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      Chômage en France en 2020 : on n’a encore rien vu

      Nathalie MP Meyer · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 19 February, 2021 - 04:40 · 6 minutes

    chômage

    Par Nathalie MP Meyer.

    D’ici quelques années, un journaliste ou un historien curieux qui chercherait à se renseigner sur l’impact économique des confinements anti-Covid en consultant uniquement la liste des taux de chômage en France en 2020 pourrait facilement s’imaginer que ce fut tout au plus l’affaire d’une petite année un peu difficile avec retour à la normale dès les premiers jours de 2021.

    L’INSEE vient en effet de faire savoir qu’après être passé par des bas (7,1 % au second trimestre) et des hauts (9,1 % au troisième trimestre), le taux de chômage en France entière hors Mayotte s’est établi à 8,0 % en moyenne au quatrième trimestre 2020, soit légèrement en dessous de son niveau d’avant-crise sanitaire de 8,1 % à fin 2019 :

    Tout irait-il donc pour le mieux sur le front de l’emploi ? Pas exactement.

    À ce stade, quelques précisions. Le taux de chômage n’est pas la seule façon de rendre compte de l’emploi dans un pays donné. Ce taux est calculé relativement à la population active qui comprend aussi bien les personnes ayant un emploi que les personnes officiellement au chômage. Mais la population active ne représente qu’une partie de la population en âge de travailler (de 15 à 64 ans selon la définition du Bureau international du travail).

    C’est pourquoi, afin de voir si notre économie utilise judicieusement ses ressources de travail, il est également utile de suivre le taux d’activité qui donne la part de la population active par rapport à la population en âge de travailler et le taux d’emploi qui donne le ratio de la population ayant un emploi sur la population en âge de travailler.

    À noter entre parenthèses que pour la France, même sans parler de la pandémie de Covid, ces taux sont généralement assez médiocres au sein des pays de l’OCDE :

    Taux d’activité, OCDE 2019

    Taux d’emploi, OCDE 4T  2019

    Pour en revenir à la situation particulière de l’année 2020, les deux confinements anti-Covid du 17 mars au 11 mai (huit semaines) puis du 30 octobre au 15 décembre (six semaines) ainsi que les restrictions qui furent maintenues entretemps ont tellement perturbé l’activité économique et le comportement quotidien des personnes que les suivis trimestriels habituels des organismes dédiés aux statistiques de l’emploi peinent à rendre compte de la réalité du choc subi.

    Comme le souligne l’INSEE, la baisse du chômage observée aujourd’hui résulte surtout d’un effet « en trompe-l’œil » qu’on a déjà vu à l’œuvre au deuxième trimestre au moment du premier confinement : de nombreuses personnes ont arrêté de chercher un emploi (ou n’ont pas entrepris de recherche si elles venaient de se faire licencier), soit parce que leur secteur d’activité (transport, culturel, hébergement, restauration, etc.) était mis à l’arrêt, soit parce qu’elles devaient garder leurs enfants, soit parce que la limitation des déplacements ne leur permettait pas d’effectuer les démarches nécessaires.

    Non pas qu’elles ne souhaitent plus travailler, mais du fait des circonstances, elles ont basculé temporairement dans l’inactivité. On constate ainsi logiquement qu’entre fin 2019 et fin 2020, le taux d’activité a baissé de 71,8 % à 71,4 % de la population en âge de travailler et que le taux d’emploi a suivi le même chemin.

    N’apparaissant plus dans la population active, ces personnes n’apparaissent plus non plus dans le taux de chômage, d’où un agréable taux « en trompe-l’œil » de 8,0 % au quatrième trimestre 2020 correspondant à 2,353 millions de chômeurs 1 .

    Voir tableau ci-dessous :

    chômage Sources : INSEE ( Chiffres provisoires Population Chômage 4T 2019 Chômage 4T 2020 ) –
    Note : les données soulignées sont issues des publications de l’INSEE ; les autres données sont calculées à partir des précédentes.

    Seconde parenthèse : on voit dans le tableau que la population française augmente légèrement tandis que la population en âge de travailler diminue. Nulle contradiction à cela. La décomposition par tranche d’âge montre que la croissance se fait uniquement chez les 60 ans et plus, et surtout à partir de 65 ans, tandis que les effectifs des moins de 60 ans sont en baisse :

    chômage Il en résulte que la population active a diminué en 2020 non seulement sous l’effet de la baisse du taux d’activité induit par les confinements comme on l’a vu, mais également du fait du vieillissement de la population. Rien à voir avec la crise actuelle, mais je le signale en passant car c’est un problème que la France devra affronter. Fin de la parenthèse !

    Si les primes à l’embauche des jeunes et les mesures de chômage partiel prises dès le premier confinement ont permis d’amortir la crise, sans compter les prêts garantis par l’État qui aident les entreprises à tenir face aux restrictions sanitaires, l’INSEE constate que l’emploi d’aujourd’hui n’est pas d’aussi bonne qualité que celui d’il y a un an. Le nombre moyen d’heures travaillées par emploi a reculé de 2,2 % sur un an tandis que la part du sous-emploi a augmenté sous l’effet des mesures de chômage partiel.

    Avec la fin du confinement qui redonne une certaine latitude de recherche d’emploi aux personnes qui avaient basculé dans l’inactivité cet automne, il n’est pas du tout exclu qu’on assiste à un rebond du taux de chômage dès ce premier trimestre 2021 exactement comme ce fut le cas au troisième trimestre 2020 après le premier confinement.

    Le phénomène sera d’autant plus amplifié à moyen terme que le « quoi qu’il en coûte » qui porte actuellement des pans entiers de l’activité et de la société à bout de bras prendra forcément fin un jour. L’argent des autres, et en l’occurence celui des générations futures puisque tout passe – pour l’instant – par un surcroît d’endettement public, est certainement très pratique, mais il n’est pas inépuisable, comme le savait fort bien Margaret Thatcher.

    Dans cette incontournable perspective, la leçon de ce taux de chômage revenu ponctuellement à 8 % – ce qui reste de toute façon très haut par rapport à nos voisins néerlandais ou allemands – n’est certainement pas que la France a surmonté brillamment les écueils économiques et sociaux des confinements anti-Covid, mais bien plutôt qu’en fait de crise économique, de faillites et de plans de licenciements, on n’a encore rien vu.

    Sur le web

    1. Il existe un autre suivi du chômage, celui de la DARES, qui compte le nombre d’inscrits à Pôle Emploi. Au quatrième trimestre 2020, il recense 3,8 millions de demandeurs d’emploi en catégorie A (sans emploi) en France entière hors Mayotte. Pour le décryptage des différences avec l’INSEE, voir Chômage : bazar bizarre (mars 2016).
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      Pour une politique de « hauts de bilan » solides

      Patrick Renault · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 23 May, 2020 - 03:20 · 4 minutes

    hauts de bilan

    Par Patrick Renault .

    La crise sanitaire que nous traversons sera bientôt une crise économique sans précèdent par temps de paix. Elle laissera durablement des traces dans les familles, dans des secteurs entiers de l’économie mais aussi dans certains métiers surexposés qui auront été les soldats de cette guerre sanitaire.

    Une chose est certaine : le monde économique ne sortira pas indemne de cette crise brutale et violente à laquelle personne n’était préparé. Et quoi qu’en disent certains, nous étions et nous sommes tous débutants face à une telle situation inédite dont les impacts restent encore peu connus à moyen et long terme, tant au niveau économique que sociétal.

    Mais nous pouvons déjà en tirer certaines conclusions relatives au monde de l’entreprise et constater que nos entreprises pour la plupart sont dans l’incapacité de faire face à une perte d’activité de plus 30 jours, soit 8 %…

    L’une des raisons de cette incapacité, est la faiblesse de leurs « hauts de bilan », qu’elles soient petites ou grandes, puisque l’État sera intervenu quelle que soit leur taille pour apporter sa garantie lors du déblocage de prêts (PGE) en soutien de leur fonds de roulement et donc leur permettre de survivre.

    Des entreprises fragilisées

    Mais à pointer du doigt la défaisance du « haut de bilan », revient à remettre en cause un certain nombre de rouages du monde de l’entreprise.

    — Son financement lors de l’amorçage ou lors de son développement : jamais je n’ai vu une seule banque demander à un dirigeant de modifier ses statuts avant un financement pour y intégrer statutairement la constitution de fonds propres de sécurité prenant en compte les risques et besoins de l’activité financée parfaitement connus et identifiés par le monde de la banque.

    Pourtant cette sécurité serait bien plus pertinente pour un banquier financeur que de demander la caution personnelle du dirigeant que celui-ci signe tout en sachant qu’il sera dans l’incapacité de rembourser la dette en cas de défaillance de son business.

    — La solidification de la structure bilancielle d’une entreprise : elle n’est possible qu’après avoir payé l’impôt sur les résultats de la société et éventuellement distribué des dividendes. Je n’entre pas dans la polémique de la distribution des dividendes, sachant que s’ils étaient considérés comme la juste rétribution d’un risque assumé par un financeur, la vision du grand public serait peut-être différente.

    Toujours est-il qu’avec ou sans dividendes il apparait que l’incitation à la solidification de l’entreprise n’existe pas, alors qu’il est bien entendu évident qu’un haut de bilan solide renforce la valeur de l’entreprise lors d’une cession mais que surtout cela lui permettrait, tout en préservant sa valeur, de faire face plus facilement à des crises comme celle que nous traversons , sans en ressortir criblée de dettes, ce qui en condamneront un grand nombre à terme, une fois que le filet étatique sera retiré.

    Ce volet aurait pu et aurait dû être inscrit dans l’agenda de la Loi Pacte, car l’incitation à une gestion prudentielle à long terme ne peut qu’être plébiscitée par l’ensemble des acteurs économiques de notre pays : banques, État, investisseurs et bien entendu l’ensemble des salariés… car in fine bien moins coûteuse pour la collectivité puisque que solidifiante.

    Alors, comment inciter l’entrepreneur à ce renforcement du « haut de bilan » ? l’investisseur de ne pas réclamer des dividendes trop tôt ? à repousser les fonds vautours à l’affut d’une croissance feu de paille sans lendemain pour l’entreprise ?… et surtout permettre au chef d’entreprise d’avoir du temps long pour redéfinir une stratégie, un axe de développement ou une réorientation de son activité ?

    L’incitation fiscale au secours

    Comme souvent dans notre pays où l’État-providence est omniprésent, il faudra en passer par l’incitation fiscale. Il parait donc urgent qu’un groupe de réflexion puisse être lancé sur une réforme statutaire ayant pour objectif le renforcement des fonds propres des entreprises qui serait soutenu par une réforme proposant une fiscalité avantageuse de tout ou partie des résultats de l’entreprise affectés en capital ou réserves à long terme incitant ainsi chaque chef d’entreprise à se discipliner, soit par obligation statutaire, soit par anticipation prudentielle.

    Si cette mesure peut paraitre coûteuse de prime abord pour les finances publiques à court terme, elle sera sur le long terme un formidable amortisseur aux changements mais aussi aux à-coups conjoncturels, permettant un pilotage plus serein mais aussi et surtout une meilleure agilité pour nos entreprises donc nos emplois et les finances publiques.

    Au moment où il est question de la dette laissée à nos enfants, sachons dès à présent construire aujourd’hui un tissu économique structuré et solide fort de nos expériences pour leur léguer une économie en capacité de faire face à l’avenir.