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      Le blanc-seing des grandes puissances à l’Azerbaïdjan

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Tuesday, 9 January - 17:12 · 11 minutes

    Le conflit ukrainien aura-t-il raison du Haut-Karabagh, cette enclave arménophone en Azerbaïdjan qui réclame l’indépendance ? Depuis quelques mois, les visées expansionnistes du chef d’État azéri Ilham Aliev sont arrivées à leur terme. Le Haut-Karabagh est occupé, et ses habitants sont privés du corridor qui les reliaient à l’Arménie. Avec le soutien implicite de l’Union européenne et des États-Unis, mais aussi – fait nouveau – de la Russie. Le gouvernement arménien avait en effet tenté de se rapprocher du bloc occidental ces derniers mois ; sans succès, mais suffisamment pour s’aliéner les bonnes grâces de la Russie. Quant à Emmanuel Macron, qui critique régulièrement le chef d’État azéri, il a décrété suite à l’annexion du Haut-Karabagh que « l’heure n’était pas aux sanctions »…

    Pour comprendre le Haut-Karabagh, cette enclave arménophone en Azerbaïdjan, il faut remonter à l’année 1923. Et à la volonté du pouvoir soviétique, représenté par Joseph Staline, d’anéantir l’autonomie décisionnelle des autorités d’Azerbaïdjan et d’Arménie. Pour ce faire, de nouvelles frontières ont été tracées, faisant volontairement fi des facteurs ethniques et linguistiques. Le pouvoir soviétique a parié sur une dilution des sentiments nationalistes, afin de forcer l’identification à l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS).

    Les enclaves léguées par le pouvoir soviétique suite aux réformes territoriales de 1923. Le Haut-Karabagh, majoritairement arménophone (à 56.5%) est laissé à l’Azerbaïdjan, tandis que le Syunik, majoritairement peuplé d’Azéris (à 51,6%) est maintenu au sein de l’Arménie. Le Nakhitchevan, peuplé à 70,5% d’Azéris contre 27,5% d’Arméniens, est confié à l’Azerbaïdjan mais séparé de la plus grande partie de son territoire. © Marie Pérez pour LVSL

    C’est ainsi que le Haut-Karabagh, peuplé à plus de 90 % d’Arméniens, est intégré comme oblast au sein de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. Si celle-ci se voit confier la région majoritairement azérie du Nakhitchevan, conformément à ses voeux, on lui refuse celle du Syunik, à l’Est, pourtant azérie elle aussi . Le Nakhitchevan se retrouve ainsi enclavé en Arménie, tout comme le Haut-Karabagh en Azerbaïdjan. C’est en vertu de la même logique que l’Ossétie est scindée en une entité russe et une autre géorgienne.

    Implosion de l’URSS et réveil nationaliste

    Auparavant, Arméniens et Azéris s’étaient proclamés indépendants en 1918, et de nombreux États les avaient reconnus comme tels, malgré les conflits qui demeuraient quant à leurs frontières. Pendant les années qui ont précédé l’invasion de l’Armée rouge dans le Caucase, les Arméniens et Azéris s’étaient livrés à de violents combats dans Haut-Karabagh.

    Le mastodonte gazier SOCAR, qui accueille des capitaux du monde entier, permet le réveil militaire de l’Azerbaïdjan. Celle-ci peut rapidement écouler ses hydrocarbures vers les pays riches

    Les Arméniens, déjà victime du génocide auquel participèrent de nombreux Azéris, eurent à essuyer de nouveaux massacres, notamment dans le Karabagh (jusqu’à 20,000 civils assassinés à Chouchi en 1920). À Bakou, c’est sous l’autorité des communistes russes et avec la participation active de la Fédération révolutionnaire arménienne que des milliers de musulmans sont massacrés pour endiguer les aspirations à l’autodétermination de 1918.

    Avec la chute de l’URSS, les sentiments nationalistes, que les autorités soviétiques avaient tenté d’éteindre, se réveillent. Rapidement, des pogroms arménophobes sont perpétrés dans les faubourgs de Bakou ; en réaction, les Arméniens de l’ oblast du Haut-Karabagh décident de s’auto-proclamer indépendant par le biais d’un referendum. Le pouvoir azéri envoie l’armée ; les craintes d’un nettoyage ethnique se propagent.

    Mais la supériorité militaire du Haut-Karabagh, soutenu par l’Arménie, a raison des armées azéries. Une fois cette victoire remportée, les troupes arméniennes se lancent à leur tour dans une guerre d’annexion à l’égard des districts azéris qui entourent le Haut-Karabagh. Sur les routes de l’exil, des centaines de milliers de civils azéris viennent alors rejoindre le cortège de réfugiés arméniens qui avaient dû fuir l’Azerbaïdjan… Le pouvoir de Bakou est contraint à la signature d’un accord de cessez-le-feu.

    Le chef d’État azéri Heydar Aliev, connu pour son incitation aux pogroms arménophobes durant la période soviétique, n’était pourtant pas homme à se laisser défaire. Les années suivantes, il met en place une politique économique visant à créer les conditions de la reprise en main de l’ensemble des territoires convoités. Le mastodonte gazier SOCAR, dirigé par son fils Ilham Aliev, accueille des capitaux du monde entier. Prospère, l’industrie est rapidement capable d’exporter des hydrocarbures vers les pays riches – tout en laissant une grande partie de la population locale dans le marasme économique.

    À l’assaut du Haut-Karabagh

    Cette politique énergétique permet au pays de connaître un réarmement fulgurant. Les dépenses militaires du pays explosent, et des armes notamment israéliennes et turques fournissent à l’armée azérie une technologie de pointe.

    C’est ainsi que l’on comprend les succès militaires fulgurants de l’Azerbaïdjan lors de la période récente. Lorsque la guerre commence au Haut-Karabagh en septembre 2020, il n’a fallu que quelques semaines à Bakou pour sceller le sort des Arméniens.

    Le conflit ukrainien allait générer un rapprochement mécanique du camp occidental avec l’Azerbaïdjan, tandis que les sanctions contre le gaz russe allaient encore isoler l’Arménie

    L’accord signé le 10 novembre entraîne le retrait de l’armée arménienne. Il permet le maintien d’une certaine continuité territoriale entre le territoire du Haut-Karabagh et l’Arménie grâce au corridor de Latchine (qui traverse l’Azerbaïdjan sur près de 65 kilomètres jusqu’en Arménie), surveillé par des forces russes.

    L’invasion de l’Ukraine par la Russie devait fragiliser ce statu quo, et affaiblit par ricochet la situation des Arméniens du Haut-Karabagh. L’aide massive apportée par les Occidentaux à l’Ukraine n’est pas sans conséquence sur la géopolitique locale : celle-ci est une allié de l’Azerbaïdjan, membre comme lui du GUAM (Organisation pour la démocratie et le développement, le sigle renvoyant à ses États-membres). Ses quatre membres, la Géorgie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Moldavie ont pour point commun d’avoir perdu le contrôle de leur territoire suite à des mouvements séparatistes hérités de l’époque soviétique ; de regarder avec méfiance les visées régionales russes ; et de vouloir se rapprocher des institutions occidentales, Union européenne et OTAN en tête.

    Outre ce rapprochement mécanique du camp occidental avec l’Azerbaïdjan, les sanctions à l’égard du gaz russe allaient encore isoler l’Arménie. Un accord énergétique est conclus entre Ilham Aliev et la Commission européenne, dirigée par Ursula Von der Leyen, dès août 2022. Ironiquement, de nombreux observateurs constataient alors que l’Azerbaïdjan n’avait pas la capacité d’honorer le montant de ses commandes, et devrait se tourner vers… Gazprom. Ce tour de passe-passe permettait à la Russie d’exporter son gaz vers l’Union européenne, permettant au passage à SOCAR, en situation d’intermédiaire, d’empocher une confortable commission.

    Ayant lié la stabilité énergétique de l’Union européenne à l’Azerbaïdjan, Bakou n’avait plus qu’à préparer l’assaut final sur le Haut-Karabagh. Et à multiplier les opérations de lobbying à l’international et les déclarations emphatiques à la presse étrangère déclarant vouloir la paix avec Erevan. En Azerbaïdjan même, l’atmosphère était toute autre.

    La victoire militaire sur l’Arménie n’avait aucunement apaisé le climat arménophobe qui prédominait. Les appels publics à la haine continuaient de s’épanouir : « j’avais dit que l’on chasserait les Arméniens de nos terres comme des chiens », avait ainsi déclaré Ilham Aliev. Un temps, la capitale azérie contenait un « musée de la victoire » dans lequel des statuettes d’Arméniens vaincus étaient représentés avec des visages déformés, en fonction de stéréotypes qui évoquaient de manière troublante un tout autre imaginaire.

    Moscou, en violation de ses engagements, a entériné l’invasion du Haut-Karabagh par Bakou. Espérait-elle fragiliser ainsi le pouvoir arménien, qui manifestait sa volonté de se libérer de l’orbite russe ?

    Radicalisation de Bakou, trahison de Moscou

    De toutes les déclarations, ce sont sans doute les appels au retour des Azéris dans le Sud de l’Arménie qu’il faut retenir. Il semble de plus en plus évident que l’armée azerbaïdjanaise ne s’arrêtera pas à la frontière, mais que Bakou poussera tôt ou tard l’aventure militaire jusque dans les frontières actuelles de l’Arménie. En agissant de la sorte, l’État azéri pourrait établir la continuité territoriale entre la République autonome du Nakhichevan et l’actuelle Azerbaïdjan. Une telle configuration ouvrirait la voie à de nouvelles routes énergétiques vers l’Europe, et faciliterait le projet turc d’expansion vers l’Asie.

    En décembre 2022, l’assaut était lancé. Organisant une opération sous faux drapeaux, Bakou avait mobilisé de supposés manifestants écologistes (prétextant le non-respect de normes azéries dans une mine du Haut-Karabagh) pour bloquer le corridor de Latchine. En quelques jours, les pions du chef d’État azéri sont démasqués par de nombreux internautes … mais il n’en faut pas davantage pour remplacer les faux militants par de vrais soldats azéris.

    Dès lors, ceux-ci décident de fermer progressivement la seule route qui liait encore l’Arménie au monde extérieur. En violation ouverte de l’article 6 de l’accord signé avec l’Arménie , qui dispose que « La république d’Azerbaïdjan garantit la sécurité de la circulation des citoyens, des véhicules et des marchandises dans les deux sens le long du couloir de Latchine ».

    Peu à peu, de jour en jour, le destin déjà fragile de cette population se couvre de brume. Sans nourriture, sans médicaments, subissant de nombreuses coupures de gaz et électricité, Bakou lance son opération finale quelques jours après les échanges musclés entre Erevan et Moscou à la suite d’exercices militaires entre l’Arménie et les États-Unis. À l’évidence, la Russie, en violation de ses engagements, a approuvé l’opération actuelle. Espérait-elle fragiliser ainsi le pouvoir arménien, qui manifestait sa volonté de se libérer de l’orbite russe et de se rapprocher de l’Union européenne et des États-Unis ?

    L’avantage militaire et stratégique de l’Azerbaïdjan est conséquent. Il peut notamment compter sur le soutien de la Turquie. Toute incursion azérie dans le territoire actuel de l’Arménie provoquerait cependant immanquablement l’entrée en guerre de l’Iran, qui a annoncé qu’il n’acceptera aucun changement de frontières dans la région susceptible de provoquer la fermeture des routes terrestres entre la Russie et l’Iran. La Russie elle-même serait alors incitée à soutenir l’axe Erevan-Téhéran contre l’alliance Bakou-Ankara ; mais sa focalisation sur le front ukrainien limiterait sa capacité d’action.

    Les Arméniens se retrouvent, une nouvelle fois, dans une situation d’extrême fragilité. Encerclés par des régimes hostiles, alliée indocile d’une Russie qui se révèle erratique, les Arméniens ne peuvent compter sur aucun soutien occidental. L’appui de facto de l’Union européenne et de l’OTAN à Bakou s’est révélé constant.

    La création de l’enclave arménienne en Azerbaïdjan en 1923 découle d’une décision soviétique visant à affaiblir le pouvoir central de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. L’offensive lancée le 19 septembre par Bakou a entraîné le départ des derniers Arméniens sous le regard des forces russes. L’incapacité de la République d’Arménie à défendre sa population s’explique par divers facteurs, dont le soutien de l’Union européenne et des États-Unis à la GUAM (Organisation pour la démocratie et le développement), dont font partie l’Azerbaïdjan et l’Ukraine.

    À plusieurs reprises, Emmanuel Macron s’était démarqué de ses homologues en critiquant les menées annexionniste d’Ilham Aliev . Dernièrement, il a pourtant entériné l’invasion du Haut-Karabagh . « L’heure n’est pas aux sanctions » contre l’Azerbaïdjan, a-t-il décrété, alors que celles qui frappent la Russie sont toujours actives. Il a ainsi rejoint la position, plus consensuelle, de la majorité des membres de l’Union européenne et des États-Unis. Et rallié l’indignation borgne de la diplomatie occidentale, qui risque de creuser plus encore le gouffre entre l’OTAN et le reste du monde sur la question palestinienne ….

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      Haut-Karabakh : l’Azerbaïdjan attaque de nouveau avec des drones (vidéo)

      news.movim.eu / Numerama · Tuesday, 19 September, 2023 - 15:53

    L'Azerbaïdjan a relancé les hostilités dans la région du Haut-Karabagh, un territoire disputé avec l'Arménie. L'offensive des forces militaires azéries est appuyée par des drones de combat, comme en 2020, lors des précédents affrontements. [Lire la suite]

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      Haut-Karabagh : l’Azerbaïdjan attaque de nouveau avec des drones (vidéo)

      news.movim.eu / Numerama · Tuesday, 19 September, 2023 - 14:29

    L'Azerbaïdjan a relancé les hostilités dans la région du Haut-Karabagh, un territoire disputé avec l'Arménie. L'offensive des forces militaires azéries est appuyée par des drones de combat, comme en 2020, lors des précédents affrontements. [Lire la suite]

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      Haut-Karabagh : cessez-le-feu sur une ligne de faille géopolitique

      The Conversation · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 14 November, 2020 - 04:35 · 11 minutes

    Haut-Karabagh

    Par Taline Ter Minassian 1
    Un article de The Conversation

    9 novembre 2020. Le message est tombé à 23 h 57 heure de Paris. De la part du frantsouski narkozist , un anesthésiste réanimateur français d’origine arménienne, engagé volontaire depuis plusieurs semaines dans l’hôpital civil de la capitale de la république du Haut-Karabagh.

    À Stepanakert, trois jours auparavant, l’équipe médicale et les blessés encore sur les tables d’opération ont été évacués dans une panique indescriptible vers le nord. Est-ce la débâcle annoncée ?

    L’ennemi arrive par le sud aux portes de Stepanakert et assiège la citadelle de Chouchi, verrou stratégique et haut-lieu culturel arménien. De Martakert au nord où elle s’est réfugiée dans une fermette à moitié défoncée et où un coq chante sur son tas de bois, dans un décor digne d’E. P. Jacobs – mélange de bâtisses ruinées et d’équipements futuristes –, l’équipe est ensuite revenue sur ses pas vers Khodjalu, se rapprochant du théâtre des opérations pour récupérer des blessés et avec l’espoir, peut-être, de retourner à Stepanakert. Si toutefois, Stepanakert n’est pas déjà aux mains de l’ennemi.

    « Donne-moi des détails en urgence. On est quasiment en première ligne et l’incertitude est plus insupportable que le canon. » Tel Fabrice Del Dongo, l’anti-héros de La Chartreuse de Parme à Waterloo, mon correspondant est confronté à la question du point de vue dans la guerre. Et plus particulièrement à la question du point de vue du terrain dans la défaite militaire.

    À fourrager dans les corps de jeunes conscrits odieusement déchiquetés par les armes à sous-munitions, à voir les tubages des missiles à moitié plantés dans le sol, à s’endormir au son régulier et reconnaissable des canons amis, ou bien ennemis, l’acteur de terrain est atteint de presbytie.

    Mon correspondant aperçoit la citadelle au loin dans les montagnes, Chouchi, dont nul ne sait depuis 48 heures si elle est aux mains des Arméniens ou des Azéris. Mon correspondant ne sait qu’une chose : à minuit heure locale, une fusée rouge a été tirée et le bruit du canon a cessé.

    Ilham Aliev l’avait promis pour le Jour du Drapeau de l’Azerbaïdjan : le 9 novembre. Chouchi (Choucha) tombera, au terme d’affrontements acharnés qui s’achèvent en combats de rue.

    Le discours d’un Premier ministre vaincu

    Un cessez-le-feu vient d’être signé. Il consacre la victoire militaire de l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie , membre de l’OTAN, qui a pourvu son petit allié caucasien en stratégies militaires, en matériel (et notamment en drones , l’atout indispensable dans ce « conflit post-moderne de cinquième génération »), et en supplétifs djihadistes acheminés par voie aérienne de la région d’Idlib (Syrie).

    Au soir du 9 novembre, au terme de presque six semaines d’un conflit très asymétrique , Nikol Pachinian, Premier ministre toujours en exercice malgré des rumeurs de démission qui se répandent depuis l’avant-veille, s’adresse à la nation. Une adresse en forme de soliloque sur Facebook, à faible teneur « communicante ».

    Comment expliquer au peuple qu’on a signé la défaite, alors qu’on lui répète depuis des semaines « Haghtelou Enk » (nous devons gagner), et qu’on enterre les morts à la file au cimetière des Héros de Yerablour (Erevan) ?

    À quoi aura servi le sacrifice de la jeunesse arménienne, celle-là même qui deux ans plus tôt a porté Nikol Pachinian au pouvoir lors de la « révolution de velours » (mars-mai 2018) en une vague irrésistible ?

    Du fond de ses montagnes au milieu de la nuit étoilée, mon correspondant a vu une fusée rouge s’élever dans le ciel. Puis le silence.

    « Mes chers compatriotes, sœurs et frères, j’ai pris pour moi et pour nous tous, une décision lourde, incroyablement douloureuse. Je viens de signer avec les présidents de la Russie et de l’Azerbaïdjan une déclaration mettant fin à la guerre du Karabagh à partir d’une heure ce matin. Le texte officiel de la déclaration est déjà publié. Je ne peux pas dire à quel point son contenu est douloureux, pour moi et pour notre peuple.

    J’ai pris cette décision à la suite d’une analyse approfondie de la situation militaire et avec des experts qui connaissent au mieux la situation. En ayant la conviction que c’est la meilleure solution possible dans le contexte actuel. Je donnerai des détails sur tout cela dans les prochains jours.

    Ce n’est pas une victoire, mais il n’y a pas de défaite tant que vous ne vous reconnaissez pas comme perdants. Nous ne nous reconnaîtrons jamais comme des perdants et cela devrait être le début de notre ère d’unité nationale et de renaissance.

    Nous devons analyser les années de notre indépendance pour projeter notre avenir et ne pas répéter les erreurs du passé.

    Devant tous nos martyrs, je me mets à genoux. Je m’incline devant tous nos soldats, officiers, généraux, volontaires qui ont défendu et défendent la patrie en sacrifiant leur vie. Ils ont sauvé de manière désintéressée les Arméniens de l’Artsakh.

    Nous nous sommes battus jusqu’au bout. Et nous gagnerons. L’Artsakh est debout.

    Vive l’Arménie ! Vive l’Artsakh ! »

    La guerre de l’information

    Cette guerre, on l’a suivie au rythme des communiqués officiels et quotidiens du ministère de la Défense qui, de « replis tactiques » de vallées en vallées, nous ont fait explorer la carte de la vallée de l’Araxe, où s’est engouffrée l’armée azérie, puis nous a fait remonter vers le nord, jusqu’à la vallée du Vorotan.

    Les Azéris ne sont pas des combattants des montagnes, dit-on, mais qu’importe : la Turquie a mis à la disposition de son allié des commandos spéciaux surentraînés , les mêmes qui sont venus à bout de la guérilla kurde en Anatolie orientale.

    On l’aura vécue au rythme des articles des correspondants de guerre infiltrés dans la nasse, au péril de leur vie – deux journalistes du Monde ont été grièvement blessés à Martouni – et d’éditoriaux à teneur performative.

    Au rythme, aussi, des rumeurs et des fake news de la guerre de l’information. Suivie massivement en Arménie, la chaîne YouTube de WarGonzo restitue la guerre en direct : fort de son expérience dans le Donbass, Semyon Pegov est embarqué avec son équipe de cameramen aux côtés de l’Armée d’auto-défense de l’Artsakh.

    Sous le signe de la « vérité extrême », du regard subjectif et de l’« humanisme militaire »… il restitue ce fameux point de vue de terrain et laisse espérer, côté arménien, la possibilité d’une guerre hybride à laquelle la Russie apporterait si ce n’est un soutien militaire, du moins un consentement tacite. Mais rien de tel ne se produit.

    Le pragmatisme russe vis-à-vis de la Turquie

    Que fera la Russie ? Que fera Poutine ? La question est dans tous les esprits.

    Dans la « nouvelle société arménienne » démocratique et ouverte de Nikol Pachinian, au vocabulaire emprunté au répertoire occidental, l’anti-russisme était devenu de bon ton. Le Kremlin est irrité par ce Premier ministre qui entend conserver son amitié ancienne avec la Russie tout en ayant les yeux de Chimène pour l’Occident.

    C’est pourtant lui qui appelle Poutine au secours, à trois reprises, au début du conflit. Mais la Russie, certes alliée de l’Arménie dans le cadre du traité OTSC , n’entend pas quitter sa position d’arbitre dans un conflit du Haut-Karabagh qui ne se déroule pas sur le territoire de l’Arménie proprement dite.

    Posée en arbitre entre deux républiques anciennement soviétiques (ce sont « nos gens », « nachi lioudi » , comme l’a dit Vladimir Poutine lors du forum de Valdaï le 22 octobre dernier ) dont l’une – l’Azerbaïdjan – possède d’indiscutables atouts dans le domaine des hydrocarbures, la Russie doit également se conduire de manière pragmatique à l’égard de la Turquie, dont les ambitions néo-ottomanistes doivent être comprises et maitrisées, tant sur le flanc sud du Caucase qu’en Syrie.

    Car l’autre nouveauté de cette nouvelle guerre du Haut-Karabagh est son interaction directe avec le théâtre de la guerre syrienne. L’envoi par les Turcs de mercenaires djihadistes syriens sur le front du Haut-Karabagh obéit à cette configuration qui rappelle terriblement les porosités qui existaient entre l’Empire russe et l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale.

    Un choc frontal des deux Empires , qui ouvre la voie, en 1918, dans le sillage de l’Armée de l’Islam de Nouri Pacha marchant sur Bakou, à de nouveaux massacres, mais qui crée la vacuité nécessaire à l’indépendance miraculeuse de la Géorgie, de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan (1918-1920).

    À un siècle de distance, la ligne de faille géopolitique du Caucase du Sud, pris en étau entre Russes et Turcs, dicte de nouveau l’histoire.

    Les termes de la défaite arménienne et du cessez-le-feu du 10 novembre 2020, probablement discutés point par point par Poutine et Erdogan lors d’une conversation téléphonique, répondent donc à la nécessité de ramener la résolution de ce conflit dans le giron des puissances régionales limitrophes, ce que certains commentateurs, notamment lors d’une récente table ronde organisée à l’Inalco , ont décrit comme une tentative d’« astanisation » du règlement du conflit.

    Tout comme Moscou a imposé le « format Astana » (Russie, Turquie, Iran, Kazakhstan) contre le « format Genève » sur le dossier syrien, le Kremlin impose, au Karabagh, un nouveau format de négociation évinçant l’Occident et associant sans doute, à terme, la Turquie et l’Iran – lequel a d’ailleurs déplacé des troupes à sa frontière septentrionale .

    Une manière de rappeler ses intérêts au cas fort probable où le règlement diplomatique, encore à venir, inclurait la mise en place de nouvelles infrastructures, le long de la vallée de l’Araxe.

    Haut-Karabagh : et maintenant ?

    Pour l’heure, l’accord de cessez-le-feu du 10 novembre signé par l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Russie prévoit la restitution à l’Azerbaïdjan des districts occupés jusqu’ici par l’Arménie au titre du « périmètre de sécurité » : le district d’Agdam doit être restitué avant le 20 novembre 2020, celui de Kelbadjar avant le 15 novembre et celui de Latchine avant le 1 er décembre.

    Les articles 3 et 4 prévoient, en même temps que le retrait des troupes arméniennes, le déploiement pour une durée de cinq ans de forces de maintien de la paix sous l’égide de la Fédération de Russie, le long de la ligne de contact du Haut-Karabagh et le long du corridor de Latchine.

    L’article 6 prévoit que ce corridor stratégique, qui relie le territoire du Haut-Karabagh à celui de l’Arménie, sera établi sur une bande de 5 kilomètres de large et sécurisé par les forces russes de maintien de la paix.

    Toutefois, il ne desservira pas Chouchi (Choucha), la deuxième ville du Karabagh après la capitale Stepanakert, et l’article 6 prévoit à cet égard la construction d’une nouvelle route dans le corridor de Latchine sous la protection de la Russie.

    Outre les dispositions humanitaires (retour des réfugiés, échange des prisonniers de guerre), l’article 9 est le plus important. Il prévoit en effet le déblocage des moyens de communication et de transport de la région, entre la partie ouest de l’Azerbaïdjan et l’exclave du Nakhitchevan « afin d’établir le mouvement non entravé des personnes, des véhicules et du fret dans les deux directions » – et cela sous la surveillance des garde-frontières de la Fédération de Russie.

    La construction de nouvelles infrastructures reliant l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan est expressément mentionnée dans les termes de cet accord « corridor contre corridor ».

    Si l’Arménie défaite doit panser ses plaies, elle doit également affronter la cartographie irrévocable de cet accord et trouver un dirigeant apte à négocier dans ce contexte contraignant, l’unification à son propre territoire d’un Haut-Karabagh ramené, dans le meilleur des cas, à l’Oblast autonome de 1988. C’est à cette condition que la jeunesse du pays n’aura pas été sacrifiée en vain.

    Sur le web The Conversation

    1. Historienne, professeure des universités. Directrice de l’Observatoire des États post-soviétiques (équipe CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).