• Co chevron_right

      Les centres de progrès (24) : Wellington (Suffrage)

      Chelsea Follett · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 18 December, 2022 - 03:50 · 8 minutes

    Un article de Human Progress

    Notre vingt-quatrième Centre du progrès est Wellington à la fin du XIX e siècle, lorsque la ville a fait de la Nouvelle-Zélande le premier pays au monde à accorder le droit de vote aux femmes.

    À l’époque, cette décision était considérée comme radicale. Les réformateurs qui ont adressé avec succès une pétition au Parlement néo-zélandais ont ensuite parcouru le monde, organisé des mouvements pour le suffrage dans d’autres pays. Aujourd’hui, grâce au mouvement initié à Wellington, les femmes peuvent voter dans toutes les démocraties, à l’exception du Vatican, où seuls les cardinaux votent lors du conclave papal.

    Aujourd’hui, Wellington est surtout connue comme la capitale de la Nouvelle-Zélande la plus au sud du monde. Cette ville balnéaire venteuse compte un peu plus de 200 000 habitants. Elle est réputée pour ses boutiques et cafés branchés, ses fruits de mer, ses bars excentriques et ses brasseries artisanales. Elle possède des téléphériques rouges pittoresques et son Old Government Building , construit en 1876, reste l’une des plus grandes structures en bois du monde. Wellington abrite également le mont Victoria, le musée Te Papa et un quai où se tiennent fréquemment des marchés pop-up et des foires artistiques. Jeune et entreprenante, Wellington a été classée comme l’un des endroits les plus faciles au monde pour créer une nouvelle entreprise. C’est également un centre d’arts créatifs et de technologie, célèbre pour le travail des Weta Studios, situés à proximité, sur la franchise cinématographique du Seigneur des anneaux .

    Selon la légende, le site où se trouve aujourd’hui Wellington a été découvert par le chef Māori Kupe à la fin du X e siècle. Au cours des siècles suivants, différentes tribus Māori se sont installées dans la région. Les Māori ont baptisé la région Te Whanganui-a-Tara, ce qui signifie « le grand port de Tara », du nom de l’homme qui aurait été le premier à l’explorer pour le compte de son père, Whātonga l’explorateur ; ou encore Te Upoko-o-te-Ika-a-Māui , qui signifie « la tête du poisson de Māui », en référence au demi-dieu mythique Māui qui a attrapé un poisson géant qui s’est transformé en îles de Nouvelle-Zélande.

    Constatant l’emplacement parfait du site pour le commerce, un colonel anglais acheta en 1839 des terres locales aux Māori pour y installer des colons britanniques. Un quartier d’affaires s’est rapidement développé autour du port, le transformant en un port actif. L’année suivante, des représentants du Royaume-Uni et divers chefs Māori signèrent le traité de Waitangi qui fit entrer la Nouvelle-Zélande dans l’Empire britannique et fit des Māori des sujets britanniques. Wellington a été la première grande colonie européenne en Nouvelle-Zélande, baptisée ainsi en l’honneur d’Arthur Wellesley, premier duc de Wellington – un des nombreux hommages au célèbre Premier ministre et chef militaire qui a vaincu Napoléon à la bataille de Waterloo en 1815.

    Il est intéressant de noter que la Nouvelle-Zélande ne célèbre pas de « jour de l’indépendance » reconnu par tous. La souveraineté du pays semble plutôt avoir été acquise progressivement , avec des événements clés en 1857, 1907, 1947 et 1987. Ce n’est que cette dernière année que la Nouvelle-Zélande a « révoqué unilatéralement tout pouvoir législatif résiduel du Royaume-Uni » sur la nation.

    La démographie de la nation coloniale évolue rapidement.

    En 1886, la majorité des résidents non-Māori étaient des immigrants nés en Nouvelle-Zélande plutôt que nés en Grande-Bretagne, bien que ces derniers aient continué à affluer dans le pays. Bien que de nombreuses personnes se considèrent comme britanniques, le terme néo-zélandais devient plus courant. En 1896, la Nouvelle-Zélande comptait plus de 700 000 immigrants britanniques et leurs descendants ainsi que près de 40 000 Māoris.

    Pendant la majeure partie de l’histoire, les femmes ont été largement exclues de la politique, mais il est important de se rappeler que la plupart des hommes l’étaient également. Le pouvoir politique avait tendance à être concentré entre les mains d’un petit groupe, comme une famille royale, tandis que la majorité des hommes et des femmes n’avaient pas leur mot à dire à propos des décisions politiques. Cependant, si l’histoire a certainement connu son lot de femmes politiques puissantes, de l’impératrice byzantine Théodora à l’impératrice chinoise Wu Zetian, la majorité des dirigeants de toutes les grandes civilisations ont été des hommes.

    En d’autres termes, dans un monde doté d’institutions politiques hautement exclusives qui laissaient presque tout le monde de côté, les femmes étaient encore plus susceptibles d’être marginalisées que les hommes. De même, lorsqu’une vague de démocratisation a élargi la participation politique à une part sans précédent de la population du XIX e siècle, les listes électorales excluaient toujours les femmes.

    La jeune Nouvelle-Zélande n’a pas fait exception et les femmes se sont vu refuser le droit de vote dans un premier temps. Une croyance populaire voulait qu’elles ne soient adaptées qu’à la sphère domestique, laissant la vie publique aux hommes. Mais à la fin du XIX e siècle, alors que de plus en plus de femmes accédaient à des domaines professionnels auparavant réservés aux hommes, elles ont commencé à être considérées comme plus aptes à participer à la sphère publique.

    Ces changements ont contribué à galvaniser le mouvement pour le suffrage féminin en Nouvelle-Zélande. Des suffragettes comme Kate Sheppard ont recueilli des signatures de soutien croissant du public en faveur du suffrage féminin. En 1891, 1892 et 1893, les suffragettes ont compilé une série de pétitions massives demandant au Parlement d’adopter le droit de vote pour les femmes. La pétition de 1893 a recueilli quelque 24 000 signatures ; une fois collées ensemble, les feuilles ont formé un rouleau de 270 mètres, qui a ensuite été soumis au Parlement à Wellington.

    Le mouvement pour le suffrage féminin a été facilité par un large soutien des hommes de Nouvelle-Zélande. En tant que pays de « frontière coloniale », la Nouvelle-Zélande comptait beaucoup plus d’hommes que de femmes car les hommes célibataires étaient généralement plus susceptibles d’immigrer à l’étranger. Désespérant de trouver de la compagnie, ils ont cherché à attirer davantage de femmes en Nouvelle-Zélande et ont souvent romancé ces dernières. De nombreux Néo-Zélandais pensaient que l’afflux de femmes pacifierait l’environnement en faisant baisser le taux de criminalité et le taux de consommation d’alcool et en améliorant la moralité.

    En effet, les recherches suggèrent que des ratios hommes/femmes très inégaux peuvent causer des problèmes : les sociétés où les femmes sont beaucoup moins nombreuses que les hommes connaissent des taux plus élevés de dépression, d’agressivité et de criminalité violente chez les hommes. Il est fort probable que ces effets négatifs découlent des tensions apparaissant lorsqu’une majorité d’hommes pense avoir peu d’espoir de trouver un jour une épouse.

    Cependant, pour l’opinion populaire en Nouvelle-Zélande au XIX e siècle les femmes étaient considérées moralement supérieures aux hommes ou plus susceptibles d’agir pour le bien commun. S’appuyant sur cette croyance, les partisans du suffrage ont présenté les femmes comme des « citoyennes de moralité » et ont fait valoir qu’une société où elles pouvaient voter deviendrait plus vertueuse. En particulier, le mouvement pour le suffrage des femmes était étroitement lié au mouvement pour la prohibition de l’alcool. Les hommes qui soutenaient la prohibition de l’alcool pour des raisons morales étaient donc fort susceptibles de soutenir le droit de vote féminin.

    La Nouvelle-Zélande n’est pas une exception : les autres pays ayant accordé très tôt le droit de vote aux femmes étaient aussi typiquement frontaliers. Comme la Nouvelle-Zélande, ces pays disposaient d’une majorité d’hommes. Ils étaient convaincus que les électrices avaient une conscience morale et se mobiliseraient contre les problèmes sociaux. Les plus importants de ces maux étaient l’alcool et la polygamie dans l’ouest des États-Unis, pratiquée par certains adeptes du jeune Mouvement des saints des derniers jours . On pensait également que les femmes s’opposeraient aux guerres inutiles et favoriseraient une politique étrangère plus pacifiste. Parmi les premiers à adopter le suffrage féminin aux États-Unis figurent les États frontaliers des montagnes de l’Ouest : le Wyoming (1869), l’Utah (1870), le Colorado (1893) et l’Idaho (1895). Les territoires frontaliers d’Australie du Sud (1894) et d’Australie occidentale (1899) ont suivi le même schéma.

    Mais la Nouvelle-Zélande a ouvert la voie en étant le premier pays à accorder le droit de vote aux femmes. Motivé par les efforts inlassables des suffragettes et de leurs nombreux alliés masculins, le gouvernement s’est lancé dans une expérience radicale. À Wellington, le gouvernement de Lord Glasgow a signé une nouvelle loi électorale le 19 septembre 1893 qui donne aux femmes le droit de vote aux élections parlementaires.

    Depuis lors, les femmes ont joué un rôle actif dans la gouvernance du pays depuis la capitale Wellington. Non seulement la Nouvelle-Zélande a eu trois Premières ministres différentes mais des femmes ont occupé des postes clés du gouvernement néo-zélandais. La Nouvelle-Zélande a eu une femme Premier ministre, gouverneur général, président de la Chambre des représentants, procureur général et juge en chef. Le pays reste fier de l’étape pionnière vers l’égalité juridique entre les sexes qui a été franchie à Wellington. La suffragette Sheppard figure même sur le billet de banque de 10 dollars.

    Après sa victoire législative, Sheppard et ses alliés ont fait le tour de plusieurs autres pays et ont contribué à l’organisation de mouvements pour le suffrage à l’étranger.

    Siège du gouvernement néo-zélandais, Wellington a été au centre de la première campagne réussie visant à accorder le droit de vote aux femmes d’un pays. Pour avoir accueilli une victoire législative révolutionnaire pour le suffrage des femmes, Wellington est à juste titre notre 24e Centre du progrès.

    Traduction Contrepoints

    Sur le web

    • Co chevron_right

      Polémique Amanda Gorman : faut-il être noir pour traduire un Noir ?

      Sophie Bastide-Foltz · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 7 March, 2021 - 04:40 · 4 minutes

    Noir

    Par la rédaction de Contrepoints.

    Une polémique enfle concernant le choix d’une traductrice blanche pour la traduction en néerlandais 1 des poèmes d’Amanda Gorman, noire, qui a été choisie par Joe Biden pour son investiture.

    Contrepoints s’est entretenu avec la traductrice littéraire Sophie Bastide-Foltz pour recueillir son point de vue sur les dangers d’un choix qui consisterait à ne faire traduire des œuvres que par des traducteurs de la même origine que l’auteur.

    Contrepoints : La réaction du traducteur René de Ceccatty, dans Le Point , à cette polémique a été : « L’idée qu’il faille être noir pour traduire un Noir est terrifiante. » Partagez-vous ce point de vue ?

    Sophie Bastide-Foltz : Ce qui est terrifiant, c’est l’idée que la race devienne le critère premier, celui sur lequel on va fonder un travail. N’importe lequel, du reste, pas seulement la traduction d’une œuvre littéraire. C’est la théorie nazie par excellence. Aryen, vous aviez tous les droits. Non Aryens, vous ne pouviez plus exercer quantité de métiers, bref, on vous coupait les vivres, le vivre !

    Exiger que le texte d’Amanda Gorman soit traduit par un noir (une noire ?) c’est du pur racisme… à l’envers, dit-on aujourd’hui pour parler de racisme anti-blanc. Moi je dis de racisme tout court.

    La race, mais aussi l’idéologie comme critère, oui, c’est terrifiant. Et pourquoi pas, alors ne faire traduire des auteurs juifs que par des traducteurs juifs. Des auteures que par des traductrices. Je vois ça d’ici : sous les coordonnées habituelles, on remplirait quelques cases qui nous autoriseraient à traduire n’importe quel auteur ! Ce n’est plus de la bien-pensance, c’est de la terreur, de la dictature.

    Contrepoints : La connaissance du contexte culturel, l’expérience personnelle ne donnent-elles pas à un traducteur de la même origine que l’auteur plus d’atouts pour que la traduction soit la plus fidèle possible au texte original ?

    Sophie Bastide-Foltz : Les atouts, pour bien traduire, c’est avant tout la compétence linguistique et la connaissance du milieu, du cadre du récit qu’on doit traduire. Encore que cette connaissance peut s’acquérir en traduisant.

    Je traduis en ce moment un livre dont le personnage principal est une archéologue. Je n’y connais rien en archéologie. Donc je passe un certain temps à me documenter. Cela fait d’ailleurs partie de ce qu’il y a de passionnant dans ce métier. On élargit sans cesse le champ de ses connaissances.

    Il m’est aussi arrivé de refuser une traduction parce que n’avais pas les codes : une langue parlée dans certains quartiers de Philadelphie, par exemple, essentiellement par des Afro-américains m’est si étrangère que pour comprendre la série Sur écoute , il m’a fallu mettre les sous-titres (série fort bien traduite d’ailleurs).

    Mais si moi, une Blanche, j’avais vécu là-bas quelques temps, j’aurais été parfaitement capable de la traduire. Un traducteur doit évidemment se plonger dans l’univers des livres qu’il traduit, quand bien même il lui est parfois étranger.

    S’il n’a pas le temps ou la volonté de s’y plonger, alors oui, il doit s’effacer. Mais pas pour une raison de couleur de peau ou d’idéologie.

    J’ai traduit Ayn Rand , mais aussi Susan Sontag qui sont pourtant toutes deux à l’opposé sur le plan idéologique. Et je traduirais un écrivain qui serait à l’opposé de mes idées politiques si je pensais que son œuvre en vaut la peine.

    En revanche, je crois qu’il faut être poète pour traduire de la poésie qu’elle soit l’œuvre d’un blanc, d’un jaune, d’un noir ou d’un café au lait.

    Contrepoints : Selon vous, est-ce de la démagogie de la part de Biden d’avoir choisi Amanda Gorman ? Une forme de bien-pensance politique ?

    Si avoir choisi Amanda Gorman est de la démagogie ? Bien sûr que c’en est. Elle a tous les atouts pour plaire à l’Amérique de Biden. Elle est femme, noire et de gauche. La totale !

    Cela étant, j’ai quant à moi de sérieux doutes sur la qualité poétique de ses écrits. Ce n’est pas parce qu’on fait des vers qu’on est poète. Le texte qu’elle a lu, en tout cas, est un plaidoyer politique en vers, pas de la poésie.

    • Dernier ouvrage traduit : Lazare , de Richard Zimler, Cherche-midi, janvier 2021.
    • Et aussi : La Grève , Ayn Rand, Les Belles Lettres.
    1. Marieke Lucas Rijneveld, qui depuis, a renoncé à cette traduction.