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      Réforme des retraites : l’article 47.1, la nouvelle star ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 31 January, 2023 - 04:30 · 3 minutes

    On a souvent parlé dans ces colonnes de l’article 49.3, mais connaissez-vous l’article 47.1 ? Si vous aimez la démocratie représentative et parlementaire, vous allez le détester !

    La réforme des retraites doit être débattue au Parlement à compter du lundi 30 janvier. Au Sénat, à majorité de droite, le gouvernement ne devrait pas rencontrer trop de résistance mais à l’Assemblée nationale c’est beaucoup moins évident. Les députés de la Nupes et ceux du Rassemblement national à l’extrême droite sont contre le texte. La majorité présidentielle qui soutient la réforme peut certes compter sur le vote des Républicains, favorables à un report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans. Ainsi, la réforme des retraites serait adoptée par la voie classique. Mais les députés LR se déchirent sur l’intérêt politique de soutenir une « réforme Macron ». Le président du groupe LR à l’Assemblée, Olivier Marleix a déclaré le 25 janvier sur Franceinfo que les députés LR ont « toujours la liberté de vote » sur la réforme. Avec des soutiens aussi peu fiables que les députés LR et contre des élus Nupes et RN déterminés, le gouvernement fait appel à un outil des relations avec le pouvoir législatif : l’article 47.1 de la Constitution.

    Qu’est-ce que l’article 47.1 de la Constitution ?

    L’ article 47.1 de la Constitution décide que :

    « Le Parlement vote les projets de loi de financement de la sécurité sociale […].

    « Si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcé en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours.[…]

    « Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance… »

    Ainsi, au bout de cinquante jours sans avis du Parlement, le texte soumis aux députés et aux sénateurs peut finalement passer en force sans vote !

    Utiliser le 47.1 n’est pas sans risque pour le gouvernement

    L’alinéa 1 de l’article 47.1 précise que cette procédure ne peut s’appliquer que pour l’adoption des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

    Aussi, par un tour de passe-passe juridique, le gouvernement présente sa réforme de retraite comme faisant partie d’un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS), car c’est la Sécurité sociale qui verse les pensions de retraite via l’assurance retraite !

    Mais cette procédure n’est pas sans risque.

    D’abord le PLFRSS peut (et fera) l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel. Or, toutes mesures étrangères au PLFRSS sont généralement censurées par les Sages. Car toutes les mesures qui ne portent pas sur des recettes et des dépenses n’entrent pas à proprement parler dans le cadre de PLFRSS.

    Ensuite, cette procédure d’urgence portée par l’article 47.1 semble difficile à justifier dans le cas de la réforme des retraites.

    Enfin, en réduisant la durée des débats, le gouvernement interdit toute concertation sur un sujet capital et risque de perdre toute légitimité politique pour le reste du quinquennat.

    Après dix recours au 49.3 pour adopter le projet de loi de finances Élisabeth Borne a écarté l’usage de cette procédure décriée pour la réforme des retraites alors que la Constitution lui en donnait le droit. Un onzième recours est donc possible mais les conséquences politiques, institutionnelles et sociales seraient désastreuses pour le pays…

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      La réforme des retraites est-elle constitutionnelle ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 24 January, 2023 - 04:30 · 7 minutes

    Si le débat sur la « réforme » des retraites est d’abord politique, il peut aussi s’engager sur le terrain de la Constitution. D’ailleurs, on apprend par le Canard enchaîné que Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, émettrait des doutes sur la constitutionnalité de cette réforme, au regard du véhicule législatif utilisée et de la procédure adoptée. Il redoute notamment un vice de procédure voire un détournement de procédure. En contentieux constitutionnel, il y a vice de procédure quand la violation est substantielle (voir en ce sens la décision n°88-248 DC ). Le détournement de procédure n’a, quant à lui, jamais été sanctionné pour l’instant.

    Cette utilisation pose des questions relatives à la validité à la procédure (I) et à la recevabilité des amendements (II) portant sur la réforme des retraites.

    Validité de la procédure comme dépendante de la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    Le gouvernement souhaite passer par un projet de Loi de financement de la sécurité sociale rectificatif (PLFSSR). Il faut donc savoir si la procédure de l’article 47-1 relative au PLFSS s’applique au PLFSSR.

    L’ article LO 111-3 du Code de la sécurité sociale qualifie les PLFSSR de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). On peut donc, en s’appuyant aussi sur l’ article LO 111-7 du même Code, estimer que le PLFSSR tombe sous le coup de l’ article 47-1 de la Constitution et de ses délais.

    Mais l’inverse peut aussi être soutenu si l’on s’en tient à une interprétation téléologique des dispositions de cet article. On peut en effet soutenir que ni l’article 47-1 ni l’article LO.111-7 ne font référence aux PLFSSR. On peut aussi soutenir que les délais de l’article 47-1 se comprennent au regard de la nature particulière des PLFSS mais ne s’appliquent pas au PLFSSR qui par principe, vient modifier les prévisions du PLFSS. Tout dépendra in fine de la manière dont le Conseil constitutionnel interprétera l’article 47-1.

    Il faut donc revenir plus en détail sur cet article.

    La procédure législative des PLFSS est prévue à l’article 47-1 de la Constitution. Cet article dispose dans son alinéa 2, que « si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l’article 45 ». L’article 45 disposant quant à lui le cas de la Commission mixte paritaire si le projet ou la proposition de la loi n’a pas pu être adoptée (art.45 al. 2). L’alinéa 3 de l’article 47-1 précise que, « si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance ».

    Cependant, c’est l’utilisation même de l’article 47-1 qui est en soi contestable.

    En effet, par cet article, le gouvernement n’aurait pas besoin d’obtenir l’adoption du texte par l’Assemblée car le texte sera automatiquement transmis au Sénat dans les délais précédemment détaillés. Or, Laurent Fabius semble peu enclin à l’accepter. On peut estimer, par analogie, que la décision n°86-209 portant sur les PLFR s’applique aux PLFSSR. Mais pour être conforme à la Constitution, l’objet d’un PLFSSR doit concerner les « mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale » ; ce qui peut interroger sur la réforme des retraites et la précipitation dans laquelle elle se fait. Ne produisant des effets sur l’équilibre des comptes qu’à partir de 2030 environ, on voit mal comment elle pourrait tomber sous la validité de la jurisprudence. Que la réforme soit faite en janvier, en mars ou en juillet, cela n’empêchera pas pendant ce temps que la vie nationale continue, même en l’absence de réforme. De même, d’un point de vue plus « politique », le Conseil constitutionnel pourrait estimer que ce genre de passage en force risque, à terme, de nuire au Parlement. Il pourrait, par des policy arguments , estimer qu’il est loisible que dans une démocratie, la chambre basse représentant la Nation, adopte le texte.

    En exigeant officieusement que le texte soit adopté par l’Assemblée avant transmission au Sénat, Laurent Fabius fait peser sur le gouvernement la responsabilité du choix d’une telle procédure et le contraint sans le dire vraiment à utiliser l’article 49 al.3. Or, se pose aussi la question de savoir si ce PLFSSR pourra faire l’objet d’un 49.3. Si l’on s’en tient à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n°2022-847 DC) et si l’on raisonne par analogie, il semble possible d’affirmer, comme le fait Jean-Philippe Desrosier, que son utilisation est possible pour le cas des PLFSSR. Encore une fois, tout dépendra de l’interprétation du Conseil constitutionnel.

    Qualification des amendements de « cavaliers législatifs » dépendante du Conseil constitutionnel

    Le gouvernement souhaite faire passer la réforme de la retraite au travers d’un amendement à ce PLFSSR.

    Se pose la question de la constitutionnalité d’une telle mesure. Si le droit d’amendement est souvent considéré comme étant assez large, il faut néanmoins que l’amendement « ne soit pas dépourvu de tout lien avec le projet de loi en discussion » (CC, n°85-198 DC, cons. 4). Il faut donc que l’amendement proposé soit en lien avec l’objet du PLFSS. Or, quel est l’objet d’un PLFSS ?

    Au regard de l’article 34 de la Constitution, « les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ».

    L’amendement doit donc concerner les « conditions générales de son équilibre financier ».

    Reste à savoir ce qui entre dans cette notion indéterminée. S’il est probable qu’une augmentation de la durée de cotisation ou que la fixation d’un minimum de retraite à 85 % du SMIC entre dans cette catégorie, il est peu probable que l’allongement de l’âge de départ à 64 ans y entre. Le lien n’est pas direct ni automatique. Tout sera – encore une fois – question d’interprétation par le Conseil constitutionnel.

    Ainsi, le Conseil constitutionnel sera probablement amené à trancher plusieurs questions de droit :

    • Le PLFSSR peut-il passer par l’article 47-1 et les délais de cet article lui sont-ils imposables ?
    • Le 49.3 peut-il être utilisé pour les PLFSSR ?
    • L’amendement portant la réforme des retraites au PLFSSR constitue-t-il un cavalier législatif ?

    Conclusion

    Ce rapide tour du problème permet d’illustrer deux choses.

    En premier lieu, on voit que les dispositions de la Constitution, les énoncés, ne contiennent au mieux que des règles (et non des normes juridiques) et au pire des principes. Les règles de procédures (comme l’article 47-1), n’étant pas des normes juridiques, bénéficient d’une grande marge d’interprétation. C’est en ce sens que les énoncés de la Constitution ne sont pas « impératifs ». Si ces dernières habilitent, permettent, abrogent ou commandent une certaine conduite , il n’en demeure pas moins que, revêtant le caractère de « règle », elles sont soumises à une indétermination dans leur contenu et dans leur application. Leur application sera déterminée par l’interprétation qu’en tireront les acteurs de la scène politique. Ce n’est que si les énoncés revêtent le caractère de normes juridiques, par le produit de l’interprétation du juge constitutionnel (ou à défaut par le Président) que les énoncés seront impératifs car déterminés dans leurs significations.

    En second lieu, la marge entre la règle et la norme représente deux choses. D’un côté, c’est dans cet espace que se situe la vie politique et parlementaire. De l’autre côté, c’est dans cet espace que vivent les interprétations du Conseil constitutionnel (D.Baranger).

    Enfin, cela montre que le Conseil constitutionnel est finalement au centre de la procédure législative et qu’il est un participant au processus concurrentiel d’élaboration des normes (D.Rousseau).

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      La menace du 49-3 : un aveu d’échec de la majorité présidentielle

      Laurent Sailly · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 17 December, 2022 - 03:30 · 5 minutes

    L’article 49, alinéa 3, de la Constitution française (dit 49-3) prévoit que lors du vote d’un projet ou d’une proposition de loi, le Premier ministre peut décider d’engager la responsabilité du gouvernement.

    Dans ce cas, le projet de loi est alors adopté sauf si une motion de censure est déposée par au moins un dixième des députés. En cas de rejet de la motion, le projet est considéré comme adopté ; dans l’hypothèse inverse, le texte est rejeté et le gouvernement renversé.

    L’ article 49-3 a été introduit dans notre Constitution en réaction à l’instabilité des majorités politiques des IIIe et IVe Républiques.

    Ce dispositif est généralement utilisé dans deux cas :

    • lorsque le gouvernement ne dispose pas d’une majorité absolue et n’a donc pas le choix pour l’adoption de ses lois (c’est le cas du gouvernement Borne ou le gouvernement Rocard sous la présidence de François Mitterrand) ;
    • lorsque malgré une majorité à l’Assemblée nationale, le gouvernement souhaite faire passer rapidement un texte (loi sur le CPE en 2006).

    Lorsque les anciens présidents s’en mêlent

    Les deux anciens présidents de la République se sont exprimés sur l’emploi du 49-3 lors d’un colloque à l’Institut de France, mercredi 5 octobre.

    Pour Nicolas Sarkozy, auréolé par la réforme constitutionnelle de 2008 – la dernière et la plus importante puisqu’elle porta sur 31 articles –, sur l’utilisation de l’article 49-3 :

    « J’adore l’expression passer en force . Car sur certains textes ne pas passer en force, c’est ne pas passer du tout… »

    Et d’ajouter concernant le débat sur les retraites :

    « Le président de la République fera son analyse, en étudiant le rapport coûts/risques. C’est à lui de choisir […] Mais j’ai toujours réfléchi avant d’utiliser le 49-3. »

    François Hollande s’est dit pour la suppression du 49-3, mais pas « dans notre régime tel qu’il est actuellement, je l’ai moi-même utilisé . Mais dans un régime présidentiel, il n’a plus sa place. »

    L’article 49-3, dispositif autoritaire ou aveu de faiblesse ?

    Le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ont fait prendre conscience de cette difficulté par Nicolas Sarkozy au point de ne pas en faire usage et même d’en limiter l’utilisation lors de la réforme constitutionnelle de 2008.

    S’il n’est pas un déni démocratique, l’utilisation de l’article 49-3 est devenue ce que Maxime Tandonnet désigne comme un aveu de faiblesse. Les frondeurs sous le gouvernement Valls, notamment à l’occasion de la loi travail en 2017, ou la multiplication des amendements sous le gouvernement Philippe lors de la réforme des retraites , ont amené les deux Premiers ministres à user de ce dispositif, malgré une majorité confortable.

    Une situation inédite sous la Vème République

    Nous l’avons mentionné plus haut, ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale. Mais c’est la première fois que ce cas de figure se présente depuis la réforme des institutions par Jacques Chirac et la reconfiguration du paysage politique après la première élection d’Emmanuel Macron en 2017.

    Le paysage politique sous Michel Rocard (qui a usé et abusé pour certains du 49-3) n’avait rien à voir avec la situation actuelle. En 1988, l’Assemblée nationale présente une composition bipartite (gauche et droite) avec des extrêmes faibles (le PCF est en fort recul et le FN stagne) et un centre qui joue son rôle de modérateur. Nous sortons de deux ans de cohabitation avec deux poids lourds de la politique à la tête de l’exécutif (François Mitterrand et Jacques Chirac). Michel Rocard n’avait que peu à craindre une motion de censure qui aurait entraîné la démission de son gouvernement.

    Revenons à aujourd’hui !

    Le gouvernement Borne ne dispose pas de réservoirs de voix à l’Assemblée nationale. Si l’utilisation du 49-3, même dans la situation actuelle, reste un aveu de faiblesse, une motion de censure pourrait avoir des conséquences désastreuses pour Emmanuel Macron.

    La menace de la dissolution, un aveu d’échec !

    Pour reprendre des termes de stratégie militaire, l’article 49-3 est une arme conventionnelle de la guerre entre le gouvernement et l’Assemblée nationale. La dissolution de celle-ci représente l’utilisation de l’arme stratégique nucléaire par le président de la République (toute proportion gardée). Pourquoi envisager ici la dissolution de l’Assemblée nationale dans le cadre du 49-3 ?

    Comme je l’ai expliqué plus haut la situation de 2022 est inédite.

    Que se passe-t-il si le gouvernement est censuré ? Le Premier ministre doit démissionner et avec lui le gouvernement. Le président de la République doit nommer un nouveau Premier ministre. Or, la situation reste bloquée. Il n’a pas d’autre choix que de dissoudre la chambre basse, d’où sa menace répétée récemment à l’encontre des députés : si vous coulez le gouvernement vous coulerez avec lui ! (il ne le dit pas en ces termes mais l’idée est là). Combien de députés sont-ils prêts à remettre leur mandat en jeu devant un électorat versatile ?

    Comme l’arme nucléaire, les retombées de la dissolution sont dangereuses pour tout le monde, locataire de l’Élysée inclus. Car si les élections législatives ne lui donnent pas une majorité absolue, Emmanuel Macron n’aura pas d’autre choix (au risque de bloquer complètement les institutions) que de démissionner.

    Et après… ?

    Alors, l’actuel président du Sénat, Gérard Larcher aurait à assurer l’intérim jusqu’à l’élection d’un nouveau président de la République (élection à laquelle ne pourrait participer Emmanuel Macron).

    Le nouveau chef de l’État devra alors désigner un Premier ministre qui aura la confiance de l’Assemblée nationale. Un point positif cependant : la remise dans l’ordre du calendrier électoral.

    La réforme Chirac de 2000 était une erreur car incomplète. Une réforme constitutionnelle de notre système parlementaire doit être entreprise :

    • inversion du calendrier électoral (réduire la durée du mandat des députés à 4 ans et augmentation du mandat du président de la République à 6 ans) ;
    • suppression du 49-3 (sauf pour la loi de finance) et du droit de dissolution de l’Assemblée nationale ;
    • scrutin de liste proportionnel ou uninominal majoritaire à un tour pour l’élection des députés ;
    • délimitation plus stricte du droit d’amendements, notamment du gouvernement.

    Article publié initialement le 11 octobre 2022 .