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      With War in Israel, the Cancel Culture Debate Comes Full Circle

      news.movim.eu / TheNewYorkTimes · Monday, 23 October - 23:07


    We’re in an especially repressive period for free speech.
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      Mettons fin à la « call-out » culture

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 2 March, 2023 - 03:30 · 4 minutes

    Par Dan Sanchez.

    On n’entend plus beaucoup parler de « culture de la dénonciation » ( call-out culture ). Le terme a été supplanté par celui de « culture de l’annulation » ( cancel culture ). C’est regrettable, car la première est un problème plus fondamental à traiter que la seconde.

    La culture de l’annulation est un sous-ensemble et une excroissance de la culture de la dénonciation .

    Le « call-out » désigne une honte publique visant à infliger une punition sociale aux comportements non conformes (en particulier les idées fausses) afin d’imposer la conformité comportementale. Et l’annulation est simplement l’une des formes les plus sévères de cette punition.

    La menace implicite de toute humiliation est la dissociation : moins d’amis, de fans, d’adeptes, de clients, de possibilités d’emploi, de partenaires commerciaux, etc. Et l’annulation est une désolidarisation quasi-totale : c’est l’ostracisme social.

    Les annulations ne sont que des batailles particulièrement brutales au sein d’une guerre plus large et constante de honte mutuelle qui envahit notre discours public, en particulier sur Internet. Pour éviter les batailles, nous devons résoudre la guerre.

    La culture du call-out comme endoctrinement

    Pour comprendre pourquoi cette guerre est si pernicieuse et futile, prenons un exemple typique de la culture de la dénonciation en action.

    Disons qu’un guerrier de la justice sociale a vent de quelqu’un qui exprime une hérésie contre l’orthodoxie woke . Le SJW « dénonce » publiquement l’hérétique. Une foule woke se rassemble et une « session de lutte » en ligne commence.

    Comment l’hérétique pourrait-il réagir ?

    Il pourrait se mettre en colère contre les attaques et par conséquent s’accrocher encore plus à son hérésie. L’appel peut se retourner contre lui.

    Mais il peut aussi réussir. L’hérétique visé peut être ébranlé par les dénonciations et effrayé par la menace de dissociation implicite dans les attaques. Il ne veut pas perdre ses amis, ses fans, ses adeptes, ses clients, ses partenaires commerciaux, etc. Alors il fait des courbettes, exprime des regrets, renonce à son hérésie passée et professe l’orthodoxie, jusqu’à devenir lui-même un inquisiteur qui renforce l’orthodoxie.

    Maintenant, pourquoi ferait-il cela ?

    Il est concevable que la honte et sa menace implicite l’aient poussé à réexaminer ses croyances, ce qui aurait pu l’amener à accepter la foi dans son cœur et à se repentir sincèrement.

    Mais il est beaucoup plus probable qu’il se conforme à l’orthodoxie principalement par souci de préservation et d’avancement personnel : pour préserver et faire progresser son statut social parmi les personnes bien élevées.

    C’est exactement ce que ses inquisiteurs faisaient probablement lorsqu’ils l’ont interpellée en premier lieu : signaler la vertu au nom de la crédibilité wok.

    Les inquisiteurs peuvent se féliciter de lui avoir « donné une leçon ». Mais ce genre de leçon n’est pas une véritable éducation, mais un endoctrinement.

    Quelle est la différence ? L’éducation consiste à aider quelqu’un à accepter un ensemble de croyances en l’aidant à les comprendre. L’endoctrinement consiste à utiliser des conséquences imposées pour inciter quelqu’un à accepter un ensemble de croyances sans esprit critique. Ces conséquences imposées peuvent être des « carottes », comme des pots de vin, ou des « bâtons », comme des menaces d’annulation.

    L’endoctrinement de la vérité ?

    La culture du rappel/de l’annulation est souvent associée à la gauche politique mais de nombreux conservateurs et libéraux y participent également. Certains affirment que la culture du rappel n’est mauvaise que lorsque les valeurs imposées sont mauvaises : par exemple, l’utilisation de la honte pour imposer des valeurs gauchistes nuisibles est mauvaise, mais son utilisation pour imposer des valeurs conservatrices et libérales est bonne.

    La honte a une fonction sociale et peut être éducative ; elle peut communiquer de bonnes valeurs d’une manière qui incite les individus à s’interroger sincèrement sur leurs propres erreurs et vices. Mais dans la culture actuelle du discours en ligne, le péché mortel de la colère nous pousse trop souvent à abuser de la honte. Une honte excessive n’induit pas l’introspection mais la terreur, pas l’éducation mais l’endoctrinement.

    Et s’il est possible d’endoctriner les gens pour qu’ils se conforment à de bonnes valeurs, ce n’est pas conseillé. Les croyances endoctrinées ont tendance à disparaître dès que les carottes et les bâtons qui les soutenaient sont retirés.

    De plus, l’endoctrinement est un jeu perdant pour les partisans des croyances bonnes et vraies. En effet, la réussite de l’endoctrinement dépend de l’efficacité (et de l’impitoyabilité) avec laquelle les inquisiteurs manient leurs carottes et leurs bâtons, et non de la bonté ou de la vérité des croyances endoctrinées.

    En participant à la guerre culturelle, les champions du bien et du vrai perdent leur avantage unique et décisif dans le concours d’idées. Le jeu gagnant pour la vérité et la justice n’est pas l’endoctrinement et l’inquisition, mais l’éducation : il ne s’agit pas simplement d’établir et d’imposer une conformité extérieure, mais de faciliter une compréhension authentique et une conviction sincère. C’est le terrain de jeu sur lequel la bonté et la vérité sont les facteurs décisifs.

    Comme l’a écrit Leonard Read, les partisans de la liberté et de la vertu doivent « se débarrasser de cette notion gênante qui conduit de nombreuses personnes à conclure que les techniques utilisées par les communistes, par exemple, pour détruire une société libre peuvent être efficacement employées pour faire progresser la compréhension de la liberté ».

    La cause de la liberté a besoin d’éducateurs, pas d’inquisiteurs.

    Sur le web

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      Faut-il tolérer l’intolérance ? (2/2)

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 14 February, 2023 - 03:40 · 13 minutes

    Suite de notre recension de l’ouvrage collectif écrit sous la direction de Nicolas Jutzet (voir ici Première partie ).

    Enjeux contemporains. Tolérance et liberté d’expression

    En spécialiste de John Stuart Mill, Camille Dejardin s’intéresse à la liberté d’expression, se fondant sur les enseignements du philosophe du XIX e siècle pour les appliquer aux enjeux contemporains.

    Il s’agit en effet de l’un des acquis les plus précieux de la modernité politique, nous montre-t-elle, mais qui se trouve parfois instrumentalisé et dévoyé au point de saper en certains cas les conditions du débat démocratique. C’est pourquoi s’interroger sur ses ressorts et limites se justifie dans une optique libérale, pour mieux « la défendre contre ses adversaires et la sanctuariser dans ses fonctions essentielles ».

    Il s’agit de lutter contre les lieux communs tout en défendant le pluralisme et donc l’expression y compris minoritaire, comme source de confrontation entre l’erreur et la vérité. En veillant à la fois à la prémunir contre les excès d’autoritarisme, mais aussi des « formes plus insidieuses du conformisme », les assauts du communautarisme et du politiquement correct médiatique ou économique ayant pour effet de dissuader les prises de position discordantes.

    En ce sens, John Stuart Mill défendait les vertus du débat contradictoire. S’appuyant sur la thèse fondamentale selon laquelle l’erreur renforce la vérité, à condition toutefois d’être systématiquement combattue. Selon le principe de la vérité provisoire, à l’instar des idées poppériennes, l’appel à la raison et au jugement critique devant servir la recherche de la vérité.

    Mais si le philosophe britannique était contre la censure et défendait le droit de tout dire, il le faisait dans l’exigence de la bonne foi et du débat, de même que de l’importance accordée à la contradiction. Défendant également un devoir d’équité, la question du manque de pluralité des médias et de la mainmise des opinions majoritaires sur la parole – et le conformisme que cela induit – étant de fait mise en cause aujourd’hui, prolongée par celle des dérives de réseaux virtuels s’assimilant plus souvent à un instrument de publicisation de soi qu’à l’usage de véritables discours structurés, donnant ainsi lieu à de nombreux excès, à des injures, des propos discriminatoires, ou encore à une communautarisation qui ne sont pas sans poser de nombreux problèmes, dont Camille Dejardin donne des exemples concrets. Sans oublier la question délicate des « fausses nouvelles ».

    Les tensions entre liberté et responsabilité, expression personnelle et publicité de contenu exprimé ainsi que ses conséquences, latitude éthique et normes implicites, ou encore encadrement juridique, sont multiples et complexes. C’est ce que la philosophe étudie de manière passionnante dans sa contribution (et que ne saurais résumer en quelques lignes).

    Elle [la liberté d’expression] rappelle ce faisant combien est sinueux le chemin qui cherche à éviter aussi bien l’individualisme narcissique et concurrentiel que la pression conformiste ou autoritaire d’instances massifiées et jamais idéologiquement neutres. En réaffirmant les idéaux chers aux libéraux que sont le pluralisme, la responsabilité individuelle, la rationalité et la représentativité de la parole médiatisée contre leurs contraires, la dictature émotionnellement chargée pouvant émaner tant de la majorité que de certaines minorités, elles mettent en lumière combien une éducation exigeante demeure requise pour les faire vivre.

    On en revient une nouvelle fois à la nécessité de cultiver la connaissance et l’esprit critique . C’est par une éducation ambitieuse et une culture humaniste , universaliste et libérale que les libertés formelles pourront trouver une meilleure assise.

    Tolérance et défense du pluralisme

    Alexandre Curchot traite lui aussi des enjeux contemporains liés à la liberté d’expression en abordant notamment sa dimension juridique d’inspiration libérale puisque la liberté d’expression en est le principe de base fondamental, assorti d’exceptions ou limites, déterminées par la sauvegarde des droits d’autrui. Comme dans le cas de l’incitation à la haine.

    À l’ère du clash et des mouvements extrémistes qui menacent la presse libre, des discours binaires et indignations simplistes, la perte de nuances et de la pensée complexe au profit du format court, du zapping permanent et du caractère clivant des réseaux sociaux, suscitent une défiance à l’encontre de toute forme d’autorité, de l’incrédulité et l’émergence d’une post-vérité qui n’a que faire des faits, laissant place au règne des émotions et croyances personnelles. Attaquant de la sorte le socle de notre monde commun, comme seul le négationnisme pouvait le faire auparavant. Le problème est que le relativisme propre à l’ère du clash exclut la confrontation des points de vue et aboutit en définitive à la négation même de la liberté d’expression telle que conçue par la tradition juridique.

    À partir du moment où toute forme d’argumentation se trouve exclue, qu’en est-il du débat, du pluralisme, des discussions rationnelles, s’interroge Alexandre Curchot ?

    Le relativisme conduit alors à l’intolérance, à l’anarchie, à l’absence de droit, et au règne de la violence , ainsi que l’analysait Karl Popper. En ce sens, les dérives numériques et le règne de l’indignation ou de la morale conduisent à la futilité, à l’expression souvent anonyme de haines, aux opinions inconsistantes et aux polémiques stériles. Avec un effet multiplicateur et viral qui n’a souvent plus grand-chose de démocratique, cédant le pas à des formes nouvelles d’intégrisme ou de destruction de la dignité d’une personne jetée en pâture (rendant inopérantes nos conceptions juridiques), versant dans le sensationnel, le tribunal médiatique, ou encore la création de « bulles cognitives » qui polarisent la société.

    Certains journalistes jouant le rôle d’amplificateur en n’exerçant plus tout à fait leur rôle de diffuseur d’information, tandis que des journalistes ou caricaturistes jugés incorrects par certains indignés ou même par la majorité ( voire, de manière ahurissante, certaines chaînes de télévision jugées incorrectes par Mme la ministre de la Culture ) se trouvent écartés, puis bannis, sans autre forme de procès, y compris pour un simple propos anodin. Toujours au nom de la morale. Sonnant le glas de la tolérance et du pluralisme pourtant au cœur de nos traditions. La présomption d’innocence n’étant par ailleurs elle-même plus toujours respectée.

    Là encore, la cancel culture , s’appuyant sur la « génération offensée » et l’appropriation culturelle, amplifie l’œuvre de désinformation bien entamée par certains réseaux sociaux ou groupes complotistes, la liberté d’expression étant alors perçue comme un obstacle.

    Il n’y a dans un tel référentiel plus de place pour la contradiction, le doute, l’ironie ou les nuances. Chaque émetteur d’avis critique est taxé d’ennemi de la cause.

    Selon Alexandre Curchot, les solutions passeront par un renforcement du cadre législatif, selon des modalités qu’il définit précisément, mais aussi par une remise en cause par les médias des fondements de leur métier et une meilleure formation de leurs journalistes, ainsi que par l’éducation au numérique et aux droits fondamentaux.

    La tolérance à l’ère des technologies de la communication

    Pierre Schweitzer dresse un panorama des grandes évolutions qui nous ont conduits vers l’avènement du cyberespace, qui constitue une véritable révolution, dont il analyse à la fois les atouts en termes de liberté d’expression, mais aussi les limites ou dérives.

    Sa réflexion porte à la fois sur l’intérêt et les apports fantastiques qu’ont permis les technologies en matière de connaissances et de possibilités d’exprimer des idées mais aussi sur les dérives engendrées au fur et à mesure que les technologies se sont développées. Conduisant, de fait, vers une grande tendance à la paresse intellectuelle , au règne de l’insignifiant, de l’immédiateté, de l’ego, de l’émotion, au détriment de la réflexion, de la qualité, des rapports à autrui. Quand ce ne sont pas des prêches radicaux appelant au meurtre , du harcèlement scolaire à grande échelle, de la fabrication douteuse ou malveillante d’information partagée sans esprit critique. Sans oublier, là encore, les menaces très nettes et effectives que font régner le politiquement correct et le wokisme sur la liberté d’expression.

    Pour autant, dans une optique libérale, il n’est nullement question d’interdire ces opinions en remettant les libertés entre les mains de l’État. Ni de « s’infliger une perte de temps infinie sous prétexte de devoir respecter et discuter de toutes les opinions ». C’est pourquoi Pierre Schweitzer privilégie plutôt de faire appel à des solutions de marché. Qui ne passent pas forcément par les seuls réseaux sociaux. Les forums, newsgroups, réseaux sociaux alternatifs ou décentralisés, sites web, clubs de discussion en ligne, sont d’autres moyens de participer à des débats, en stimulant la liberté d’expression et l’esprit critique, sans tomber dans les travers précédents et en évitant le monopole du prêt-à-penser – public ou privé – visant à éliminer toute concurrence. Ce qui nécessite, bien entendu, des efforts et une volonté de travailler à la confrontation des idées, à travers ces espaces de liberté. Il s’agit, en somme, « de protéger la société libre contre des ennemis qui utilisent pernicieusement ses plus belles conquêtes pour mieux la saper ».

    Thierry Aimar apporte à son tour sa contribution, en proposant une lecture hayékienne de la tolérance face au communautarisme en s’appuyant sur l’exemple de l’affaire du burkini et mettant en cause les tournures qu’ont parfois pu prendre les débats sur le sujet, dont il déplore certaines dérives.

    De son point de vue, la seule universalité possible est le respect de toutes les singularités individuelles et l’acceptation de la liberté des uns de faire différemment des autres. Ce qu’il reproche est l’incohérence dans les décisions prises à divers égards dans la vie publique, qui ne sont pas à même d’apaiser les tensions, ainsi que les raccourcis mentaux et procès d’intention qui, selon lui, ont présumé des motivations des initiateurs en les appréhendant uniquement en tant que revendication communautaire. Heureusement, considère-t-il, la décision du Conseil d’État pour trancher l’affaire ne s’est basée que sur la seule considération des risques sanitaires et sécuritaires des baigneurs, ce qui a évité les risques liés à l’arbitraire.

    Sauvegarder nos libertés

    Jean-Pierre Chamoux clôt l’ouvrage en rendant notamment hommage au passage aux grands auteurs libéraux célébrés par Mario Vargas Llosa dans son livre L’appel de la tribu , qui ont inspiré bon nombre de nos réflexions actuelles, en particulier dans les sphères qui nous intéressent ici, à savoir la liberté et la tolérance. Deux thèmes que Jean-Pierre Chamoux aborde à l’aune de sa longue expérience en matière de technologies de l’information et de la communication.

    Il commence ainsi par s’interroger sur l’impact de ces technologies en matière de libertés individuelles. La disruption numérique n’est pas terminée et pourtant elle révèle déjà ses atteintes envers la liberté d’expression et d’autres libertés fondamentales qu’elle contribue à fragiliser. Des procédures bureaucratiques impersonnelles au problème de la protection des données, nombreux sont les dangers qui menacent les garanties liées à notre intégrité, sans même aller jusqu’au cas extrême du contrôle social à la chinoise . Qu’il s’agisse des administrations fiscales, sociales, ou douanières, l’informatisation favorise les procédures inquisitrices. Les réseaux sociaux, quant à eux, induisent des problèmes nouveaux, tant dans les formes de communication que dans les modalités de surveillance. Par leurs excès, ils « encouragent la vanité, découragent la mesure, la réflexion, la prudence et la modestie ». Au lieu de cela, ils encouragent les pires excès, l’exposition de soi, l’impudeur , l’indiscrétion, et « l’imposture de la transparence ».

    Non, la transparence n’est pas un principe de société ; oui, c’est un venin qui encourage la délation (par exemple en matière de voisinage, de fiscalité ou de mœurs) et qui monte les uns contre les autres, sous n’importe quel prétexte, sérieux ou futile. Érigé en principe de droit, ce travers déboucherait sur une guerre civile larvée ; qui peut en espérer du bien ? Délétère, la transparence s’oppose à la tolérance qui est une vertu de l’homme civilisé : entre les deux, il n’y a pas photo !

    Jean-Pierre Chamoux souligne le fait qu’à travers son paradoxe, Karl Popper n’exclut pas pour autant le débat avec les intolérants. En effet, il n’est nullement question de prendre le risque de sombrer dans les propos sanguinaires d’un Saint-Just proclamant « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! », réprimant ici toute liberté d’expression. On ne voit que trop où cela pourrait mener. Il s’inscrit en cela en accord avec la pensée de Raymond Aron , qui lui aussi considérait que c’est « toute la beauté et la fragilité du libéralisme » que de ne pas étouffer les voix, même dangereuses.

    C’est uniquement lorsque l’intolérant devient tyrannique, développe une intolérance criminelle ou incitant au meurtre que les limites de la tolérance sont franchies. Or, en temps de guerre, poursuit Jean-Pierre Chamoux, les conditions ne sont souvent plus réunies pour que les principes libéraux de l’État de droit, de la libre expression et l’exercice des libertés fondamentales en général soient respectés. Sans aller jusqu’au cas de la guerre en Ukraine, c’est ce que nous avons pu constater y compris en Europe à la suite des États-Unis depuis 2001, à travers les mesures liberticides de nos gouvernements qui ont tendu à se multiplier. Sous prétexte de guerre au terrorisme, puis à la pandémie.

    Face aux intolérants dogmatiques, le libéral doit tenter seulement d’entretenir le contact, mais pas à n’importe quel prix. Il peut donc être contraint de mettre temporairement entre parenthèses ce à quoi il tient le plus ; et s’effacer devant ceux qui, depuis la nuit des temps, administrent les passions à leur paroxysme : au soldat et au diplomate qui font la guerre et tenteront ensuite de refaire la paix !

    Alors vient le temps pour les libéraux de reprendre les rênes, dès que la paix reprend ses droits ; depuis trois siècles, ils ont souvent tenté de restaurer les libertés, de tolérer les différences et de gérer les crises du temps de paix, en évitant le pire : seul le péché d’orgueil qui suggère aux Hommes que leur seule volonté peut maîtriser l’avenir, pourrait les dissuader !

    — Nicolas JUTZET (sous la direction de), Faut-il tolérer l’intolérance ? Défis pour la liberté , Editions Institut Libéral, novembre 2022, 188 pages.

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      Faut-il tolérer l’intolérance ? (1/2)

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 12 February, 2023 - 04:15 · 13 minutes

    Première partie de la recension de l’ouvrage collectif sous la direction de Nicolas Jutzet .

    La tolérance a des vertus pacificatrices. Historiquement, il s’agissait au départ notamment de définir un concept qui allait rendre possible la fin des conflits entre religions. Plus largement, cette notion vise à l’adoption d’une attitude consistant à admettre que d’autres aient une manière différente de la nôtre de penser ou de vivre. En effet, quoi de plus sain que de respecter les opinions, croyances, idées d’autrui même si elles s’écartent de celles que l’on peut avoir ? Une manière, en somme, de coexister pacifiquement en respectant les différences.

    Mais voilà. Jusqu’à quel point ce socle de valeurs que l’on pourrait considérer comme communes est-il mis en cause par certains ? Et quelle attitude avoir à l’égard de ceux qui ne le partagent pas ? Autrement dit – et c’est la question posée dans ce livre – la tolérance ne risque-t-elle pas tout simplement de disparaître si on se montre tolérants à l’égard de ceux qui sont ennemis de la tolérance, à l’image de ceux qui s’en servent de marchepied pour tenter de miner de l’intérieur les sociétés libres , ou encore ceux qui la fragilisent par leur relativisme ?

    Paradoxe – déjà mis en lumière par Karl Popper en son temps – qu’il convient d’autant plus d’étudier de près à l’ère du numérique , des réseaux sociaux et du multiculturalisme , que c’est tout simplement la liberté – les libertés – qui est en jeu.

    Tolérance et liberté

    L’histoire de la tolérance est intimement liée au libéralisme et à la défense des droits des individus. C’est ce que nous montrent les auteurs qui composent la première partie de l’ouvrage, consacrée à l’histoire des rapports entre tolérance et liberté.

    C’est Alain Laurent qui ouvre le bal, en commençant par mettre en garde contre l’image déformée que l’on peut avoir aujourd’hui de la tolérance, devenue une sorte de conformisme intellectuel individuel qu’il est de bon ton d’afficher, en se revendiquant comme quelqu’un de vertueux , quitte à perdre de vue ce qu’étaient ses exigences originelles. D’où son retour aux sources historiques, en partant d’une « archéologie d’une tolérance avant le mot » pour ensuite présenter sa consécration, qu’il fait remonter à Erasme en 1533, et même avant lui à Thomas More , avant que Montaigne , dans ses Essais , en fasse un instrument de paix civile face aux troubles de l’Inquisition et des guerres de religion. Puis, au siècle suivant, il s’agira pour d’autres auteurs (notamment John Milton ), d’y voir un moyen de défendre la liberté d’expression, face à la censure du pouvoir politique sous le règne de l’absolutisme monarchique, particulièrement en matière de religion. La libre confrontation des idées devient (encore avec certaines limites) la condition du progrès.

    Mais c’est surtout au cours de la seconde moitié du XVII e siècle que des philosophes signant l’avènement du libéralisme moral et politique (Baruch Spinoza , John Locke , et plus encore Pierre Bayle ) approfondissent véritablement la question, fondant leur approche sur les droits imprescriptibles d’une conscience autonome, et donc du libre individu. Avant qu’à la fin du siècle suivant les philosophes des Lumières ( Emmanuel Kant , dans une moindre mesure Voltaire , puis surtout Wilhelm Von Humboldt , et à sa suite John Stuart Mill ) y apportent les ultimes contributions.

    Dès lors, la tolérance « passe par la reconnaissance effective du droit souverain de l’individu de penser et de vivre comme il l’entend sous condition de ne pas imposer ses propres choix aux autres ».

    Du strict terrain religieux, on est ainsi passés progressivement à la lutte contre l’absolutisme politique puis, grâce aux apports du libéralisme , au despotisme des opinions majoritaires en matière de mœurs, et à la liberté d’opinion et d’expression.

    De la tolérance à l’hypertolérance

    C’est surtout à 1968 (et son « Il est interdit d’interdire ») que remonte cette dérive qui a consisté à ériger la tolérance en une sorte de « religion civile », nous dit Alain Laurent.

    Mais à tout vouloir tolérer, le socle moral sur lequel avait été fondée cette notion s’est mué « en lâche indifférence d’abstention, en tolérance « molle », passive, où l’on accepte des évolutions et des états de fait comme solution de facilité pour éviter de faire preuve d’autorité , d’entrer en conflit ». Pire, en sombrant désormais dans le conformisme de l’époque , sous peine d’être « taxé de conservateur obtus et donc d’intolérant à bannir », on s’est laissé dériver vers une permissivité puis des formes de militantisme peu disposé à pratiquer la tolérance au sens classique.

    Le multiculturalisme sur lequel cela a débouché s’est traduit par la coexistence de communautés closes sur elles-mêmes et par un culturalisme tribal qui a perverti les limites de la tolérance telles que définies par John Stuart Mill en une intolérance à l’égard de ceux accusés de porter atteinte aux droits d’autrui. En une forme « d’ordre moral » formaté, avec l’appui de l’industrie culturelle, des médias, de l’éducation et mêmes des entreprises. Un laxisme et un relativisme bien à l’opposé des valeurs du laissez faire , aboutissant « à priver les générations les plus jeunes de repères assurés et à ne plus pouvoir que tout tolérer – ou presque ».

    En ce sens, le wokisme (antiracisme hystérisé, cancel culture, ultraféminisme) constitue certainement l’apogée de ces dérives dangereuses car extrêmement intolérantes et inquisitrices, recourant à l’intimidation, la dénonciation publique, parfois les menaces de mort, la police idéologique de la pensée et l’épuration du langage, mais aussi la privatisation de la censure, ainsi que « la mise à l’index de ceux qui osent ne pas se conformer à ses diktats dogmatiques », ou encore la chasse aux sorcières.

    Bref, tout l’opposé de ce qui fondait les réflexions sur la tolérance. Une régression historique terrible. Donnant ainsi raison à Karl Popper lorsqu’il soutenait son paradoxe de la tolérance, selon lequel

    Une tolérance illimitée [même envers les intolérants […] qui se refusent à toute discussion logique et ne répondent aux arguments que par la violence ] a pour conséquence fatale la disparition de la tolérance.

    Pour autant, ajoute Alain Laurent, il ne s’agit pas non plus de dénier « un droit individuel de professer à titre privé des opinions intolérantes sous peine de se transformer en politique étatique intrusive de rééducation des mal-pensants ». Il relève, en effet, le recul des nations tolérantes au profit de celles qui répriment la liberté d’expression (Chine, Russie, pays islamiques, mais aussi désormais des pays comme l’Inde ou les États-Unis, où wokisme et autres fanatismes religieux progressent), révélant la fragilité des acquis en matière de tolérance.

    Une valeur individuelle fragile par nature

    Matthieu Creson s’intéresse quant à lui à la notion de tolérance de Turgot à Gustave Le Bon , montrant qu’il s’agit d’une conquête individuelle fragile, puisant des origines dans l’esprit des Lumières mais soumise aux soubresauts de la « psychologie des foules ».

    La tolérance est une attitude qui ne va pas de soi, montre-t-il. Elle exige tout à la fois la maîtrise de soi et l’acquisition d’une autodiscipline, qui relève donc de la culture, tandis que l’absence de tolérance relèverait plutôt de la nature, à l’inverse de ce que pouvait par exemple considérer un René Descartes . Elle apparaît donc comme une conquête fondamentale de la modernité et le fruit d’un long combat intellectuel, « considérée comme l’un des principes directeurs de la civilisation occidentale moderne ». Cependant aujourd’hui menacée, à l’ère des foules.

    De ce point de vue, la tolérance ne saurait être séparée de l’individualisme , dont elle constitue bien au contraire une composante essentielle […] Ainsi, un individu, considéré isolément, peut parfaitement se montrer tolérant dans certaines circonstances, voire la plupart du temps, et se muer subitement par ailleurs en un farouche intolérant, lorsqu’il se trouve plongé au milieu d’une masse grégaire, étant par là même conduit à abdiquer son sens du jugement personnel pour céder le pas à la collectivité.

    Là où l’individu peut accepter la contradiction et la discussion, la foule peut se montrer aussi autoritaire qu’intolérante, pouvant renverser les valeurs morales de l’individu en son exacte antithèse .

    Ainsi que le montrait en outre Jean-François Revel , la tolérance repose sur la réfutation des thèses d’un contradicteur ou adversaire, dont on tente de démontrer la fausseté « au moyen d’arguments rationnels, de preuves et de faits tangibles ». En pratique, cependant, l’histoire des intellectuels des XIX e et XX e siècles est jalonnée de calomnies, invectives, injures, troncatures et falsifications de la pensée. Mais surtout, elle a tendance aujourd’hui à sombrer dans le relativisme .

    L’originalité de la culture occidentale est d’avoir établi un tribunal des valeurs humaines, des droits de l’Homme et des critères de rationalité devant lequel toutes les civilisations doivent également comparaître. Elle n’est pas d’avoir proclamé qu’elles étaient toutes équivalentes, ce qui reviendrait à ne plus croire à aucune valeur.

    Matthieu Creson cite aussi Raymond Massé , qui défend l’idée d’une tolérance « critique et engagée », s’opposant à celle qu’il qualifie de passive, « se limitant à un devoir fataliste d’acceptation de la différence, condescendance envers la réalité , abdication paresseuse ou indulgence face à des écarts aux normes ».

    Là encore, Matthieu Creson met en garde contre le danger wokiste et le regain d’intolérance qu’il induit, « au nom même du principe de tolérance brandi comme nouvel étendard du dogmatisme bien-pensant ». Avec son lot de censures, bannissements, déboulonnages, et actes intolérants en tous genres (dernier épisode fantasque, à l’heure où j’écris ces lignes, l’annulation d’une représentation d’ En attendant Godot , pour des motifs stupides et surtout absurdes ).

    C’est aussi, partant, le principe même d’indépendance de la pensée qui se trouve être désormais à la merci de ce nouveau radicalisme, intransigeant dans le respect qui serait dû selon lui à sa nouvelle orthodoxie.

    Le libéralisme comme solution au paradoxe de la tolérance

    Arkadiusz Sieron revient à son tour sur le paradoxe de Karl Popper.

    La difficulté étant que si tolérer de manière illimitée les intolérants peut se révéler fatal pour la tolérance, savoir où poser les limites est délicat. Cela peut même être dangereux. Si c’est l’État qui est chargé de les définir, alors nous ne sommes pas à l’abri de l’arbitraire. Quelles que soient les bonnes intentions qui en sont à l’origine.

    C’est pourquoi, selon lui, « le principe libéral de non-agression est la seule réponse rationnelle au paradoxe de la tolérance, garantissant la coexistence harmonieuse de divers individus dans une société libre ». Idée qu’il développe à travers tout un chapitre débouchant sur quelques illustrations concrètes, se basant sur l’idée qu’en tant que philosophie, le libéralisme se garde de tout jugement moral ou de hiérarchie des valeurs qu’il tendrait à imposer.

    Par nature, le libéralisme se base en effet naturellement sur des principes de tolérance respectueux de la diversité des principes, sur les vertus du commerce, de l’échange, de la coopération en divers domaines – indépendamment de ses jugements, convictions morales ou préférences personnelles – l’agression, la violence, le meurtre, le vol, constituant les limites que l’on ne peut tolérer. Principes fondamentaux qui distinguent, selon Friedrich Hayek, les libéraux des conservateurs ou des socialistes, partisans quant à eux du recours au pouvoir coercitif de l’État en divers domaines.

    Sans pour autant que l’on puisse assimiler les libéraux à des libertins – sortes de nihilistes moraux qui ne se soucieraient pas du mal -insiste-t-il à travers une argumentation implacable, même si certains peuvent bien sûr en être, comme d’autres peuvent être conservateurs, chrétiens fervents ou de gauche. La liberté doit être entendue comme un préalable. Qui n’empêche pas ensuite le recours à d’autres moyens (incitatifs, dissuasifs, ou fondés sur l’aide volontaire) que la coercition, pour tenter de changer certains comportements jugés nuisibles ou moralement critiquables.

    Niclas Berggren et Therese Nilsson montrent eux aussi, à travers un autre chapitre, comment la liberté économique constitue un moteur de la confiance et de la tolérance, dans le cadre d’un État de droit et d’une économie de marché où le libre-échange constitue un facteur de cohésion et de rapprochement entre personnes étrangères. Ils montrent ainsi que, loin d’affecter les valeurs culturelles, comme le prétendent certains, l’économie libre de marché tendrait au contraire à réduire sensiblement les a priori et croyances stéréotypées à l’égard des autres, favorisant les interactions et la confiance sociale mutuelle et améliorant, au final, le bien-être de tous.

    À l’inverse, ainsi que le montre Olivier Kessler , la société du risque zéro entraîne des risques cachés. Transférer de plus en plus la compétence décisionnelle de l’individu vers l’État, et donc vers les politiques, accroît le lobbying, le népotisme et les abus de pouvoir. Servir des intérêts spécifiques au lieu du bien commun aboutit à des formes de corruption qui conduisent à se demander alors qui peut encore nous protéger de l’État. Le risque étant par ailleurs de faire exploser l’ordre social, politique et économique et de ne plus savoir gérer les risques en cas de crise systémique inattendue. Les effets pervers multiples de l’interventionnisme finissent par déformer complètement la structure économique et mener lentement vers le déclin, sans oublier les comportements de type « aléa moral », atteignant en profondeur le principe de responsabilité et remplaçant le capitalisme traditionnel par un capitalisme de connivence suscitant un rejet croissant du capitalisme tout court.

    Le problème est que cela se diffuse ensuite aux médias. Qui à leur tour, et à mesure de leur financement public, entrent en collusion avec l’État, ne jouant plus tout à fait leur rôle critique pour tomber dans un « politiquement correct » ravageur. Conformisme, tribalisme , peur de la nouveauté, sont autant de comportements qui conduisent alors à la jalousie, au désir d’égalitarisme, à la recherche de sauvegarde de ses privilèges et à l’angoisse existentielle. Haro sur les réformateurs et appel à encore de nouvelles réglementations et interventions des pouvoirs publics et autres dogmes qui renforcent les comportements à l’origine des problèmes que l’on entend pallier. C’est sur ce terrain que prolifèrent les ralliements à la majorité, le développement de la cancel culture , la division et la discorde. La mécanique de la connaissance est alors cassée et pervertie, le rationalisme critique cher à Karl Popper anéanti.

    À suivre… (La seconde partie de cette recension portera sur les enjeux contemporains).

    — Nicolas JUTZET (sous la direction de), Faut-il tolérer l’intolérance ? Défis pour la liberté , Editions Institut Libéral, novembre 2022, 188 pages.

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      « L’amour et la guerre – Répondre aux féministes » de Julien Rochedy

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 7 January, 2023 - 03:50 · 17 minutes

    L’auteur, Julien Rochedy explique en quoi le problème du féminisme ne se posait pas dans son vécu personnel et celui de son entourage (masculin et féminin). Jusqu’à ce que le « féminisme idéologique » vienne pervertir le débat public et les consciences, là où ce qu’il appelle le « féminisme pratique » agissait dans le concret, le quotidien, l’amélioration des relations hommes/femmes.

    Or, selon lui, le féminisme pratique est empêché par le féminisme idéologique qui parle aujourd’hui à sa place. Que ce soit dans les universités, en politique, dans les médias, son manichéisme et son simplisme ne font que dériver vers un fanatisme inspiré par le discours et le langage plus que d’aider concrètement les femmes, bien au contraire. Toujours cette idée pernicieuse et très dangereuse de vouloir « changer le monde , de détruire radicalement l’ancien », point commun à toutes les idéologies totalitaires . Et d’imposer une pensée obligatoire n’ayant pour effet, en réalité, que d’ajouter des tensions aux relations homme/femme, d’aggraver des problèmes et par un jeu pernicieux en forme de cercle vicieux, de renforcer l’idéologie « en vertu même des problèmes qu’elle aura contribué à amplifier ». Au final, tout le monde est perdant, les hommes comme les femmes.

    D’où l’idée de Julien Rochedy de tenter de « briser les piliers narratifs » de cette idéologie pernicieuse à travers la contestation raisonnée et argumentée des quatre postulats de base qui la constituent selon lui.

    Premier postulat : la nature n’existe pas, les différences entre hommes et femmes sont culturelles

    Ce qui est frappant dès le début de l’argumentation très documentée de Julien Rochedy est l’opposition entre d’une part les faits établis, les études universitaires approfondies à l’international dont il présente les conclusions fondamentales imparables sur le caractère étonnamment stable à la fois dans le temps et dans l’espace quant aux différences des personnalités et préférences entre les sexes malgré les changements profonds du statut de la femme (tout au moins dans les sociétés occidentales), et d’autre part les affirmations du féminisme idéologique relatives à la construction du genre et le principe patriarcal.

    Faire simplement référence à la nature suffit désormais à susciter l’indignation. Le discours féministe axé entièrement sur la responsabilité de la société dans la supposée domination masculine, récuse avec vivacité toute affirmation contraire. À travers un discours aujourd’hui déifié, à l’instar de l’ensemble de ce que Jean-François Braunstein nomme la religion woke .

    Mais Julien Rochedy parvient aussi à nous faire comprendre les ressorts de cette idéologie.

    Fondée sur « la vanité de l’homme qui veut se croire absolument libre et capable de tout », en quelque sorte tout-puissant. Après que la modernité s’était rebellée contre l’idée d’un Dieu créateur, « il lui fallait nier la nature pour que l’humain fût libre, ou du moins libre de croire qu’il était libre », rejetant ainsi tout déterminisme au profit à la fois du constructivisme et du retour des théories déconstructivistes des années soixante-dix, hostiles au poids des traditions, beaucoup inspirées également du marxisme avec son idée de transformation continue de la nature humaine. Sans oublier la thèse existentialiste de Jean-Paul Sartre, définissant l’Homme comme une essence fondamentalement indifférenciée, oppressé par la société, et le fameux « on ne naît pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir.

    C’est aussi par la négation des découvertes scientifiques au profit des sciences sociales que le féminisme idéologique privilégie le genre en tant que construction sociale, éloignant au maximum la biologie et la génétique de ses considérations. Comme il éloigne aussi ses adversaires en les censurant (Julien Rochedy rappelle, entre autres, l’épisode de l’annulation de la conférence de Sylviane Agacinski en 2019 à Bordeaux faisant suite aux menaces dont elle était l’objet de la part d’associations féministes). Et fait preuve d’une confondante mauvaise foi et malhonnêteté en se référant toujours sans vergogne à des travaux ou études invalidés et disqualifiés depuis longtemps, à l’instar de ceux de l’anthropologue Margaret Mead, qui avait falsifié son supposé travail d’enquête auprès de la société primitive des Mahomans dans les années vingt, la présentant à tort comme une société pacifiée et égalitaire d’un point de vue sexuel.

    L’auteur se réfère à la psychologie sociale issue des théories scientifiques de l’évolution, auxquelles le féminisme idéologique ne semble pas s’intéresser. Il y consacre quant à lui plusieurs chapitres très documentés en réponse aux négations et démentis des féministes idéologues sur le sujet.

    Il est un fait que nos corps, notre sexualité, nos gènes, sont restés à peu près les mêmes que ceux de nos ancêtres homo sapiens . Ce qui explique en grande partie, qu’on le veuille ou non, une partie de nos comportements ainsi que les différences indéniables entre hommes et femmes, issues de la nécessité que les chasseurs cueilleurs avaient en milieu naturel et sauvage de s’organiser à l’aide d’une combinaison différenciée pour survivre et se reproduire.

    Cette situation s’est déroulée sur plus de 300 000 ans, à comparer avec les quelques 10 000 ans de sédentarisation et les quarante dernières années « d’émancipation féminine ». Or, comme le relève l’auteur, il faut plusieurs dizaines ou centaines de milliers d’années pour que les gènes évoluent, expliquant ainsi les différences naturelles entre hommes et femmes tant au niveau physique que psychologique. Ce qui fait dire à Julien Rochedy, avec ironie, au sujet du féminisme actuel, souvent critique y compris de manière anachronique à l’égard des époques passées :

    On croirait parfois, à l’entendre, que les humains ont toujours vécu en centre-ville, protégés par la police et les tribunaux, avec des supermarchés et des sushis à disposition, et entièrement consacrés à leur accomplissement individuel grâce au travail et aux loisirs. Dans ces conditions, évidemment, il est facile de juger moralement les époques passées en ne comprenant pas les raisons d’une organisation différenciée entre les sexes.

    En fin de compte, plutôt que de nier le déterminisme lié à nos gènes et rejeter toute faute sur la société, mieux vaut en prendre acte pour pouvoir agir et chercher au contraire à se perfectionner. Là est la réelle condition de notre liberté.

    L’humain ne peut être libre que dans la connaissance , du monde et de lui-même : c’est bien là une vérité audacieuse qu’on nous a toujours enseignée.[…] Il est d’ailleurs paradoxal et ironique de faire remarquer que plus nous entendons parler de « sauver la nature » avec l’écologie, plus nous souhaitons anéantir celle qui pourrait bien y avoir en nous. À force de nous être éloignés de celle-ci dans nos vies, à force de n’être plus entourés que de l’artificiel, nous avons fini par penser que nous n’étions nous-mêmes faits que d’artifices, de constructions et de matières plastiques.

    Deuxième postulat : le patriarcat est un système illégitime fondé sur l’oppression des femmes

    Issue là encore de la Préhistoire, cette domination masculine illégitime fondée initialement sur la force physique et qui s’est ensuite perpétuée, ne laisse aucun doute quant à la nécessité de la déconstruction de ces codes culturels, du moins si l’on tient compte du récit forcément juste et évident tel que présenté par le féminisme idéologique. Mais si ce discours simple et efficace, prêtant à la condamnation morale, était en réalité simpliste et caricatural, interroge Julien Rochedy ?

    Une nouvelle fois, il prend le parti de s’intéresser à ce que nous apprennent l’histoire, les sciences, la psychologie sociale, pour montrer notamment qu’à l’origine cette différence s’expliquait par « la différence naturelle de nos stratégies sexuelles nécessaires, lesquelles se complétaient parfaitement ou, en tout cas, assez pour qu’elles aient été efficaces ». Une fois encore, il s’agit de se replacer dans un contexte hostile et de recherche de la survie qui n’a rien à voir avec la société moderne telle que nous la connaissons aujourd’hui. Les hommes étaient moins nombreux que les femmes, car ils mouraient fréquemment à la chasse ou dans des combats. Hommes et femmes s’organisaient ensemble par la spécialisation, dans l’intérêt de tous et selon des principes que l’on ne peut mesurer aujourd’hui à travers des jugements anachroniques simplistes et inadaptés ( voire totalement ridicules, comme dans le cas de la ville de Pantin, rebaptisée « Pantine » en 2023, pour le bien de la cause !!! ).

    La survie de la communauté était une préoccupation constante qu’il est bien difficile d’imaginer aujourd’hui dans une société moderne de type individualiste. Et la force de l’auteur est de nous projeter, grâce à l’imagination et à partir des connaissances que nous avons, dans ce monde d’avant. Ressentant mieux ainsi les nécessités que nous ne sommes plus en état de bien mesurer dans le monde bien plus sûr et évolué que nous connaissons.

    Mais loin d’être un monde aussi dominé par les hommes que l’on veut bien le croire, le pouvoir viril n’a pas toujours été le monopole de l’homme, ni la puissance féminine absente de l’histoire humaine. L’auteur nous en restitue un certain nombre de preuves historiques tout à fait intéressantes, toujours de manière vivante et stimulante (le livre se lit bien) qui démontrent en quoi la simplification et la caricature font perdre en pertinence les observations et analyses plus fines, et se révèlent assez largement erronées pour peu qu’on prenne la peine d’étudier l’histoire et les sciences au lieu de se contenter de beaux principes, certes éventuellement séduisants, mais peu rigoureux.

    C’est notamment notre large méconnaissance aujourd’hui de l’histoire qui aboutit à ce que celle-ci soit caricaturée. L’auteur présente ainsi de nombreux exemples de la puissance des femmes au cours de l’histoire, à rebours de ce que l’on veut bien croire. Inversement, nous avons une méconnaissance également de l’idéal de la masculinité et de la difficulté d’y parvenir. De manière générale, il règne un effacement des causes pour ne se focaliser que sur les résultats. Sans même voir le rôle actif et conscient qu’ont joué les femmes elles-mêmes dans ce processus, ainsi que l’intérêt qu’elles y trouvaient. Au lieu de cela, nous dit Julien Rochedy, nous nous focalisons sur les bourgeoises du XIXe siècle sans même voir quelle était la réalité de la condition de toutes les autres femmes, encore moins en considérant toutes les autres époques, dans une certaine mesure parfois plus enviable que celle des hommes .

    Pendant des générations, décrit l’auteur, les femmes ont « pétri de leurs mains » les hommes et c’est grâce à cette éducation que la masculinité a pu s’épanouir, apprenant à contenir et maîtriser la violence. Des psychologues ont démontré que les violeurs sont justement ceux qui manquent de masculinité, souffrent d’un manque de confiance en eux et ont une certaine peur des femmes. Réprimer la masculinité c’est donc prendre le risque de dériver vers des formes de sauvagerie immonde inverses de ce qui est recherché. À travers de nombreux développements, l’auteur montre au contraire comment les femmes ont contribué de manière active à engendrer la civilisation.

    Nous aurions d’ailleurs tort de croire que l’Histoire est désormais pacifiée, les temps de paix définitifs, la sélection naturelle terminée, que les hommes et femmes ont fini de souffrir et que les libertés conquises sont elles aussi durables . Ce sont les contextes historiques qui, en réalité, déterminent les stratégies des deux sexes. En attendant, profiter des plaisirs de la vie se fait en complémentarité entre l’hommes et la femme, et non par des formes d’adversité telles que les conçoit l’idéologie.

    Troisième postulat : l’amour et la complémentarité homme/femme sont des pièges pour les femmes

    Discours, films, séries éducatives, fourmillent aujourd’hui, montre Julien Rochedy, d’affirmations en tous genres (si je puis dire) consistant à affirmer que c’est « la société » qui veut que nous soyons hétérosexuels, monogames, fassions des enfants, respections un certain nombre de stéréotypes. Un système en quelque sorte oppressif que la « déconstruction » permettrait d’abattre pour pouvoir accéder à de véritables libertés, à l’aide d’une « révolution genrée » remettant ainsi en cause des siècles de culture et de pratiques dont on ferait table rase.

    On connaît les fantasmes et la violence des révolutions . On sait aussi le désir profond du wokisme et de la cancel culture d’effacer le passé au mépris total des leçons de l’histoire . Mais c’est surtout faire fi des réalités biologiques de notre être, auxquelles Julien Rochedy se réfère de manière une nouvelle fois très précise et documentée qui expliquent en grande partie la réalité de notre condition, de nos ressentis, de nos attirances, de l’amour et la complicité qu’il introduit dans le couple, bien loin des idées patriarcales ou de conventions ou conditionnements sociaux.

    Bonobos, hippies, et autres tentatives communautaires diverses à travers l’histoire ont d’ailleurs toujours lamentablement échoué, rappelle l’auteur, les faisant parfois éclater violemment. De la même manière, l’homosexualité et l’hétérosexualité sont liées à des causes biologiques, en aucun cas culturelles, ainsi que le montrent de nombreuses données scientifiques, rendant ainsi vaine toute tentative de remise en cause par l’éducation.

    Quant aux femmes, Julien Rochery revient sur ce qui les meut depuis la nuit des temps, au grand dam des féministes idéologues, qui voudraient déconstruire l’amour par un renversement de perspective reniant nos inclinations biologiques, accusant l’inconscient patriarcal d’être à la source du processus d’aliénation qui guiderait les femmes dans leur recherche de l’amour. À travers de multiples références historiques, il montre au contraire ce qui motive l’amour chez la femme comme chez l’homme, mettant particulièrement en exergue la bravoure féminine si digne d’admiration et pourtant si décriée par les féministes idéologues.

    Pour couronner le tout, l’écologie nihiliste a triomphé dans les consciences, voyant en chaque enfant qui naît un vecteur de pollution , en concluant donc qu’il vaut mieux s’abstenir d’en engendrer. Développant une morale de la culpabilité, dans laquelle les blancs et Occidentaux sont incriminés. Terrain propice au féminisme idéologique et à son rêve d’un individu neutre et générique.

    Mais que se passe-t-il quand tout nous intime désormais de ne plus nous reproduire, de ne surtout pas créer des reproductions de nous-mêmes ? Outre que le nihilisme est alors à son comble, l’amour devient de facto embarrassant. Les hommes et les femmes n’ont plus aucun intérêt à se rapprocher, à se comprendre, à supporter et dépasser les tensions que leurs deux sexes impliquent. S’il ne faut plus faire d’enfant, alors il ne faut plus aimer, et s’il n’y a plus d’amour, les deux sexes se destinent toujours plus à se regarder en chiens de faïence, de loin, sur le ton du reproche et de l’hostilité.

    Quatrième postulat : le féminisme est bénéfique aux femmes et les antiféministes (ou hommes « non déconstruits ») sont nécessairement contre elles

    Le parallèle avec le marxisme et la déception liée aux résultats de la Révolution française, qui avait laissé aux futurs communistes un sentiment déçu de la liberté, est frappant. Ici aussi, une fois tous les droits obtenus et l’égalité en droits atteinte, les résultats effectifs n’étaient pas jugés à la hauteur des espoirs.

    Pour obtenir la liberté totale, et donc le bonheur, il fallait alors abattre tout ce qui engendrait encore la femme en tant que cette incarnation : la famille, la culture, mais aussi le corps. Et aussi les hommes. La loi avait neutralisé les sexes, la société n’avait qu’à suivre. Et puisque cette égalité parfaite ne se réalisait pas et que les différences sexuelles persistaient, alors il fallait toujours plus redoubler l’idéologie.[…] C’est toujours le même principe qui est à l’œuvre [que pour la Révolution] : la liberté, invariablement, déçoit, car elle n’apporte pas le bonheur, et ne se propose qu’à des individus incarnés dans une société qui existe préalablement à eux, avec ses hiérarchies, sa culture, ses codes, bref : tout ce qui fait d’elle une société. La liberté contenue dans l’égalité des droits n’est donc pas l’égalité des conditions et ne peut pas l’être, sauf à renverser non seulement la société, mais aussi la nature humaine, on finit toujours par s’en rendre compte.

    Le féminisme idéologique procède ainsi selon les mêmes postulats que le marxisme : un même but égalitaire censé mener au bonheur, une histoire de la lutte des sexes (lutte des classes) et de l’oppression des femmes (des travailleurs), pas de nature biologique propre aux sexes (pas de nature humaine), le patriarcat (le capitalisme) comme phénomène et comme système est l’ennemi, la domination masculine (économique) est une conséquence de l’invention de la propriété, il faut faire table rase du passé, la domination est l’essence de la masculinité (de la bourgeoisie), il faut savoir de déconstruire (faire son autocritique), etc.

    Sans oublier la même manière de créer un langage abscons au service de théories incompréhensibles et de concevoir des concepts fumeux aux prétentions scientifiques, les chercheurs en études du genre ou en sociologie prenant la place des anciens intellectuels marxistes, prenant de haut leurs détracteurs. Le tout avec l’appui de l’intersectionnalité .

    La convergence des luttes, avec toutes les minorités contre l’homme blanc, patriarcal et oppresseur, est désormais entrée dans sa nouvelle orthodoxie. Qu’importe qu’au passage il faille ne pas trop regarder toutes les fois où les droits des femmes sont beaucoup plus bafoués, ou même niés, chez ceux censés partager les luttes. C’est la conséquence du manichéisme propre aux idéologies, ou aux théologies : l’ennemi doit être simple, et simpliste, pour éviter toute modération. L’inégalité n’est pas naturelle, elle est une construction, comme toute chose humaine. C’est cette inégalité qui crée le mal dans nos sociétés. Tout le mal vient donc de ceux qui maintiennent le plus les inégalités, c’est-à-dire les dominants. Et qui sont-ils ? Les mâles blancs.[…] Le communisme se révéla in fine un enfer pour les ouvriers car tous ses postulats, mythes et philosophies, étaient faux, ou a minima impropres à la nature humaine. Le féminisme idéologique, reprenant ces mêmes postulats, mythes et philosophies, en changeant à peine de matériel et d’ennemi, conduira aux mêmes désillusions, conséquences inévitables de leur tromperie.

    Julien Rochedy conclue en avançant l’idée que le propre de la civilisation est de chercher à améliorer les choses, non à proposer des ruptures radicales visant à imposer le Bien, en jouant qui plus est sur les haines et les reproches. Détruire, faire table rase du passé, déconstruire, culpabiliser, voilà ce que nous propose le féminisme idéologue. Ce n’est pas ainsi que l’Occident se sortira de sa crise existentielle mais plutôt en retrouvant le sens de ce qui fait la beauté de l’homme et de la femme et de leur magnifique complémentarité et complicité.

    Julien Rochedy, L’amour et la guerre – Répondre aux féministes , Editions Hétairie, mai 2021, 264 pages.

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      En 2021 : confiner l’étatisme, déconfiner la liberté d’expression

      Alain Laurent · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 12 January, 2021 - 04:30 · 5 minutes

    étatisme

    Par Alain Laurent.

    À l’agenda de ce qu’un libéral de grande tradition peut souhaiter voir mis en état d’urgence pour 2021 devrait figurer en premier lieu la découverte d’un drastique vaccin intellectuel et politique immunisant contre le… statovirus qui achève de transformer notre nation en Étatistan : le pays où règne de manière absolue l’État de droit divin. Mais il devra également formuler des vœux (non pieux) en faveur d’un renforcement du combat contre les nouvelles menaces proliférantes qui pèsent désormais sur la liberté d’expression, un bien premier de l’esprit sans lequel la vie ne mérite pas d’être vécue.

    Derrière l’Absurdistan, l’Étatistan

    Il y a quelque temps, on s’en souvient, la presse allemande avait ironiquement qualifié la France d’Absurdistan , visant par là l’hyper-réglementation bureaucratique et courtelinesque (les attestations infantilisantes, la définition aberrante des commerces dits essentiels…) y caractérisant la gestion de la crise sanitaire.

    Constat clinique d’autant bien vu qu’il pointait un mal récurrent ainsi que l’a montré le récent nouveau ratage au sujet de la vaccination de masse , comme si la devise gouvernementale était : « Pourquoi faire simple et efficace quand on peut faire compliqué et contre-productif ? »

    Mais au-delà des symptômes, il faut remonter aux causes et poser un diagnostic, lequel n’a au demeurant rien d’original : l’emprise étouffante et stérilisante d’un État obèse et boulimique, à la fois omnipotent, capable de déverser tout à coup un torrent d’argent magique, et impotent, incapable de faire respecter un véritable État de droit ; impotent en raison même de sa prétention à une omnipotence – version ultra-centralisation monarchisante.

    Comment donc confiner l’État après l’avoir fait revenir à sa juste et nécessaire place (son confinement n’ayant d’intérêt que précédé de son refoulement !), et le contraindre à assurer la seule mission légitime qui devrait être la sienne : effectivement garantir la liberté, la propriété et la sûreté des citoyens ?

    Comment parvenir à guérir nos concitoyens de leur statolâtrie , eux qui se disent si majoritairement demandeurs d’une dépense et une fonction publiques en expansion indéfinie ?

    Mais pour continuer à filer la métaphore en forme de boutade d’un vaccin mental, celui-ci ne pourrait certes pas s’administrer aux étatistes invétérés, que l’on n’imagine pas renoncer volontairement  – respect de leur consentement oblige – à  leur projet d’étatisation totale de la société. Il devrait donc concerner tous ceux que commencent à ébranler les fiascos bureaucratiques à répétition, afin qu’ils sortent de leur aveuglement et comprennent d’où proviennent les maux qu’ils dénoncent, et soient gagnés par l’envie et la volonté d’en finir avec l’Étatistan.

    Pour y prédisposer, rien ne vaut sans doute la (re)lecture de L’Absolutisme inefficace (1992) où, il y a une trentaine d’années, Jean-François Revel , qu’on ne saurait soupçonner d’anti-étatisme primaire, avait pratiquement déjà tout dit des causes de ce dont nous souffrons tant actuellement…

    La liberté d’expression ne se négocie pas plus qu’elle ne doit s’autocensurer !

    Une quinzaine d’années avant L’Absolutisme inefficace , Jean-François Revel – toujours lui ! – avait dans La Nouvelle censure (1977) dénoncé l’apparition délétère en France d’une « forme non officielle de censure » . Non plus d’une classique censure d’État, mais d’une « censure élargie » , « idéologique » , visant à interdire de critiquer le communisme et à mettre à l’index ceux qui osaient le faire.

    En fait de  censure idéologique, nous y revoici présentement en plein, et en pire. Au nom d’ une chasse aux sorcières islamophobes et d’un antiracisme dévoyé doublé d’un néoféminisme hystérisé, il s’agit de museler, bâillonner la liberté normale d’expression et de critique : bel et bien d’une nouvelle censure sociétale. Si son inspiration n’est plus soviétique mais américaine (aux USA, la tradition libertarienne du free speech n’est plus qu’un souvenir, que ce soit dans la presse, l’université ou sur les réseaux sociaux) au sens woke et cancel culture , elle demeure d’extrême gauche.

    Et en France désormais, le libertaire « il est interdit d’interdire » tend lui aussi à n’être bientôt plus qu’un souvenir. Cette censure a pour moteur le narcissisme tyrannique de groupes de pression idéologiques dont les membres se disent blessés, offensés par la liberté de parole de qui ose professer une autre opinion ou critiquer leurs croyances.

    Et ça marche ! Soumis à une intimidation musclée, la moitié des enseignants s’autocensurent désormais, et dans les médias mainstream , on euphémise et pratique une pitoyable novlangue de bois – pour ne rien dire de réseaux sociaux totalement fliqués par les nouveaux inquisiteurs.

    Pour autant, la censure d’État n’est pas en reste, et prête éventuellement son concours à l’opération en prenant appui sur une législation mémorielle et bien-pensante qui enjoint aux tribunaux de déclarer recevables d’abusifs dépôts de plaintes ; rien de tel pour clouer au pilori et décourager les mal-pensants de librement s’exprimer.

    Dans ce contexte alarmant et insupportable, on ne peut se contenter de réaffirmer avec John Stuart Mill « la nécessité – pour le bien-être intellectuel de l’humanité (dont dépend son bien-être en général) – de la liberté de pensée et d’expression » ( On Liberty , 1859 ; ch.2). Il faut en effet aller au-delà de son plaidoyer n’intégrant que l’utilité collective du libre échange des idées.

    Car pour un libéral cohérent et fidèle à l’ADN historique de sa famille de pensée, ce qui doit être défendu, c’est une pleine liberté d’expression entendue comme un droit naturel inaliénable de l’individu. Dont les seules limites concevables ne peuvent qu’être de prohiber et sanctionner l’imputation fallacieuse à une personne d’actions répréhensibles qu’elle n’a pas commises (diffamation et dénonciations calomnieuses et, bien sûr, les incitations même implicites à la violence.).

    Il est donc infiniment souhaitable que les libéraux prennent offensivement la tête de ce combat. Sinon, il ne leur restera plus qu’à se mêler à la curée en exigeant qu’on cloue le bec et mette au pilori quiconque les… blesse et les offense en insultant et dénigrant leur religion de la liberté, soit le…libéralisme ! Bon courage, car il y aura fort à faire…