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      Le retour de l’austérité fera-t-il éclater les contradictions du « modèle allemand » ?

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Thursday, 18 January - 21:10 · 8 minutes

    Le 15 Novembre 2023, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a plongé le gouvernement allemand dans une nouvelle crise. Elle a contesté la légalité de l’utilisation de 60 milliards d’euros appartenant à un fonds créé lors de la crise du Covid-19, eu égard à la limite d’endettement fixée à 0,35 % du PIB par la Loi fondamentale allemande depuis 2009. Saisie par le parti chrétien démocrate d’opposition (CDU/CSU), la Cour a statué que cette somme ne pouvait échapper aux règles budgétaires. Une décision lourde de conséquences pour l’Allemagne, contrainte à un tour de vis austéritaire alors que son excédent commercial chute et que le nombre de pauvres atteint des records. En toile de fond, ce sont les contradictions du modèle allemand – qui recourait à des subventions aux exportations – qui s’accroissent. Le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AFD) apparaît comme le grand gagnant de cette séquence.

    Si le gouvernement actuel, composé du Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD), des « Verts » allemands (Die Grünen) et du Parti libéral-démocrate (FDP, droite libérale), est appelé à revoir son budget fédéral, ce sont également tous les responsables des régions où figurent tous les partis politiques – hormis l’AFD – qui vont devoir réécrire leur copie. Ce ne sont pas moins de vingt-neuf fonds fédéraux qui représentent 869 milliards d’euros qui ont été utilisés, et qui ont permis à l’Allemagne de maintenir son économie à flots. En 2023, l’utilisation de ces fonds représente 28% du budget ; ainsi, si on les intègre à la dette fédérale, celle-ci passe subitement de 40,5 à 78,5 milliards d’euros pour cette année… Autant dire que si l’Allemagne a pu afficher un taux d’endettement si faible, c’est au prix d’un maquillage comptable.

    Derrière la « première économie d’Europe », une crise en gestation ? Longtemps, l’hégémonie allemande sur le continent a reposé sur deux piliers : un excédent commercial permis par le marché commun et une énergie à bas prix, qu’autorisaient notamment les importations de gaz russe. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce second pilier a été brutalement renversé.

    L’hégémonie allemande menacée ?

    Le surplus commercial allemand est quant à lui le produit d’une longue histoire politique et institutionnelle. C’est à la fin du XIXe siècle que l’Allemagne développe son industrie lourde, grâce au protectionnisme et au volontarisme bismarckien. Les avantages comparatifs ainsi acquis, l’Allemagne devait les garder pour les décennies à venir. Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne conserve ce statut de puissance exportatrice – notamment dans le domaine chimique, automobile et logistique. La réunification (1990) et l’adhésion à la monnaie unique (2002), qui interdit aux pays concurrents de dévaluer – et de se protéger ainsi des exportations allemandes -, ne font que renforcer la domination allemande sur le continent.

    Ce cadre institutionnel induit une contrepartie douloureuse pour ses salariés. Libre-échange et concurrence internationale obligent, l’Allemagne est conduite à une politique de compression salariale et de dérégulation du droit du travail. De même, elle se tient longtemps à une restriction budgétaire qui lui permet de respecter les critères de Maastricht. Dans la Loi fondamentale allemande, amendée par un vote de 2009, ce n’est pas la règle des 3% qui prévaut mais celle des… 0,35 %. En d’autres termes, le déficit budgétaire primaire annuel du pays ne doit pas dépasser l’équivalent de 0,35% de son PIB. Pour l’année 2022, cela représenterait un montant maximal de 13,5 milliards d’euros…

    La situation allemande n’était guère reluisante avant même l’arrêt de la Cour de Karlsruhe. Que l’AFD arrive en première position dans toutes les circonscriptions de l’ancienne RDA ne doit rien au hasard.

    Le « modèle allemand » connaît ainsi un premier choc avec la crise de 2008. Devant les risques de faillites en chaîne des entreprises, les restrictions budgétaires semblent de moins en moins tenables. L’article 115 de la Loi fondamentale est alors activé : il permet l’utilisation de « fonds spéciaux ». Le Sonderfonds Finanmarktstabilisierung – fonds spécial de stabilisation des marchés financiers – met ainsi à disposition, de 2008 à 2010, une somme de 400 milliards d’euro afin de sauver le système bancaire européen et l’économie allemande, permettant aux exportations de repartir à la hausse. L’article stipule qu’en cas « de catastrophe naturelle ou de situation d’urgence exceptionnelle qui échappent au contrôle de l’État et compromettent considérablement les finances publiques, ces limites supérieures de l’emprunt peuvent être dépassées sur décision de la majorité des membres du Bundestag ».

    Cependant, dès 2016, la règle dite de « frein à l’endettement » est respectée, entraînant un sous-investissement chronique dans de nombreux domaines ; sanitaire, scolaire, militaire… Les conséquences sociales ne se font pas attendre. En 2021, ce sont 13,8 millions d’Allemands qui vivent dans la pauvreté. Un triste record depuis la réunification, que les excédents considérables de l’Allemagne ne l’ont pas empêchée d’atteindre.

    Austérité, subvention aux exportations et allégeance à l’OTAN : les contradictions du modèle allemand

    La pandémie n’épargne pas davantage l’Allemagne que les autres : manque de masques, de personnel hospitalier, de médicaments, etc. La dépendance à l’égard de la Chine la met dans une position inconfortable, tandis que la Chine elle-même s’émancipe peu à peu de l’industrie allemande grâce à la montée en gamme de son secteur industriel. Pour répondre à cette situation, l’article 115 est de nouveau utilisé. Olaf Scholz, ministre social-démocrate des Finances sous le dernier mandat d’Angela Merkel, met à disposition du budget fédéral un fonds de 200 milliards d’euros. Un geste unilatéral, perçu comme une subvention directe aux exportations, qui ne manque pas de faire grand bruit dans les capitales européennes, régulièrement sermonnées par Berlin pour leur manquement à la rigueur budgétaire…

    L’arrivée de Donald Trump modifie également la donne dans le domaine commercial et militaire. Tandis qu’il met en oeuvre des mesures protectionnistes, il demande au gouvernement allemand de revoir son budget militaire à la hausse. Celui-ci s’engage alors à l’accroître à hauteur de 2% du PIB – soit 80 milliards d’euros. Un vœu qui entre en contradiction frontale avec le respect de la « règle des 0,35% ». La défaite de Donald Trump et l’intronisation de Joe Biden ne changent pas la donne. Bien au contraire : le prélèvement de nouveaux droits de douane sur les produits européens est mis à l’ordre du jour. Dans le même temps, l’engagement de l’OTAN auprès de l’Ukraine ne fait qu’accroître la pression mise sur Berlin quant au respect de ses objectifs budgétaires dans le domaine militaire.

    Nouvelle crise, même solution. Face à l’urgence, le nouveau chancelier Olaf Scholz recourt au même artifice : un nouveau « fonds spécial » de 100 milliards d’euros est mis à disposition d’une Bundeswehr pourtant soumise à la plus stricte austérité dans la période pré-Covid. Lorsque Moscou lance ses chars sur Kiev, c’est toute la politique énergétique de Berlin qui est mise en cause. C’est aussi son modèle commercial : la capacité productive de l’Allemagne reposait en effet sur une énergie peu chère. Olaf Scholz est bientôt contraint de créer un nouveau fonds, de 150 milliards d’euros, surnommé le « double vroumvroum »…

    La faillite d’un modèle ?

    Rarement un chancelier allemand avait dû faire face à de tels défis. Un temps, Olaf Scholz avait entretenu l’illusion qu’à la tête du SPD, il allait rompre avec les fragilités évidentes du « modèle allemand » et remettre en question les fameuses « lois Hartz IV » de dérégulation salariale. La décision de la Cour met un coup d’arrêt définitif à ces velléités. À présent, tous les budgets des ministères sont revus à la baisse. Seul celui de la Défense est épargné, et l’aide apportée à l’Ukraine a même doublé, passant à 8 milliards d’euros… Dans la perspective d’un nouvel accroissement, Olaf Scholz n’a pas exclu d’utiliser à nouveau l’article 115. Et de créer, ex-nihilo, un énième « fonds »…

    Cette fois, les louanges de la presse européenne et des milieux bancaires n’auront pas raison de la réalité. Les réussites en termes d’excédents commerciaux ne parviennent plus à masquer les sacrifices exorbitants imposés à toute une frange de la population. L’arrivée au parlement fédéral du parti d’extrême droite AFD (Alternative für Deutschland) avec 94 députés en 2017 – premier groupe parlementaire d’opposition – a bien provoqué un électrochoc dans la société allemande. Aucune réponse politique n’y a cependant été apportée. La présence du parti libéral FDP dans la coalition actuelle, le plus grand défenseur des politiques austéritaires et de la règle des 0,35%, est la garantie qu’aucun changement d’ampleur ne surviendra – si tant est que le SPD ait une quelconque velléité d’en impulser…

    La situation allemande n’était guère reluisante avant même l’arrêt de la Cour de Karlsruhe. Que l’AFD arrive en première position dans toutes les circonscriptions de l’ancienne RDA ne doit rien au hasard. Elle aura donc vraisemblablement le mandat pour former des coalitions au niveau des régions dans toute l’Allemagne de l’est lors des prochaines élections régionales. On voit mal comment l’arrêt de la Cour pourrait ne pas radicaliser cette dynamique.

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      De l’étalon-or à l’euro : un système monétaire pour briser le pouvoir des travailleurs

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Saturday, 13 January - 19:29 · 14 minutes

    À gauche, le décès de Jacques Delors a donné lieu à une série d’hommages embarrassés. On tentait d’opérer une distinction entre la réalité (néolibérale) des institutions européennes et les intentions (sociales) de leur père fondateur. On répétait que l’œuvre de Delors, cet « infatigable européen » , était « inachevée ». On avait libéralisé les capitaux, créé un grand marché couronné par une monnaie unique : il fallait à présent redistribuer, réguler, investir en faveur des plus pauvres. Bien sûr, de très nombreux travaux d’économie suggèrent précisément le caractère intrinsèquement inégalitaire, libéral et austéritaire d’un espace de libre-échange avec un taux de change unique. La zone euro est loin d’être la première qui correspond à ces caractéristiques. Dans les années 1920, un autre cadre institutionnel a produit des effets similaires : l’étalon-or. Un récent ouvrage incite à se pencher sur les parallèles entre ces deux systèmes. Et à garder en mémoire les effets désastreux du premier pour tirer des leçons du second.

    Dans The Capital Order. How Economists Invented Austerity and Paved the Way to Fascism, (University of Chicago Press, 2022) , l’historienne Clara Mattei analyse les politiques économiques mises en place dans l’Italie et la Grande-Bretagne des années 1920. Baisse des salaires, coupes budgétaires, accroissement des taux d’intérêts : elle rappelle l’ampleur de « l’austérité » (loin d’être contemporain, le mot apparaît dans la bouche du ministre italien de l’économie Alberto de’ Stefani) imposée aux populations 1 . Celle-ci est peu controversée. Elle est même volontiers mise en avant par l’historiographie dominante, qui reconnaît la catastrophe qu’elle a constituée à partir de la crise financière de 1929 : montée en flèche du chômage et de la pauvreté, effondrement des investissements, etc.

    « Avec la meilleure foi du monde » : l’austérité, produit d’un aveuglement collectif ?

    L’entêtement à poursuivre ces politiques austéritaires est généralement expliqué par le « dogmatisme » de la classe politique, « l’aveuglement » des conseillers, les « erreurs » de la science économique dominante, etc. Dans sa Théorie générale , Keynes ne dit pas autre chose : il appelle les dirigeants (économiques et politiques) à se ressaisir ; et à consentir des dépenses d’investissements, afin que consommation et emploi repartent à la hausse. L’arrimage des monnaies européennes à l’étalon-or (empêchant toute dévaluation et générant une compression des salaires, à la manière de l’euro aujourd’hui), qu’il qualifie de « relique barbare », serait le produit d’un mauvais diagnostic économique ou de lubies idéologiques 2 .

    Aujourd’hui, de nombreux économistes portent un jugement similaire sur la zone euro : une construction dysfonctionnelle, contraire aux règles d’une saine économie, qui ne pouvait mener qu’à une catastrophe sociale – et qui ne doit son existence qu’au fanatisme idéologique de ses pères fondateurs. C’est par exemple ce qu’affirme d’Ashoka Modi, ex-représentant en chef du FMI. Dans un livre à succès , il narre la construction européenne à la manière d’une tragédie grecque : le terrible dénouement est connu d’avance, mais les protagonistes s’y précipitent les yeux bandés.

    Un simple aveuglement, en somme ? La grande force du livre de Clara Mattei est de refuser cette grille de lecture. La fonction de l’austérité dans l’Europe des années 1920, soutient-elle, est de stopper nette la progression du socialisme et de briser le pouvoir des travailleurs. Ceux-ci sont alors en position de force. Galvanisés par la révolution soviétique, ils sont peu soucieux d’abandonner l’interventionnisme économique induit par la Première guerre mondiale. Au contraire : celui-ci semble ouvrir la voie à une étatisation croissante. L’inflation monte en flèche ; mais dans le contexte d’une combativité ouvrière sans précédent, la hausse des salaires parvient à l’excéder.

    Une monnaie chère impliquait « des temps difficiles et du chômage ». Elle allait transformer l’un des mots d’ordre de la conférence de Gênes (1922) en réalité : « consommer moins, produire plus ».

    Ce sont les rentiers et les détenteurs de capitaux qui sortent perdants de cette séquence. Alors que l’État met en place les investissements qu’ils peinent à consentir, leur inutilité apparaît au grand jour. Pour eux, le cercle vicieux semble infini : plus les salaires augmentent, plus la prépondérance du capital dans l’organisation économique se restreint, et plus c’est la puissance publique que l’on appelle à la rescousse pour investir.

    Imposer « l’austérité » devient le mot d’ordre de la classe dominante. À cet égard, Clara Mattei effectue une analyse éclairante des conférences de Bruxelles (1920) et de Gênes (1922). Celle-ci signe le retour de l’étalon-or. Et c’est à Gênes que l’on fait généralement remonter « l’aveuglement » de la classe dirigeante : en arrimant les monnaies nationales à l’or, celle-ci se serait liée les mains, se condamnant à une spirale déflationniste, dont les les terribles effets sociaux auraient été décuplés par la crise financière de 1929. Si l’on en croit un article récent du Figaro , Winston Churchill commit « sa plus grande erreur » avec cette décision, qui devait « aggraver » la crise économique et sociale ». Un choix effectué « avec la meilleure foi du monde », peut-on lire.

    Clara Mattei met en évidence la dimension de classe de ces conférences internationales. The Economist rend ainsi compte de leur enjeu pour les organisateurs : « sécuriser, contre de puissantes oppositions, l’acceptation d’une politique de déflation contre une politique de dévaluation, et également celle d’une monnaie chère, par opposition à la doctrine continentale d’une monnaie abordable » (p. 137).

    Le choix est simple : dans une économie semi-ouverte, un défaut de compétitivité (salaires et prix plus élevés, conférant un avantage aux marchandises importées) peut être combattu ou bien par un ajustement sur la monnaie (dévaluation, qui renchérit les importations), ou bien par un ajustement sur les salaires, à la baisse (déflation). La dévaluation, défendue par ceux qui souhaitaient une hausse continue des salaires, était destinée à protéger l’industrie nationale contre les marchandises étrangères.

    C’est l’option de la déflation qui fut entérinée par ces conférences. L’arrimage des monnaies à la valeur de l’or, induisant l’impossibilité de les déprécier, allait l’institutionnaliser. Aussi le système étalon-or apparaissait-il comme un moyen de restreindre le champ des possibles en termes de politiques économiques ; de maintenir le statu quo contre « la communauté, dans sa capacité collective », ainsi qu’on peut le lire dans un document conclusif de la conférence de Bruxelles 3 .

    De la même manière, la « monnaie abordable », qui favorisait consommation et investissement, favorisait un état de plein emploi favorable aux travailleurs lors des négociations salariales. La « monnaie chère », au contraire, était synonyme de « temps difficiles et de chômage », ainsi que l’exprime le représentant sud-africain. Elle constituait un levier pour transformer l’un des mots d’ordre de la conférence en réalité : « consommer moins, produire plus ».

    Les trois visages de l’austérité

    On pourrait reprocher à Clara Mattei l’ampleur de la définition qu’elle donne à « l’austérité ». Celle-ci recouvre, selon elle, trois aspects : fiscal (fiscalité régressive, coupes budgétaires – soit la manière dont on la comprend le plus intuitivement), monétaire (restriction du crédit, hausse des taux, monnaie forte), industriel (bas salaires et chômage). En réalité, on voit vite que ces trois dimensions sont étroitement liées.

    L’austérité fiscale, qui réduit la demande en bridant la consommation (par une hausse des impôts indirects ou une coupe dans les aides sociales), freine l’inflation et les échanges, et génère une réévaluation de la monnaie et une hausse des taux 4 . Une monnaie forte a pour effet de diminuer le coût des produits importés, nuisant à l’industrie nationale et favorisant l’accroissement du chômage, tandis que des taux élevés (qui contribuent à maintenir une monnaie forte) produisent le même effet. Le chômage restreint le pouvoir de négociation des syndicats et leurs moyens de pression sur l’appareil d’État… enclin, par conséquent, à davantage d’austérité fiscale.

    Et ainsi de suite. Difficile de distinguer la cause de l’effet dans cet ensemble circulaire. De fait, c’est conjointement que les classes dirigeantes concevaient ces facettes cumulatives de l’austérité.

    © Vincent Ortiz

    En Italie comme en Angleterre, ces politiques ont des effets catastrophiques sur le taux de croissance ou les exportations. « L’austérité monétaire a infligé des dégâts importants au commerce britannique, spécifiquement dans le domaine du charbon : la hausse de la livre renchérissait les biens britanniques par rapport à ceux du reste du monde », note Clara Mattei (p. 91). Tout comme aujourd’hui, la surévaluation de l’euro pour une bonne partie des pays de la zone nuit à leur balance commerciale, serait-on tenté d’ajouter…

    C’est l’Europe qui devait réconcilier la gauche et le patronat. Et c’est Jacques Delors, à la tête du ministère français de l’Économie et des Finances d’abord, de la Commission européenne ensuite, qui en serait l’architecte.

    Pourquoi la classe dominante britannique a-t-elle imposé une austérité si peu favorable à son industrie ? « De mauvaises ventes impliquaient une hausse du chômage, qui a contribué à écraser les syndicats et plus spécialement leur pouvoir d’imposer un changement social », répond-elle 5 . L’arrimage de la livre à l’étalon-or, la surévaluation de la monnaie britannique qui s’en est suivie, ont effectivement contribué à déprimer l’activité nationale – les produits britanniques étant confrontés à une concurrence étrangère déloyale. Cette dépression a conduit à une multiplication par quatre de la quantité de chômeurs : une nouvelle donne qui devait être fatale au pouvoir de négociation des salariés. Aussi ne s’étonnera-t-on pas de la corrélation entre accroissement du taux de chômage et du taux d’exploitation (32 % au cours de la phase « austéritaire » des années 1920) que relève Clara Mattei pour la Grande-Bretagne.

    En Italie, la répression directe des syndicats a joué un rôle plus important. En 1927, avec la Charte du travail, l’État (sous l’impulsion du patronat) se substitue au marché dans la fixation des salaires. Une « austérité industrielle » d’une ampleur inouïe est imposée : les salaires diminuent de 26 % en trois ans 6 … Mais il n’est pas interdit de supposer que l’arrimage de la lire à l’or avait pour motivation de pérenniser cet état des rapports de force. Dans un discours prononcé en 1927, Mussolini lui-même estime que le respect des règles de l’étalon-or permettra de favoriser « la discipline de fer et le dur labeur pour les Italiens ».

    De l’étalon-or à l’euro

    Ajustement sur la monnaie ou ajustement sur les salaires. Dévaluation ou déflation : le dilemme des organisateurs de la conférence de Gênes était aussi celui des « pères fondateurs » de la construction européenne. Peut-on réellement postuler qu’ils ignoraient ces mécanismes fondamentaux ? Que le caractère néolibéral de l’Union européenne est apparu comme une surprise 7 ?

    Il serait stérile de spéculer sur les intentions des uns et des autres. Il est peut-être plus utile de se reporter à leurs déclarations publiques. Avant le tournant de 1983, de nombreux dirigeants du Parti socialiste ne faisaient pas mystère de la contradiction frontale entre le cadre européen et les aspirations égalitaires de leur électorat. On citera François Mitterrand lui-même, qui écrivait dans une tribune datant de 1968 : « Une France socialiste dans une Europe libérale : cette question est d’actualité brûlante pour la gauche […] La gauche devra‐t‐elle opter pour l’Europe contre le socialisme, ou pour le socialisme contre l’Europe 8 ? »

    Le tournant néolibéral de 1983 achevé, c’est l’Europe qui devait réconcilier la gauche et le patronat. Et c’est Jacques Delors (à la tête du ministère de l’Économie et des Finances d’abord, de la Commission européenne ensuite) qui en serait l’architecte. Le « rapport Delors sur l’union économique et monétaire », préparé par la Commission et adopté par les États en 1989, donne le ton 9 . Il se félicité de la « nette tendance au ralentissement du rythme moyen de hausse des prix et des salaires » permise par l’approfondissement de la construction européenne ; et ajoute qu’il faut « s’employer à convaincre les chefs d’entreprise et les travailleurs des avantages de politiques salariales fortement axées sur les améliorations de la productivité ».

    On y lit que « la flexibilité salariale est nécessaire pour éliminer les différences de compétitivité entre les pays et régions de la communauté ». Et on y découvre un hommage à « l’effet de discipline » exercé par « les forces du marché » : une fois l’union économique et monétaire achevée, « les marchés financiers […] sanctionneraient les écarts par rapport aux orientations budgétaires arrêtées en commun ou aux accords salariaux, et exerceraient donc une pression en faveur de politiques plus saines ».

    La suite est connue. La voie de la dévaluation, déjà abandonnée en 1983, fut rendue impossible par l’adoption de l’euro. Et c’est la « dévaluation interne », sous la forme de la compression des salaires, que l’on allait systématiser.

    À cette lueur, on comprend mal (ou on ne comprend que trop bien) l’hommage appuyé d’une partie de la gauche à la vision européenne de Jacques Delors. On comprend en revanche parfaitement les mots élogieux d’Emmanuel Macron, adressés à l’homme de la « réconciliation du socialisme de gouvernement avec l’économie sociale de marché » – par le truchement de la construction européenne.

    Notes :

    1 « Je dois placer au cœur des priorités nationales la renonciation consciente des droits obtenus par les estropiés, les invalides, les soldats. Ces renonciations, qui constituent un sacrifice sacré consenti pour l’âme de notre pays, ont un nom : austérité » (p. 244).

    2 Ainsi, Serge Berstein et Pierre Milza, historiens de référence de la période fasciste, estiment que si Mussolini a tenu à maintenir l’arrimage de la livre à l’étalon-or – aux implications déflationnistes terribles pour la population – c’est à cause… d’un attachement idéologique au principe d’une monnaie forte ! ( Le Fascisme italien 1919-1945 , Points, 2018).

    3 Cité p. 152.

    4 Les taxes à la consommation comme facteur de réduction de la demande est ouvertement théorisé par Ralph George Hawtrey, l’économiste du Trésor britannique : « La taxation [à la consommation], en réduisant les ressources disponibles pour les citoyens, les induit à réduire leur consommation des marchandises » (cité p. 180).

    5 Elle rejoint ainsi les analyses de l’économiste Michal Kalecki sur « les aspects politiques du plein-emploi ». « Sous un régime de plein-emploi permanent, la menace du chômage cesserait de jouer son rôle de mesure disciplinaire. La position sociale des chefs d’entreprise serait ébranlée, tandis que l’assurance et la conscience de classe de la classe ouvrière s’accroîtraient » (« The Political Aspects of Full Employment », Political Quarterly , 14, 1943).

    6 Les économistes italiens qui conseillaient Mussolini étaient souvent d’obédience néoclassique, attachés à l’idée d’un marché du travail parfaitement concurrentiel, sur lequel le salaire s’équilibrerait en fonction de l’offre de travailleurs et de la demande de travail. Ils estimaient que le marché du travail était distordu par le pouvoir des syndicats. Ironie de l’histoire, c’est seulement avec l’appui des matraques fascistes qu’ils ont pu faire advenir un marché du travail (supposément) concurrentiel.

    7 Il est difficile de dater le « point de bascule » à partir duquel les institutions européennes sont devenues fondamentalement néolibérales. Voir Aurélie Dianara, « Europe sociale : aux origines de l’échec », Le vent se lève , avril 2023.

    8 Voir William Bouchardon, « La construction européenne s’est faite contre le peuple français – entretien avec Aquilino Morelle », Le vent se lève, 22 novembre 2021.

    9 Rapport sur l’Union économique et monétaire dans la Communauté européenne , Commission européenne, 12 avril 1989. Consultable en ligne : https://www.cvce.eu/content/publication/2001/11/22/725f74fb-841b-4452-a428-39e7a703f35f/publishable_fr.pdf

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      La lune de miel oubliée entre Mussolini et les libéraux

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Monday, 1 January - 15:49 · 13 minutes

    L’histoire de l’entre-deux guerres est généralement réduite à un affrontement, plus ou moins ouvert, entre « démocraties libérales » et régimes « totalitaires ». Cette grille de lecture oblitère la véritable lune de miel entre les élites libérales européennes et le Duce Benito Mussolini durant la première décennie de son règne. Dans The Capital Order . How Economists Invented Austerity and Paved the Way to Fascism (University of Chicago Press, 2022), la chercheuse Clara Mattei analyse la similitude entre les politiques économiques de la Grande-Bretagne libérale et de l’Italie fasciste durant les années 1920. Dans ces deux pays, elles avaient pour fonction de réprimer les protestations des travailleurs – qui, suite à la Première guerre mondiale, menaçaient d’ébranler l’ordre capitaliste. Aux côtés des matraques, une arme redoutable fut déployée, en Angleterre comme en Italie : « l’austérité ». Traduction par Alexandra Knez [1].

    Lorsqu’on évoque la dimension « totalitaire » ou « corporatiste » du fascisme, c’est généralement pour souligner une rupture supposée avec la société libérale qui l’a précédée. Mais si l’on s’intéresse aux politiques économiques du fascisme italien, on constate que certaines configurations emblématiques du siècle dernier – et du nôtre – ont été expérimentées dès les premières années du règne de Benito Mussolini.

    À cet égard, l’alliage entre austérité – réduction des dépenses sociales, fiscalité régressive, déflation monétaire, répression salariale – et technocratie – gouvernement « des experts » par lequel ces politiques sont imposées – est révélateur. Mussolini a été l’un des partisans les plus acharnés de l’austérité sous sa forme contemporaine. Quiconque s’intéresse à ses conseillers ne s’en étonnera pas : il a su s’entourer d’économistes faisant autorité, ainsi que de chantres du modèle émergent d’« économie appliquée » qui constitue encore aujourd’hui le fondement du paradigme néoclassique.

    Rome, 1922 : les experts économiques au pouvoir

    Un peu plus d’un mois après la marche des fascistes italiens sur Rome en octobre 1922, les votes du Parti national fasciste, du Parti libéral et du Parti populaire (prédécesseur de la Démocratie chrétienne) ont inauguré la période dite « des pleins pouvoirs ». Ils confèrent ainsi des prérogatives sans précédent au ministre des Finances de Mussolini, l’économiste Alberto de’ Stefani, et à ses collaborateurs et conseillers techniques, en particulier Maffeo Pantaleoni et Umberto Ricci (de sensibilité libérale).

    Réduction drastique des dépenses sociales, augmentation des taxes régressives et élimination de l’impôt progressif, augmentation du taux d’intérêt, une vague de privatisations que l’économiste Germà Bel a qualifiée de première privatisation à grande échelle dans une économie capitaliste…

    Mussolini offre à ces experts l’opportunité d’une vie : façonner la société à l’image de leurs modèles. Dans les pages de The Economist , Luigi Einaudi – célébré comme un champion de l’antifascisme libéral et, en 1948, comme le premier président de la République démocratique italienne d’après-guerre – accueillit avec enthousiasme ce tournant autoritaire. « Jamais un parlement n’avait confié un pouvoir aussi absolu à l’Exécutif […] La renonciation du parlement à tous ses pouvoirs pour une période aussi longue a été acclamée par l’opinion publique. Les Italiens en avaient assez des bavards et des exécutifs faibles », écrit-il le 2 décembre 1922. Le 28 octobre, à la veille de la Marche sur Rome, il avait déclaré : « Il faut à la tête de l’Italie un homme capable de dire non à toutes les demandes de nouvelles dépenses ».

    Les espoirs d’Einaudi et de ses collègues se sont concrétisés. Le régime de Mussolini a mis en œuvre des réformes radicales favorisant une austérité fiscale, monétaire et industrielle [NDLR : les trois visage de l’austérité selon Clara E. Mattei, complémentaires et cumulatifs. L’austérité fiscale consiste dans une fiscalité régressive, l’austérité monétaire dans une contraction forcée de l’émission et une hausse des taux d’intérêt, l’austérité industrielle dans une compression salariale ]. Elles ont permis d’assujettir la classe ouvrière à une discipline d’airain et lui imposer des sacrifices douloureux, pérennisant ainsi l’ordre capitaliste qui avait été remis en question suite à la Première guerre mondiale. Le biennio rosso , ces deux années de conflit social précédant l’arrivée des fascistes au pouvoir, avait vu une vague de grèves et de soulèvements populaires sans précédent en Italie, ainsi que l’éclosion d’une multitude d’expériences d’organisations post-capitalistes.

    Parmi les réformes qui ont contribué à étouffer toute velléité de changement politique, on peut citer la réduction drastique des dépenses sociales, les licenciements de fonctionnaires (plus de soixante-cinq mille pour la seule année 1923) et l’augmentation des taxes à la consommation (régressives, car payées principalement par les pauvres). À ces mesures s’ajoutent l’élimination de l’impôt progressif sur les successions, l’augmentation du taux d’intérêt (de 3 à 7 % à partir de 1925), ainsi qu’une vague de privatisations que l’économiste Germà Bel a qualifiée de première privatisation à grande échelle dans une économie capitaliste.

    En outre, l’État fasciste a multiplié les lois coercitives qui réduisaient considérablement les salaires et prohibaient les syndicats. Mais le coup d’arrêt définitif aux revendications des travailleurs fut donné par la Charte du travail de 1927, qui a supprimé toute possibilité de conflit de classe. La Charte codifie l’esprit du corporatisme dont le but, selon Mussolini, est de protéger la propriété privée et « d’unir dans l’État souverain le dualisme ruineux des forces du capital et du travail », considérées « à présent non plus comme systématiquement antagonistes, mais comme des éléments qui aspirent à un horizon commun, l’intérêt supérieur de la production ».

    Le ministre des Finances de’ Stefani a salué la Charte comme une « révolution institutionnelle », tandis que l’économiste libéral Einaudi a justifié sa définition « corporatiste » des salaires comme étant le seul moyen d’imposer les résultats optimaux d’un marché concurrentiel du travail tel qu’il est à l’œuvre dans le modèle néoclassique. La contradiction est ici flagrante : les économistes, si intransigeants dans la protection du libre marché, ne voient guère d’inconvénients à l’intervention répressive de l’État sur le marché du travail pour lui imposer une configuration qu’il ne prend pas spontanément. L’Italie a ainsi connu une baisse ininterrompue des salaires réels pendant toute la période de l’entre-deux-guerres – un fait unique dans les pays industrialisés.

    Un engouement international

    L’accroissement du taux d’exploitation garantissait une hausse du taux de profit. En 1924, le Times de Londres commentait le succès de l’austérité fasciste : « l’évolution des deux dernières années a vu l’absorption d’une plus grande proportion des profits par le capital, ce qui, en stimulant les entreprises, a très certainement été avantageux pour le pays dans son ensemble ».

    À une époque où la grande majorité des Italiens réclamait des changements sociaux majeurs, les partisans de l’austérité se sont appuyés sur le fascisme, son gouvernement fort et sa rhétorique nationaliste, tout comme les tenants du fascisme avaient besoin de l’austérité pour consolider leur pouvoir. C’est cette adhésion à l’austérité qui a conduit les milieux libéraux à soutenir le gouvernement de Mussolini, même après les l eggi l ascistissime (« lois fascistissimes ») de 1925 et 1926, qui ont officiellement érigé Mussolini au rang de dictateur du pays.

    La couverture médiatique de l’Italie fasciste, en Grande-Bretagne, n’a en effet pas connu d’évolution majeure au cours de la décennie. The Economist , le 4 novembre 1922, approuvait l’objectif affiché par Mussolini, celui d’imposer une « réduction drastique des dépenses publiques » au nom du « besoin criant d’une finance saine en Europe ». En mars 1924, il se réjouissait encore en ces termes : « Signor Mussolini a rétabli l’ordre et éliminé les principaux facteurs d’instabilité ». Ces facteurs d’instabilité avaient de quoi faire frémir : « les salaires atteignaient leurs limites supérieures, les grèves se multipliaient », et « aucun gouvernement n’était assez fort pour y remédier ».

    En juin 1924, le Times , pour lequel le fascisme était un gouvernement « anti-gaspillage », l’érigeait en solution face à la « paysannerie bolchévique » de « Novara, Montara et Alessandria » et à « la stupidité brute de ces populations », séduites par « les expériences de gestions soi-disant collectives ».

    Le message était sans équivoque : les préoccupations relatives aux abus politiques du fascisme disparaissaient face aux succès de l’austérité

    L’ambassade britannique et la presse libérale internationale continuent par la suite à applaudir les triomphes de Mussolini. Le Duce avait réussi à confondre l’ordre politique et l’ordre économique – ce qui constitue l’essence même de l’austérité. Comme le montrent les archives, à la fin de l’année 1923, l’ambassadeur britannique en Italie rassure les observateurs de son pays : « le capital étranger a surmonté la défiance, qui n’était pas injustifiée, qu’il éprouvait par le passé ; il vient à nouveau en Italie avec confiance ».

    Le diplomate s’attachait à souligner le contraste entre l’ineptie de la démocratie parlementaire italienne de l’après-guerre, instable et corrompue, et l’efficacité de la gestion économique du ministre de’ Stefani : « Il y a dix-huit mois, tout observateur averti estimait que l’Italie était sur la pente du déclin […] Il est à présent généralement admis, même par ceux qui n’aiment pas le fascisme et déplorent ses méthodes, que l’ensemble de la situation a changé […] Un progrès impressionnant vers la stabilisation des finances de l’État […] Les grévistes [ont été réduits] de 90 %, tandis que les journées de travail perdues [ont été réduites] de plus de 97 %, avec une augmentation de l’épargne nationale de 4.000 [millions de lires] par rapport à l’année précédente ; de fait, celle-ci dépasse pour la première fois le niveau d’avant-guerre de près de 2.000 millions de lires ».

    Les succès de l’austérité en Italie – en termes de compression salariale, de profits élevés et de bonnes affaires pour la Grande-Bretagne – avaient une dimension répressive évidente, qui allait au-delà d’un exécutif fort et du contournement du parlement. L’ambassade elle-même faisait état de nombreuses actions brutales : agressions permanentes contre les opposants politiques, incendies de permanences socialistes et de conseils syndicaux, révocations de nombreux maires socialistes, arrestations de communistes ainsi que des meurtres politiques notoires, dont le plus célèbre fut l’assassinat du parlementaire socialiste Giacomo Matteotti.

    Mais le message était sans équivoque : les préoccupations relatives aux abus politiques du fascisme disparaissaient face aux succès de l’austérité. Même le champion du libéralisme et gouverneur de la Banque d’Angleterre Montagu Norman, après avoir exprimé sa défiance à l’égard de l’État fasciste, sous lequel « l’opposition, sous toutes ses formes, avait disparu », ajoutait : « cet état de choses convient actuellement, et peut fournir, pour le moment, l’administration la mieux adaptée à l’Italie ». De même, Winston Churchill, à l’époque chef du Trésor britannique, expliquait : « différentes nations ont différentes façons de tendre vers le même but […] Si j’avais été Italien, je suis sûr que j’aurais été avec vous du début à la fin de votre lutte victorieuse contre le léninisme. »

    Montagu Norman et Winston Churchill ont tous deux souligné, dans leurs propos privés comme dans leurs déclarations publiques, combien des solutions illibérales inconcevables dans leur propre pays pouvaient s’appliquer à un peuple « différent » et moins acclimaté à la démocratie.

    Lorsque les observateurs libéraux émettent des doutes, ils ne concernaient pas la santé démocratique du pays mais ce qu’il adviendrait sans Mussolini. En juin 1928, Einaudi écrivait dans The Economist qu’il craignait un vide de représentation politique, mais plus encore un effondrement de l’ordre capitaliste. Il évoque les « très graves interrogations » qui viennent à l’esprit des Britanniques :

    « Lorsque, par le cours inévitable de la nature, la poigne du grand Duce sera retirée de la barre, l’Italie retrouvera-t-elle un homme de sa trempe ? Une même époque peut-elle produire deux Mussolini ? Si ce n’est pas le cas, quelle sera la prochaine étape ? Sous un contrôle plus faible et moins avisé, ne risque-t-on pas d’assister à une révolte chaotique ? Et avec quelles conséquences, non seulement pour l’Italie, mais aussi pour l’Europe ? ».

    Les élites financières internationales appréciaient tellement l’austérité à l’italienne qu’elles ont remercié Mussolini en lui accordant toutes les ressources dont il avait besoin pour consolider son leadership , notamment en réglant la dette de guerre et en stabilisant la lire – comme le relate Gian Giacomo Migone dans son classique The United States and Fascist Italy .

    Le soutien idéologique et matériel que l’ establishment libéral, national et international, a garanti au régime de Mussolini, ne constitue aucunement une exception. Cet alliage d’autoritarisme, de gouvernement par les experts et d’austérité inauguré par le premier fascisme « libéral » a fait école : du recrutement des Chicago Boys par le régime d’Augusto Pinochet au soutien apporté par les Berkeley Boys à celui de Soeharto en Indonésie (1967-1998), en passant par l’expérience dramatique de la dissolution de l’URSS.

    Lors de ce dernier événement, le gouvernement de Boris Eltsine avait effectivement déclaré la guerre aux législateurs russes qui s’opposaient au programme d’austérité soutenu par le FMI. Son assaut contre la démocratie devait atteindre son paroxysme en octobre 1993, lorsque le président a fait appel à des chars, des hélicoptères et 5 000 soldats pour assiéger le Parlement russe. L’attaque devait se conclure par 500 morts et de nombreux blessés. Une fois les cendres retombées, la Russie s’est retrouvée sous un régime dictatorial incontrôlé : Eltsine avait dissous le Parlement « récalcitrant », suspendu la Constitution, fermé des journaux et emprisonné ses opposants.

    Comme pour la dictature de Mussolini dans les années 1920, The Economist n’a eu aucune hésitation à justifier les actions musclées d’Eltsine, présentées comme la seule voie susceptible de garantir l’ordre du capital. Le célèbre économiste Larry Summers, fonctionnaire du Trésor sous l’administration Clinton, était catégorique sur le fait que, pour la Russie, « les trois ations – privatisation, stabilisation et libéralisation – doivent toutes être achevées le plus rapidement possible. Maintenir l’élan de la réforme est un problème politique crucial ».

    Aujourd’hui, ces mêmes économistes libéraux ne font aucune concession à leurs propres compatriotes. Larry Summers est en première ligne pour prôner l’austérité monétaire aux États-Unis, où il prescrit une dose de chômage pour guérir l’inflation. Comme toujours, la solution des économistes mainstream consiste à exiger des travailleurs qu’ils absorbent la plus grande partie des difficultés à travers une baisse des salaires, un allongement des journées de travail et une réduction des aides sociales.

    Notes :

    [1] Article originellement publié par notre partenaire Jacobin sous le titre : « When Liberals Fell in Love With Benito Mussolini ».

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      Règles budgétaires européennes : une réforme qui ne résout rien

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Wednesday, 7 December, 2022 - 14:53 · 9 minutes

    Après des mois de pourparlers, la Commission européenne a dévoilé, début novembre, les contours de la réforme du Pacte de Stabilité et de croissance, dont les règles sont suspendues depuis mars 2020 en raison du besoin de financement massif des pays européens pour lutter contre la crise sanitaire puis en raison de la guerre en Ukraine. Malgré une flexibilité accrue, les pays frugaux refusent toujours une modification profonde du Pacte, pourtant jugé obsolète par de nombreux États, dont la France. Alors que la zone euro s’apprête déjà à entrer en récession, le retour de ces règles inapplicables laisse craindre le retour de l’austérité.

    Émanation du courant néolibéral, le Pacte de Stabilité et de croissance (PSC) voit le jour le 17 juin 1997, au Conseil européen d’Amsterdam. Appliqué au moment de la création de la monnaie unique en 1999, il a pour mission d’assurer la rigueur budgétaire des États membres à travers le respect du maintien du déficit public en dessous de 3% du PIB et un ratio dette/PIB inférieur à 60%.

    Si la plupart des pays parviennent à s’aligner sur ces critères au début des années 2000, la crise financière de 2007-2008, déclenchée aux États-Unis, engendre un profond creusement de la dette et du déficit des pays européens, et le non-respect des seuils exigés. Lors de l’éclatement de la crise des dettes souveraines, apparue quelques années plus tard sous les effets du krach financier de 2008, les règles budgétaires européennes sont toutefois conservées, et de nouvelles mesures d’autant plus strictes sont instaurées, malgré les déclarations critiques de nombreux hauts fonctionnaires et économistes à l’égard du Pacte. Sur volonté de l’Allemagne, ces règles seront même renforcées grâce à la création du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (aussi appelé TSCG) le 2 mars 2012, où est introduit de nouvelles exigences budgétaires, dont le principe de la « règle d’or 1 ».

    Du fait de la structure de la zone euro et son manque de fédéralisme, les chocs asymétriques entraînés par la crise des dettes souveraines sont traités séparément, et des programmes d’austérités sont imposés à de nombreux pays, avec en premier lieu la Grèce, l’Espagne, le Portugal, Chypre, l’Irlande, et dans un moindre degré la France et l’Italie. Le bilan de cette politique est désormais bien connu : ralentissement économique, accroissement des inégalités, dégradation des services publics, et profondes divergences au sein de la zone euro. Si l’objectif cible de 3% est atteint par l’ensemble des pays fin 2019 grâce à ces « cures », nombre d’entre eux ne retrouvent pas le seuil de 60% de dette/PIB, et s’en trouvent même particulièrement éloignés.

    Face à la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine, le déficit budgétaire et la dette des États se sont profondément aggravés. À ce jour, près du tiers des pays de la zone euro affichent un ratio dette/PIB supérieur à 100% (Grèce, Italie, Portugal, Espagne, France, Belgique) et la moyenne des 19 se situe autour de 95%, soit bien au-delà des 60% exigé. Le déficit public moyen, situé à 5.1% en 2021, reste, lui aussi, au-dessus du seuil de 3%.

    Changer pour que rien ne change

    Peu d’observateurs se risquent désormais à affirmer que les dispositions actuelles du Pacte sont efficaces. Le Commissaire aux Affaires économiques et monétaires, Paolo Gentiloni, a récemment déclaré que « nous n’avons pas investi comme nous l’aurions dû, et le désendettement a échoué. » Étant donné l’erreur historique d’avoir exigé un retour accéléré aux critères de 3% et de 60% lors de la décennie passée (la Grèce est à cet égard un exemple probant), une réforme en profondeur s’impose. D’autant que la crise sanitaire et la baisse du pouvoir d’achat des ménages lié à l’inflation obligent les États européens à d’importantes dépenses d’urgence.

    Pourtant, si l’on se plonge dans les détails de cette réforme, les mesures proposées ressemblent sensiblement à celles exigées au lendemain de la crise des subprimes , malgré quelques souplesses qui laissent paraître un semblant de progressisme. Dans les faits, les critères de 3% et de 60% sont conservés, mais la soutenabilité budgétaire des États tient désormais compte des dépenses primaires (hors intérêts de la dette et dépenses d’assurance chômage), et non des dépenses publiques dans l’ensemble.

    Par ailleurs, les pays européens disposeront de quatre années pour retrouver 3% de déficit public et 60% de dette/PIB à partir de 2023, et trois années supplémentaires si des facteurs conjoncturels interviennent (crises, guerres…) ou si de nouveaux investissements s’avèrent nécessaires (à condition toutefois que la stratégie budgétaire du pays s’aligne sur les critères). Alors que de nombreux pays souhaitaient un traitement différencié pour certains investissements et un plafond de dette différent pour chaque pays ( comme le proposait la France ), ce léger compromis laisse plutôt paraître une victoire du conservatisme des pays frugaux dans les négociations. Certains Etats, comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou l’Autriche, font en effet de la rigueur budgétaire une priorité absolue.

    D’autre part, si ce « délai supplémentaire » de trois ans permet de mieux prendre en compte la situation de chaque pays (et donc les divergences économiques structurelles de la zone euro), la proposition initiée par la vice-présidente espagnole, Nadia Calviño, visant à ce que chaque pays puisse définir la trajectoire de réduction de sa dette et de son déficit, n’a visiblement été que partiellement prise en compte, car la stratégie budgétaire des États resterait conditionnée à l’approbation de la Commission européenne et du Conseil européen, comme c’est le cas par le biais du « Semestre européen » depuis 2011. De surcroît, la procédure concernant les déficits excessifs (PDE) est maintenue, et la PDE fondée sur la dette est même renforcée. Ainsi, si un pays dont la dette excède 60% du PIB s’écarte de la trajectoire des dépenses convenues par le Conseil, il s’expose alors à diverses sanctions.

    Par ailleurs, l’écart de production (aussi appelé « output gap ») ou PIB potentiel, reste la référence de mesure de la soutenabilité de la dette des pays européens, malgré le fait que son calcul dépend d’hypothèses discutables, de plus en plus fragiles à mesure que les crises se succèdent.

    Un cadre inadapté à un monde en pleine mutation

    À travers cette révision, la Commission européenne cherche officiellement à « permettre aux pays de la zone euro d’exécuter les investissements nécessaires, en réduisant les ratios élevés de dette publique de manière réaliste, progressive et soutenue afin de bâtir une économie verte, numérique et résiliente. »

    Si cette trajectoire est à première vue souhaitable, elle a tout d’une chimère : comment parvenir à réduire les ratios de dette publique des pays membres tout en mettant en place les « investissements nécessaires » (très coûteux en ce qui concerne ceux dans la transition écologique, mais aussi dans le numérique où les pays de la zone euro affichent un retard significatif face aux grandes puissances) ? Pour ne donner qu’un seul exemple, la France devra dépenser 100 milliards d’euros sur quinze ans si elle entend doubler la part du train dans les déplacements . Par ailleurs, la charge de la dette, c’est-à-dire les intérêts à rembourser, augmentera à terme sous l’effet de la hausse des taux directeurs de la BCE.

    Dans ce monde multipolaire où se dessine une nouvelle globalisation, l’industrie et la balance commerciale des pays européens se dégradent, menaçant ainsi la croissance du Vieux-continent.

    Comment réussir à investir massivement afin de « bâtir une économie résiliente » alors que la guerre en Ukraine – impliquant la plupart des puissances du globe -, et la multiplication des guerres commerciales affaiblissent profondément le Vieux-continent ? En effet, dans ce monde multipolaire où se dessine une nouvelle globalisation, l’industrie et la balance commerciale des pays européens se dégradent, menaçant ainsi la croissance du Vieux-continent à court et moyen-terme (celle-ci étant déjà atone depuis deux décennies).

    L’inflation serait-elle la solution pour réduire la dette tout en permettant les investissements nécessaires ? Si celle-ci permet effectivement en théorie de réduire le poids accumulé des dettes, le ralentissement de la croissance, les dépenses massives des États pour lutter contre la hausse des prix et la hausse des taux d’intérêt laissent peu d’espoir quant à une véritable baisse du ration dette/PIB. De surcroît, le choix de certains États d’émettre des obligations dont la valeur est indexée sur l’inflation protège les investisseurs de pertes financières… mais engendre un coût massif pour les finances publiques.

    Il semble dès lors utopique de croire que les pays de la zone euro dont le ratio dette/PIB est supérieur à 100% puissent parvenir à réduire leur dette publique pour atteindre le seuil de 60% d’ici 4 ou 7 ans, tout en exécutant les « investissements nécessaires. » Alors que trois d’entre eux (la France, l’Italie et l’Espagne) figurent parmi les cinq plus grandes puissances du continent, le risque d’un nouvel accroissement des divergences entre pays de la zone euro, la perte de crédibilité de cette dernière, et plus largement celle du projet européen, est à craindre.

    Sans harmonisation budgétaire et fiscale, avec des divergences de structures productives et un taux d’intérêt unique pour 19 pays différents, la zone euro est donc vouée à une régression permanente. Or, ce scénario est systématiquement rejeté par les pays frugaux, qui refusent de « payer pour les autres », et les paradis fiscaux européens (Irlande, Malte, Chypre, Pays-Bas), qui auraient trop à perdre d’une convergence des niveaux d’imposition.

    Si la proposition de la Commission européenne fera l’objet d’une proposition législative début 2023, avant d’être validée par les ministres des Finances et le Parlement européen (dans l’objectif d’arriver à un consensus pour 2024, sans quoi le cadre budgétaire restera inchangé), la trajectoire envisagée laisse donc penser que l’Europe s’apprête à répéter une faute historique.

    Note :

    1 : Selon la règle d’or, le déficit structurel ne doit pas dépasser 0.5% du PIB pour les pays dont la dette publique excède 60% du PIB, et 1% pour les pays dont la dette publique est inférieure à 60% du PIB.

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      Youpi, un Noël austère !

      h16 · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 30 November, 2022 - 10:00 · 6 minutes

    On l’a vu dans un précédent billet : en France, l’inflation n’est pas vraiment un sujet et avec Bruno Le Maire aux commandes, on sait que tout se passera au mieux dans les prochains mois. Néanmoins, lorsqu’on prend la peine de demander leur avis aux politiciens dont l’intelligence n’est pas un obstacle et notamment aux maires, la belle assurance fait place à une prudence teintée d’inquiétude.

    En effet, selon une récente enquête , la plupart (77 % des 3700 maires interrogés) se disent au moins préoccupés par cette hausse des coûts qui contraignent leur gestion communale : entre l’explosion du coût des dépenses énergétiques, le reste des prix qui n’ont cessé de grimper et l’augmentation récente du point d’indice par le gouvernement (ce qui revient à augmenter les salaires des agents communaux), même les communes les mieux gérées doivent en effet faire face à des ajustements parfois brutaux de leurs budgets.

    En vertu de quoi les élus se retrouvent à limiter certaines dépenses. À l’approche des fêtes, cela se traduit essentiellement par une réduction de tout ce qui peut ressembler à du luxe ou du superflu ce qui, compte tenu de l’état général de l’économie, devient une définition de plus en plus large et prend des tournures inquiétantes : rapidement, tout devient du luxe dans lequel il faut couper. Bien sûr, le chauffage est la première dépense à laquelle les élus s’attaquent et si ce n’est pas trop compliqué pour les mairies situées dans les localités aux températures plus douces en hiver, il en va quelque peu différemment pour les municipalités d’altitude, en montagne ou dans les zones plus froides en hiver.

    Corée du nord et du sud la nuit L’éclairage vient ensuite : on diminue les éclairages publics, on réduit l’usage des salles communales, on éteint la nuit tous les affichages qui peuvent l’être et petit à petit, la France rurale puis banlieusarde puis citadine perd ses lumières pour se transformer en une Corée du Nord de l’Europe s’appauvrissant. Bien évidemment, cela ne suffit pas. Les coupes continuent donc, depuis les rénovations de bâtiments en passant par les réfections indispensables d’infrastructures en passant par les dotations diverses et variées (aux écoles, typiquement) qui devront attendre de meilleures années pour s’adapter.

    Alors que les fêtes approchent, la situation devient de plus en plus tendue. Les Français, tabassés de taxes sur les carburants, restent chez eux et évitent des déplacements qui finissent par leur imposer des prêts bancaires coûteux. La France de Noël 2020, sous confinement, voyait ses rues tristes et vidées de véhicules et de passants. Celle de 2022 y ressemblera beaucoup en y retirant aussi l’éclairage public ainsi que les lumières et les lampions de fêtes.

    La transition énergétique vers le Pas d’Énergie Du Tout continue donc obstinément

    Or, si elle ne rencontrait jusqu’à présent qu’une résistance minime des citoyens à la faveur d’une fin de saison aux températures clémentes, on doit s’interroger sur leur réaction à mesure que cette crise va les atteindre plus profondément. Les maires, notamment les plus verdolâtres d’entre eux, vont pouvoir mesurer l’assentiment réel et concret de leurs électeurs au fur et à mesure que les activités communales notamment en période de fêtes seront annulées et que la nuit va s’étendre dans les communes privées d’éclairage public favorisant cette insécurité qui n’est, pour rappel, qu’un sentiment diffus selon les politiques publiques officielles.

    Les communes les plus en avance dans la lutte contre le méchant consumérisme de Noël vont pouvoir expérimenter l’adhésion réelle des votants à leurs thèses marxistes : la crise, l’inflation galopante et les trous budgétaires vont largement aider à se passer des Sapins du Diable, des Guirlandes Kapitalistes et des Cadeaux Néolibéraux composés pour une grande partie de ces gadgets inutiles que la société de consommation veut nous imposer (mais si, mais si). On va enfin pouvoir retrouver la joie simple du dénuement et du retour à la nature (où l’hiver est froid, glacial même), le bonheur discret des petits échanges cordiaux entre voisins de file d’attente à la soupe populaire et les remarques amicales autour d’un vin chaud tiède lors de la distribution des tickets de rationnement.

    Et cela va forcément très bien se passer parce que, voyez-vous, tout a été clairement voulu, décidé et mis en place dans l’assentiment général.

    Oui, cela a été voulu par les politiciens qui ont fait ces choix énergétiques de court, moyen et long terme : à long terme, en refusant d’admettre que l’électricité nucléaire était propre et fiable et qu’il fallait l’encourager, mettre les moyens nécessaires à la maintenir et la développer. À moyen terme en subventionnant à grand frais des énergies polluantes et sans fiabilité. À court terme en choisissant d’imposer des sanctions à l’un des principaux fournisseurs d’énergie d’Europe.

    Oui, cela a été voulu par les maires qui ont abondé, d’élection en élection, dans les sens de l’opinion publique pourtant façonnée de toutes pièces par des médias et des politiciens dont il a été prouvé maintes et maintes fois qu’ils mentaient sans sourciller, systématiquement. L’abandon complet de la raison, des réalités physiques et économiques, aux gémonies des écolo-suicidaires par ces mêmes édiles, le refus de contrecarrer leurs discours nihilistes, malthusiens et stupides auront alimenté la pire des idéologies, celle qui revient à souhaiter la disparition pure et simple de l’humanité et de toutes ses traces pour éviter de polluer une nature aussi complètement fantasmée qu’irréaliste. Ce faisant, les communes ont voulu ce qui leur arrive à présent.

    Oui et surtout, cela a été voulu par les citoyens eux-mêmes, baratinés maintenant depuis leur plus tendre enfance sur l’inéluctable disparition des ours blancs (dont la population s’est effondrée de 5000 individus dans les années 1950 à seulement 27 000 à présent ), l’inévitable tarissement du pétrole (dont on nous répète depuis 50 ans qu’il n’y en aura plus dans 10 ans), la déforestation planétaire (alors que la Terre reverdit ), l’augmentation inouïe des températures (1000 millièmes de degrés en plus de 100 ans, ces gros chiffres sont forcément catastrophiques !) et celle du CO 2 (et là, corrélation signifie forcément causalité, n’est-ce pas). Ces citoyens ont voté, voté et encore voté pour ces mesures qui viennent maintenant leur tarauder l’arrière-train avec un trépan pétrolier. Ce serait un peu facile d’oublier, alors que la victoire est là, qu’ils obtiennent enfin ce qu’ils croyaient vouloir !

    Cet hiver, nous allons tous avoir un Noël placé sous le signe d’une véritable austérité (et ce n’est probablement rien à côté de l’hiver suivant). Enfin, les fêtes de fin d’année seront placées sous le signe du dénuement, de la misère et de l’anticapitalisme rabique !

    Les Français l’ont majoritairement voulu. Ils vont se régaler !

    Sur le web

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      Grèce : la tragédie qui n’en finit pas

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Sunday, 6 November, 2022 - 12:10 · 11 minutes

    En 2009, la crise de la dette grecque débutait. Depuis, de nombreux plans de « sauvetage » comprenant des « réformes » sous la tutelle de la « Troïka » (FMI, BCE et Commission européenne) se sont succédés. Si les banques ont effectivement été sauvées, le bilan social d’un tel programme est catastrophique. Fortement appauvrie, la Grèce est devenue un Club Med géant où les infrastructures stratégiques ont été privatisées et où les services publics ont été bradés. La population, elle, se résigne ou quitte le pays .

    Le 20 août dernier, la Grèce est sortie de la surveillance économique renforcée de la Commission européenne. Un jour qualifié d’« historique » par le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis, tandis que la Présidente de la Commission Européenne vantait la « résilience » de la Grèce et l’enjoignait à « envisager l’avenir avec confiance ». Le bilan des « réformes » et de ce programme d’« aides » est pourtant peu reluisant, pour ne pas dire catastrophique.

    Une saignée qui aggrave le mal

    Mis en place à la suite de la crise de la dette grecque, commencée en 2009, ce dispositif de surveillance avait pour but de vérifier que les « réformes nécessaires » (comprendre le dépècement de l’État grec) pour diminuer la dette publique étaient bel et bien mises en place. En échange de ces réformes, la Grèce recevait de l’aide financière internationale, notamment de l’Union européenne. L’objectif ? Réduire la dette publique, considérée comme dangereusement élevée. Pourtant, étant donné la chute du PIB, c’est-à-dire de la production de richesses, la dette est aujourd’hui bien plus élevée qu’au début du programme de surveillance : alors que le PIB de 2009 s’élevait à 237 milliards d’euros, il est tombé à 182 milliards en 2021. En conséquence, le niveau de la dette, en % du PIB, se maintient à un niveau toujours bien plus élevé que celui de 2009 : fin 2021, celui-ci était de 193 % du PIB tandis que fin 2009 il était de 127% du PIB.

    Ce bilan catastrophique se lit aussi sur le taux de chômage : celui-ci est passé de 10 % fin 2009 à plus de 13% fin 2021. Ce fléau touche plus particulièrement les jeunes : le taux de chômage des moins de 25 ans dépassait les 36 % en avril 2022 tandis qu’en décembre 2009 il était de 29%. Ce qui entraîne qu’une partie importante de cette jeunesse, surtout la plus diplômée, émigre : entre janvier 2008 et juin 2016, la Banque de Grèce estime que plus de 427.000 grecs ont quitté leur pays alors que la population de la Grèce se situe légèrement en-dessous des 11 millions d’habitants.

    De manière corrélée, le taux de suicide a aussi augmenté : celui-ci est passé de 3,6 pour 100 000 habitants en 2009 à 5,1 en 2019 . Les coupes successives dans le budget de la santé n’y sont sans doute pas étrangères : le budget de la santé était d’environ 4,3% du PIB en 2009 alors qu’en 2020, ce budget se situait à 3,6% du PIB. En tenant en compte de la chute du PIB entre ces deux dates, cela signifie en clair une coupe dans le budget de la santé de 4 milliards d’euros. Soit un peu moins de la moitié des 10 milliards estimés nécessaires pour sauver la Grèce début 2010.

    En plus des coupes sévères dans les pensions des retraités grecques et des coupes dans la fonction publique , une autre des « réformes » demandées était la privatisation d’infrastructures clés du pays. Ainsi, le célèbre port d’Athènes, le Pirée, a été privatisé au profit du groupe chinois de transport maritime Cosco en échange d’une promesse d’investissement qui n’a pour l’heure toujours pas été tenue, provoquant la colère des travailleurs locaux. Cette acquisition par un groupe chinois est aussi teintée d’une cruelle ironie pour l’Union européenne qui ne cesse de répéter son ambition de s’opposer à la Chine.

    Le Pirée n’est pas le seul port à avoir été privatisé. Il en est de même du deuxième port grec, Thessalonique , tandis que d’autres ports régionaux, comme ceux d’Alexandroupolis et d’Igoumenitsa, semblent destinés à suivre cette même voie… Il faut ajouter à cette liste de privatisations celles de 14 aéroports régionaux au profit du consortium allemand Fraport-Slentel et celles à suivre cette année de l’autoroute Egnatia (la plus longue du pays, reliant l’ouest de la Grèce à la Turquie) et des infrastructures de l’entreprise gazière DEPA . Seule la privatisation des sites archéologiques et des musées grecs, qui toucherait aux racines même de l’identité grecque, a pour l’heure été empêchée .

    En parallèle, la Grèce s’est désindustrialisée au profit du secteur tertiaire, la part de l’emploi dans le secteur industriel, en % de l’emploi total, chutant de 22% en 2009 à environ 15 % en 2019 tandis que la part du secteur des services passait de 67% en 2009 à 73% en 2019 . En particulier, le secteur du tourisme est en plein essor, le nombre de touristes annuel étant passé de 15 millions en 2009 à 34 millions en 2019 , chiffre qui pourrait être dépassé cette année. Mais un tel développement du tourisme fait craquer les fragiles infrastructures (d’eau, d’électricité, etc.) grecques tandis que le prix de la vie, et a fortiori des vacances, monte en flèche pour les locaux. Une grande part d’entre eux s’est donc vue privée de vacances au sein de leur propre pays. L’organisation d’une « réserve » (1) grecque est donc sur de bons rails.

    Toutes ces « réformes » ont été entreprises dans le but de recevoir de l’aide internationale, c’est-à-dire celle de la zone euro et du FMI. Au total, alors que début 2010 on estimait à 10 milliards d’euros l’apport nécessaire pour sauver la Grèce, celle-ci aura reçu 273 milliards d’euros d’aide ! Quand le remède aggrave la maladie…

    La raison d’un tel gaspillage d’argent public et d’un tel massacre social ? Les banques allemandes et françaises étaient très exposées à la dette grecque. Au lieu d’annuler une partie de celle-ci, c’est-à-dire de faire en sorte que le secteur privé subisse quelques milliards de pertes, on a préféré déverser de l’argent public. Ce qui a permis in fine aux banques allemandes et françaises de se dégager de ces titres de dette risqués. Ainsi, comme d’habitude, les acteurs privées qui justifient leur intérêts par le risque qu’ils prennent ont en réalité vu leurs pertes être socialisées.

    La mise en marche de la machine infernale

    La crise de la dette grecque a commencé en 2009. Celle-ci est en réalité une conséquence de la déréglementation financière commencée dans les années 1980. Lorsque, en 2008 la crise des subprimes éclate avec la chute de la banque Lehman Brothers, tout le secteur financier mondial se crispe, les flux de capitaux sont bloqués, la confiance se rompt. Les gouvernements publics décident alors d’injecter massivement de l’argent public dans le sauvetage des banques. C’est en particulier le cas de la Grèce.

    Dans le même temps, les investisseurs délaissent les actifs peu sûrs pour les dettes souveraines des États, des actifs sûrs puisque les États ne peuvent pas disparaître. Le principal défaut des actifs pour ces investisseurs à ce moment-là est que ceux-ci ne rapportent pas assez : leurs taux d’intérêts sont trop faibles. Mais c’est sans compter sur la publication d’un rapport établissant que les déficits grecs sont plus importants que prévus du fait de dissimulations effectuées sous la tutelle de la banque Goldman Sachs .

    Il n’en faut pas plus aux marchés financiers pour lancer la machine infernale. Une attaque spéculative débute, les taux d’intérêts de la dette grecque grimpent. La perspective d’un défaut sur la dette grecque apparaît à tous les acteurs. La troïka (la Commission européenne, le FMI, la BCE) intervient et conclut un accord en 2010 avec Giórgios Papandréou, le premier ministre issu du Mouvement socialiste panhellénique (le Pasok). Celui-ci doit mettre en place un programme d’austérité visant à « maîtriser les dépenses publiques » pour réduire le déficit grec.

    En 2011, face à un mouvement populaire anti-austérité et alors que la troïka continue d’exiger la saignée du pays, M. Papandréou évoque la possibilité d’un référendum. Celui-ci abandonne rapidement l’idée, se rendant compte que les élites européennes n’hésiteraient pas à pousser la Grèce vers la porte de sortie.

    Syriza, le faux espoir

    Jusque début 2015, les « réformes » se succèdent. En parallèle, le mouvement populaire anti-austérité s’est développé. Finalement, la coalition de gauche radicale Syriza, avec à sa tête Aléxis Tsípras, remporte les élections législatives de janvier 2015. Dans son programme, plusieurs mesures sont avancées pour sortir de la crise de la dette : suspendre le paiement de la dette, en effectuer un audit pour évaluer la part qui est illégitime, appeler à la participation citoyenne, décréter la fin du mémorandum d’austérité.

    Cependant, il faut noter que la campagne de 2015 de Syriza ne s’est pas faite sur une rupture avec l’Union européenne. Le but a toujours été de négocier avec la troïka mais à aucun moment n’a été envisagé une sortie de l’euro ou de l’UE. Les élites européennes, en premier lieu duquel la Banque centrale européenne, vont exploiter cette faille. Moins de 10 jours après la victoire de Syriza, la BCE ferme le principal canal de financement des banques grecques .

    La tension va continuer à s’accroître durant les six premiers mois de 2015 sans, toutefois, que ni Aléxis Tsípras, ni Yanis Varoufakis, son ministre des finances, ne remettent en cause leur conviction pro-européenne et ne radicalisent l’opinion publique grecque vis-à-vis de l’UE. Ce faisant, ils ne tiennent pas compte de l’épisode de 2011 et la sortie de l’Union ne reste qu’une idée dans quelques têtes de l’aile gauche de Syriza.

    La machine infernale écrase le peuple grec

    Et ce qui devait arriver, arriva. Dans la nuit du 26 au 27 juin 2015, après des négociations pour un autre plan d’« aide » pour la Grèce, Tsípras fait part de son intention de soumettre au référendum du peuple grecque le projet proposé par la troïka. Si le oui l’emporte, Tsípras acceptera et l’austérité continuera. Si le non l’emporte, Tsípras refusera le projet. Mais ce référendum est promu par le gouvernement de l’époque comme un outil pour continuer les négociations et non comme une première étape pour sortir de l’Union, le but étant de faire advenir une « Europe solidaire ».

    À partir du 29 juin 2015, soit 6 jours avant le référendum, les banques grecques sont fermées du fait d’un défaut de liquidité provoqué par la BCE. Malgré cela, le « oxi » (non en grec) l’emporte de manière univoque : plus de 62% des suffrages exprimés se sont portés sur lui. Le 9 juillet, 3 jours après la victoire du « non », Tsípras envoie un projet reprenant les principales préconisations de la troïka (coupe dans les retraites, dans la fonction publique, hausse de la TVA …). Tsípras a dû choisir entre le peuple et la troïka. N’ayant pas mis en place les conditions matérielles suffisantes et étant pro-européen, un seul choix s’offrait à lui : renoncer à ses promesses et obéir à Bruxelles.

    Une autre voie était pourtant possible. Celle de la rupture avec l’Union en sortant de celle-ci. Les premières mesures qu’il aurait fallu prendre sont connues : retour de la souveraineté monétaire en se dotant d’une monnaie nationale, contrôle des capitaux, contrôle et nationalisation des banques, dévaluation du nouveau Drachme de l’ordre de 20 à 30%, mesures exceptionnelles pour s’assurer que les besoins de base de la population (nourriture, médicaments, carburants, etc.) soient assurés… La principale inconnue est la même que celle que connaît le Royaume-Uni à l’heure actuelle : celle de l’issue des négociations commerciales avec l’UE ainsi que leur durée. S’il faut bien sûr se garder d’un optimisme exagéré quant à la réussite d’une sortie de la Grèce de l’UE, les conséquences du maintien étaient elles certaines. Elles sont désormais sous nos yeux : les plans d’austérité n’ont fait qu’aggraver la situation. Bien évidemment, la troïka le savait : les exemples d’échec de la rigueur sont légion, de l’Algérie à l’Argentine en passant par l’Éthiopie ou le Kenya.

    Alors que la Grèce est désormais frappée de plein fouet par la crise sociale et que les méga-incendies se succèdent chaque été, aucun parti de gauche ne semble pouvoir incarner la colère populaire. La population est en effet totalement désabusée par les renoncements de Syriza. La crise énergétique et la dépendance énergétique de la Grèce à la Russie , en faisant exploser les taux d’intérêts de sa dette, ranime le spectre d’une crise financière. La tragédie va-t-elle se répéter ? Si aucune certitude n’est possible, on voit cependant mal pourquoi les élites européennes, qui ont toutes applaudi les mémorandums successifs, feraient des choix différents.

    (1) Frantz Fanon, Les damnés de la terre, La Découverte, janvier 2004