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      Comment l’argent facile a tué la Silicon Valley Bank

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 15 March, 2023 - 04:30 · 7 minutes

    Par Daniel Lacalle.

    La deuxième plus grande faillite d’une banque de l’histoire récente après celle de Lehman Brothers aurait pu être évitée. Aujourd’hui, l’impact est trop important et le risque de contagion est difficile à mesurer.

    La faillite de la Silicon Valley Bank (SVB) est le résultat d’un bank run classique provoqué par un problème de liquidité mais la leçon importante pour tout le monde est que l’énormité des pertes non réalisées et le trou financier dans les comptes de la banque n’auraient pas existé s’il n’y avait pas eu une politique monétaire ultralibre. Permettez-moi d’expliquer pourquoi.

    Au 31 décembre 2022, la Silicon Valley Bank disposait d’un total d’actifs d’environ 209 milliards de dollars et d’un total de dépôts d’environ 175,4 milliards de dollars, selon ses comptes publics. Ses principaux actionnaires sont Vanguard Group (11,3 %), BlackRock (8,1 %), StateStreet (5,2 %) et le fonds de pension suédois Alecta (4,5 %).

    La croissance et le succès incroyables de SVB n’auraient pas pu se produire sans les taux négatifs, la politique monétaire ultralâche et la bulle technologique qui a éclaté en 2022. En outre, l’épisode de liquidité de la banque n’aurait pas pu se produire sans les incitations réglementaires et monétaires à accumuler de la dette souveraine et des titres adossés à des créances hypothécaires (MBS).

    « Ne vous battez pas contre la Fed »

    La base d’actifs de SVB est l’exemple le plus clair du vieux mantra « Ne vous battez pas contre la Fed » . SVB a commis une grave erreur : suivre exactement les incitations créées par une politique monétaire et une réglementation laxistes.

    Que s’est-il passé en 2021 ? Un succès massif qui, malheureusement, a aussi été le premier pas vers la disparition. Les dépôts de la banque ont presque doublé avec le boom technologique. Tout le monde voulait une part du nouveau paradigme technologique imparable. Les actifs de la SVB ont également augmenté et presque doublé.

    La valeur des actifs de la banque a augmenté. Plus de 40 % étaient des bons du Trésor et des titres adossés à des créances hypothécaires à long terme. Le reste était constitué d’investissements dans les nouvelles technologies et le capital-risque, apparemment à la conquête du monde.

    La plupart de ces obligations et titres à « faible risque » étaient conservés jusqu’à leur échéance. La SVB suivait les règles habituelles : des actifs à faible risque pour équilibrer des investissements en capital-risque. Lorsque la Réserve fédérale a relevé les taux d’intérêt, la SVB a dû être choquée.

    L’ensemble de ses actifs reposait sur un seul pari : des taux bas et un assouplissement quantitatif pour plus longtemps. Les valorisations des entreprises technologiques ont grimpé en flèche pendant la période de relâchement de la politique monétaire, et la meilleure façon de couvrir ce risque était de miser sur les bons du Trésor et les titres adossés à des créances hypothécaires. Pourquoi parier sur autre chose ? C’est ce que la Fed achetait par milliards chaque mois. Il s’agissait des actifs les moins risqués selon toutes les réglementations et selon la Fed et tous les économistes traditionnels, l’inflation était purement « transitoire », une anecdote à effet de base. Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?

    Bonjour la panique

    L’inflation n’était pas transitoire et l’argent facile n’était pas illimité.

    Les hausses de taux ont eu lieu. Et la banque s’est retrouvée avec des pertes massives partout. Adieu, les prix des obligations et des titres adossés à des créances hypothécaires. Adieu, les valorisations technologiques du « nouveau paradigme ». Et bonjour la panique. Une bonne vieille ruée sur les banques, malgré la forte reprise des actions SVB en janvier. Les pertes non réalisées, évaluées à 15 milliards de dollars, représentaient presque 100 % de la capitalisation boursière de la banque. La déroute.

    Comme le dit le directeur de la banque dans le célèbre épisode de South Park : « Aaaaand it’s gone » . La SVB a montré à quelle vitesse le capital d’une banque peut se dissoudre sous nos yeux.

    La Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) interviendra mais cela ne suffira pas car seuls 3 % des dépôts de la SVB étaient inférieurs à 250 000 dollars. Selon le magazine Time , plus de 85 % des dépôts de la Silicon Valley Bank n’étaient pas assurés.

    Et ce n’est pas tout. Selon Bloomberg, un tiers des dépôts américains se trouvent dans de petites banques et près de la moitié ne sont pas assurés. Les déposants de la SVB perdront probablement la majeure partie de leur argent, ce qui créera également une grande incertitude dans d’autres entités.

    La SVB était l’exemple type de la gestion bancaire dans les règles de l’art. Elle a suivi une politique conservatrice consistant à acquérir les actifs les plus sûrs – les bons du Trésor à long terme – alors que les dépôts augmentaient.

    La SVB a fait exactement ce que recommandaient ceux qui ont attribué la crise de 2008 à la « déréglementation ». La SVB était une banque ennuyeuse et conservatrice qui investissait ses dépôts croissants dans des obligations souveraines et des titres adossés à des créances hypothécaires, croyant que l’inflation était transitoire, comme tout le monde le répétait, sauf nous, la minorité de fous.

    La SVB n’a fait que suivre point par point la réglementation, les incitations de la politique monétaire et les recommandations des économistes keynésiens. La SVB était l’exemple même de la pensée économique dominante. Et le courant dominant a tué la star de la tech.

    Nombreux sont ceux qui accuseront la cupidité, le capitalisme et l’absence de réglementation, mais devinez quoi ? Davantage de réglementation n’aurait rien changé, car la réglementation et la politique encouragent l’achat de ces actifs à « faible risque ». En outre, la réglementation et la politique monétaire sont directement responsables de la bulle technologique.

    Les valorisations de plus en plus élevées de technologies non rentables et le flux prétendument inarrêtable de capitaux pour financer l’innovation et les investissements verts n’auraient jamais eu lieu sans des taux réels négatifs et des injections massives de liquidités. Dans le cas de SVB, sa croissance phénoménale en 2021 est une conséquence directe de la politique monétaire démente mise en œuvre en 2020, lorsque les grandes banques centrales ont porté leur bilan à 20 000 milliards de dollars comme si de rien n’était.

    La SVB est une victime de l’idée selon laquelle l’impression monétaire n’entraîne pas d’inflation et peut se poursuivre à l’infini. Ils y ont adhéré sans réserve, et aujourd’hui ils ont disparu.

    SVB a investi dans la bulle de tout ce qui était possible : obligations souveraines, titres adossés à des créances hypothécaires et technologie. L’ont-ils fait parce qu’ils étaient stupides ou imprudents ? Non. Ils l’ont fait parce qu’ils pensaient que ces actifs présentaient très peu de risques, voire aucun. Aucune banque n’accumule de risque dans un actif qu’elle croit à haut risque. Les banques ne peuvent accumuler des risques que si elles pensent qu’il n’y en a pas. Pourquoi perçoivent-elles qu’il n’y a pas de risque ? Parce que le gouvernement, les régulateurs, les banques centrales et les experts leur disent qu’il n’y en a pas. Qui sera le prochain ?

    Beaucoup blâmeront tout sauf les incitations perverses et les bulles créées par la politique monétaire et la réglementation, et ils exigeront des baisses de taux et un assouplissement quantitatif pour résoudre le problème. Le problème ne fera que s’aggraver. On ne résout pas les conséquences d’une bulle par d’autres bulles.

    La faillite de la Silicon Valley Bank met en évidence l’énormité du problème de l’accumulation de risques par des moyens politiques. La SVB ne s’est pas effondrée en raison d’une gestion imprudente, mais parce qu’elle a fait exactement ce que les keynésiens et les interventionnistes monétaires voulaient qu’elle fasse. Félicitations.

    Traduction Contrepoints.

    Sur le web

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      L’inflation, fille du confinement et de la divagation des banques centrales

      Yves Bourdillon · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 28 December, 2022 - 03:30 · 4 minutes

    Elle est revenue. Avec une vengeance.

    L’inflation est remontée à des niveaux inconnus depuis quarante ans un peu partout dans le monde . À plus de 9 % en rythme annuel en juin au Royaume-Uni et aux États-Unis, presque 8 % en Allemagne. En France, elle ne dépasse pas encore 6 %, au plus haut depuis quand même trente-sept ans, mais sa dynamique peut la porter vers 10 % d’ici la fin de l’année.

    Inflation : le rôle marginal de la guerre en Ukraine

    Quelles sont les causes, et donc sans doute les responsabilités de cette vague mondiale amorcée début 2021 mais amplifiée depuis quelques mois ? Une accélération récente qui pointerait l’effet de la guerre en Ukraine. Explication martelée par les relais d’influence du Kremlin fustigeant les sanctions occidentales contre Moscou, mais un peu courte. Si la fermeture des ports ukrainiens a contribué à une flambée record des prix du blé, une pénurie de tournesol, ou des tensions sur les engrais, cela n’a pas eu d’effets sur les marchés des autres produits, où Kiev pèse peu.

    La décision européenne de boycotter à terme les hydrocarbures russes a, certes, attisé la tension sur leurs prix, mais il faut noter que celui du gaz russe avait déjà été multiplié par trois (!) six mois avant l’invasion. Quant au baril de pétrole, malgré des pics à 130 dollars, son prix moyen sur la période février-juin est supérieure d’à peine 15 % aux 91 dollars de janvier. Le monde a connu déjà de nombreux épisodes de flambée équivalente, avec notamment le record de 145 dollars le baril de juillet 2008 sans que cela ne provoque d’inflation généralisée (1 %, cette année-là).

    La catastrophe du lockdown

    Beaucoup plus convaincante est l’explication selon laquelle cette vague d’inflation est née des confinements pour cause de covid. Ces derniers ont paralysé bien des usines et perturbé les chaînes d’approvisionnement depuis deux ans partout dans le monde.

    Vous ne pouvez pas mettre sous cloche pendant des mois une grande partie de l’humanité (juste un exemple : le chômage a augmenté en 2020 dans TOUS les pays du monde sauf au Suriname…) sans créer des goulots d’étranglement spectaculaires sur la production et la distribution de nombreux biens et services, avec effets de réactions en chaine. Surtout dans une mondialisation où on travaille en flux tendu, procédés juste à temps et zéro stock… Des semi-conducteurs aux emballages, en passant par automobiles, bois, aluminium, acier, fret maritime, le catalogue des pénuries et courses frénétiques à l’approvisionnement est spectaculaire.

    En outre, la levée des mesures covid s’est accompagnée d’un vif regain de la demande, logique après 18 mois à vivre sous restrictions. Que les industriels ne pouvaient se permettre de ne pas satisfaire… quitte à payer le prix fort les produits semi finis et matières premières dont ils avaient besoin. Prix fort répercuté, évidemment sur ceux au détail. Selon les analystes, tous ces effets mettront des mois, et peut-être jusqu’à deux ans à être résorbés.

    Les confinements ont aussi, via par exemple le dédommagement du chômage technique et l’effondrement des recettes de TVA, fait exploser les déficits publics , source d’inflation bien connue depuis l’Allemagne de Weimar en 1922. Le « quoiqu’il en coûte » a ainsi fait monter la dette publique française de 16 % du PIB, « performance » sans équivalent par temps de paix.

    Inflation : quand les banques centrales jouent aux apprentis sorciers

    Deuxième facteur, longtemps invisible.

    Pour éviter une récession après la crise de 2008, les banques centrales, notamment occidentales, se sont livrées à une création monétaire massive sous le vocable de quantitative easing , « politique non conventionnelle », etc. La planète est depuis lors inondée d’argent et de crédits à taux très bas, voire nuls, au demeurant une spectaculaire spoliation des épargnants.

    Par exemple, le bilan de la Fed a été multiplié par… dix depuis 2007 et par deux depuis 2019. Autrement dit, la banque centrale américaine a créé dix fois plus d’argent au cours des quinze dernières années que durant toute son existence, débutée en 1913. La Banque centrale européenne n’a pas été en reste. Une masse de liquidités devant forcément se placer quelque part et donc susceptible de faire flamber les prix au moindre goulot d’étranglement.

    L’inflation nous présente donc aujourd’hui la facture (puisqu’une hausse des prix de 10 % est tout simplement l’amputation d’un dixième du pouvoir d’achat de ceux des ménages, essentiellement salariés, qui sont dans l’impossibilité d’augmenter leur propre tarif) du confinement et des divagations des banques centrales. Deux politiques peu discutées, dans l’ensemble, mais aux résultats même pas si probants que cela. L’extravagance monétaire a, certes, financé 14 ans de création de biens et services, d’embauche et d’investissements, mais a aussi provoqué des bulles immobilières, pas de chance pour les primo-accédents, et boursières qui se promènent désormais au-dessus d’un champ de cactus.

    Quant au lockdown , pas de chance , sur les quarante pays au monde affichant la plus forte létalité covid en proportion de leur population, 38 l’ont appliqué…

    Article publié initialement le 26 juillet 2022

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      L’histoire de l’inflation dans le monde : de l’Antiquité à aujourd’hui

      Pierre Gueniot · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 21 December, 2022 - 03:40 · 4 minutes

    L’inflation est un phénomène économique connu depuis l’Antiquité qui consiste en une hausse générale et durable des prix dans l’économie. Elle peut avoir des répercussions importantes sur les ménages et les entreprises, notamment en réduisant le pouvoir d’achat et en augmentant les coûts de production.

    L’histoire de l’inflation est étroitement liée à l’histoire de la monnaie et de la gestion de l’offre de monnaie par les gouvernements et les banques centrales. Selon la théorie économique, l’inflation peut être causée par une hausse de la demande globale de biens et de services, qui peut entraîner une augmentation des prix. Cette hausse de la demande peut être due à différents facteurs, tels que l’augmentation de la consommation des ménages, l’accroissement de l’investissement des entreprises ou l’augmentation des dépenses publiques.

    Au cours de l’histoire, de nombreux événements ont contribué à l’apparition et à la propagation de l’inflation dans le monde. Voici quelques exemples.

    L’Antiquité

    Dans l’Antiquité, l’inflation était principalement causée par la dépréciation des monnaies qui pouvait être due à l’usure, à la fraude ou à la dévaluation délibérée par les gouvernements.

    Par exemple, dans l’Empire romain, l’utilisation de métaux de moins bonne qualité dans la production de la monnaie et la dévaluation fréquente de cette monnaie ont contribué à l’apparition de l’inflation.

    Le Moyen Âge

    Au Moyen Âge, l’inflation était principalement causée par l’augmentation de l’offre de monnaie qui pouvait être due à la création de monnaie par les banques ou à l’utilisation de métaux précieux de moins bonne qualité dans la production de la monnaie. Par exemple, en Italie, les banques ont contribué à la hausse de l’inflation en créant de la monnaie en échange de prêts.

    L’Époque moderne

    Depuis l’ ère moderne , l’inflation a été principalement causée par l’augmentation de la demande de biens et de services, qui peut être due à l’accroissement de la consommation des ménages, de l’investissement des entreprises ou des dépenses publiques.

    Par exemple, pendant la Première Guerre mondiale, l’augmentation des dépenses publiques pour financer le conflit et l’accroissement de la production industrielle ont contribué à la hausse de l’inflation dans de nombreux pays.

    L’inflation peut-elle être bénéfique ?

    Il est important de noter que l’inflation n’est pas toujours perçue comme négative.

    Dans certaines situations, elle peut être bénéfique pour l’économie, par exemple en permettant de réduire les taux d’intérêt réels, de rééquilibrer les échanges internationaux ou de favoriser l’investissement et la croissance. Cependant, lorsqu’elle est trop élevée ou incontrôlée, l’inflation peut avoir des effets négatifs sur l’économie et sur la société, tels que la réduction du pouvoir d’achat, la dévaluation de l’épargne et la désinflation des actifs.

    Pour lutter contre l’inflation, les gouvernements et les banques centrales ont à leur disposition différentes solutions.

    Parmi les plus courantes, on peut citer :

    La politique monétaire

    Les banques centrales peuvent agir sur l’inflation en utilisant leur politique monétaire, c’est-à-dire en contrôlant l’offre de monnaie et les taux d’intérêt. En réduisant l’offre de monnaie, les banques centrales peuvent limiter la hausse de la demande globale et donc freiner l’inflation. De même, en augmentant les taux d’intérêt, elles peuvent rendre l’emprunt plus coûteux et donc réduire l’investissement des entreprises et la consommation des ménages.

    La politique budgétaire

    Les gouvernements peuvent également lutter contre l’inflation en utilisant leur politique budgétaire, c’est-à-dire en réglementant leurs dépenses et leurs recettes. En réduisant leurs dépenses, ils peuvent limiter la hausse de la demande globale et donc freiner l’inflation. De même, en augmentant les impôts, ils peuvent réduire la consommation des ménages et l’investissement des entreprises.

    Il est important de noter que ces solutions ne sont pas sans conséquences et peuvent avoir des effets secondaires négatifs sur l’économie.

    Par exemple, une politique monétaire restrictive peut entraîner une réduction de l’investissement et de la croissance économique tandis qu’une politique budgétaire restrictive peut réduire les services publics et la protection sociale. Il est donc important de trouver un juste équilibre entre la lutte contre l’inflation et la préservation de la croissance et de la prospérité économiques.

    En conclusion

    L’histoire de l’inflation dans le monde est riche et complexe et reflète les différents facteurs ayant influencé l’offre et la demande de biens et de services au fil du temps.

    Pour mieux comprendre l’inflation et trouver des solutions pour la maîtriser, il est important de s’appuyer sur des sources fiables et d’analyser les données économiques et démographiques disponibles.

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      Les banques centrales ne font pas de cadeaux

      Sébastien Thiboumery · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 20 December, 2022 - 03:40 · 3 minutes

    Au cours des neuf derniers mois, Jerome Powell (président de la Fed, la banque centrale américaine) a monté les taux d’intérêt de la façon la plus rapide depuis les années 1980. En effet, l’inflation atteignant les niveaux les plus élevés depuis 40 ans, les officiels de la Fed étaient unanimes sur le fait qu’ils devaient monter les taux de manière agressive. Ce fût la première étape, de loin la plus facile.

    Car maintenant que l’inflation semble montrer des signes de ralentissement, la question concernant la hausse des taux directeurs est la suivante : stop ou encore ?

    Pour Joseph Stiglitz, c’est stop

    Dans une tribune du think tank Roosevelt Institute « All Pain and No Gain from Higher Interest Rates » et traduite dans Les Échos sous le titre : « Hausse des taux : une souffrance inutile », le Nobel d’économie déclare que la lutte contre l’inflation à travers les hausses de taux va provoquer une récession et accentuer les inégalités en fragilisant les plus pauvres avec l’augmentation du chômage. Le remède serait donc pire que le mal. D’autant plus que, selon l’économiste, l’inflation ralentit déjà.

    En effet, les derniers chiffres publiés pourraient laisser penser que le pic d’inflation serait atteint, l’indice des prix à la consommation s’établissant à 7,1 % en novembre.

    Stiglitz pense que Powell fait une mauvaise analyse des causes de l’inflation, due selon l’économiste à plusieurs chocs d’offres successifs (covid, conflit en Ukraine…). Mais au lieu de chercher à résoudre les goulets d’étranglements, Powell « cogne partout dans l’économie » en voulant faire diminuer la demande :

    « Un niveau plus élevé de taux d’intérêt fera-t-il augmenter l’offre de puces électroniques automobiles, ou l’offre de pétrole ? Fera-t-il baisser les prix des produits alimentaires […] ? Évidemment, non. Au contraire, des taux d’intérêt plus élevés rendent encore plus difficile la mobilisation des investissements susceptibles d’atténuer les pénuries d’offres. »

    Stiglitz soulève un point intéressant. En effet, si la Fed pense que l’inflation vient d’une inadéquation entre offre et demande, deux approches s’offrent à elle :

    1. Augmenter l’offre grâce à l’investissement productif.
    2. Réduire la demande via une baisse des revenus, du pouvoir d’achat et donc des conditions de vie.

    La Fed a fait le choix numéro deux car si elle voulait augmenter l’offre elle réduirait les taux d’intérêt. Or, en augmentant les taux, elle souhaite faire baisser les marchés des actions et de l’immobilier afin que les Américains se sentent moins riches, qu’ils achètent moins et que les prix arrêtent de monter. Au vu de l’évolution de l’indice de confiance du consommateur Michigan, les Américains ont déjà le moral dans les chaussettes (ce qui est indicateur de récession).

    Et cela ne risque pas de s’arranger (au grand dam de Joseph Stiglitz) si l’on en croît la présidente de la Fed de Kansas City, Esther George, qui pense que le ralentissement de l’inflation doit passer par une récession. Principale raison invoquée selon elle : la force du marché de l’emploi qui ne cale toujours pas. Il y a donc fort à parier que la « souffrance inutile » va continuer.

    La Banque centrale européenne n’est pas en reste. Pour sa dernière réunion de l’année, elle a envoyé un message très clair : le combat contre l’inflation est loin d’être terminé et les taux d’intérêt devraient encore augmenter sensiblement à un rythme soutenu. Ainsi, Lagarde marche dans les pas de Powell, marchant lui-même dans les pas de son lointain prédécesseur Volcker.

    Au final, si les banquiers centraux adoptent une position dure sur l’évolution des politiques monétaires c’est parce qu’ils n’ont pas vu venir l’inflation en la qualifiant durant trop longtemps de « transitoire ». Après ce diagnostic erroné, ils préfèrent donc en faire trop que pas assez dans le resserrement monétaire afin de ne pas subir de nouvelles critiques (comme par exemple le fait que l’inflation résulte également d’une création monétaire très élevée avec l’expansion massive de la taille de leurs bilans, qu’ils cherchent désormais à réduire).

    Mais chut ! Cela risquerait de leur gâcher les fêtes…

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      Les trois fonctions de la monnaie et leur sabotage

      Jan Krepelka · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 7 November, 2022 - 03:30 · 7 minutes

    Par Jan Krepelka.

    argent arme credits dominik meissner (licence creative commons)

    Qu’est-ce que la monnaie ?

    La monnaie est un outil formidable de civilisation qui nous a permis de sortir du troc, d’épargner et de nous  coordonner par le marché. Elle rend possible à grande échelle la spécialisation du travail, les avantages comparatifs, les gains à l’échange, le calcul économique… Sans monnaie, pas de civilisation moderne, donc.

    Traditionnellement, on attribue trois fonctions à la monnaie.

    Les trois fonctions de la monnaie

    Unité de compte

    La monnaie permet de mesurer la valeur relative des biens et de faire des choix en conséquence. Elle rend ainsi possible le calcul économique, c’est-à-dire l’allocation des ressources là où elles sont utiles, selon leur usage optimal. Elle évite ainsi les pénuries et plus généralement elle rend possible une société prospère en permettant la coordination des décisions de millions d’individus sur le marché.

    Sans monnaie en tant qu’unité de compte, pas de mécanisme des prix, pas de calcul économique , pas de prospérité, pas de civilisation.

    Réserve de valeur

    La monnaie permet l’épargne, c’est-à-dire l’accumulation de capital. Autrement dit, l’investissement, la création d’entreprises importantes. L’épargne permet donc le développement, la croissance de long terme, la civilisation.

    Mais il faut pour cela que la monnaie soit stable, c’est-à-dire qu’il soit possible d’épargner sans craindre que l’argent physique ou le montant déposé à la banque perdra en valeur, voire pire, qu’il perdra en valeur à un degré imprévisible.

    Intermédiaire des échanges

    La monnaie rend possibles des échanges qui seraient beaucoup trop complexes et donc impossibles avec le simple troc. Elle rend ainsi possible toute division du travail au-delà du niveau de simple survie, donc la civilisation.

    Quel est le rôle d’une banque émettrice de monnaie ? Garantir la préservation de ces trois fonctions.

    On peut imaginer plusieurs moyens pour arriver à cette fin :

    • Des banques libres en concurrence ;
    • Une garantie mathématique (bitcoin) ;
    • La convertibilité obligatoire en or ;
    • Des règles constitutionnelles, comme par exemple, au hasard, un ratio minimal de réserves en or.

    Il existe d’autres moyens qui ne sont guère que des pis-aller, et se sont révélés historiquement des échecs cuisants :

    Proclamer la stabilité des prix (et non leur baisse) comme objectif, par opposition à l’inflation ou l’hyper-inflation, sans offrir de garantie réelle. Historiquement et actuellement, le résultat a été une inflation continue dans le meilleur des cas et au pire de l’hyper-inflation.

    Proclamer l’indépendance de la banque centrale (et non sa dépendance d’une règle indépendante), par opposition à un contrôle direct du gouvernement, prier pour que la banque centrale en fasse bon usage et que ses dirigeants ne s’en servent pas pour poursuivre leurs objectifs personnels.

    … et leur sabotage actuel

    Unité de compte

    La nationalisation des entreprises empêche le calcul économique en sortant une partie de l’économie du mécanisme des prix : c’est l’appauvrissement, les pénuries, les files d’attente et les inefficacités absurdes causées par le socialisme.

    Mais il y a une autre façon de saboter ce premier rôle de la monnaie : créer la confusion des prix relatifs en manipulant les taux de change, générant ainsi les cycles économiques et les crises .

    Réserve de valeur

    La création monétaire implique une taxe inflationniste, une perte de pouvoir d’achat. L’ augmentation de la masse monétaire (inflation stricto sensu) s’accompagne d’une hausse des prix (conséquence de l’inflation de la masse monétaire). Au contraire, dans une économie saine, avec une quantité de monnaie stable la situation naturelle de croissance est la baisse constante des prix : votre argent vaut plus demain qu’aujourd’hui car le progrès technologique et commercial rend meilleur marché les mêmes produits tout en en amenant d’autres. C’est d’ailleurs bien ce qu’on observe dans certains domaines comme l’informatique dont la croissance est telle qu’elle reste spectaculaire même amputée de l’inflation.

    Mais dans l’économie en général, la taxe inflationniste implique une perte colossale visible pour tous les utilisateurs de la monnaie. Même le franc suisse, avec toute sa force, a perdu plus de 90 % de sa valeur en un siècle .

    Intermédiaire des échanges

    Ce rôle-là de la monnaie est principalement saboté par la fiscalité en général, qui pousse parfois à un retour au troc en pénalisant les échanges monétaires, plutôt que par les banques centrales en particulier.

    Mais l’instabilité monétaire due à l’irresponsabilité des banques centrales fait que là aussi, utiliser de la monnaie pour les échanges devient périlleux. Cependant, le vrai sabotage commis par les banques centrales à ce niveau se retrouve dans le fait que plutôt que garantir la possibilité des échanges, elles se mettent à en faire elles-mêmes, devenant acteur sur le marché financier. La banque centrale n’est alors plus une banque émettrice de monnaie digne de ce nom, mais un fonds souverain, un hedge fund , prenant des risques démesurés avec l’épargne des Suisses en investissant dans des obligations d’États endettés et instables, dont les obligations ne sont pas sans risque. Risque qu’elle fait prendre à une population qui n’a pas nécessairement vocation à faire de la spéculation, et à laquelle on n’a d’ailleurs pas demandé son avis avant de le faire. Et ce n’est pas son rôle non plus que de se transformer en boutique de bradage d’or, ni de faire ainsi des « bénéfices » redistribués aux cantons ou à la Confédération.

    Comment les rétablir ?

    fonctions de la monnaie rené le honzec La situation actuelle d’une banque centrale indépendante sans contrainte constitutionnelle, mathématique ou matérielle, implique surtout qu’elle détient tout le loisir de saboter, à sa discrétion, les fonctions de la monnaie des Suisses.

    Elle aura ainsi dilapidé les réserves d’or qui permettaient de les préserver, nous aura tous appauvris par une perte de valeur massive du franc suisse, nous aura confrontés aux crises et à un risque systémique élevé en nous rendant dépendants des politiques de l’Union européenne (sous des prétextes grotesques relevant de l’illettrisme économique tels que le soutien aux exportations, comme si d’ailleurs cela pouvait faire partie du cahier des charges d’une Banque prétendument indépendante).

    Le but de la BNS devrait être de faire en sorte que le franc suisse vaille encore quelque chose dans 10 ou 100 ans, c’est-à-dire qu’il puisse continuer à remplir les trois rôles de la monnaie. Il ne devrait pas être de soutenir les exportations (indépendance des intérêts à court terme d’un lobby donné), ni de générer des profits en prenant des risques et achetant des obligations (indépendance des intérêts à court terme des cantons et de la Confédération), ni d’aligner sa politique sur celle de l’Union européenne (indépendance de la volonté du Conseil fédéral d’adhésion subreptice à l’Union européenne).

    Il est plus que temps de rappeler à l’ordre une banque centrale qui a oublié ses véritables missions.

    En exiger un taux de réserves en or de 20 % au minimum n’est dès lors sans doute pas la panacée mais relève plutôt de la moindre des choses , du strict minimum pour se prémunir un tant soit peu du risque de catastrophes. L’initiative sur l’or n’offre pas une garantie absolue contre ces trois dérives, mais elle contribue grandement à nous en protéger. En tous les cas, bien mieux que l’actuelle prétendue indépendance de la BNS, qui consiste surtout à la rendre indépendante de toute réalité et de toute responsabilité, indépendante des intérêts à long terme des détenteurs de monnaie, mais dépendante des intérêts à court terme des politiques, et dépendante des mauvaises politiques de l’Union européenne. Le métal jaune n’a rien de magique mais il offre bien plus de garanties que le papier imprimé.

    Sur le web

    Article initialement publié le 19 décembre 2014.

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      Poids de la dette et inflation : quelles leçons après l’épisode britannique ?

      The Conversation · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 1 November, 2022 - 04:10 · 5 minutes

    Par Éric Mengus et Guillaume Plantin.

    Le 23 septembre au Royaume-Uni , l’annonce du mini-budget et les événements qui ont suivi jusqu’à l’annonce de la démission de la Première ministre Liz Truss , le 20 octobre, ont suscité un regain d’intérêt pour le risque de « dominance budgétaire », c’est-à-dire une situation dans laquelle la banque centrale abandonne son objectif de stabilité des prix pour aider le gouvernement à financer ses déficits.

    Mais dans quelle mesure cette séquence d’événements doit-elle nous pousser à repenser les relations entre les gouvernements, en charge de la politique fiscale, et les banques centrales indépendantes, en charge de la politique monétaire avec un mandat de stabilité des prix ? Que nous apprend-elle sur ce risque de dominance budgétaire ?

    La manière canonique d’analyser les interactions fiscales et monétaires a été introduite par les économistes américains Thomas Sargent et Neil Wallace il y a 40 ans. Dans leur contexte, la principale question est de savoir qui ajuste sa politique entre le gouvernement et la banque centrale pour que le gouvernement satisfasse sa contrainte budgétaire. Si le gouvernement réussit à imposer une trajectoire de déficits futurs – il « agit en premier » dans le langage de Sargent et Wallace –, la banque centrale est obligée de « se dégonfler » et de financer les besoins futurs du gouvernement.

    Pressions sur les banques centrales

    Une telle situation ressemble à s’y méprendre au mini-budget britannique et à ses engagements de réductions drastiques de certaines taxes. Mais les événements au Royaume-Uni montrent qu’il peut être plus difficile que nous ne le pensions pour le gouvernement d’« agir en premier » et de « coincer » la banque centrale en imposant une trajectoire de déficits futurs. Le ministre des Finances a démissionné le 14 octobre – avant que Liz Truss ne quitte elle-même le 10 Downing Street. Presque tous les plans budgétaires annoncés ont été retirés.

    In fine, la « dominance monétaire » – c’est-à-dire une situation où la banque centrale privilégie son mandat de stabilité des prix et oblige le gouvernement à adopter une trajectoire de déficits plus soutenables – pourrait éventuellement l’emporter. C’est d’ailleurs ce que notent un certain nombre d’observateurs tels que Jason Furman, ancien président du conseil des conseillers économiques sous la présidence de Barack Obama aux États-Unis.

    Une telle dominance monétaire ne va pourtant pas de soi aujourd’hui, dans un contexte de pressions accrues sur les banques centrales en raison notamment du niveau important des dettes publiques, du caractère importé d’une partie de l’inflation et des besoins importants de financement, par exemple, de la transition verte .

    Forte réaction des marchés

    Alors, quels sont les déterminants expliquant qui remporte finalement la partie entre la banque centrale et le gouvernement ? Parmi ces nombreux déterminants, l’expérience britannique montre que le plus important – qui manque dans la plupart des analyses – est le fonctionnement du marché de la dette.

    Pour emprunter le langage de Markus Brunnermeier, professeur d’économie à Princeton, la domination monétaire découle en partie de la « domination financière » : l’exposition du secteur financier à la dette britannique et, notamment, des fonds de pension a été clé dans la forte réaction des marchés et la brutale hausse des taux.

    Money and Banking, part 4 : Risky Government Debt, Diabolic Loop, Stability and Dominance Concepts (Markus Economicus, 2017).

    Si les investisseurs sur le marché de la dette réagissent fortement à une politique budgétaire déséquilibrée – entraînant une pénurie de liquidités sur ces marchés clés – alors l’action de la banque centrale devient essentielle pour éviter le défaut et réduire le coût pour le gouvernement de s’engager dans cette politique budgétaire.

    Mais ces interventions de la banque centrale ne sont pas neutres non plus et cette banque centrale peut préférer limiter le plus possible ses interventions : dans un contexte d’inflation d’ores et déjà élevée et de craintes quant à la crédibilité de la livre sterling, une monétisation trop importante des déficits aurait été catastrophique pour la stabilité monétaire du Royaume-Uni.

    Croyances des investisseurs

    Ainsi, trois éléments ont été déterminants pour que la banque centrale s’impose et que la domination monétaire se concrétise :

    1. Le marché a fortement réagi aux nouvelles budgétaires britanniques.
    2. La banque centrale était suffisamment disposée à dissuader la domination budgétaire.
    3. Le gouvernement britannique se rend compte que le coût de la domination budgétaire pour le gouvernement dépasse ses gains attendus.

    De ce fait, trois « joueurs » ont compté pour l’issue du jeu entre la banque centrale et le gouvernement, faisant ainsi écho à notre recherche récente dans laquelle nous nous interrogions : « La Banque centrale, le Trésor ou le marché : lequel détermine le niveau des prix ? ».

    Qu’implique ce rôle du marché pour les banques centrales dans cette question du risque de dominance budgétaire ?

    Premièrement, il est clé pour les banques centrales et leurs mandats de stabilité des prix qu’elles influencent les croyances des investisseurs : lorsque les investisseurs pensent que la banque centrale va se « dégonfler », les marchés ne réagiront pas aux politiques fiscales trop expansionnistes et la dominance budgétaire prévaudra.

    Deuxièmement, les banques centrales doivent également laisser les prix sur les marchés de dette refléter les croyances des investisseurs quant aux risques liés à la politique fiscale. Cela n’est pas nécessairement satisfait lorsque les banques centrales sont trop interventionnistes sur ces marchés, même si d’autres motifs peuvent justifier des interventions comme une éventuelle exubérance des marchés .

    Ce dernier point doit pousser à la réflexion des banques centrales comme la Banque centrale européenne (BCE) , notamment en ce qui concerne son nouvel instrument – son outil « anti-fragmentation », le Transmission Protection Instrument – qui lui permet d’agir en cas de variation du taux de financement d’un pays.

    Éric Mengus , Professeur associé en économie et sciences de la décision, HEC Paris Business School et Guillaume Plantin , Professor, Research and Faculty Dean , Sciences Po

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original . The Conversation

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      Splendeurs et misères du bitcoin

      Jean-Jacques Handali · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 4 March, 2021 - 04:15 · 7 minutes

    bitcoin

    Par Jean-Jacques Handali.

    Né dans l’esprit d’un certain Satoshi Nakamoto en 2008, dont on ne sait si c’est le vrai nom ou le pseudonyme d’un groupe de personnes, le bitcoin fut commercé pour la première fois le 12 octobre 2009. 5050 bitcoins furent échangés pour 5,02 dollars par virement Paypal, soit environ 0,001 dollar l’unité.

    Le 9 février 2011, le bitcoin atteignait la parité avec le dollar et un peu moins de trois ans plus tard, il dépassait la valeur de l’once d’or qui était alors de 1250 dollars. Son enchère continua de grimper régulièrement avant de s’emballer à partir de 2017 où, en douze mois, la valeur de la crypto-monnaie a été multipliée par quinze, passant de 1300 dollars à 19 000 dollars.

    Depuis, le bitcoin avance en zigzag, mais à grandes enjambées, dépassant les 58 000 dollars pour la première fois, en février 2021.

    Le bitcoin, une monnaie de réserve ?

    Pour commencer, prenons conscience d’avoir affaire à une monnaie qui n’est liée à aucune substance économique. Elle ne colporte ni valeur intrinsèque ni actif sous-jacent. Elle ne produit ni intérêt, ni dividende, ni rente, ni revenu et son application ne connaît aucun débouché industriel. Aucune autorité centrale ou garantie étatique n’en soutient l’évolution.

    Le bitcoin dépend donc uniquement du bon vouloir des marchés et du flux des transactions. Que les acheteurs soient en appétence et la crypto-monnaie prendra de la valeur. Que les vendeurs soient majoritaires et son cours ne sera plus soutenu. Ce n’est donc pas un système monétaire qui est mis en place, mais une sorte de structure pyramidale, fluctuante et étroite, soumise à l’engouement du moment.

    De même, bien que ses transactions soient en constante augmentation, le bitcoin n’est pas déterminé par un usage économique ou une fonction sociale . D’abord, parce que sa masse est ténue : 18 millions d’unités émises (21 millions attendues d’ici l’an 2140 en tout et pour tout). Partant, l’agrégat monétaire ne s’adaptera pas à la création de richesse, et les mots de passe oubliés et adresses égarées ne seront pas remplacés.

    Ensuite, parce que sa volatilité est extrêmement élevée : une devise dont le prix oscille de 30 à 40 % en l’espace de quelques jours n’est pas crédible. Sa convertibilité dans un contexte international ne serait pas soutenable, son utilisation sur un mode intérieur gripperait les échanges.

    À ce titre, l’évoquer en tant que monnaie dans cet article est davantage une convenance de langage qu’une juste définition.

    Le bitcoin, une valeur refuge ?

    Sa volatilité élevée empêche le bitcoin d’être considéré comme une valeur refuge. Par définition, une valeur refuge est un bien dont l’estimation a tendance à se stabiliser ou à s’apprécier pendant les périodes de crise des marchés financiers. Un tel actif permet en quelque sorte de sécuriser le patrimoine de son détenteur. Difficile de prétendre à une telle stabilité avec les fluctuations mentionnées ci-dessus.

    Au-delà, il faut être conscient que 2100 adresses détiennent approximativement 40 % du total émis à ce jour. Il suffirait que certaines de ces adresses parviennent à une sorte d’entente ou de déclaration d’intention pour orienter ce marché dans un sens ou dans l’autre.

    Précisons également que 80 % des utilisateurs ne participent pas au marché. Ils gardent leurs avoirs sous le matelas et n’y touchent pas. C’est donc une minorité d’actionnaires qui font le marché et en rythment la cadence.

    Ce ne sont pas là les principes d’une valeur refuge.

    Le bitcoin, un réseau confidentiel ?

    À quel point le bitcoin est-il confidentiel et quelle est l’influence d’une autorité de référence sur ce système ?

    Les transactions d’achats et ventes du Bitcoin ne se font pas dans l’anonymat. Un registre public indique le montant de bitcoins affilié à chaque adresse, ainsi que les opérations enregistrées sur la chaîne de blocs. Si elle n’est pas ouvertement accessible, l’identité des utilisateurs peut ainsi être déterminée grâce aux plateformes d’échanges, qui consignent l’identité des propriétaires. Seules certaines opérations de gré à gré échappent au contrôle.

    Combien de temps avant qu’un État ou un groupe d’États n’en signifie l’arrêt ?

    Une grande sécurité d’utilisation ?

    Les portefeuilles sont protégés par un mot de passe. Le Vatican, le Pentagone, JP Morgan, Citigroup, Sony et d’autres institutions réputées inviolables ont été attaquées par des hackers , avec des dégâts plus ou moins avérés, plus ou moins avoués. Viendra un jour où un hacker parviendra à secouer le temple du bitcoin.

    Quel sera la réaction des investisseurs à ce moment-là ? De même, que se passera-t-il le jour où une monnaie électronique améliorée (sécurité accrue, meilleure consommation électrique du minage…) sera introduite sur le marché ? Qui voudra alors d’une crypto-monnaie dépassée ?

    Rappelons que les transactions sont traitées par internet. Leur fluidité est donc dépendante de la neutralité de ce réseau. Nous savons déjà comment certains pays autorisent le déploiement de cette toile et comment d’autres en restreignent l’utilisation.

    Tant que ce réseau est disponible, votre coffre électronique est accessible. Sinon, il faudra patienter jusqu’à la réouverture des guichets !

    Le minage du bitcoin entraîne une consommation électrique vorace. À l’heure où la planète prend conscience de la dilapidation de ses ressources, l’empreinte écologique de la crypto-monnaie pose question sur son progrès.

    Enfin, la dimension internationale du bitcoin octroie à ses contrevenants un caractère d’impunité, car les cadres juridiques s’arrêtent souvent à la frontière des États. Que risque un hacker biélorusse ou nord-coréen qui détourne les codes d’un épargnant anglais ou allemand ? Pas grand-chose !

    Mettre fin au monopole des banques centrales ?

    À l’heure où les principales économies croulent sous l’avalanche de cash et d’injections monétaires, la technologie intéresse de plus en plus les institutions financières et les autorités officielles. Pour l’instant, elles se contentent de suivre le cours des crypto-monnaies en invitant les investisseurs à la plus grande prudence…

    Lorsque la bulle éclatera (SIC), les gouvernements pourront alors se targuer de leur mise en garde : « On vous l’avait bien dit » ! La monnaie ayant cours officiel (dollar, euro ou autre…) brillera en comparaison, ne serait-ce que par défaut.

    À l’inverse, si le bitcoin poursuit son petit bonhomme de chemin, les gouvernements verront d’un très mauvais œil la perte de leur hégémonie. Les autorités veulent être les seules à contrôler la monnaie et le crédit qui en découle.

    Elles n’hésiteront pas à mettre le bitcoin hors la loi (c’est déjà le cas dans de nombreux pays : Chine, Inde, Thaïlande, Maroc, Algérie…) et proposeront une alternative officielle afin de récupérer la manne déversée dans ces portefeuilles électroniques.

    Conclusion ?

    Résumons : voici une pseudo-monnaie qui n’en est pas une, qui ne représente aucun actif sous-jacent, qui ne jouit d’aucune garantie gouvernementale, et qui ne peut être considérée comme une valeur refuge.

    Sa confidentialité est tantôt décriée comme insuffisante, tantôt dénigrée comme servant aux malversations . L’utilisation du bitcoin est tributaire de la régularité d’internet, de l’impéritie des hackers et du retard de la concurrence. La consommation d’énergie de son minage frôle l’indécence. Il est d’ailleurs curieux que le patron de Tesla ait encouragé son achat, et que les organisations de défense de la planète n’aient pas réagi…

    L’échec de la crypto-monnaie renforcera la position des banques centrales qu’elle prétend contourner. Alternativement, son succès suscitera l’intervention de ces mêmes banques à l’encontre de son développement.

    Alors pourquoi cet enthousiasme délirant pour ce qui n’est rien d’autre qu’un modèle mathématique ? Certains investisseurs, à tort ou à raison, parient sur la valorisation d’une société comme Tesla, pensant que sa valorisation actuelle représente un calcul équitable de ses revenus futurs. Dans le cas du bitcoin, il n’y aura guère de revenu futur !

    Le bitcoin est une bulle spéculative fondée sur les incontournables faiblesses de la nature humaine : ignorance, comportement moutonnier et avidité du gain.

    Que nos dirigeants ne se croient pas au milieu d’un long fleuve tranquille, pour autant. Outre l’engouement de certains investisseurs pour une étoile filante, le déversement de liquidités par les autorités est symptomatique d’un manque de confiance dans les repères monétaires de nos démocraties.

    Un jour ou l’autre, elles devront y faire face par la levée d’impôts et/ou l’entraînement de l’inflation. Une autre solution serait de refondre le système monétaire mondial, un nouveau Bretton Woods, qui ré-instituerait l’or physique comme pilier de ce nouveau système. Mais cela demande un peu de courage. C’est toujours préférable que d’initier une guerre…

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      La dette : potion magique ou poison mortel ?

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 18 February, 2021 - 04:15 · 10 minutes

    la dette

    Par Johan Rivalland.

    « La France peut-elle encore tenir longtemps ? » , interroge Agnès Verdier-Molinié. Suscitant des adversités qui atteignent leur point culminant , comme vous pouvez le constater dans cette séquence montrant une opposition de points de vue qui atteint son paroxysme entre un Jean-Marc Daniel et un Christian Chavagneux connus pour avoir des idées très divergentes mais que l’on a connus plus mesurés et courtois dans leurs échanges.

    La dette : potion magique ou poison mortel ?

    Le recours massif à la dette n’a, en effet, jamais atteint de tels niveaux dans le monde. Et si certains y voient une sorte de potion magique, ainsi que le suggère le titre de cet ouvrage, prétextant du niveau historiquement bas des taux d’intérêt pour affirmer haut et fort que c’est le moment d’en profiter pour investir et stimuler l’économie à bon compte, d’autres mettent en garde contre le poison mortel que peut représenter cette dette qui n’en finit pas d’enfler, jusqu’à sembler hors de contrôle. C’est plutôt le point de vue défendu par la plupart des auteurs de cet ouvrage, quelles que soient les nuances entre eux.

    Surtout, une certaine frange de politiciens et d’économistes très à gauche militent de manière que l’on peut juger inconséquente pour un effacement tout aussi magique d’une partie substantielle de la dette. Suivis en cela également par les partisans de la « nouvelle théorie monétaire », celle contre laquelle met en garde entre autres Jacques de Larosière, la qualifiant de fausse recette . Mais également, dans une large mesure, les auteurs du Cercle Turgot ici réunis, qui, il y a seulement trois ans, dans un contexte pourtant moins dramatique que celui que nous connaissons à présent, alertaient déjà contre les dérives des dettes publiques .

    Une question épineuse

    La question est loin d’être anecdotique, quand on sait par exemple que plus des deux-tiers des Français seraient partisans soit d’annuler la dette contractée par l’État pendant la pandémie de Covid-19, soit de la faire rembourser par les « riches » , à travers une contribution exceptionnelle des grandes fortunes. On imagine bien à quelle surenchère pourront se livrer certains politiciens à l’approche des prochaines élections présidentielles…

    C’est pourquoi, même si les points de vue des auteurs de cet ouvrage sont loin d’être tous motivés par une vision très libérale de l’économie, le présent ouvrage n’en est pas moins utile pour mettre en cause un certain nombre de dogmes ou d’idées fausses sur le sujet de la dette. En faisant appel à la connaissance, aux références historiques et à un certain sens de la pédagogie, il est susceptible de faire entendre la voix de la raison à ceux qui pourraient se laisser tenter par le chant de la facilité, ou de la démagogie .

    L’endettement : jusqu’où ?

    Les questions posées dans cet ouvrage sont toutes celles que l’on peut se poser actuellement : les taux d’intérêt très faibles, voire négatifs, vont-ils durer ? Et après ? Comment rembourser ? Est-ce les prochaines générations qui vont devoir payer ? À quel prix ? Avec quelles conséquences ? Pouvons-nous continuer ainsi à nous endetter indéfiniment ?

    Pour y répondre, il est utile de se référer aux enseignements de l’Histoire. C’est ce que fait, entre autres, le même Jean-Marc Daniel que nous citions plus haut. Qui rappelle les nombreux épisodes historiques au sujet des banqueroutes et de leurs conséquences (la dernière date, en France, de 1797 et on sait qu’y recourir de nouveau reviendrait à atteindre fortement la crédibilité de la signature française, ce qui se paierait au prix fort. La plupart des économistes conviennent d’ailleurs que cela ne présente aucun intérêt aujourd’hui, sur un plan financier).

    Mais aussi qu’hormis la banqueroute, la dette se paye

    • soit par la voie de l’inflation que certains appellent de leurs vœux, malgré les conséquences que l’on sait sur la richesse et l’érosion du pouvoir d’achat ; c’est d’ailleurs elle qui a permis de solder les dettes des deux guerres mondiales ;
    • soit par la généralisation de la dette perpétuelle , qui n’est autre, nous dit Jean-Marc Daniel, que ce que nous pratiquons déjà depuis près de deux siècles en ne payant que les intérêts de la dette et en contractant en permanence de nouveaux emprunts pour rembourser les emprunts précédents ;
    • soit enfin en pratiquant les rachats de dette par les banques centrales , ce qui se pratique allègrement aussi ces dernières années, donnant l’illusion que l’on peut exercer un endettement sans limite.

    Mais c’est ne pas voir, nous dit Jean-Marc Daniel :

    « D’abord, que toute dépense publique non financée par un prélèvement sur la dépense privée augmente la demande. Si cette augmentation se pérennise, elle entraîne soit un apport d’offre extérieure, c’est-à-dire un creusement du déficit commercial, soit une possibilité offerte aux entreprises d’augmenter leurs prix, c’est à dire une relance de l’inflation. Ensuite, que l’augmentation de la dette publique provoque des anticipations négatives chez les acteurs privés. Dans un premier temps, le réflexe d’épargne pour affronter un avenir fiscal incertain conduit à une augmentation du prix des actifs. C’est ce que les économistes appellent l’« équivalence ricardienne ». Enfin, que ces anticipations négatives finissent par éroder la crédibilité de la monnaie. Contenir la dette publique devient donc indispensable, et réclame une baisse significative des dépenses publiques. »

    Toujours en référence à l’Histoire, on notera la participation au débat de Nicolas Baverez, qui, dans une intervention intitulée « la démocratie, antidote au piège de la dette » montre notamment en quoi l’hélicoptère monnaie fait partie des illusions sur « l’argent gratuit », qui se sont toujours terminées par des catastrophes économiques et financières, et qui met en garde contre les dangers du surendettement, ne se montrant pas pour autant hostile à une certaine politique monétaire. Nicolas Bouzou , quant à lui, surprend, défendant un « bon usage de Keynes » face à la situation actuelle qui justifierait selon lui de sortir de sa vision traditionnelle pour tenir compte de l’ampleur inhabituelle de cette crise.

    Des problématiques multiples, mais des points de vue hétéroclites sur la dette

    C’est aussi au niveau mondial que le problème de la dette se pose.

    Anne-Laure Kiechel évoque les différences d’origine des financements selon les pays (on pense notamment au Japon ou à l’Italie, qui détiennent l’essentiel de leur dette), ce qui peut dans certains cas poser un problème de souveraineté.

    Christian Saint-Étienne, lui, montre comment, en s’endettant de manière inconséquente par le financement davantage des dépenses courantes que des investissements d’avenir, l’Europe prend le risque d’accroître son retard sur les États-Unis et la Chine, menaçant ainsi à la fois son indépendance et sa prospérité.

    Isabelle Job-Bazille, quant à elle, met en garde contre les dangers du surendettement au profit d’une bulle financière, la perfusion monétaire ayant bien du mal à se diffuser dans l’économie réelle et risquant d’aboutir aux mêmes maux qu’en 2008 si on n’y prend garde.

    Les enjeux de la dette publique sont ensuite analysés par divers auteurs connus (Gilles Dufrénot, François Ecalle, Eric Heyer et Xavier Timbaud, Vivien Lévy-Garboua et Gérard Maarek, Hubert Rodarie), selon différents angles de vue ; avant que l’approche plus micro-économique du point de vue de l’entreprise soit abordée par Jean-Paul Betbèze, puis sous un angle un peu plus large par Jean-Jacques Pluchart. Il peut être ainsi intéressant de connaître la diversité des approches, tout en se replongeant dans le fonctionnement des mécanismes économiques, parfois assez techniques.

    Cependant, non seulement les chapitres me semblent souvent un peu courts pour entrer dans des raisonnements vraiment de fond, mais je m’interroge surtout sur le caractère relativement hétéroclite des idées présentées. En fait, je ne comprends pas bien ce qui définit le Cercle Turgot, si ce n’est l’expression d’une diversité de points de vue. Et je ne vois pas bien le lien avec Turgot lui-même et ses idées.

    Quoi de commun, par exemple, entre un Hubert Rodarie, qui semble dans une certaine mesure favorable à un effacement partiel des dettes publiques (là où Natacha Valla et Christian Pfister se méfient de « l’illusion du repas gratuit » ) et un Jean-Marc Daniel ou encore un Jacques de la Rozière, qui met quant à lui sévèrement en garde à la fois contre les politiques de quantitative easing , d’hélicoptère monnaie (par ailleurs en partie défendue par François-Xavier Oliveau un peu plus loin) et de rachats de dettes par les banques centrales, ou encore d’annulation même partielles de dettes, politiques actuellement dominantes ?

    Une douce illusion

    Je doute aussi beaucoup de cette idée de nombre d’économistes selon laquelle des déficits ou un endettement, à condition d’en finir avec la tentation de s’en servir pour colmater des brèches ou des besoins courants de simple fonctionnement, pourraient se justifier si on ne les consacre qu’aux seules dépenses d’investissement dits « d’avenir ». Belle intention. Mais, non seulement ces paris sur la transition énergétique et la « croissance verte » – puisque c’est ce dont il est bien souvent question – me semblent bien hasardeux (et pourquoi par le financement public ?), mais surtout cela me paraît bien naïf. On sait très bien comment les choses fonctionnent : les politiques (tout au moins en France) finissent toujours par en revenir à leurs vieux démons (ou plus exactement, obsédés par leur réélection, ils ne les quittent jamais). A savoir continuer indéfiniment à se servir de la « manne » publique pour subventionner, éponger, colmater, tout ce qui peut l’être. Et, comme ce n’est pas vraiment le courage qui les caractérise, croyez-vous que face à de nouvelles révoltes du type de celle des Gilets Jaunes, ils se montreront capables de ne rien lâcher ? Aucune chance. Surtout maintenant que l’argent facile tombé du ciel à la manière d’un déluge est passé par là. Qui se contentera désormais d’un « petit » 10 milliards d’euros lâché au prix d’une lutte acharnée quand on a connu les montants prodigieux qui étaient annoncés presque chaque jour durant la période actuelle ?

    C’est en cela que cet ouvrage me laisse un peu circonspect et me semble manquer de ligne de force, en dehors de l’intérêt de la juxtaposition d’opinions diverses dont on peut éventuellement apprécier l’étendue des idées. Et ce, malgré la conclusion de Philippe Dessertine, coordonnateur de l’ouvrage qui, à la suite de la question de la soutenabilité de la dette abordée par Denis Ferrand, établit une synthèse montrant comment les records d’endettement avaient été pulvérisés – pourtant en temps de croissance assez vigoureuse (du moins aux États-Unis et en Chine) – avant même la crise de la Covid, rendant les marges de manœuvre plus qu’étroites et conduisant à simplement tenter d’éviter à l’économie mondiale de sombrer complètement dans le chaos.

    La seule issue demeurant selon lui, et cela reflète bien l’esprit consensuel des auteurs de l’ouvrage, que cette course sans fin à l’endettement s’achève par la fin des dépenses publiques de fonctionnement ou de bulles (financières notamment), remettant ainsi en cause les modèles passés.

    Réel espoir ou illusion un peu vaine ?…

    Cercle Turgot (Collectif), La dette – Potion magique ou poison mortel ? , éditions Télémaque, décembre 2020, 206 pages .

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      Les banques centrales défient Einstein

      Simone Wapler · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 11 February, 2021 - 03:40 · 9 minutes

    banques centrales

    Par Simone Wapler.

    Les banques centrales manipulent les taux d’intérêt à la baisse et, pire encore, les forcent en territoire négatif. Ce faisant, elles vont à l’encontre d’un grand principe qui a prévalu durant cinq millénaires : la capitalisation par les intérêts composés, instrument de développement de l’épargne et donc du développement économique.

    Albert Einstein aurait conclu que « les intérêts composés sont la plus grande force de l’univers » après avoir étudié la Summa de arithmetica, geometria, de proportioni et de proportionalita du mathématicien Luca Pacioli . Ce document de 1494, écrit par un moine franciscain, est un traité de 600 pages qui rassemblait la somme des connaissances mathématiques de l’époque, mais aussi des éléments de comptabilité en partie double et une table des monnaies, poids et mesures italiens.

    Cet ouvrage de vulgarisation donnait aussi de magistrales recettes financières telles que la règle de 72, une façon rapide de mesurer l’effet des intérêts composés :

    « Si vous voulez savoir, pour un taux d’intérêt annuel fixé en pourcentage, dans combien d’années vous reviendra le double du capital initial, alors gardez à l’esprit le chiffre 72 et divisez-le par le taux d’intérêt, ce qui vous donne en combien d’années il sera doublé. Exemple : quand l’intérêt est de 6 pour 100 par an, j’affirme qu’en divisant 72 par 6, il vient 12 donc le capital sera doublé en 12 années. »

    • Douze ans de rémunération à 6 % suffisent pour doubler un capital.
    • Dix-huit ans de rémunération à 4 % suffisent pour doubler un capital.
    • L’éternité ne suffira pas à 0 %.

    La capitalisation, un cercle vertueux

    La boutade d’Einstein résumait la puissance de ce que nous appelions encore récemment la capitalisation.

    Il s’agit d’ un cycle vertueux qui récompense l’épargne : celui qui renonce à une dépense immédiate, s’il met son argent à disposition de quelqu’un d’autre, est gratifié d’un taux d’intérêt lui permettant de retrouver par la suite plus que son capital initial. Durant sa durée d’indisponibilité, son épargne est utilisée par des entrepreneurs afin de développer une offre de produits ou services qui, sans ce financement, ne pourrait pas voir le jour aussi vite.

    Il existe évidemment un risque, celui de la faillite de l’entrepreneur et donc de ne pas revoir son épargne. Le taux d’intérêt récompense donc à la fois le sacrifice que représente la durée d’indisponibilité et le risque pris.

    En forçant les taux d’intérêt à la baisse, les banques centrales punissent les épargnants . Elles faussent aussi les deux plus importants indicateurs économiques qui sont :

    • L’abondance ou au contraire la rareté de l’épargne. Plus il y a d’épargne disponible, plus il y a d’argent à prêter, plus les taux d’intérêt vont baisser. Inversement, moins il y a d’épargne, plus les taux d’intérêt vont monter.
    • Le coût du risque pour une entreprise donnée. Par exemple, dans un environnement économique où le taux moyen à 10 ans est de 5 %, une entreprise qui se lance dans une aventure risquée empruntera à 10 % tandis qu’une entreprise solide dégageant de solides bénéfices empruntera à 3 %.

    La plus grande force de l’univers au service des retraites

    Si en France la retraite par répartition prévaut, dans la plupart des pays les systèmes de retraite s’appuient surtout sur la capitalisation . Lorsqu’elle existe, la répartition ne fait qu’assurer un minimum vieillesse, juste de quoi survivre.

    C’est un choix rationnel car « À prestation égale, la capitalisation permet au futur retraité de cotiser moins qu’en répartition pure puisque les versements produiront des intérêts. » comme l’explique l’institut Molinari dans son étude publiée en partenariat avec Contrepoints .

    Lorsqu’il arrête de travailler, le retraité consomme un capital qu’il a accumulé et qui s’est accru par l’effet des intérêts composés durant sa vie active. Le nombre important d’adhérents aux fonds de pension permet de diversifier les investissements et de lisser les risques.

    Au contraire, dans un système de retraite par répartition comme en France, le retraité ponctionne les actifs. En pratique, la répartition dépend d’un « taux d’intérêt biologique » équivalent au taux de croissance de la population.

    Un tel système de retraite par répartition est adapté aux pays dotés d’une population en croissance et/ou aux pays dont l’économie a été ruinée. Notons au passage que c’était le cas de la France après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, dès que ceux dont l’épargne a été détruite ou ceux qui n’ont pas eu le temps de la constituer ont disparu, le système par capitalisation est évidemment préférable.

    Car pour le cotisant, les performances d’un système de retraite par répartition sont toujours inférieures à celle d’un système de retraite par capitalisation, justement en raison de la magie des intérêts composés. Que les fonds de retraite par capitalisation soient privés ou publics ne changent rien à la donne. De surcroît, les pays pratiquant la retraite par capitalisation profitent d’une masse d’épargne qui vient irriguer les besoins d’investissement de l’économie, ce dont se privent les pays pratiquant le système par répartition.

    La politique monétaire actuelle, conduite depuis plus de dix ans par la banque centrale européenne, tue les systèmes de retraite par capitalisation aussi sûrement qu’une démographie déclinante tue les systèmes de retraite par répartition.

    La plus grande force de l’univers au service de la croissance économique

    Du temps de la finance de grand-papa, les banques et les fonds d’investissement assuraient un service dit d’intermédiation de l’épargne. Ils agrégeaient de multiples petits dépôts d’épargnants qu’ils rémunéraient d’intérêts et prêtaient – à des taux d’intérêt supérieurs – à des investisseurs-entrepreneurs qui avaient besoin de beaucoup de capital.

    La différence entre les taux servis par la banques aux épargnants et les taux demandés par la banque à ses emprunteurs s’appelait la marge de transformation. Elle permettait à la banque de mettre des bénéfices en réserves, ce qui venait augmenter ses fonds propres, nécessaires pour couvrir la casse si un emprunteur venait à défaillir.

    L’épargnant profitait ainsi de la plus grande force de l’univers pour faire grossir son pécule. Il engrangeait sa récompense pour accepter l’immobilisation de son argent. Les banques mesuraient soigneusement leurs risques et engrangeait des bénéfices sur les risques pris. Les entrepreneurs trouvaient des financements.

    Bien sûr, la finance de grand-papa n’était pas le pays des bisounours. Des entrepreneurs pouvaient entraîner des banques dans leur faillite. Des épargnants pouvaient voir une partie de leur pécule s’évaporer. Mais dans le pire des cas, c’était l’épargne déjà existante qui était détruite. C’est-à-dire une partie du passé.

    Au temps de la finance de grand-papa, les gens parlaient de capacité d’épargne et non pas de capacité d’endettement.

    Jusqu’à l’arrivée de la finance moderne, la plus grande force de l’univers était naturellement à l’œuvre. En dehors des périodes de guerre et de destruction, le développement économique s’appuyait sur cette force ainsi que sur la démographie.

    La force destructrice des banques centrales

    Le système monétaire et bancaire moderne n’est plus adossé à l’épargne mais à la dette et surtout à la dette publique garantie par un État au travers de sa capacité à lever l’impôt, autrement dit à prendre de force à ses administrés.

    Dans la finance moderne, on ne parle plus de capacité d’épargne, on parle de capacité d’endettement. On ne dit plus que « les dépôts font les crédits » , on dit que « les crédits font les dépôts ».

    Dans la finance moderne, les banques prêtent de l’argent qui n’existe pas encore. Les banques commerciales achètent ce privilège auprès d’une banque centrale en empruntant l’argent du futur au taux directeur arbitrairement fixé par cette dernière.

    Que se passe-t-il si les banques ont trop prêté et que de nombreux emprunteurs ne peuvent rembourser parce que les bénéfices escomptés ne sont pas là ?

    Selon les cas la banque centrale :

    • permet aux emprunteurs (banquiers ou grandes entreprises) d’emprunter encore moins cher et de rééchelonner leurs prêts,
    • rachète les créances pourries des banques,
    • paye les banques pour prêter l’argent qu’elle crée.

    Quant aux États, ils empruntent toujours plus (l’argent du futur qui sera pris aux contribuables) et dépensent prétendument pour améliorer l’économie au gré des lubies des fonctionnaires et des politiques électoralistes. Les talents entrepreneuriaux de la bureaucratie et des politiciens étant toutefois modérés (pour ne pas dire nuls), l’argent du futur est abondamment gaspillé.

    Que se passe-t-il de nos jours lorsque les États risquent de se trouver confrontés à une crise de leurs finances publiques ? La banque centrale achète leurs émissions de dettes pour masquer la déconfiture.

    État, banque centrale et banques commerciales constituent la triade maléfique du capitalisme de connivence . Cet état de fait est parfois qualifié de néolibéralisme ou d’ultralibéralisme par ceux qui n’ont aucune culture économique et financière. Il n’y a rien de libéral au monopole étatique ou supra-étatique de la monnaie, de la création monétaire et au contrôle des taux d’intérêt.

    La dernière innovation dans les cartons des banques centrales consiste désormais à éliminer les banques commerciales grâce à la « monnaie banque centrale digitale ». L’euro numérique devrait ainsi voir le jour dans cinq ans, selon les vœux de Christine Lagarde.

    La création monétaire sera donc centralisée et bureaucratisée, distribuée en direct par la banque centrale, les banques commerciales devenant dès lors inutiles. Votre compte de dépôt sera entre les mains d’une banque centrale en état de monopole européen et au pouvoir discrétionnaire. Il s’agit d’une étape de plus dans la centralisation de ce qui n’est qu’une escroquerie.

    Mais on ne défie pas impunément la plus grande force de l’univers. On ne défie pas non plus le principe de base de l’économie qui veut qu’on échange quelque chose contre autre chose et non pas contre du vent. Or, la monnaie ou le crédit créés à partir de rien ne sont que du vent.

    Cette ultime escroquerie se terminera donc évidemment par une monstrueuse crise monétaire généralisée. Et si vous croyez que l’État vous en protégera , vous faites fausse route, il est au contraire complice.