenir la langue commune. L’école n’a pas non plus pu imposer la langue russe puisqu’elle n’était pas obligatoire.

    En 1941, lorsque l’avancée des troupes nazies menace ces régions, les hommes valides sont envoyés au front et leurs familles, dont celle de Marihe, sont déportées en Oural et en Sibérie.

    La narration est menée du point de vue de la fillette. Ainsi, l’auteure décrit les événements historiques des années 1941-1942 tels qu’ils ont pu être perçus par un jeune enfant. Ce texte écrit « en se mettant à genoux », selon l’expression d’ Erich Kästner , ce regard enfantin, construit une voix narrative sincère et chargée d’émotions exprimant une nette position antifasciste.

    Kolpakova puise aussi dans la tradition littéraire des XIX e et XX e siècles pour décrire l’enfance malheureuse de Marihe. L’intrigue reprend les événements majeurs de cette représentation : la séparation avec un des parents, l’errance, la vie chez des étrangers, la mort d’un proche (frère, sœur, mère ou père), l’éloignement puis la rencontre fortuite avec des amis ou des parents, la faim, le dénuement, la maladie, l’aide providentielle d’étrangers, le travail physique éprouvant…

    La fillette décrit ainsi la faim :

    Au printemps, ma grand-mère s’est mise à faire de la soupe avec des orties, des pissenlits et de l’aneth. Parfois, Lilia allait chercher de l’oseille dans la montagne. De l’eau et des orties, ce n’est vraiment pas bon, surtout sans sel ni pommes de terre. Je pleurais, je ne voulais pas manger cette mixture.

    Ces privations matérielles sont présentées comme des épreuves qui font grandir.

    Le regard naïf porté par Marihe sur le contexte politique est contrebalancé par la prise de position tranchée de l’auteur contre le fascisme. L’enfant donne sa tonalité éthique au récit :

    « Dans toute nation, il y a des gentils et des méchants, des personnes bonnes et mauvaises, cupides et généreuses. Ceux qu’on appelait désormais « nazis”, c’étaient les Allemands méchants. Voilà ce que papa avait dit. »

    Censure et harcèlement

    Mais en juin 2022, dans le cadre de ses charges administratives, Ivan Popp, maître de conférences à l’Université pédagogique de l’Oural, expertise le livre à la demande du gouvernement de la région de Sverdlovsk.

    Selon ses conclusions , le roman « déforme les faits historiques, spécule et invente des légendes » et « suivant la tendance libérale européenne, compare l’Union soviétique avec l’Allemagne fasciste […], falsifie les faits historiques et discrédite les dirigeants et l’histoire » russes. Svetlana Outchaïkina, ministre de la Culture de la région de Sverdlovsk, s’est appuyée sur cette analyse pour exiger, à travers une circulaire confidentielle , le retrait du livre des bibliothèques pour enfants.

    À la mi-juillet 2022, Olga Kolpakova met en ligne le texte de Popp et rapporte des cas de retrait de l’ouvrage du libre accès de certaines bibliothèques. Cette annonce émeut les écrivains pour la jeunesse et les spécialistes de la lecture enfantine qui publient sur les réseaux sociaux des textes soutenant le roman et critiquant l’analyse qu’en a faite Popp , et qui continuent de relayer les annonces relatives à sa situation. Des écrivains ont aussi lancé un mouvement pour soutenir financièrement l’auteur et son éditeur. Le Moskauer Deutsche Zeitung , revue bihebdomadaire rédigée en allemand et russe, a pris position en faveur du livre et des écrivains pour enfants ont écrit au gouvernement de la région de Sverdlovsk pour défendre l’ouvrage et son auteure. Evguéni Roïzman, ancien maire d’Ekaterinbourg (la plus grande ville de l’Oural) aujourd’hui prisonnier politique , a également soutenu le livre. L’éditeur a demandé à l’Institut de littérature de l’Académie des sciences russe, la Maison Pouchkine, de procéder à une analyse littéraire du roman.

    Ce rapport d’expertise , rédigé par le Centre de recherche sur la littérature pour enfants, souligne la qualité littéraire et didactique du roman de Kolpakova. Après l’avoir lu, le gouverneur de la région de Sverdlovsk, Evguéni Kouïvachev, a déclaré en août 2022 que l’interdiction du livre était inadmissible.

    Aucune décision officielle n’a suivi, si bien que les bibliothèques continuent de retirer le roman de leurs rayons .

    Malgré la chape de plomb qui pèse sur la Russie aujourd’hui, ce soutien multiforme, y compris de la part d’un responsable haut placé comme Kouïvachev, montre qu’il existe quand même encore un petit espace de débat dans la Russie d’aujourd’hui. Pour autant, à l’instar du sort réservé au livre Un Été en cravate de pionnier , d’Elena Silvanova et Katerina Malisova, faisant l’objet de poursuites pour propagande LGBT+ , la censure de L’Arbre de Noël d’armoise fait peser de sérieuses inquiétudes sur le climat intellectuel dans lequel grandissent les enfants russes. Cet épisode révèle des mécanismes de contrôle des esprits dont l’impact sur la société russe risque de se faire sentir encore longtemps. The Conversation

    Laure Thibonnier-Limpek , Enseignant-Chercheur à l’Institut des Langues et Cultures d’Europe, Amérique, Afrique, Asie et Australie (ILCEA4), membre du Centre d’Etudes Slaves Contemporaines, Université Grenoble Alpes (UGA) et Svetlana Maslinskaia , Professeur de littérature russe invitée à l’ILCEA, Université Grenoble Alpes (UGA)

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original .

    The Conversation

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      Quand les bibliothèques municipales versent dans l’idéologie

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 3 February, 2023 - 04:05 · 4 minutes

    Dans le cadre du mois de la petite enfance organisé par la mairie écologiste de Bordeaux jusqu’au 11 février prochain, la bibliothèque municipale Mériadeck offre un grand nombre d’animations sur le thème de l’égalité filles-garçons. Parmi elles, un atelier maquillage destiné aux enfants à partir de 18 mois provoque la polémique : il est animé par Serge, un drag queen, autrement dit un homme ostensiblement travesti en femme. Tous les parents ne voient pas d’un bon œil le fait que leurs très jeunes enfants soient exposés à une sexualité aussi assumée et « spectaculaire ».

    La mairie de Bordeaux se défend : « Ces artistes savent s’adapter à leur public. On veut juste montrer qu’on peut faire les choses parce qu’on a envie de les faire et pas en fonction des stéréotypes. » L’idée est en effet de proposer aux enfants de se maquiller, à l’instar de Serge, quel que soit leur sexe.

    Une question de contexte

    Que les petits garçons aient la possibilité de se maquiller comme les petites filles n’est pas choquant en soi ; s’ils en ont envie, pourquoi les en empêcher ?

    L’initiative devient critiquable si on la replace dans son contexte : un atelier sur l’égalité des sexes. L’égalité passe-t-elle par la transformation ? Les individus sont-ils plus égaux lorsqu’ils se ressemblent ? Faut-il gommer les différences pour disposer des mêmes droits, des mêmes devoirs, des mêmes possibilités ? Le personnel de la bibliothèque présuppose que l’on ne respecte que ce que l’on a expérimenté soi-même. Un garçon n’ayant jamais souligné son regard d’un trait de kohl ne peut-il pas comprendre et respecter les femmes ? Étrange tout de même…

    Par ailleurs, on sait bien que la majorité des enfants n’aiment pas être exposés à la sexualité des adultes.

    Qu’un mini-couple totalisant huit ans à deux joue à « touche-pipi » ou s’embrasse sur la bouche ne signifie pas qu’il a envie de comprendre la sexualité des adultes qui l’entourent. Les enfants vont à leur rythme. Il faut leur laisser le temps d’explorer. C’est aussi à cela que servent les livres : les petits lecteurs s’en saisissent, les feuillettent et les referment lorsque les textes ou illustrations les mettent mal à l’aise. Comment peuvent-ils échapper à une animation devant laquelle ils sont placés par des adultes dont on peut se demander au passage quelle est la motivation profonde…

    Cet atelier n’étant pas proposé dans le cadre scolaire, rien n’oblige les parents bordelais à y inscrire leurs enfants.

    Mettons donc de côté pour un moment les questions psychologiques et éducatives pour nous intéresser à quelques considérations financières : avec ses 27 000 m 2 , la bibliothèque Mériadeck est l’une des plus grandes bibliothèques municipales de France. Elle doit son nom au prince cardinal de Rohan, Ferdinand Maximilien Meriadec, archevêque de Bordeaux, qui offrit des terres à la ville. Elle dépense plus de 11 millions d’euros chaque année pour des recettes de 66 000 euros… Chaque Bordelais contribue donc à hauteur de plus de 40 euros par an au fonctionnement de cette bibliothèque. Cela représente plus de 200 euros pour une famille de 5 personnes… Partir du principe que toutes les familles bordelaises sont d’accord de consacrer cette somme à des choix culturels aussi marqués me semble pour le moins risqué et malhonnête.

    Au grand dam des idéologues de tout poil, l’écrasante majorité des parents souhaitent que leurs enfants aient accès aux œuvres classiques. Ils sentent bien que l’édification se fait par la lecture des contes de fées, des fables de La Fontaine et des nouvelles de Maupassant, non par des ateliers verts, égalitaires et citoyens. On risque de les pousser à l’exaspération comme dans l’État du Montana aux États-Unis où l’on projette d’ interdire les « lectures drag » dans les bibliothèques recevant de l’argent public.

    L’argent public ne doit servir aucun Dieu

    Je ne vis pas à Bordeaux mais j’ai arrêté de fréquenter la bibliothèque de ma ville lorsque j’ai compris qu’on avait envoyé Shakespeare croupir à la cave pour le remplacer par un rayon enfants « cote 300 – Vivre ensemble » comprenant notamment : Je ferme le robinet ; J’ai deux papas qui s’aiment ; Amin sans papiers ; Voyage au pays du recyclage . Si des bibliothécaires souhaitent véhiculer leurs choix de société par l’intermédiaire des lectures et animations, qu’ils le fassent dans un cadre privé. Chacun choisira alors de payer pour un catalogue féministe, écologiste ou cancel-culturiste. L’argent public ne doit servir aucun Dieu.

    Il reste la question du happening : une bibliothèque n’est pas une salle de spectacle !

    Elle est un lieu de concentration. Comment entrer dans les langues de Montaigne, de Montesquieu ou de Mauriac, pour ne prendre que les « 3 M » bordelais, en étant cerné par des ateliers maquillage, papier mâché ou frissons ?

    Georges Bernanos écrivait :

    « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas tout d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ».

    Les bibliothécaires ont finalement rejoint la conspiration. Ils sont recrutés davantage pour leurs capacités d’animateurs que pour leur culture littéraire ou leur érudition. Internet regorge de ressources pour « monter des animations lecture ». Pourtant, la lecture est le contraire de l’animation.

    Tiens, il faudrait inventer des lieux qui mettraient de beaux et grands livres à disposition d’un public à la recherche de calme, d’intériorité, de profondeur et de distanciation…

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      L’Éducation nationale empile les réformes comme les mauvaises grippes

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 23 January, 2023 - 12:00 · 5 minutes

    Mise progressivement en place depuis 2018, cette réforme des lycées a ainsi abouti depuis l’année dernière à se passer complètement de mathématiques dans son tronc commun à partir des classes de première, ne laissant cette matière que pour les filières scientifiques. Joie, délivrance et décontraction pour une grande quantité d’élèves pour qui les mathématiques n’ont constitué qu’une forme élaborée de torture mentale tout au long de leur cursus scolaire, cette suppression leur a donc permis de se consacrer pleinement à toutes les autres matières (langues, histoire, géographie, français notamment) dont ils allaient faire leur miel lors de leurs études supérieures.

    Las : une partie de ces mêmes élèves se retrouve à présent quelque peu déconfite lorsqu’il s’agit de candidater pour les études supérieures de leur choix qui, elles, réclament ou bien un niveau suffisant en mathématiques ou, pire, d’avoir continué cette matière bien au-delà de la classe de seconde. Patatras, les choses deviennent complexes : au moment de s’inscrire sur Parcoursup, certains découvrent l’horrible réalité que l’inscription en faculté d’économie (par exemple) nécessite un niveau de mathématiques qu’ils n’ont plus.

    Bien évidemment, ici, on devra s’interroger sur le raisonnement obscur qui s’est mis en place dans la tête de ces élèves pour d’un côté s’inscrire sciemment dans les classes de première et de terminale ne comportant aucune option de mathématiques avec dans le même temps la ferme intention de poursuivre leurs études dans des disciplines pour lesquelles les mathématiques, si elles ne constituent pas un pilier fondamental, n’en sont pas moins présentes et indispensables.

    Certes, ce niveau d’inconséquence portera à sourire pour des jeunes qui prétendent assez vite à participer à la société et plus alarmant, frétillent d’aise à la perspective de voter et s’engager politiquement pour certains d’entre eux…

    Cependant, ce constat ne devra surtout pas faire oublier que ce pataquès vient s’ajouter aux trop nombreux autres qui s’empilent maintenant depuis des années pour tout ce qui touche l’instruction des enfants français : alors que l’Éducation nationale permettait jusque dans les années 1970 de former des individus aptes à s’insérer dans la société, les décennies suivantes ont violemment bénéficié de chacune des lubies du moment, de réformes toutes moins habiles et pertinentes les unes que les autres et la mise en place de systèmes d’orientation ayant spectaculairement échoué à produire autre chose qu’un désastre.

    Il faut ici évoquer l’incompétence fulgurante des ministres et des administrations qu’ils ont, les uns après les autres, fait semblant de cornaquer dans le marais putride dans lequel l’équipage s’est enfoncé depuis des lustres et continue d’y barboter calmement.

    Doit-on réellement s’appesantir sur les ratages, maintenant multiples et retentissants, de Parcoursup qui, d’année en année, étonne par sa capacité à inventer des situations toujours plus ubuesques, à laisser sur le carreau des étudiants, à produire des affectations farfelues et à ne pas tenir compte ni des souhaits ni des réalités de terrain ? On pourra arguer que seul un tout petit pourcentage d’élèves se retrouve consciencieusement embrouillé (pour ne pas dire broyé) par ce système mal fichu mais même un petit pourcentage, sur un grand nombre d’étudiants, cela finit par faire beaucoup.

    Et à la fin, c’est toujours trop pour quelque chose qui devrait se passer sans anicroches au point que même le chef de l’État, pourtant pas réputé pour être en prise directe avec la réalité, finisse par admettre que ce truc est une usine à gaz stressante , rejoignant en cela les témoignages (nombreux) de ceux qui ont dû l’expérimenter.

    Quant au reste, force est de constater que malgré l’empilement frénétique de réformes, le niveau scolaire des Français ne s’améliore pas, au contraire . Tout se passe comme si la succession de ministres hétéroclites n’avaient absolument pas aidé l’institution à simplement faire son travail, au contraire même. C’est à se demander si les efforts n’ont pas été portés de façon systématique et avec application sur à peu près tout sur ce qu’il ne faut pas faire.

    Les exégètes des enquêtes de niveau scolaire menées ces dernières décennies multiplient les tergiversations, les euphémismes et les atermoiements pour ne surtout pas regarder la réalité en face et avouer que le Roi est nu, ou qu’il est, au mieux, vêtu de fripes rapiécées : la France n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut il y a 25 ans, et à plus forte raison il y a 50 ou 100 ans.

    Tant et si bien que la récente suppression des mathématiques du tronc commun des classes de première et de terminale a provoqué des dégâts déjà visibles une paire d’années après cette magnifique initiative, au point tel que l’actuel ministricule en charge du Titanic éducationnel français a été obligé de convenir qu’il y avait un souci et qu’il fallait faire marche arrière : dès la rentrée 2023, les mathématiques reviennent dans le tronc commun .

    Mhmh enfin, en théorie… Les dissensions se creusent entre la tête du ministère et l’administration, pour laquelle rien n’est réellement acté . Si vous êtes élève en 2023, bonne chance pour savoir ce qui va se passer exactement…

    En somme, le bordel incompréhensible qui a présidé à l’instigation d’un Parcoursup finalement mal fichu et encombrant n’a pas été contenu et le voilà qui perfuse maintenant toutes les strates de l’administration scolaire française. Le programme, les options, la nature précise du tronc commun et ce qu’on doit faire ou ne pas faire n’est plus qu’une vaste soupe conditionnelle et floue. Pour tout dire, on dirait les douzaines de pages de protocoles sanitaires que Blanquer et sa fine équipe de malades mentaux ont pondu pendant la crise pandémique en espérant rendre simple le fatras d’injonctions contradictoires qui constituait la position officielle du gouvernement en la matière.

    Dans ce bouillon opaque de réformes indéchiffrables ajoutées les unes aux autres, l’élève n’est plus qu’une variable d’ajustement. Et comme de surcroît, tout a été fait pour qu’il ne soit pas de plus en plus autonome et affûté, mais exactement le contraire, on ne parvient qu’à une unique conclusion : ce pays est foutu.

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      L’innovation dans l’éducation : vers le développement des compétences

      Kaoutar Zaidane · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 8 January, 2023 - 04:00 · 4 minutes

    Les nations changent et évoluent à travers l’enseignement, ce dernier est au cœur des civilisations. Selon Le Robert , dictionnaire en ligne, l’enseignement est « l’action, l’art d’enseigner, de transmettre des connaissances ».

    L’enseignement se distingue de l’apprentissage qui est l’activité de l’étudiant lorsqu’il s’accommode des connaissances et l’éducation dont le but est l’acquisition globale des connaissances d’un individu à différents niveaux : intellectuel,  moral, social, culturel et scientifique. Nous pouvons donc dire que l’enseignement est l’une des composantes de l’éducation.

    Actuellement, les revendications des apprenants évoluent et certaines découvertes de la recherche sur l’apprentissage invitent à une nouvelle méthodologie pédagogique appliquée à l’ensemble de l’environnement éducatif. Dans le même sens, le philosophe et publiciste allemand, Richard David Precht demande davantage de souplesse du système traditionnel dans les écoles et les universités.

    En tant qu’enseignants nous avons cette responsabilité du développement de nos nations à travers l’inculquation de valeurs, de messages positifs et surtout de savoirs, ce qui favorise sans aucun doute le niveau de compétence des lauréats et futurs employés ou porteurs de projets. La compétence, cette notion complexe et primordiale dans toute réussite professionnelle, peut être développée. Personne n’est compétent de nature.

    L’enseignement au service du développement des compétences

    La compétence peut très bien être expliquée à travers le savoir, le savoir-faire et le savoir-être de l’individu. Pour les professionnels du recrutement, on ne cherche plus les majors de promotion, ni ceux ayant un nombre important d’années d’expérience, un mix entre les trois constituants de la compétence est le reflet du meilleur profil pour les chasseurs de têtes.

    À cette cause, l’enseignant de nos jours devra changer les méthodes qui se limitent à la simple transmission du savoir par une innovation pédagogique qui servira l’étudiant à être le candidat recherché par les firmes.

    Les courants actuels en éducation, inspirés des pédagogies dites alternatives , telles celle de Célestin Freinet et de Maria Montessori ainsi que des théories de l’apprentissage du constructivisme de Jean Piaget et le socioconstructivisme de Lev Vygotski , tendent de plus en plus à demander aux apprenants des productions concrètes plutôt que de mémoriser un certain contenu.

    Ici, une première méthode vers un meilleur apprentissage, à savoir : « l’enseignement par projet », une manière pour faire vivre une expérience bien déterminée à l’étudiant, une occasion pour développer son savoir à travers un encadrement et un enseignement des bases théoriques, son savoir-faire par le biais de la mise en pratique de ces mêmes instructions théoriques sous forme de projets palpables, et enfin son savoir-être en évaluant ses compétences agiles ( soft skills ) tel que la gestion du temps (les projets sont souvent limités dans le temps, la gestion du stress engendré par l’idée du projet elle-même, le délais…) ou même le travail d’équipe (dans le cadre d’un travail collectif).

    Une expérience de plus de dix années m’a permis de conclure que nos méthodes doivent se concentrer sur l’étudiant, ses préférences, ses capacités et surtout son réel besoin pour mieux lui transmettre la connaissance par différentes méthodes.

    En seconde position, nous proposons aux professeurs pour qui l’intérêt de l’étudiant vient en premier lieu de participer à la professionnalisation de l’enseignement à l’aide de l’animation de séminaires métiers lors de leurs séances de cours en invitant des professionnels exterieurs qui vont partager leurs expériences, parler du profil réel demandé par les entreprises, de permettre à l’étudiant de donner davantage de valeur aux matières de son programme et de renforcer son réseau de connaissances. Une manière pour permettre aux étudiants de travailler leurs lacunes et de développer ainsi leurs compétences.

    En troisième lieu nous voudrions mettre les projecteurs sur l’importance d’une relation de proximité avec les étudiants. Une écoute active et une approche d’échange bilatérale vont renforcer leur taux d’engagement et donc leur capacité à suivre le cours et en tirer profit. Et là j’emprunte les paroles de Jules Michelet pour qui l’enseignement est une amitié.

    Donner des exemples concrets est toujours un plus pour renforcer les apports théoriques dans un cours académique, le favoriser par des visites aux entreprises sera bienveny pour compléter l’idée que peut se faire un étudiant du milieu professionnel, étant donné que nous avons tendance à oublier les paroles et à nous rappeler des preuves. Ces visites constituent donc la quatrième méthode dans notre quête d’une innovation éducative.

    « Tout être humain est un amalgame complexe formé de l’enseignement reçu, des  événements vécus et des prédispositions génétiques particulières à son clan, sa famille, son  pays, leurs traditions et leurs ancêtres » Alice Parizeau – 1930-1990 – Une Femme, 1991

    En conclusion, et comme j’ai l’habitude de dire, l’enseignement n’est pas un simple métier, il s’agit d’une vocation.

    Kaoutar Zaidane est professeure à l’ISGA.

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      Centres de progrès (21) : Bologne (Universités)

      HumanProgress · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 27 November, 2022 - 03:50 · 11 minutes

    Un article de Human Progress

    Notre vingt-et-unième Centre de progrès est Bologne, où est situé la première université (telle qu’elle est communément reconnue) qui se trouve être aussi la plus ancienne en activité dans le monde aujourd’hui. L’université de Bologne, dont on dit traditionnellement qu’elle a été fondée en 1088, a été la première institution à décerner des diplômes et à promouvoir l’enseignement supérieur à la manière d’un collège ou d’une université moderne.

    Aujourd’hui, Bologne est la septième ville la plus peuplée d’Italie et compte plus d’un million d’habitants. Le symbole de la ville est le Due Torri (les deux tours), des structures en pierre qui pourraient dater de 1109 et 1119, respectivement (en raison de la rareté des documents relatifs à cette période, les dates exactes de construction restent un peu mystérieuses). Bien qu’il ait été endommagé par un bombardement en 1944, le centre historique de Bologne est resté en grande partie intact. Avec ses 350 hectares, il constitue la deuxième plus grande étendue d’architecture médiévale d’Europe. Les principales places historiques sont dominées non pas par des statues de généraux ou de personnalités politiques mais par des tombes et des monuments commémoratifs de professeurs médiévaux. Bien que moins populaire auprès des touristes que Florence, Venise ou Rome, Bologne possède une industrie touristique en plein essor. Parmi les autres industries locales importantes figurent l’énergie, les machines, le raffinage et le conditionnement des produits agricoles locaux, la mode et l’automobile. La ville est le siège de Ducati, une entreprise de motos, et de Lamborghini, qui produit des voitures de sport de luxe.

    La ville a trois surnoms.

    La Rossa (la rouge) pour son architecture médiévale étonnante, caractérisée par des toits rouges et de longs portiques en terre cuite rouge, protégés par l’UNESCO, qui permettent de traverser une grande partie de la ville tout en restant à l’ombre (Bologne a également la réputation d’être une ville politique de gauche, ce qui donne à ce surnom un double sens).

    La Dotta (la savante) pour sa longue tradition de dévotion au savoir et pour ses nombreux étudiants universitaires, ainsi que pour son statut de ville qui a produit la première université.

    Et La Grassa (la graisse), en reconnaissance des innovations culinaires de la ville et de sa réputation de capitale gastronomique de l’Italie.

    La contribution de Bologne à la culture alimentaire mondiale est importante. La ville a donné son nom à la sauce bolognaise, une sauce pour pâtes à base de viande populaire dans la cuisine italienne, qui remonte au moins au XVIII e siècle. Ses variantes sont servies dans les restaurants italiens du monde entier. Mais la ville est peut-être plus connue dans le monde anglophone comme étant l’origine de la viande transformée pour le déjeuner connue sous le nom de saucisse de Bologne – à noter que Bologna se prononce (et s’appelle) baloney plutôt que « ba-loan-ya » en anglais (les deux orthographes sont acceptées pour cet aliment).

    La saucisse de Bologne est une variante de la mortadelle de Bologne dont l’origine remonte peut-être au XIV e siècle. La mortadelle et le baloney sont tous deux fabriqués à partir de viande de porc hachée et séchée à la chaleur. Les immigrants italiens aux États-Unis ont popularisé le baloney au début du XX e siècle. Produit bon marché fabriqué à partir de restes de viande de porc, le baloney est également devenu synonyme d’« absurdité ». C’est d’autant plus ironique que, loin d’encourager les bêtises, la ville de Bologne a été le fer de lance de la recherche de la vérité par l’humanité grâce à l’enseignement supérieur.

    L’arrivée des étudiants étrangers à Bologne

    Bologne jouit d’une situation privilégiée au milieu de vastes plaines fertiles à côté du fleuve Reno. Elle est encore aujourd’hui l’une des principales régions agricoles d’Italie. Il n’est donc pas surprenant que Bologne ait été habitée pour la première fois dès le IX e siècle avant Jésus-Christ.

    La situation privilégiée de la ville lui a valu d’être fréquemment conquise par des étrangers. La ville étrusque originale de Felsina (comme Bologne s’appelait alors) est tombée aux mains des Gaulois au IV e siècle avant J.-C. Ce peuple celte a appelé le village Bona, qui signifie « forteresse ». En 196 avant J.-C., Bona est devenue un avant-poste romain portant le nom latinisé de Bononia dont Bologne est dérivée. Après la chute de l’Empire romain, Bologne a été saccagée à plusieurs reprises et occupée de diverses manières par les envahisseurs wisigoths, huns, goths et lombards. La ville a ensuite été conquise par les Francs, menés par le roi Charlemagne, au VIII e siècle. Les Hongrois ont saccagé la ville au X e siècle.

    Au XI e siècle, Bologne a cherché à échapper à la domination féodale et à devenir une commune libre, avec la devise Libertas (liberté). On ne sait pas exactement quand Bologne a effectué cette transition, mais la plus ancienne Constitution qui subsiste date de 1123. Cependant, la ville n’est pas restée indépendante longtemps, car plusieurs nobles en guerre au Moyen Âge et à la Renaissance italienne s’en sont sont disputés le contrôle.

    Bien que les archives médiévales limitées rendent les dates incertaines et l’ordre précis des événements peu clair, à un moment donné au cours du 11 e siècle, Bologne est devenue le centre d’un intérêt renouvelé pour l’enseignement supérieur, en particulier l’étude du droit. Des étudiants laïcs de toute l’Europe affluent à Bologne pour étudier le droit sous la direction d’un juriste renommé connu sous le nom de Pepo, expert des compilations de droit romain de Justinien le Grand.

    À leur arrivée, les étudiants étrangers étaient confrontés à des lois municipales discriminatoires. Bologne autorisait la punition collective, c’est-à-dire l’imputation à tout étranger des crimes et des dettes de ses compatriotes. En d’autres termes, la ville pouvait saisir les biens d’un Français pour payer la dette d’un autre Français et punir un Hongrois pour un crime commis par un autre Hongrois. L’Italie n’étant pas encore une entité politique unifiée, de nombreux groupes aujourd’hui italiens, comme les Siciliens, comptaient comme des ressortissants étrangers et étaient également soumis à des sanctions collectives à Bologne.

    Les étudiants étrangers à Bologne, de plus en plus nombreux, ont décidé d’essayer de modifier les lois relatives aux punitions collectives qui rendaient la vie dans la ville périlleuse pour les non-natifs. Ils ont formé une guilde, une sorte de société d’aide mutuelle, connue sous le nom d’ universitates scholarium . La guilde a embauché des juristes pour dispenser un enseignement organisé aux étudiants, et ces derniers ont réussi à demander à l’empereur romain germanique Frédéric I er (1122-1190) de soutenir leur cause. Frédéric I er a émis une charte reconnaissant officiellement l’université de Bologne. Connue sous le nom d’ authentica habita, cette charte protégeait les universitaires étrangers de Bologne contre les punitions collectives et leur donnait le droit à la « liberté de mouvement et de voyage à des fins d’étude ». Le mot universitas , qui signifiait guilde en latin tardif, a été inventé pour décrire l’organisation et nous a donné le sens moderne du mot université.

    Comme les universités d’aujourd’hui, celle de Bologne a créé des départements distincts pour les différents domaines d’études, tels que la théologie, le droit, la médecine et la philosophie. Et comme les universités d’aujourd’hui, celle de Bologne fixait les conditions d’obtention des diplômes et décernait des licences, des maîtrises et des doctorats. En inaugurant le modèle d’enseignement universitaire, l’université de Bologne a aidé l’humanité à progresser dans de nombreux domaines mais surtout dans celui des études juridiques. On dit souvent que Pepo a été le premier instructeur juridique de la première université.

    Pepo a rapidement été surpassé par son élève Irnerius (vers 1050-après 1125), qui a également enseigné à l’université de Bologne. Il était à l’origine un étudiant en rhétorique et en didactique. Sa riche protectrice, l’une des nobles les plus puissantes d’Italie à l’époque, Mathilde de Toscane (vers 1046-1115), l’a convaincu de changer de domaine et d’étudier la jurisprudence. Surnommé lucerna juris (« lanterne de la loi »), on attribue à l’érudition d’Irnerius la création d’une grande partie de la tradition du droit romain médiéval. Ses gloses sur l’ancien Code de droit romain ont contribué à faire évoluer le droit médiéval parfois désordonné et contradictoire vers un système plus systématique et rationnel, à l’instar de l’ancien système juridique romain. Les étudiants les plus célèbres d’Irnerius – Bulgaro, Martino, Ugo et Jacopo – ont été baptisés les quatre docteurs de Bologne. Chacun aurait eu une approche différente de la philosophie du droit.

    À la fin du XII e siècle, l’université de Bologne avait le titre incontesté de premier centre européen d’enseignement supérieur, en particulier d’études juridiques, et attirait une foule toujours plus nombreuse d’étudiants internationaux d’élite venus de tout le continent. L’Anglais Thomas Becket (vers 1120-1170), célèbre archevêque de Canterbury qui a cherché à préserver l’indépendance de l’Église vis-à-vis de l’État et qui est aujourd’hui vénéré comme un saint martyr dans l’Église catholique et anglicane, a étudié le droit à l’université de Bologne dans sa jeunesse. Les Florentins Dante Alighieri (vers 1265-1321) et Francesco Petrarca (1304-1374) y ont également étudié. Parmi les autres anciens élèves célèbres figurent quatre anciens papes. Le Néerlandais Érasme de Rotterdam (1469-1536), champion précoce de la tolérance religieuse et de la paix, et sans doute un héros du progrès, est un autre ancien élève célèbre.

    Du XII e au XV e siècle, l’université comptait entre trois et cinq mille étudiants. Aujourd’hui, l’université compte plus de 86 000 étudiants.

    L’université de Bologne est également considérée comme la première université à avoir décerné un diplôme à une femme et à lui permettre d’enseigner au niveau universitaire. Selon la tradition, en 1237, une noble nommée Bettisia Gozzadini (1209-1261) a obtenu son diplôme après avoir étudié la philosophie et le droit et a commencé à enseigner la jurisprudence en 1239.

    La question de savoir si Gozzadini a réellement obtenu son diplôme à Bologne est devenue un sujet de discorde dans les années 1700. L’écrivain Alessandro Machiavelli (1693-1766) a cherché à fournir des preuves (peut-être truquées) de l’accomplissement de Gozzadini afin d’appuyer la demande de la comtesse bolognaise Maria Vittoria Delfini Dosi de se voir accorder un diplôme de droit. Malgré les efforts de Machiavel, la demande de la comtesse a finalement été rejetée. Les érudits masculins qui s’opposaient à l’idée d’accorder des diplômes aux femmes ont cherché à discréditer Gozzadini en la qualifiant de légende populaire. Les rares archives de l’époque médiévale rendent la vérité difficile à discerner.

    Cela dit, l’université de Bologne a employé la première femme professeur d’université salariée, la physicienne Laura Bassi (1711-1778). On lui attribue la popularisation de la mécanique newtonienne en Italie. Elle a également été la première à obtenir un doctorat en sciences et seulement la deuxième femme à recevoir un doctorat. Le doctorat de Bassi a également été obtenu à l’université de Bologne.

    Bologne peut se targuer de nombreuses réalisations dans des domaines aussi divers que l’architecture et la gastronomie. Mais la création de la première université du monde est la contribution la plus importante de Bologne au progrès de l’humanité. Depuis lors, les universités ont contribué à promouvoir l’érudition, l’innovation et l’enseignement supérieur. En encourageant l’étude du droit, en particulier, Bologne a aidé l’humanité dans sa quête d’un meilleur système de justice.

    La devise traduite de l’université est la suivante : « Saint Pierre est partout le père du droit ; Bologne en est la mère ». Le nom complet de l’université est Alma Mater Studiorum Università di Bologna, ou « la mère nourricière des études de l’université de Bologne ». C’est de ce nom que découle le terme « alma mater », que les diplômés du monde entier utilisent couramment pour désigner l’université qu’ils ont fréquentée. Mais la mère de toutes les universités est Bologne. Pour avoir donné naissance au système universitaire moderne, la Bologne médiévale est à juste titre notre vingt-et-unième Centre de progrès.

    Traduction Contrepoints

    Sur le web

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      Maths pour tous, la fausse réforme

      Jean-Baptiste Noé · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 18 November, 2022 - 04:15 · 4 minutes

    Classes préparatoires et universités s’étaient émues de l’effondrement du niveau en mathématiques . Le responsable désigné fut la disparition des mathématiques obligatoires en Première et Terminale, à la suite de la réforme Blanquer .

    Son successeur vient de revenir dessus en mettant 1 h 30 de mathématiques pour tous les lycéens. Si le geste est unanimement approuvé par les acteurs de l’éducation, il suscite pourtant plusieurs interrogations, que peu de personnes soulèvent.

    Où les mettre ?

    La première est celle de la faisabilité.

    Comme très souvent en matière éducative, les idées ne tiennent jamais compte des réalités matérielles. Dans des emplois du temps qui sont déjà saturés, où ajouter 1 h 30 de cours hebdomadaire ? C’est quasiment mission impossible, ce qui va probablement contraindre à supprimer 1 h 30 de cours ailleurs afin de faire tenir le volume horaire.

    Quoi que l’on pense de la réforme Blanquer , elle a sa logique et sa structure propres. La tripatouiller en retirant des heures ici et en en ajoutant là revient à mettre à mal l’ensemble de l’édifice. Comment alors articuler les options et les matières obligatoires, comment valoriser les filières choisies ? Des cours sont ajoutés sous le coup de l’émotion sans aucune analyse globale de la réforme. Une réforme qui, entre confinements et ajustements, n’a jamais été appliquée dans son entièreté et qui est désormais mise à mal dans sa structure de cours.

    Cet ajout n’est nullement anodin pour la structure générale des cours. C’est à une refonte générale qu’il eut fallu se livrer pour aboutir à des programmes qui soient autre chose que des accumulations de rustines.

    Le coût de l’opération n’a pas non plus été communiqué, de même que sa faisabilité humaine. L’une des raisons non avouées de cette suppression des mathématiques est le manque de professeurs. Où trouver les ressources humaines pour effectuer ces cours supplémentaires ? 1 h 30 semble peu, mais cumulé sur les classes et sur l’année, cela finit par représenter un volume très important pour les lycées.

    Un problème d’égalité

    Plus gênant en revanche, l’idéologie qui sous-tend cet ajustement structurel : il faudrait aboutir à une égalité fille/garçon en termes d’études scientifiques suivies. On a ainsi vu apparaître de nombreux commentaires demandant qu’il y ait 50 % de filles dans les études scientifiques. Toujours l’obsession de la parité par construction sociale.

    C’est un fait, il y a davantage de filles en étude de droit, de lettres et d’infirmières et davantage de garçons en étude d’informatique et de sciences. Cette réalité, qui résulte d’une liberté de choix, est insupportable pour les tenants du constructivisme social. Il faut absolument nier la différence fille/garçon et donc aboutir à une égalité sexuée dans le choix des études. À ce titre, pourquoi ne pas s’émouvoir de l’absence de parité dans les études de droit, pourquoi ne pas demander qu’il y ait 50 % de garçons parmi les sages-femmes ?

    Au lieu de s’assurer et de permettre que chacun puisse développer ses talents et ses capacités au mieux, le législateur intervient par idéologie pour établir sa planification sociale. Ce qui est fort inquiétant.

    D’autant que la réalité est l’inverse de ce que croient les idéologues. Lors de mes recherches, qui ont abouti à mon ouvrage La non-mixité à l’école. Au-delà du tabou, pour une éducation innovante , j’avais ainsi démontré comment la mixité scolaire a conduit à créer des stéréotypes de genre qui conduisent à la situation actuelle d’une polarisation sexuée des études. Aux États-Unis, au début du XX e siècle, dans la région de Boston (cas étudié dans l’ouvrage), les filles choisissaient davantage les sciences que les garçons qui choisissaient eux-mêmes davantage le droit que les filles. C’est-à-dire l’inverse d’aujourd’hui, le tout dans un cadre scolaire non mixte.

    Dans les écoles non mixtes d’aujourd’hui (que nous appelons écoles différenciées), les filles choisissent davantage les études scientifiques que la moyenne nationale et les garçons optent plus pour les études juridiques et littéraires. Des cas confirmés dans tous les pays européens étudiés : Suisse, Italie, Espagne, France, Royaume-Uni. L’école mixte a renforcé les stéréotypes de genre en créant l’idée qu’il existe des matières « pour les filles » et d’autres « pour les garçons ».

    Une réalité que les idéologues de la rue de Grenelle ne veulent pas voir, tout obnubilés qu’ils sont par leurs expériences sociales réalisées sur les enfants.

    L’objectif d’améliorer le niveau scientifique des lycéens est une bonne chose, mais le problème ne se règle pas en première et doit s’inscrire dans une revalorisation globale, dès les classes de primaire. Celui de créer un nivellement égalitaire et une obsession paritaire est en revanche fort mauvais et très inquiétant.

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      Des montres connectées pour surveiller les collégiens

      Lisa Kamen-Hirsig · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 31 October, 2022 - 04:30 · 4 minutes

    Cette rentrée est l’occasion pour le département de la Sarthe d’offrir un petit cadeau aux élèves de sixième : dans le cadre d’un programme dit « sport-santé », les jeunes collégiens reçoivent une montre connectée, du même type que celles que l’on peut trouver dans le commerce. Le président du Conseil départemental, Dominique Le Mèner explique :

    « Avec cette période de covid, on a constaté qu’il y avait une diminution de l’activité physique, mais j’allais dire plus largement, le problème de la prévention et de la santé n’est pas suffisamment pris en compte. On parle beaucoup de la désertification médicale, mais l’enjeu de la prévention et de la santé c’est pratiquer du sport, d’avoir une activité physique, et c’est dès le plus jeune âge qu’on l’apprend ».

    Ces montres sont donc destinées à vérifier l’activité physique des collégiens : leur nombre de pas quotidien, leur température corporelle, leur rythme cardiaque, les alternances veille-sommeil… Après avoir enregistré des données personnelles (taille et poids, sexe et date de naissance), l’utilisateur définit des objectifs d’activité sportive ou de sommeil mais peut aller beaucoup plus loin dans les « confidences » car on l’encourage à renseigner des données sur ses habitudes alimentaires ou même le temps qu’il passe devant les écrans.

    « L’objectif de ce dispositif est de promouvoir l’activité physique en tenant compte des contextes particuliers du moment » , a déclaré Véronique Rivron, présidente de la commission sport, lors d’une distribution aux élèves de sixième, à La Ferté-Bernard, en juin dernier. On imagine que par « contextes particuliers du moment » il faut entendre confinements.

    Plus troublant : dans un tweet de juin 2022, le département explique qu’il s’agit d’évaluer la « forme physique, mentale et sociale des collégiens » . Il ne s’agit donc pas seulement de les doter d’une sorte de podomètre amélioré… Qu’est-ce que la « forme mentale et sociale » d’un collégien ?

    Souvenez-vous, en juin 2021, alors que les effets du covid se faisaient cruellement sentir dans les écoles, M. Blanquer déclarait :

    « Je suis de plus en plus favorable à une vision où l’emploi du temps de l’enfant serait vu pas seulement sur les heures de cours mais un petit peu sur ce qui se passe dans sa vie le mercredi et le week-end, sans arriver à un big brother éducatif ».

    Nous y sommes : les confinements successifs permettent de justifier que l’école « voie » l’enfant en dehors de ses heures de cours.

    Même si les responsables du programme assurent que les données ne sont pas nominatives, elles sont traitées dans un objectif statistique, hygiéniste et global. Le site dédié au projet est très clair : les résultats compilés par établissement pourront servir de base de discussion et de co-construction des parcours « Manger/Bouger » ; des ateliers « petit-déjeuner et goûter équilibrés » seront mis en place.

    Intriguée par la démarche, j’interroge Anthony Trifaut, président de la commission sarthoise de la jeunesse, de l’éducation et de la citoyenneté. Il m’assure qu’il ne s’agit que de répondre aux « enjeux des professeurs d’EPS, des nutritionnistes et des cantines scolaires » .

    De quels enjeux s’agit-il ?

    Une fois de plus la situation post confinement revient sur le tapis : les élèves se seraient beaucoup trop « laissés aller », l’obésité serait galopante chez les jeunes. Un professeur d’EPS doit-il vraiment connaître le régime alimentaire et les phases d’endormissement de ses élèves pour leur proposer des séances adaptées ? Le responsable de la restauration collective d’une commune ne peut-il pas élaborer des menus équilibrés sans savoir si Lucie a mangé des frites ou des bonbons la veille ?

    Le dispositif n’en est qu’à sa phase expérimentale mais suscite déjà des réticences voire de franches oppositions. François Perrignon de Troyes, président de la Fédération des conseils de parents d’élèves de la Sarthe, note un accueil mitigé des familles.

    Après deux ans placés sous la surveillance de TousAntiCovid, on peut les comprendre et s’interroger avec elles sur le réel apport de cet objet : d’un côté on reproche aux jeunes d’être incapables de se déconnecter de leurs téléphones, de l’autre on leur fournit un objet pour les connecter davantage. Paradoxal. Certains parents refusent tout bonnement que leurs enfants soient « bagués », tels des poulets. Les Sarthois s’y connaissent… Nos enfants peuvent-ils encore craquer impunément pour une glace ou passer un après-midi sans bouger, à lire par exemple ?

    Les Français subissent déjà les spots « mangerbouger.fr » dans leurs cinémas et sur leurs écrans de télévision, les exhortant à encourager leurs ados à faire du sport… Est-ce bien le rôle de l’État de se préoccuper de leur santé jusque dans nos demeures, jusque dans leur sommeil ? L’argent public investi dans ces milliers de montres ne serait-il pas mieux placé dans la rénovation ou l’équipement des collèges ?

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      « Rééducation Nationale » de Patrice Jean

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 31 October, 2022 - 04:00 · 8 minutes

    Nous avons déjà eu l’occasion de présenter ici-même deux des romans de Patrice Jean, Tour d’Ivoire et La poursuite de l’idéal , dans lesquels il se montre particulièrement habile à mettre en lumière les travers et dérives de notre époque.

    Dans son dernier roman, Rééducation Nationale , il se lâche véritablement, n’hésitant pas à pousser l’histoire jusque dans le farfelu et la caricature, pour le plus grand plaisir du lecteur.

    Idéalisme et conformisme

    Patrice Jean n’a eu aucun mal, on l’imagine, à s’inspirer de ce qu’il a certainement dû connaître et observer dans son expérience de professeur de lycée. On conçoit bien qu’il a pu éprouver l’envie de grossir le trait de cette comédie qui se joue dans certains milieux enseignants et les petits défauts typiques que l’on peut y rencontrer.

    Dès les premières pages, un véritable concentré d’ironie contenu dans le vocabulaire, la peinture des situations, les analogies, le portrait saugrenu du personnage principal, attend le lecteur. Le ton est donné.

    Bruno Giboire est un jeune idéaliste, mais pas du tout à la manière du personnage de La poursuite de l’idéal , ici plutôt de type candide ou assez profondément naïf. Il s’apprête à intégrer l’Éducation nationale qui, en manque de professeurs , fait paraître un décret permettant à des personnes voulant se reconvertir, comme c’est son cas, d’avoir l’opportunité d’être titularisées en passant un simple concours d’aptitude.

    On s’attend à ce que ce personnage déchante rapidement, comme c’est le cas pour beaucoup qui se leurrent sur ce qu’est devenu l’Éducation nationale et sur ce qu’est aujourd’hui enseigner auprès d’un public et des méthodes qui ont bien changé… Mais pas vraiment. Si notre personnage aura quelques surprises, il n’en garde pas moins la foi en son idéal et sa motivation à tenter d’éveiller les lumières de la raison et de la passion dans les yeux de ses chers élèves (ce qui est non seulement parfaitement louable en soi, mais certainement souhaitable, même si loin d’être évident).

    En réalité, ce qui se révèle très rapidement est le degré de conformisme dont fait preuve Bruno, qui tente si bien de se fondre dans le moule de l’esprit qui règne en salle des professeurs et d’appartenir à une communauté dont il est si heureux de se rapprocher, qu’il n’en perçoit pas tout de suite les dangers, les désillusions, les contradictions, voire le caractère souvent un peu puéril. Il n’est pas le seul à être pétri d’idéal. Mais quand cet idéal se fond dans l’idéologie et se confond avec l’idéalisme, la pureté et la sincérité des sentiments dévoués risquent bien de dériver vers des formes de vive désillusion.

    Il aimait le travail en équipe, comme si, dans une vie antérieure, il avait grandi dans un kolkhose. Penser seul , l’attristait ; et d’ailleurs, dans la solitude, il ne pensait pas, ou peu. Bruno était l’homme des groupes, des clans, des familles, des tribus : un homme social , un homme que les existentialistes auraient défini comme étant pour autrui . Un homme collectif . Un homme fourmi . Les autres hommes sociaux , à son image, promouvaient la passion de l’attroupement, de l’association et du Même. Tous auraient voulu n’exister que par autrui et pour autrui. Et surtout n’être rien par eux-mêmes. L’inappétence pour le collectif, à leurs yeux-fourmis, s’apparentait à une désertion de la cause humaine. Une trahison. Une collaboration avec le néant.

    Communes indignations

    Car de conformisme il est bien question, mais aussi de traditionnels comportements mimétiques , caractéristiques de la plupart des communautés. Et de « communes indignations », l’un des thèmes de prédilection de Patrice Jean. Qui va nous entraîner dans une situation absolument délirante à travers laquelle, dans la seconde partie du roman, il va nous mener vers les sommets de l’absurde, au cours de péripéties qui frisent le grotesque tant elles sont drôles et pathétiques (on peut dire que l’auteur s’est fait plaisir et entend bien entraîner avec lui le lecteur, espérant bien le faire rire).

    À partir de ce moment-là, le personnage principal Bruno Giboire va connaître des hauts et des bas, des moments de doute et de déprime, alternant avec d’autres moments où il se reprend, suscitant en lui un début de réflexion à la fois déprimante et potentiellement salvatrice.

    Et si personne n’était en mesure de rendre compte de ses propres pensées ? Cette idée l’effraya. On se trouvait peu à peu possesseur d’une vision des choses qu’on croyait être sienne, alors qu’on s’imbibait d’idées qui traînaient dans l’air, dans sa classe sociale, dans son époque, au milieu des copains, de la famille, à travers les émissions de radio ou de télévision. Pierre Renoir, en citant Spinoza, aimait à se moquer des « connaissances par ouï-dire », celles qu’on reçoit au berceau, puis qu’on vous prodigue tout au long de votre vie, et qu’on prend pour argent comptant. « On croit s’en défaire, dans le meilleur des cas, à l’adolescence, en étudiant les philosophes ou les sciences positives, mais les plus lucides n’échappent pas au reproche du mécanisme inconscient de la pensée ! De sorte que, concluait Renoir, personne ne pense vraiment par lui-même. » […] Cette découverte déprima Bruno. Le doute l’empêcherait dorénavant d’adhérer tout à fait à ce qu’il disait, à ce qu’il croyait, à ce qu’il pensait. Il était en partie sauvé pour les choses de l’âme, et perdu pour tout le reste.

    Candide , disions-nous plus haut. L’image est parfaite. Notre personnage plein d’illusions et de naïveté découvre, apprend, subit des déconvenues, et évolue peu à peu, au beau milieu de personnages hauts en couleurs. Lui qui manie si bien ce jargon dont l’Éducation nationale a le secret (qui, replacé habilement et comme innocemment dans le fil du roman, révèle bien tout son caractère hautement pernicieux et ridicule), il va se situer au premier plan pour assister à toutes les lubies du moment. Car comme dans ses autres romans, Patrice Jean n’omet pas d’introduire par petites touches de petites piques à l’adresse non seulement des fantasmes révolutionnaires, mais aussi wokistes de notre époque.

    C’est alors que Colette eut l’idée de débaptiser le syntagme « vacances d’avril » en « quatrièmes vacances scolaires », sous prétexte que la référence au mois d’avril célébrait une époque religieuse de l’humanité : on avait eu la peau des « vacances de Pâques », ce n’était pas pour s’inféoder à Aphrodite, la déesse athénienne à qui avril devait son nom ! […] Dans sa rigueur antireligieuse, Colette aurait aimé que la langue française elle-même procédât à un examen de conscience et se délestât de son héritage latin, entaché par les crimes de l’Inquisition […] La contestation n’alla pas plus loin : la sauce ne prenait pas. Colette, mortifiée, renonça à son combat. Elle y avait pourtant cru, elle s’était vue à l’avant-garde d’une lutte pour le progrès ; son nom serait resté comme celui d’une femme engagée, courageuse, prête à défier les pesanteurs idéologiques de son époque . Il ne lui resta plus qu’à se plaindre de la droitisation des esprits et de la lente dérive du pays vers les marécages du conservatisme.

    Les Justes

    Sans trop dévoiler l’histoire, et en espérant avoir suffisamment suscité l’intérêt pour vous donner envie de lire le livre, on y trouve bien présents tous les stéréotypes de la pensée et les dérives totalitaires (mais non conscientes) de la bien-pensance. Sous la plume pleine de talent et de dérision de Patrice Jean, qui parviendra à vous faire sourire plus d’une fois.

    On appréciera les références littéraires, tantôt sous forme de stéréotypes volontaires, tantôt en filigrane, n’ayant pas besoin d’être avancées ou même citées pour qu’on y voit toute la portée symbolique. Comme cette évocation des Justes , dans lesquels certains des professeurs en question semblent désireux de s’incarner.

    Si Patrice Jean n’épargne personne, et conserve sa liberté de pensée, je ne lui en veux pas de méconnaître probablement – même s’il est plutôt moins virulent que la moyenne à son égard, tout juste ironique à sa manière – ce qu’est ou n’est pas le libéralisme . Tout juste en fait-il une toute petite caricature (en bas de la page 113), assimilant un professeur qui apparaît aux yeux des autres comme un libéral sous l’apparence d’un jeune loup dynamique adepte de la performance et d’un esprit de startuper aimant manier les technologies, les concepts et le vocabulaire anglo-saxons. Pas bien méchant et drôle malgré tout.

    En conclusion, il s’agit d’un roman plein d’humour, de légèreté et de dérision, au rythme enlevé mais assez court (144 pages). Sans doute pas le meilleur de Patrice Jean, mais bon tout de même, car bien dans le ton de l’auteur et des idées qui lui sont chères, même si ici le choix de la satire sous forme d’un joyeux délire le rend un peu moins profond que les précédents.

    On se prend d’ailleurs à se demander, à peine finie la lecture, quel nouveau plat il va nous servir pour son prochain roman, que l’on attend déjà avec curiosité.

    Patrice Jean, Rééducation Nationale , Rue Fromentin, septembre 2022, 144 pages.

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      L’image des enseignants : je t’aime, moi non plus

      Patrick Aulnas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 7 March, 2021 - 04:35 · 4 minutes

    enseignants

    Par Patrick Aulnas.

    Il y a 870 000 enseignants du primaire et du secondaire en France et 90 000 enseignants du supérieur. Leur nombre a explosé depuis la Seconde Guerre mondiale parce que la société elle-même a profondément évolué. Cette évolution rapide a modifié l’image des enseignants dans la population, mais aussi l’image que les enseignants se font d’eux-mêmes.

    Petit aperçu de la situation  actuelle.

    Un enseignant est-il proche d’un bibliothécaire ?

    L’image des enseignants est contrastée et parfois fondée sur des préjugés. Une étude de la Varkey Fondation de 2018 analyse la perception du monde enseignant par les opinions publiques de 21 pays. Les réponses sont assez consternantes pour qui connaît bien le système éducatif, ses forces et ses faiblesses.

    L’une des questions concernait la profession à laquelle celle d’enseignant était la plus comparable. Pour la France, la profession de bibliothécaire est placée en première position (28 % des réponses). Une telle perception montre clairement la méconnaissance du métier d’enseignant dans le public.

    La noble activité de bibliothécaire n’exige pas la performance quotidienne, à la fois physique, psychologique et intellectuelle du métier d’enseignant. Autrement dit, transmettre des connaissances à un groupe de jeunes élèves ou étudiants est une activité à forte intensité. Un enseignant qui devient bureaucrate a l’impression de se reposer et il s’ennuie vite.

    Pour la Chine, le résultat à la question précédente est le suivant : 38 % des personnes interrogées comparent la profession d’enseignant à celle de médecin. Comparaison France-Chine éloquente !

    Une bonne image des enseignants dans l’opinion publique

    Pourtant, au pays de Molière, sondage après sondage, l’image des enseignants dans l’opinion publique n’apparait pas dévalorisée. Les enseignants sont plus sévères sur eux-mêmes que les Français dans leur ensemble. Nombreux sont ceux qui souffrent du décalage entre niveau culturel et statut social.

    Selon un sondage Odoxa de 2018, 57 % des Français ont une bonne opinion de l’Éducation nationale en tant que structure et 42 % une mauvaise. Mais l’opinion sur les personnes travaillant dans l’Éducation nationale est meilleure : 69 % de bonnes opinions contre 30 % de mauvaises.

    En ce qui concerne les qualificatifs s’appliquant aux enseignants, 73 % des Français les jugent compétents, 62 % soucieux de leurs élèves, mais seulement 50 % les jugent efficaces.

    Un métier moins prestigieux que beaucoup d’autres

    Mais les enquêtes sur le ressenti des enseignants eux-mêmes font apparaître une focalisation sur la perte de prestige de leur profession. En 2016, une étude du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) avait interrogé un panel d’étudiants de troisième année de licence.

    La moitié d’entre eux, tout en envisageant de devenir professeur, classait la profession d’enseignant parmi les moins prestigieuses d’une liste de quinze métiers. Les métiers jugés prestigieux étaient magistrat, ingénieur ou avocat.

    Un sondage Ipsos de 2020 fournit des précisions sur l’état d’esprit des enseignants. 69 % d’entre eux se disent satisfaits de leur métier, mais 59 % pensent que le système éducatif français fonctionne plutôt mal. Surtout, 82 % des enseignants estiment que leur rémunération et leur carrière ne témoignent pas d’une juste reconnaissance de leur travail.

    Enseignants : de l’intellectuel au travailleur social

    Pour comprendre le monde enseignant, une perspective historique n’est pas inutile. Les instituteurs de la III e République (1870-1940), les fameux « hussard noirs » chargés d’alphabétiser la population, bénéficiaient d’un prestige important dans les milieux populaires. Ils en étaient souvent issus et leur profession représentait une promotion à la fois sociale et culturelle. Quant aux enseignants du secondaire, ils avaient pour élèves les enfants de la bourgeoisie.

    Seulement 1 % d’une classe d’âge obtenait le baccalauréat en 1881 et 2,7 % en 1936. Aujourd’hui plus des trois-quarts d’une génération atteint le niveau du bac. Les élèves n’appartenant plus à l’élite, le professeur ne se considère plus comme lui appartenant.

    Il existait jusqu’aux années 1950 un fossé entre le monde enseignant et les milieux populaires, tant du point du vue culturel qu’économique. Aujourd’hui, un artisan plombier gagne davantage qu’un professeur des écoles, un directeur financier beaucoup plus qu’un professeur d’université.

    Il y avait 7000 professeurs de l’enseignement secondaire en France en 1890 et 365 000 dans le seul second degré public en 2019. Profession rare auparavant, rattachée au monde de l’ intelligentsia , le professeur apparaît aujourd’hui comme un travailleur social ordinaire.

    Le plus beau métier du monde

    Cette cruelle réalité socio-économique ne doit pas cacher l’essentiel. Transmettre le patrimoine cognitif accumulé par l’humanité aux générations futures, n’est-ce pas l’un des plus beaux métiers du monde ? Sans aucun doute.

    Mais voilà ! Les enseignants ne sont plus les seuls. Il existe aujourd’hui mille façons d’apprendre. La formation se poursuit tout au long de la vie car les technologies et les qualifications évoluent plus rapidement que jamais. L’accès au savoir devient immédiat par le miracle de la numérisation de l’information et l’existence d’un réseau mondial en libre accès, internet.

    Nous assistons à une remise en cause fondamentale des modalités de la transmission. Nous sommes au tout début d’une évolution qui bouleversera l’enseignement.