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Ce que le procès du 13 novembre ne jugeait pas
news.movim.eu / HuffingtonPost · Wednesday, 13 July, 2022 - 08:27 · 5 minutes
TRIBUNE - Ce que ce procès ne jugeait pas même s’il en a souvent été question, c’est la motivation des accusés. Ils combattaient pour un gouvernement théocratique, ce qui signifie que le pouvoir politique appartenait aux religieux. Les attentats du 13 novembre 2015 ont été commis au nom d’une croyance religieuse.
Notre rapport au fait religieux est fatigué, il s’émousse. Faute d’adversité à partir des années 1960, jusqu’au manque de vigilance aujourd’hui, la France a reculé sur le front de la laïcité. Peut-être parce que l’enseignement de l’histoire s’est dramatiquement affaibli.
Les religieux ont toujours été contre-révolutionnaires, ils voulaient même empêcher la Terre de tourner. Leur vision de la réalité politique ne se fait qu’au prisme d’un dogme éternel, venu de l’histoire, ou de légendes. La nécessaire adaptation du politique à la réalité, déterminée par l’évolution économique, technologique, sociétale, ne leur convient pas. La réalité ne doit pas sortir du dogme.
L’affaiblissement de la connaissance de l’histoire commune empêche de savoir. Et comme il faut bien des réponses à certaines questions: on croît. On croit que la Terre est plate et que les enfants naissent dans les choux, que le monde est dominé par des pédo-satanistes et qu’Elvis Presley est vivant.
Notre rapport au fait religieux est fatigué, il s’émousse. Faute d’adversité à partir des années 1960, jusqu’au manque de vigilance aujourd’hui, la France a reculé sur le front de la laïcité. Éric Ouzounian, journaliste, père de la plus jeune victime du Bataclan
On ne sait plus. On croit. Qu’il s’agisse de QAnon et des États-Unis de Trump, d’une minorité d’activistes extrémistes musulmans ou de fondamentalistes juifs, hindouistes, ou autres, on constate que l’opinion citoyenne se fait par la croyance et non plus par la raison. Et ce d’autant plus facilement qu’un grand nombre de médias appartiennent à de grandes fortunes et que les faits peuvent être tordus.
Mais ce retour du religieux, aussi bien dans les pays musulmans qu’à la Cour suprême des États-Unis amène maintenant une réponse des laïques. La France entretient un rapport complexe et particulier avec la religion, et la réponse laïque que la République y a apporté entre 1848 et les années 1930 fût efficace: séparation de l’église et de l’État et la création de l’école publique et laïque.
La question religieuse a été un combat en Europe et particulièrement en France. Les guerres de religion ont été longues et sauvages et l’Église catholique a lutté avec acharnement pour préserver ses avantages, notamment en matière d’enseignement où il fallut tout le courage et l’abnégation des instituteurs, que l’on appela les Hussards Noirs de la République, pour imposer l’école laïque.
La brutalité et la cruauté dont fit preuve l’Église catholique se manifestèrent lors de la création de l’inquisition au 13e siècle. Ce tribunal fut notamment responsable du massacre des Cathares et des Templiers, et la qualification d’hérésie fut par la suite constamment élargie.
À l’avènement du culte protestant, les guerres de religion émaillèrent la seconde partie du 16e siècle et les affrontements culminèrent le 24 août 1572, lors de la Saint-Barthélemy où le peuple de Paris, majoritairement catholique, massacra littéralement les protestants.
En 1880, l’enseignement est quasi retiré aux religieux et l’école devient laïque, gratuite et obligatoire. Cela amène progressivement à la séparation de l’église et de l’État en 1905.
Si les dirigeants français avaient œuvré à construire une société plus encline à partager qu’à exclure, à construire des écoles plutôt que des prisons, le désespoir n’aurait pas conduit des jeunes vers la radicalisation Éric Ouzounian, journaliste, père de la plus jeune victime du Bataclan
Mais si les catholiques sont progressivement devenus relativement inoffensifs après les années 1960, la montée d’un Islam intolérant et revendiqué est malheureusement avérée. Elle était prévisible, s’est nourrie de chômage, de racisme et de misère, de la même manière que l’extrême droite.
Les militants beurs souvent proches de la gauche ou de l’extrême gauche n’empêchent pas longtemps les religieux d’occuper le terrain, laissé vacant par les communistes. En mars 2004, la loi, en application du principe de laïcité, encadre le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, appelée parfois “loi sur le voile islamique”. En vingt ans, la laïcité est devenue une valeur érigée en symbole de la République par une population majoritairement athée; elle est également aussi instrumentalisée par l’extrême droite, qui la dénature en islamophobie.
Mais si le fondement pseudo-religieux élaboré en Syrie et en Irak est une réalité, la manière dont les jeunes français ont pu se radicaliser relève de la responsabilité de la France et de ses dirigeants de l’époque. Si ces derniers avaient œuvré à construire une société plus encline à partager qu’à exclure, à construire des écoles plutôt que des prisons, le désespoir n’aurait pas conduit des jeunes vers la radicalisation ou l’extrémisme religieux, du trafic de drogue au djihad.
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