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      « Bouclier tarifaire » et autres largesses du gouvernement : qui va payer ?

      Pierre Allemand · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 6 January, 2023 - 03:40 · 6 minutes

    Le gouvernement doit chaque année résoudre un problème récurrent : le budget.

    Il consiste à faire correspondre une liste de dépenses prévues, ordinairement classées dans l’ordre des ministères qui les présentent à l’approbation des parlementaires, avec une liste d’impôts et de taxes. Les gouvernements n’ont en effet aucun autre moyen que ces deux instruments pour se procurer de l’argent.

    Depuis plus de 40 ans néanmoins, devant la difficulté d’équilibrer ses comptes, le gouvernement a fait appel au crédit. Comme chacun le sait, celui-ci est un moyen de régler les urgences en empruntant provisoirement sur le marché financier pour rembourser dès que possible. Le problème c’est que le provisoire est progressivement devenu définitif, et que la partie des dépenses non couverte par les recettes est finalement devenue monstrueuse.

    Bouclier tarifaire : France-Trésor, le machin magique

    Actuellement, une agence spécialisée appelée France-Trésor emprunte à 10 ans pour rembourser les emprunts antérieurs qui arrivent à échéance.

    L’opération, qui est par ailleurs un classique de l’escroquerie financière, s’appelle la cavalerie bancaire . Elle est punie par la loi si elle est pratiquée par des personnes physiques ou morales. Elle est cependant largement pratiquée par certains gouvernements qui n’arrivent pas à ne pas dépenser plus que ce que les impôts et taxes leur rapportent.

    France-Trésor se livre donc à un exercice qu’on appelle « faire rouler la dette », c’est-à-dire que ses agents remboursent le principal de la dette arrivant à échéance avec de l’argent provenant d’une nouvelle dette. L’opération est plutôt rentable si les taux d’intérêt sont négatifs ou nuls. Elle ne l’est pas si ceux-ci (re)deviennent positifs.

    Le « bouclier tarifaire » ne protège personne.

    Devant l’augmentation vertigineuse du prix de l’énergie, le gouvernement français a décidé de payer une partie du prix à la place du consommateur français pour sa consommation d’électricité, de gaz et de carburant. Il appelle cette opération le « bouclier tarifaire », voulant donner par le choix de ce mot l’impression que les Français sont protégés par ce dispositif. Il a annoncé que le coût de l’opération avait déjà été de 24 milliards pour environ une année.

    24 milliards, ce n’est pas rien. Cela représente 360 euros par Français, pas loin de 1000 euros par famille. Comme le gouvernement n’a pas un kopek pour payer ça, il doit emprunter, actuellement donc à  environ 2 % sur 10 ans. En conséquence, il doit payer 24 x 2 % = 480 millions par an, soit 4,8 milliards sur 10 ans et rembourser le principal (24 milliards) à l’échéance. Le « bouclier » s’ajoute donc simplement à la dette publique dont le service est payé par le contribuable. Cela revient simplement pour le contribuable à décaler de quelques années le paiement de l’électricité ou du gaz qu’il consomme, en payant en plus les intérêts. Enfin, pas tout à fait : il paye aussi au passage une partie du prix de l’énergie consommée par d’autres. Et le gouvernement reçoit les remerciements des consommateurs pour sa générosité…

    La dette publique : le danger est réel

    Ce petit geste de monsieur Macron aidé de madame Borne, destiné à éviter la colère de certains consommateurs qui pourraient imiter les Gilets jaunes qui leur font si peur, est donc créateur d’un alourdissement de la dette publique de 480 millions d’euros par an. La particularité de cet alourdissement est d’être éternel , c’est-à-dire qu’il ne s’arrêtera jamais dans les conditions financières actuelles. Pour y mettre fin, il faudrait que le gouvernement dispose de 24 milliards d’euros qu’il ne possède pas, et qu’il les rembourse à son créancier.

    Mais il est important de noter que cette charge s’ajoute à une multitude d’autres charges éternelles elles aussi, conséquences de dépenses nouvelles engendrées pendant la période dite du « quoi qu’il en coûte », et des dépenses de toutes sortes crées et acceptées par les députés depuis que l’on a décidé de dépenser systématiquement plus que ce que les impôts et taxes rapportaient, c’est-à-dire depuis l’année 1978. Le cumul de ces excès de dépenses sur les recettes représente la bagatelle de 2902 milliards d’euros à fin mars 2022 soit environ 43 000 euros par Français. Avec un taux d’intérêt de 2%, ce montant représente une dépense de 58 milliards par an uniquement pour le paiement des intérêts. Mais à cela, s’ajoute ce que, bizarrement, négligent ou ignorent de nombreux commentateurs : le remboursement du principal qui, s’il s’effectue sur 20 ans par exemple, sera d’environ 145 milliards par an.

    L’énormité de ces chiffres conduit certains à penser que cette dette ne sera jamais remboursée. La question qui se pose est cependant : quelles seront les conséquences de cette défection ?

    Bouclier tarifaire : le risque sciemment ignoré

    L’extinction de la dette publique, même décrétée et actée soudainement et sans crise, supposition qui demande un optimisme à mon avis démesuré, conduit à un nouveau problème de taille qui est le suivant.

    En cas d’effacement soudain de la dette, ( « Monsieur le créancier, je déclare ne plus rien vous devoir à partir d’aujourd’hui » ) on peut être sûr que les créanciers floués n’accepteront évidemment pas de recommencer immédiatement à prêter. Si plus personne ne veut prêter, les ressources du gouvernement se trouveront brutalement amputées du montant du trou habituel du budget appelé innocemment déficit à financer qui est d’environ 154 milliards pour l’année 2022.

    Sachant que le total des dépenses prévues de la France était pour 2022 de 523 milliards , le problème à résoudre sera : où rogner sur des dépenses de 523 milliards, sachant que les ressources auraient baissé de 154 milliards, soit presque 30 % du total ? Le problème apparait tellement dépourvu de solution qu’on peut être certain que le gouvernement ne se mettra jamais volontairement dans une telle situation.

    Cependant, on peut aussi redouter que la crise finisse bien par éclater un jour ou l’autre, probablement parce qu’une agence de notation rétrogradera sérieusement la note de la France. Ce jour-là, les taux d’emprunt remonteront brusquement et le gouvernement risque de n’être plus en mesure de faire fonctionner son administration parce qu’il ne pourra plus assurer le salaire de ses fonctionnaires. Et ceux-ci se trouveront évidemment dans la rue. On regrettera alors que leur nombre soit si élevé…

    L’humain est ainsi fait qu’il s’habitue aux risques qui grandissent sans bruit, et il les ignore. Au lieu de nous bassiner en permanence avec des risques hypothétiques climatiques ou maritimes, les médias seraient mieux avisés de nous mettre en garde contre les risques réels et immédiats comme celui décrit plus haut…

    Un article publié initialement le 22 septembre 2022 .

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      Les boucliers tarifaires d’Emmanuel

      Pierre Allemand · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 22 November, 2022 - 04:30 · 6 minutes

    Face à la montée des prix de certains produits dits essentiels consécutive à l’inflation, le président a inventé ou plutôt remis à l’honneur le concept de bouclier financier .

    Le bouclier financier

    Qu’est-ce donc qu’un bouclier financier ?

    Pour les médias, c’est un procédé consistant pour l’État à prendre en charge le paiement d’une partie du prix de produits considérés comme essentiels, mais de façon générale sans évoquer la provenance de l’ argent nécessaire considéré comme magique .

    Cependant, comme l’État n’a pas le premier centime de ce bouclier, il l’emprunte, comme il le fait d’ailleurs pour les suivants.

    Du côté du président, c’est un moyen de se constituer une image favorable qui lui permettra d’être candidat à un troisième mandat présidentiel le moment venu, soit à partir de 2030.

    Du côté du citoyen moyen, c’est une aide financière due au Français moyen puisqu’il n’a aucune responsabilité dans l’augmentation soudaine du prix de certains produits essentiels. C’est un peu comme l’élargissement de l’application du principe de précaution vers toujours plus de sécurité.

    Du côté du contribuable, c’est un impôt futur supplémentaire puisqu’il faudra bien rembourser l’emprunt. On peut noter la grande résignation apparente de cette catégorie de citoyen, qu’on n’a pour le moment pas entendue sur le sujet.

    Enfin, du côté de l’économie, c’est une façon de faire payer une partie du prix de certains objets à tempérament et par certains contribuables choisis, progressivité de l’impôt oblige.

    Accessoirement, c’est une façon d’augmenter la dette publique déjà faramineuse en profitant de la faiblesse résiduelle des taux d’emprunt, mais qui ne saurait durer.

    Les implications du bouclier

    L’analyse du concept prenant en compte ces différents points de vue a de quoi faire hurler (à juste titre) un libéral : déjà, l’habitude de recourir à l’emprunt pour couvrir les dépenses courantes est une erreur de base que n’importe quel comptable dénoncera comme dangereuse. Elle précède en effet systématiquement l’état de cessation de paiement qui finit par se produire, si on considère l’Histoire, y compris pour les États .

    Par ailleurs, et là c’est toute la droite qui va hurler, le fait de faire payer certains contribuables et pas d’autres pour l’achat d’un bien sans en avoir la jouissance puisque ce sont d’autres personnes qui en profitent s’oppose au principe d’ égalité si cher dans notre pays.

    En outre, cette fraternité imposée ressemble plutôt à de l’exploitation. En effet, qui verra sa popularité améliorée par cette opération ? Certainement pas le contribuable payeur qui est pourtant le moteur indispensable de l’affaire, mais bien plutôt le président, initiateur de la mesure, qui transforme là son pouvoir en machine à gagner des suffrages.

    Et on peut remarquer que seul le président a la liberté de décider d’une mesure qui lui est favorable alors que le reste des citoyens ne peut qu’en constater les effets heureux ou malheureux selon la catégorie à laquelle ils appartiennent.

    Enfin, pour ceux que le bon fonctionnement de l’économie intéresse, remarquons aussi que la réaction du citoyen au prix en forte hausse de certains produits, réaction qui constitue l’élément fondamentalement régulateur du système, est fortement perturbée par cette mesure. L’expérience montre que cette dernière conduit infailliblement à un gaspillage, lequel aboutit à son tour à une perte pouvant être importante. Remarquons aussi que pour finir cette perte sera globalement supportée par ce même citoyen.

    « Il n’y a pas de repas gratuit » disait Milton Friedman , prix Nobel d’économie en 1976, car il y a toujours quelqu’un qui paye finalement. Dans notre cas, ironie de l’histoire, le payeur est celui qui devait au départ être favorisé, c’est-à-dire le citoyen.

    Le motif électoral de ces boucliers transparait nettement si on se livre à une comparaison avec les autres pays européens face aux mêmes problèmes.

    Par exemple, en Allemagne le gouvernement favorise les aides aux entreprises plutôt qu’aux citoyens. Le gouvernement allemand considère en effet avec raison que des entreprises plus saines signifient des emplois et de bons salaires pour tous. En France, malheureusement, une partie de la gauche appelle ces aides des « cadeaux aux entreprises » et les fustige alors qu’elles permettraient à celles-ci de mieux fonctionner.

    Dans cette atmosphère empoisonnée, il apparait ainsi plus facile de distribuer de l’ argent magique aux électeurs plutôt que de les aider en soutenant les entreprises. Et malheureusement, le système de dette perpétuelle aujourd’hui mis en place et appliqué par France-Trésor conduit à dépenser un pognon de dingue et à finalement payer plusieurs fois ce qui est financé par l’emprunt.

    Les conséquences

    Résumons-nous. Dans le but de se fabriquer une image de bon père de la Nation (et probablement dans le but de se présenter de nouveau dans le futur à l’élection présidentielle) le président distribue l’argent public sous l’appellation de boucliers divers. Cette distribution est évidemment ciblée, c’est-à-dire en langage clair, orientée vers les couches de la population susceptibles d’être retournées.

    Elle perturbe profondément le message des prix qui constituent l’élément fondamental de régulation de l’économie. En effet, un prix qui monte constitue un message qui incite le consommateur à diminuer sa consommation, et la concurrence à s’introduire sur le marché, deux phénomènes vertueux régulateurs. Le système du bouclier modifie le message prix et perturbe la régulation. Il est donc fondamentalement mauvais pour l’économie.

    Enfin cette distribution coûte un pognon de dingue car elle est financée par une dette perpétuelle et elle bloque la croissance puisqu’elle assèche les sources de financement en empêchant de dépenser l’argent public dans des projets plus rentables.

    Le cas de la SNCF

    Le dernier bouclier annoncé ajoute une note supplémentaire d’ incohérence au système.

    En effet, le bouclier financier sur le prix des billets de train garantit que le prix de ceux-ci n’augmentera pas de plus de 5 % l’an prochain (2023).

    Il est connu que malgré ses annonces triomphantes de bénéfices la SNCF est en réalité renflouée en permanence par l’État . Si l’entreprise était une entreprise privée, il y a très longtemps qu’elle aurait été déclarée en faillite et aurait disparu.

    Dans le cas de la SNCF le bouclier n’est donc qu’un artifice plutôt grossier pour camoufler une partie du montant du renflouement annuel. Qu’elle soit publique ou privée, une entreprise ne peut être un système de dépense permanente de l’argent public, un tonneau des Danaïdes dans lequel on injecte ad vitam aeternam des milliards d’euros qui ne servent qu’à maintenir en vie une entreprise structurellement déficitaire.

    L’abandon du signal prix dans de très nombreux domaines, dû à la centralisation systématique des décisions, et le gaspillage à grande échelle qui en résultait, a finalement provoqué l’effondrement de tout le système dans l’ancienne URSS. Il semble que la France prend tout doucement le même chemin.