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      Les « OGM cachés », c’est (en principe) fini

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 17 February, 2023 - 03:50 · 15 minutes

    Le 7 février 2023, la Cour de Justice de l’Union Européenne a répondu pour la deuxième fois au Conseil d’État français par une décision au style et contenu ubuesques. En bref, les variétés de plantes issues d’une mutagenèse in vitro ne sont pas soumises à la réglementation qui, en pratique, interdit la culture d’OGM.

    Le 7 février 2023, la Cour de Justice de l’Union Européenne a, en principe, éclairé le Conseil d’État français sur la manière d’interpréter et d’appliquer, dans le cas de la mutagenèse in vitro , la Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil.

    Dans son arrêt , au terme d’un raisonnement qui reste déroutant même après plusieurs lectures, il a apporté une réponse confuse à une question confuse :

    « L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil, lu conjointement avec l’annexe I B, point 1, de cette directive et à la lumière du considérant 17 de celle-ci, doit être interprété en ce sens que : les organismes obtenus par l’application d’une technique/méthode de mutagenèse qui est fondée sur les mêmes modalités de modification, par l’agent mutagène, du matériel génétique de l’organisme concerné qu’une technique/méthode de mutagenèse traditionnellement utilisée pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps, mais qui se distingue de cette seconde technique/méthode de mutagenèse par d’autres caractéristiques sont, en principe, exclus de l’exemption prévue à cette disposition, pour autant qu’il soit établi que ces caractéristiques sont susceptibles d’entraîner des modifications du matériel génétique de cet organisme différentes, par leur nature ou par le rythme auquel elles se produisent, de celles qui résultent de l’application de ladite seconde technique/méthode de mutagenèse. Toutefois, les effets inhérents aux cultures in vitro ne justifient pas, en tant que tels, que soient exclus de cette exemption les organismes obtenus par l’application in vitro d’une technique/méthode de mutagenèse qui a été traditionnellement utilisée pour diverses applications in vivo et dont la sécurité est avérée depuis longtemps au regard de ces applications. »

    Le communiqué de presse vient à notre secours (enfin…) s’agissant de la portée pratique de l’arrêt :

    « Les organismes obtenus par l’application in vitro d’une technique/méthode de mutagenèse qui a été traditionnellement utilisée pour diverses applications in vivo et dont la sécurité est avérée depuis longtemps au regard de ces applications sont exclus du champ d’application de cette directive. »

    Simplifions : les variétés de plantes issues d’une mutagenèse in vitro ne sont pas réglementées.

    Ce communiqué, c’est sous le titre : « Techniques de modification génétique : la Cour précise le statut de la mutagenèse aléatoire in vitro au regard de la directive OGM » !

    Un peu de génétique et d’amélioration des plantes

    Dame Nature se trompe parfois dans la reproduction de l’information génétique et produit des mutations. C’est un peu comme le copiste qui oublie une virgule. « Le maître, dit l’élève, est bête » devient : « Le maître dit, l’élève est bête. »

    Les mutations peuvent se transmettre aux générations suivantes si elles touchent les cellules germinales. Dans le cas des plantes, une mutation affectant les cellules méristématiques d’un bourgeon peut produire un rameau doté de l’information génétique mutante, lequel peut être utilisé par multiplication végétative (bouturage, greffage, etc.) pour maintenir et propager la mutation.

    Les mutations d’origine naturelle – spontanées – ont été exploitées par l’Homme quasiment depuis l’aube de l’agriculture et de l’élevage.

    Il y a une centaine d’années, Hermann Müller a découvert qu’on pouvait provoquer des mutations sur la drosophile (la mouche du vinaigre) avec des rayons X. Mais feu le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) rapporte que les premiers travaux expérimentaux sur la mutagenèse physique chez les plantes ont été réalisés en 1906 avec des rayons X sur le datura.

    La mutagenèse induite avec des agents physiques tels que les radiations ionisantes ou chimiques s’est développée à partir de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. L’objectif était d’augmenter la fréquence d’apparition des mutations, en comparaison avec celle des mutations spontanées, étant entendu qu’il n’y a pas de différence de nature entre les unes et les autres.

    De nombreux résultats intéressants ont été obtenus, certains se retrouvant aujourd’hui dans quasiment toutes les variétés cultivées d’une espèce donnée. Notons que l’amélioration des plantes (et dans une moindre mesure des animaux) est historiquement un des domaines d’application consensuels de l’utilisation de l’énergie atomique. L’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) et l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) gèrent conjointement un laboratoire situé à Seibersdorf, en Autriche.

    Les premiers travaux ont été effectués sur des semences ou des parties de plantes telles que des boutures. Avec le développement des techniques de culture et de multiplication d’explants, de tissus et de cellules in vitro , la mutagenèse induite s’est évidemment étendue à ce domaine. Feu le HCB cite une application sur des cellules de tabac réalisée en 1974.

    On peut inscrire – volontairement – les produits de la mutagenèse dans une base de données gérée par l’AIEA/FAO. Elle comporte à ce jour près de 5000 entrées, pour de très nombreuses espèces, dont une centaine référencées comme issues d’une mutagenèse in vitro . Plus de la moitié d’entre elles ont été obtenues avant l’année 2001 (année de la directive européenne).

    La mutagenèse in vitro présente un avantage et un inconvénient : on peut travailler sur des milliards de cellules d’un coup mais l’objectif de sélection doit fournir un crible fonctionnant in vitro . C’est le cas de la résistance à une molécule toxique comme une toxine de parasite ou… un herbicide.

    Nous y voilà… presque.

    Un peu d’agronomie

    On peut distinguer deux sortes d’herbicides : les totaux comme le glyphosate (devenu sélectif lorsqu’on a créé des variétés génétiquement modifiées qui le tolèrent…) et les sélectifs. Ces derniers sont utilisés sur les espèces et variétés qui les tolèrent (en général naturellement) et permettent de contrôler une gamme plus ou moins large d’adventices, y compris des plantes cultivées qui se seraient ressemées l’année après la récolte.

    Il arrive donc qu’apparaisse une plante cultivée mutante devenue tolérante à un herbicide auquel son espèce est normalement sensible. C’est le cas du ou des géniteurs des variétés de tournesol Clearfield tolérantes aux imidazolinones. Ils avaient été découvert en 1996 dans un champ de soja du Kansas. ( Source )

    Le tournesol Clearfield Plus tolérant à l’imazamox a été obtenu par mutagenèse in vivo , selon les indications de BASF Agro. Il en est de même du tournesol Express Sun , tolérant au tribénuron-méthyle.

    Et le colza Clearfield , tolérant à l’imazamox, est le fruit d’une mutagenèse in vitro .

    Notons ici que les désignations Clearfield et Express Sun sont génériques et recouvrent des gammes plus ou moins étendues de variétés dotées du caractère de tolérance correspondant ; des variétés qui n’ont pas nécessairement été obtenues par de « méchantes » multinationales agrochimiques..

    Les mécanismes de la tolérance – un mot que l’on a préféré sans raison dirimante à « résistance » dans le cas des plantes cultivées – peuvent être différents (par exemple une modification de la cible de l’herbicide l’empêchant d’agir, ou un mécanisme de détoxification). Soulignons encore une fois qu’il n’y a pas de différence de nature entre les différents modes d’obtention. Si nous savons que les tournesols Clearfield ont pour origine des mutants spontanés, naturels, c’est grâce aux informations fournies par l’entreprise.

    Donc, ce qui importe en pratique c’est le résultat.

    La tolérance ajoute un élément dans la boîte à outils de l’agriculteur. C’est important du point de vue de la lutte contre les résistances des mauvaises herbes (puisqu’on peut alterner les produits et les modes d’action). Surtout, selon le cas, elle facilite le désherbage de certaines espèces (notamment, en tournesol, cette ambroisie allergène ou ce datura toxique qui constituent de gros problèmes de santé publique).

    Un peu de droit

    Un progrès agronomique et technologique, donc. Mais ce n’est pas acceptable pour certains milieux !

    Les « faucheurs volontaires » ont trouvé dans la directive 2001/18/CE de quoi justifier – à leurs yeux – leurs activités de vandalisme. C’est qu’elle définit un « organisme génétiquement modifié (OGM) » comme « un organisme […] dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ».

    Cette définition touchant des « hors-cible » – un terme approprié dans ce débat qui fait grand cas des « modifications génétiques hors cible » –, le législateur a redressé la barre et exclu, notamment, la mutagenèse. Elle n’est pas « considérée […] comme entraînant une modification génétique » (pour peu qu’on ait quelques notions de génétique ou un peu de culture générale, on rêve !).

    Les controverses ont fini par se focaliser sur les « variétés rendues tolérantes à des herbicides » (VrTH) et la mutagenèse in vitro . Mutagenèse « aléatoire » – à distinguer d’une mutagenèse « dirigée » permise par de nouvelles techniques génomiques comme celles utilisant CRISPR/cas-9. Mais les contestataires/protestataires se sont employés à nourrir l’ambiguïté, en particulier dans leur communication.

    La Confédération paysanne – une organisation syndicale, passée supplétif de l’altermondialisme et d’une certaine technophobie visant notamment la génétique et la chimie agricoles – et huit autres entités ont interpellé le gouvernement, puis saisi le Conseil d’État en mars 2015, en carence du gouvernement. Fort logiquement, celui-ci s’est tourné vers la CJUE.

    Celle-ci a rendu un (premier) arrêt le 25 juillet 2018 ( communiqué de presse , commentaire ). Écartant l’avis de l’avocat général Michal Bobek et s’écartant du principe de droit qui veut qu’on n’interprète pas une disposition claire, il a conclu, en bref, que les organismes issus de la mutagenèse sont bien des OGM, mais que

    « ne sont exclus du champ d’application de ladite directive que les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. »

    Pour ce faire, la Cour s’est appuyée sur le considérant 17 de la directive, en lui donnant une valeur normative :

    « La présente directive ne devrait pas s’appliquer aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. »

    Sur ce fondement, le Conseil d’État a ensuite estimé le 7 février 2020 – de manière surprenante pour qui connaît l’histoire de l’amélioration des plantes et les fondements génétiques de celle-ci – toujours en bref, que la mutagenèse in vitro ne satisfaisait pas à ce double critère. Il a enjoint au gouvernement de légiférer et de prendre les mesures nécessaires pour éliminer les variétés issues d’une mutagenèse in vitro du paysage agricole – et logiquement aussi des auges des animaux et des assiettes des consommateurs ( arrêt ; communiqué de presse ; commentaire ici et ici ).

    Le gouvernement s’est plié à l’injonction en établissant des projets de textes législatifs qu’il a soumis à une consultation publique et à la Commission Européenne . Il n’a pas donné suite à ses projets en raison des observations très critiques de la Commission et de certains États membres.

    La Confédération paysanne et les huit autres ont donc saisi à nouveau, en exécution, le Conseil d’État qui, à nouveau, s’est tourné vers la CJUE .

    Un combat d’arrière-garde juridique ?

    Et c’est ainsi qu’on se trouve confronté à un monument de jésuitisme.

    Notons que l’avocat général Maciej Szpunar avait proposé une réponse qui, résumée, est très lapidaire : « la mutagenèse aléatoire appliquée in vitro relève de [l’exemption] ». Il avait aussi posé :

    « Tout comme la distinction entre mutagenèse aléatoire in vivo et mutagenèse aléatoire in vitro n’est pas justifiée sur le plan scientifique, la différence de traitement des organismes obtenus à l’aide de ces deux techniques n’est pas justifiée sur le plan juridique.

    La CJUE ne l’a pas entendu de cette oreille. Elle n’a pas fait fausse route dans sa décision précédente ! Donc, si nous simplifions la conclusion en remplaçant le charabia par des termes simples :

    1. Les variétés issues d’une mutagenèse in vitro sont en principe réglementées – en pratique, compte tenu de l’hystérie anti-OGM qui prévaut dans l’Union européenne, exclues des champs, des auges et des assiettes ;
    2. Mais elles ne sont réglementées que si l’ in vitro produit des modifications génétiques de nature différente de celles issues de la mutagenèse in vivo ou à un « rythme » différent ;
    3. L’ in vitro ne suffit pas à remplir la condition précédente.

    Donc, tout est bien qui finit bien… enfin pour les adeptes de la raison.

    La décision du Conseil d’État avait en effet pour conséquence de déclarer, en quelque sorte et pour paraphraser la CJUE, que des variétés « traditionnellement utilisée[s] […] et dont la sécurité est avérée depuis longtemps » ne répondaient soudainement plus à l’exigence de sécurité !

    Mais les entités autoproclamées « paysannes, environnementales et citoyennes » peuvent sortir un nouveau lièvre du chapeau et, qui sait, le Conseil d’État – qui devrait normalement clore le dossier – se laissera peut-être séduire ou saisira à nouveau la CJUE…

    On peut aussi imaginer une répétition de ce grand cirque en relation avec la mise en œuvre d’une mutagenèse aléatoire faisant appel à un nouvel agent mutagène. Ou à propos d’une nouvelle technique d’amélioration des plantes – ou une nouvelle déclinaison d’une technique connue, non réglementée, ne faisant pas appel à la transgenèse, le domaine d’application réel de la directive.

    Une argumentation stupide ne dispensera pas les autorités administratives et le cas échéant judiciaires d’une évaluation de la nature et du rythme des modifications génétiques induites. Bref, on risque des manœuvres dilatoires par l’instrumentalisation de la justice, comme cela se fait de plus en plus dans d’autres domaines.

    Dans le cas qui nous occupe ici, à défaut de vaincre, les opposants à la génétique même pas moderne auront fait régner l’incertitude pendant quelque… huit ans.

    Prochaine étape : une proposition de la Commission

    Les milieux favorables au progrès génétique ont accueilli l’arrêt de la CJUE avec soulagement.

    La Confédération paysanne est sans surprise dépitée et verse dans la gesticulation dans un communiqué de presse qui défie l’entendement : la Cour a « capitulé face aux multinationales semencières et à la Commission européenne ». De plus, elle « ouvre un boulevard pour un déferlement massif d’OGM non identifiés ».

    On peut bien sûr peindre le diable – ou un diablotin – sur la muraille. La réalité est bien plus terne : seules arriveront sur le marché des variétés qui apportent un plus à la chaîne de valeur agroalimentaire ! Et de toute façon nous nous trouvons dans un domaine de l’amélioration des plantes dans lequel, très souvent, le mode précis d’obtention ne peut pas être déterminé par l’analyse du produit, de la variété.

    Mais on peut évidemment fantasmer. La mutagenèse ciblée – très précise – faisant appel aux nouvelles techniques génomiques produit « des modifications du matériel génétique de cet organisme », non pas « différentes, par leur nature », mais identiques à celles issues de la mutagenèse aléatoire. Parce qu’il s’agit au fond de mutagenèse, est-ce « une technique/méthode de mutagenèse traditionnellement utilisée » ?

    Poser la question, même en l’assortissant d’une réponse négative – qui semble tout à fait logique dans la ligne de la jurisprudence de la Cour – c’est pointer du doigt l’ineptie de la réglementation actuelle des OGM ou, plutôt, de l’amélioration des plantes dépassant le cadre des croisements entre parents de la même espèce suivis de sélection.

    La Commission est censée faire une proposition d’ici juin prochain pour les nouvelles techniques génomiques (CRISPR/cas-9 et autres) et la cisgenèse (insertion dans une plante d’un gène provenant d’une plante de la même espèce ou d’une espèce apparentée).

    Nous verrons ce qu’ils auront à proposer. Mais le problème de fond demeure : c’est le principe de précaution, tel qu’appliqué par les États membres et développé par la CJUE. Les premiers en ont fait une interdiction de cultiver (qui n’empêche pas les importations…) ; la seconde soumet à cette interdiction de fait toute technique nouvelle ou sortant des schémas établis – car non « traditionnellement utilisée pour diverses applications et dont la sécurité [n’]est [pas] avérée depuis longtemps ».

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      Néonicotinoïdes : la CJUE pour vision rigoriste du droit

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 24 January, 2023 - 03:30 · 10 minutes

    Pour la Cour de justice de l’ Union européenne , des dérogations de 120 jours pour répondre à un besoin pressant de protection des cultures contre des ravageurs sont illicites dès lors qu’elles portent sur des produits phytosanitaires « interdits » par un règlement communautaire.

    On glosait et s’étripait en France sur un éventuel arrêté autorisant les semenciers à enrober des semences de betteraves d’un néonicotinoïde (imidaclopride ou thiaméthoxame) afin de protéger les plantes de betteraves contre les attaques de pucerons et, partant, les viroses appelées jaunisses…

    Et on attendait une nouvelle dérogation pour 2023 avec, le 20 janvier 2023, le feu vert d’un organe consultatif (un de plus permettant à nos gouvernants de diluer leurs responsabilités).

    Coup de tonnerre judiciaire le 19 janvier 2023

    Le dossier français a sans doute été clos par la Cour de justice de l’Union européenne par son arrêt du 19 janvier 2023 ( Communiqué de presse ; arrêt ; conclusions de l’avocate générale Juliane Kokott ).

    La Cour avait été saisie d’une demande préjudicielle – une question sur comment doit s’interpréter le droit communautaire – par le Conseil d’État belge dans une affaire introduite par Pesticide Action Network Europe ASBL, Nature et Progrès Belgique ASBL et un apiculteur. Il était reproché à l’État belge d’avoir indûment accordé des dérogations le 19 octobre 2018 pour des semences de betteraves sucrières.

    Cette dérogation – et d’autres accordées au fil du temps par, excusez du peu, 11 États membres pour la betterave sucrière et quelques autres cultures – trouve son fondement dans l’article 53 du Règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil :

    « 1. Par dérogation à l’article 28 et dans des circonstances particulières, un État membre peut autoriser, pour une période n’excédant pas cent vingt jours, la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue d’un usage limité et contrôlé, lorsqu’une telle mesure s’impose en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables. »

    Selon l’article 28,

    « 1. Un produit phytopharmaceutique ne peut être mis sur le marché ou utilisé que s’il a été autorisé dans l’État membre concerné conformément au présent règlement. »

    Au terme de son analyse, la CJUE a conclu que l’article 53 doit être interprété en ce sens que :

    « il ne permet pas à un État membre d’autoriser la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue du traitement de semences, ainsi que la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de ces produits, dès lors que la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de ces mêmes produits ont été expressément interdites par un règlement d’exécution. »

    Un arrêt de portée très générale

    En bref et en généralisant, une dérogation ne peut pas être accordée pour un produit qui a été « expressément interdit… » dans la cadre de procédures particulières comme dans le cas de certains néonicotinoïdes et sans doute aussi de la procédure régulière d’approbation (ou de non-approbation) des matières actives phytopharmaceutiques.

    A priori , les possibilités de dérogation – de mesures d’urgence pour répondre à un danger phytosanitaire – sont ainsi limitées aux usages de substances autorisées pour une combinaison culture-ravageur pour laquelle il n’y a pas d’autorisation dans un État membre ; et selon une hypothèse fort périlleuse, aux produits n’ayant pas fait l’objet d’une demande d’approbation initiale ou de renouvellement d’approbation.

    Les premières ne relèvent pas du règlement communautaire ; pour les secondes, et notamment celles portant sur des substances qui ne se sont pas encore frottées à l’hypocondrie communautaire, on voit assez mal la CJUE refuser la primauté du « principe de précaution ».

    Intégrisme v. pragmatisme

    La CJUE avait le choix entre deux options : d’une part, une application fondamentaliste, intégriste ou rigoriste du droit donnant la priorité à la règle de droit qui veut que les exceptions et dérogations doivent faire l’objet d’une interprétation stricte, ainsi qu’à l’ambition affichée par l’ Union européenne d’assurer une protection élevée de (lire : assurer prioritairement) la santé humaine et animale, et l’environnement ; d’autre part, une application plus nuancée tenant compte des effets d’une dérogation ou du refus d’une dérogation.

    L’avocate générale Juliane Kokott avait plaidé vigoureusement pour la deuxième approche, en bref, celle de l’évaluation de la balance bénéfices-risques. Par exemple :

    « [il faut] une appréciation concrète, à la lumière du principe de précaution, de la question de savoir si les avantages pour assurer la compétitivité de l’agriculture résultant de l’utilisation d’un produit phytopharmaceutique en cause l’emportent sur les risques liés à l’utilisation du produit. […] »

    De son point de vue, il faut être plus prudent en cas d’effets nocifs pour la santé humaine et animale qu’en cas de « conséquences « simplement » négatives pour l’environnement ».

    L’enrobage des semences est un cas particulier puisqu’il s’agit d’une mesure préventive… et que le législateur a cru bon de poser une autre mine anti-économie à l’article 49 du règlement, lequel évoque des « réelles préoccupations selon lesquelles les semences traitées […] sont susceptibles de présenter un risque grave pour la santé humaine ou animale ou l’environnement […] ». Admirez au passage la formulation : les préoccupations doivent être réelles pour un risque, certes grave, mais hypothétique comme l’exige le mot « susceptibles ».

    Selon l’avocate générale :

    « […] l’autorisation d’urgence […] dépend non pas du caractère certain ou plausible de la survenance du danger qu’il vise à prévenir, mais du point de savoir si les avantages de cette utilisation l’emportent sur les inconvénients qu’elle présente. […] »

    Des conséquences potentiellement ravageuses

    La CJUE aura préféré asséner la massue juridique sur une filière maintenant en grand danger (et sans doute aussi sur d’autres).

    En 2020, la jaunisse a réduit le rendement moyen national de quelque 30 %, avec des pointes régionales ou locales à plus de 75 %. Si les producteurs arrêtent en nombre, ce sont les sucreries qui ferment… et les producteurs restants qui sont privés de débouchés et s’arrêteront donc aussi… Avec des conséquences en cascade .

    Pour la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) :

    « La brutalité d’une telle décision, appliquée en l’état, risque d’entrainer des conséquences désastreuses et irréversibles dans nos territoires ruraux alors même que les politiques encouragent la souveraineté alimentaire, énergétique et la réindustrialisation de la France. »

    Capture CJUE

    ( Source et source )

    Les carences du législateur

    Aussi contestable soit-il s’agissant des ravages économiques et sociaux potentiels et aussi criticable soit-il s’agissant de l’approche choisie – qui n’aurait sans doute pas été retenue dans un système de common law –, l’arrêt de la CJUE met aussi en exergue les carences du législateur et, in fine , de l’approche politique générale.

    Selon le communiqué de presse de la CJUE,

    « Cette interprétation trouve son origine […] dans l’objectif de ce règlement, lequel vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale ainsi que de l’environnement, et qui se fonde sur le principe de précaution, qui est l’un des fondements de la politique de protection d’un niveau élevé poursuivie par l’Union dans le domaine de l’environnement »

    La Commission et les États membres ont justifié leur interdiction de trois néonicotinoïdes – les règlements d’exécution (UE) 2018/ 783 , 784 et 785 du 29 mai 2018 – par des arguments tels que « des risques chroniques élevés pour les abeilles ne pouvant être exclus pour les betteraves sucrières », « un risque élevé ne peut être exclu pour la plupart des utilisations en plein champ » et « les abeilles couraient des risques chroniques et aigus dans les cultures suivantes pour toutes les utilisations en plein champ ».

    Qu’importe si, après coup, les États membres ayant adopté des dérogation aient révisé leur jugement et répondu aux préoccupations relatives aux cultures suivantes… qu’importent aussi les conclusions, positives, de l’EFSA sur les autorisations d’urgence (qui ne semblent pas avoir été versées au dossier judiciaire…)… la CJUE a excipé du principe de précaution tel qu’interprété (abusivement) dans l’Union européenne.

    Et maintenant ?

    Les législateurs – la Commission, le Conseil et le Parlement européen – entendront-ils le message implicite qu’il est impératif de réviser les fondements de la politique européenne fondée sur l’aversion du danger au profit d’une gestion des risques , comme le prône sur ce site, à longueur d’articles, M. David Zaruk ? Ainsi que sur une naïve bien-pensance s’agissant de la lutte contre les changements climatiques et l’érosion de la biodiversité, bref, le Pacte Vert et de la ferme à la table ?

    S’agissant plus spécifiquement de l’important secteur économique et social fondé sur la betterave sucrière, sont-ils prêts à réviser leurs positions et à transposer en droit communautaire – en règlements d’éxécution – les dérogations maintenant illégales ?

    Pour ce secteur – et d’autres – une des solutions à la crise réside dans la génétique. Une génétique faisant appel aux « nouvelles techniques génomiques », ou encore à des OGM « classiques », issus d’une transgenèse. Le législateur est-il prêt à revoir ses positions, ses dogmes et ses petites compromissions avec une mouvance antitechnologie d’autant plus puissante qu’elle est aussi biberonnée par les instances européennes ?

    Les professionnels doivent parler vrai

    Les professions sont aussi au pied du mur.

    Selon un bréviaire souvent lu, s’appuyant de manière sélective sur un communiqué du 2 juin 2021, l’ANSES aurait identifié vingt-deux solutions pour lutter contre les pucerons et la jaunisse dans les cultures de betteraves sucrières : quatre solutions « à court terme » et 18 autres moyens de lutte qui « devraient être disponibles dans un délai de deux à trois ans ».

    Des « solutions » ? C’est en grande partie du pipeau ! Et c’est sans comparaison avec les avantages de l’enrobage des semences.

    Dans un communiqué de presse navrant de platitude, le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire se gausse aussi de son engagement « dans un programme de sortie de néonicotinoïdes sur les semences de betterave et de recherches d’alternatives » et du « plan national de recherche et d’innovation (PNRI) ». Comme si cet arrêt de la CJUE aurait été bienvenu, n’eût-il été un peu prématuré…

    Comme si on pouvait mettre au point, en l’espace de trois ans (trois campagnes betteravières) « des solutions alternatives aux néonicotinoïdes, déployables à l’échelle de la sole betteravière de 400 000 hectares et techniquement et économiquement viables à l’horizon de 2024 » !

    Il y a une conclusion risible dans ce communiqué de presse :

    « L’année 2023 constitue la dernière année de mise en œuvre de la loi du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières. »

    Non, les carottes sont cuites pour 2023… Sauf si le gouvernement français décide d’ignorer l’arrêt et de faire mettre en route une révision des règlements d’exécution témérairement adoptés sur la base, rappelons-le, d’une formidable manipulation (pour ne pas dire plus). En aura-t-il l’ambition ? Ou se contentera-t-il de « prendre acte », répudiant le si souvent affirmé « Pas d’interdiction sans solution » ?

    ( Source )

    Il est temps que les professions agricoles et connexes imposent le langage de vérité.

    • Li chevron_right

      Le Conseil d’État reconnaît que le gouvernement US peut accéder aux données de santé des Français

      Stefane Fermigier · pubsub.eckmul.net / linuxfr_news · Thursday, 15 October, 2020 - 10:16 · 3 minutes

    <div><p>Dans une <a href="https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/health-data-hub-et-protection-de-donnees-personnelles-des-precautions-doivent-etre-prises-dans-l-attente-d-une-solution-perenne">ordonnance</a> rendue publique ce jour, le Conseil d’État, saisi par le collectif <a href="https://santenathon.org/">Santenathon</a>, reconnaît que le gouvernement des États‑Unis peut accéder sans contrôle aux données de santé des Français hébergées par le Health Data Hub chez Microsoft, et demande des garanties supplémentaires.</p> <p>Cette décision est justifiée par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 16 juillet 2020, dit « Schrems II », qui juge que la surveillance exercée par les services de renseignements américains sur les données personnelles des citoyens européens est excessive, insuffisamment encadrée et sans réelle possibilité de recours. La CJUE en a déduit que les transferts de données personnelles depuis l’Union européenne vers les États‑Unis sont contraires au règlement général sur la protection des données (RGPD) et à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sauf à apporter des garanties particulières ou dans certains cas dérogatoires.</p> <p>Les jours sont donc bien comptés pour cette plate‑forme développée depuis deux ans, sans appel d’offre, et au mépris de l’offre des sociétés françaises et européennes, notamment des acteurs du logiciel libre. Le Gouvernement a en effet exprimé, jeudi dernier devant le Sénat, sa volonté de transférer le Health Data ‑Hub sur des plates‑formes françaises ou européennes. Dans l’intervalle, la juge du Conseil d’État demande au Health Data Hub de travailler à minimiser ce risque, notamment en concluant un nouvel avenant avec Microsoft, et à ce que la CNIL instruise les demandes d’autorisation des projets de recherche utilisant le Health Data Hub en vérifiant que l’intérêt du projet, compte tenu de l’urgence sanitaire actuelle, est suffisant pour justifier le risque encouru et que le recours à la plate‑forme est nécessaire.</p> </div><ul><li>lien nᵒ 1 : <a title="https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/health-data-hub-et-protection-de-donnees-personnelles-des-precautions-doivent-etre-prises-dans-l-attente-d-une-solution-perenne" hreflang="fr" href="https://linuxfr.org/redirect/107031">L’ordonnance du Conseil d’État</a></li><li>lien nᵒ 2 : <a title="https://www.cnil.fr/fr/le-conseil-detat-demande-au-health-data-hub-des-garanties-supplementaires" hreflang="fr" href="https://linuxfr.org/redirect/107032">Le commentaire de la CNIL</a></li><li>lien nᵒ 3 : <a title="https://cnll.fr/news/decision-conseil-etat-health-data-hub-14-octobre/" hreflang="fr" href="https://linuxfr.org/redirect/107033">Le communiqué du CNLL</a></li><li>lien nᵒ 4 : <a title="https://www.santenathon.org/" hreflang="fr" href="https://linuxfr.org/redirect/107034">Le site de Santenathon</a></li><li>lien nᵒ 5 : <a title="https://cnll.fr/news/health-data-hub-memoire-cnil-rgpd/" hreflang="fr" href="https://linuxfr.org/redirect/107035">Le mémoire de la CNIL</a></li><li>lien nᵒ 6 : <a title="https://video.ploud.fr/videos/watch/13964678-d65f-4fe7-9806-ef071441a477" hreflang="fr" href="https://linuxfr.org/redirect/107036">Une vidéo « grand public » pour comprendre les enjeux</a></li></ul><div></div><div><a href="https://linuxfr.org/news/le-conseil-d-etat-reconnait-que-le-gouvernement-us-peut-acceder-aux-donnees-de-sante-des-francais.epub">Télécharger ce contenu au format EPUB</a></div> <p> <strong>Commentaires :</strong> <a href="//linuxfr.org/nodes/121914/comments.atom">voir le flux Atom</a> <a href="https://linuxfr.org/news/le-conseil-d-etat-reconnait-que-le-gouvernement-us-peut-acceder-aux-donnees-de-sante-des-francais#comments">ouvrir dans le navigateur</a> </p>
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      Mathias Poujol-Rost ✅ · Saturday, 26 January, 2019 - 16:08

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    « Et BAM et BIM : #CJUE "Selon l’avocat général, le #gestionnaire d’un site ayant inséré (...) un #bouton « j’aime » de #Facebook, qui collecte et transmet des données à caractère #personnel de l’ #utilisateur, est #responsable conjointement de cette phase du #traitement des données"#RGPD »