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      À la droite du Père, Florian Michel et Yann Raison du Cleuziou

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 15 January, 2023 - 04:15 · 3 minutes

    L’association entre droite et catholicisme est une sorte de lieu commun de l’histoire politique française. Depuis la Révolution française, en particulier à gauche, il est assez facile de confondre en un seul ennemi à abattre la réaction d’Ancien Régime, le pouvoir de l’Église catholique et la critique des privilèges sociaux et économique que cette « sainte » alliance protégerait contre le progrès social et la longue marche vers l’émancipation proposée par les diverses chapelles progressistes, qu’elles soient républicaines, socialistes ou communistes.

    Des droites catholiques

    Seulement, si l’influence de l’Église est déterminante dans les engagements et les pratiques civiques à droite, elle est loin de se résumer aux caricatures charriées par la rhétorique militante. Curieusement, si l’influence de l’Église sur la droite est essentielle comme elle le fut sur tout un pays comme la France dont l’identité culturelle a été forgée au sein d’un civilisation chrétienne millénaire, il n’existait pas d’étude scientifique visant à étudier sérieusement le rapport entre l’enseignement de l’Église catholique et ses traductions militantes au sein du camp conservateur français, du centre à l’extrême droite.

    Observer le rapport entre la droite et l’Église revient d’abord à le complexifier au-delà des clichés. Loin de se limiter à la frange réactionnaire, elle influence tout le spectre politique droitier et subit en particulier à partir de l’après-guerre une désaffiliation partisane. Le vote catholique se disperse, se retrouvant aussi à gauche et cela même si la droite catholique reste prépondérante au sein de la majorité des croyants. Plutôt que de ramener le rapport de l’Église à une droite en particulier, il convient d’admettre que plusieurs droites interprètent différemment le message de l’Église pour informer des pratiques militantes parfois aux antipodes les unes des autres. Quel rapport entre la démocratie chrétienne et les militants catholiques traditionnalistes qui investissent les rangs du Front national à partir du début des années 1980 ?

    C’est ce manque dans le domaine universitaire que vient combler cette nouvelle étude supervisée par Florian Michel et Yann Raison du Cleuziou intitulée À la droite du père. Les catholiques et la droite de 1945 à nos jours . Au carrefour de l’histoire immédiate et de la sociologie, l’ouvrage se penche sur des thèmes aussi variés que le catholicisme pendant la guerre froide, les droites conservatrices dans les années 1960, le catholicisme et le gaullisme ou encore l’évolution droitière des nouvelles générations catholiques avec les manifs contre le Pacs ou la Manif pour tous .

    Notons également qu’afin de marquer le pluralisme des droites catholiques, les auteurs se sont attachés à dresser le portrait des figures politiques emblématiques qui en ont marqué l’histoire après guerre.

    Évolution conservatrice des catholiques

    S’il est difficile de rendre compte ici de la richesse et de la variété des contributions, il est toutefois possible de s’arrêter sur le mouvement de radicalisation conservatrice qui travaille les pratiquants depuis les années 1980 et qui correspond peu ou prou à celui de l’accélération de la déchristianisation du pays et à la mise en minorité de la religion catholique en France.

    Comme le note Yann Raison du Cleuziou, l’expérience du déclassement culturel les droitise :

    « Progressivement destitué de ses privilèges majoritaires, le catholicisme se recompose avec ceux qui restent. Les catholiques conservateurs parvenant mieux à transmettre la foi au sein de leurs familles, leur sensibilité croît en importance dans l’Église à mesure que le catholicisme décline. Dans l’espace public, l’image du catholicisme dépend de plus en plus des initiatives de ces observants qui font de la fidélité à la messe dominicale hebdomadaire et du combat pour la vie des signes distinctifs. »

    À la droite du père est un complément indispensable aux études classiques de René Rémond sur les droites en France et passionnera tous les lecteurs intéressés par l’histoire politique du pays.

    Florian Michel, Yann Raison du Cleuziou (dir.), À la droite du père. Les catholiques et les droites de 1945 à nos jours , Seuil, 2022.

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      Gauche et droite : la fin ?

      Patrick Aulnas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 17 January, 2021 - 04:30 · 5 minutes

    Par Patrick Aulnas.

    Êtes-vous de gauche ou de droite ? Nombreux sont ceux qui peuvent répondre sans hésiter à cette question. Ils votent d’un côté ou de l’autre avec constance. Mais il existe aussi des personnes, sans doute de plus en plus nombreuses, qui ne se sentent ni de gauche ni de droite. Elles sont « en même temps » de gauche et de droite. Cela dépend des sujets.

    Comment évolue l’opinion en France sur l’axe gauche-droite ? Quel est le contenu idéologique de leur positionnement ?

    Combien pèsent la gauche et la droite aujourd’hui ?

    Un sondage de l’IFOP pour Le Point , de juillet 2020, permet de conclure que le positionnement gauche-droite subsiste dans l’esprit des Français. Interrogés sur leur appartenance politique, ils se positionnent à 13 % à gauche, à 32 % au centre et à 39 % à droite. 16 % d’entre eux refusent de se prononcer.

    Par rapport aux sondages des années précédentes, la gauche recule, le centre également. La droite progresse. Mais ces faibles évolutions ne portent que sur quelques points.

    C’est le refus de se positionner sur l’axe gauche-droite qui progresse le plus : de 11 % en 2017 à 16 % en 2020. En additionnant les centristes et ceux qui ne se prononcent pas, on obtient environ la moitié des sondés.

    En définitive, la moitié des Français accepte donc de jouer le jeu du clivage gauche-droite et l’autre moitié ne l’accepte pas. Pourquoi ?

    La première réponse est liée à la radicalisation croissante des positionnements, avec en particulier le Rassemblement national à droite et La France insoumise à gauche. Beaucoup refusent un tel choix.

    Les partis traditionnels plus modérés (LR et PS) sont en recul. Emmanuel Macron étant parvenu à synthétiser gauche modérée et droite modérée, il séduit l’électorat de sensibilité centriste.

    La seconde réponse, la plus importante historiquement, suppose une analyse des contenus idéologiques gauche-droite. Ils sont en voie d’obsolescence.

    La perte des repères traditionnels

    Les clivages politiques doivent s’ancrer dans leur époque. Aussi sont-ils très évolutifs. Le XIX e siècle a vu s’opposer monarchistes et républicains. Le clivage comportait aussi une opposition entre autoritarisme et libéralisme. Les monarchistes observaient avec inquiétude le développement des libertés quand les républicains militaient pour leur extension.

    Au XX e siècle, le libéralisme économique et le marxisme s’affrontent. Communistes et socialistes veulent étendre largement le rôle de l’État au motif de réduire les inégalités. Les libéraux, bien évidemment, privilégient la liberté individuelle. L’égalité par la contrainte étatique leur apparaît antidémocratique.

    La gauche plus ou moins marxisante considère au contraire que la démocratie suppose une égalisation rapide des niveaux de vie par les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques.

    Si on examine aujourd’hui le résultat de cette opposition d’un siècle entre libéraux et socialistes, il est évident que les socialistes ont largement réalisé le programme qu’ils s’étaient fixés. Les économies occidentales sont devenues structurellement sociales-démocrates. Lorsqu’elle gouverne, la droite ne réduit jamais significativement les prélèvements obligatoires.

    La gauche a donc accompli sa mission historique. De son côté, la droite a renoncé au libéralisme économique. Même si une petite résistance s’est fait jour à la fin du XX e siècle dans les pays anglo-saxons avec Margaret Thatcher et Ronald Reagan , elle n’a été qu’un feu de paille.

    Que sont la droite et la gauche désormais, au-delà des incantations sur le libéralisme et le socialisme ?

    La réponse est toute simple : rien. Certes, l’ écologisme politique a fait son apparition. Mais chacun picore un peu dans l’assiette écologiste, considérée comme porteuse électoralement.

    Anywhere et somewhere

    Certains analystes ont fait émerger d’autres clivages. Mais ils sont un constat sociologique et non un corpus idéologique comme l’ancienne opposition gauche-droite.

    Le britannique David Goodhart a opposé les anywhere , élite intégrée, mobile et progressiste, aux somewhere , populations ancrées dans un territoire et dans un système de valeurs traditionnelles. Les manifestations socio-politiques de ce nouveau clivage apparaissent au grand jour depuis plusieurs années.

    Il s’agit de révoltes populaires , sortes de jacqueries modernes : Gilets jaunes en France, trumpisme, refus de la défaite électorale et invasion du Capitole aux États-Unis. Ce sont donc les somewhere qui manifestent bruyamment, et parfois violemment, leur désarroi face à un monde qu’ils ne comprennent plus.

    Mais, en vérité, leur agitation révèle leur faiblesse. L’humanité étant une aventure spatio-temporelle (l’évolution des Homo sapiens sur notre petite planète), l’immobilisme n’existe jamais à l’échelle historique. Le vent de l’Histoire nous porte inéluctablement vers la destruction créatrice et celle-ci induit les changements sociaux et politiques.

    Marx n’avait pas tout à fait tort lorsqu’il affirmait que les infrastructures technico-économiques déterminent les superstructures juridiques et politiques. Encore faut-il raisonner de ce point de vue sur plusieurs siècles. Les NBIC auront infiniment plus d’importance que les manifestations des trumpistes ou des Gilets jaunes ou que les divagations de l’ultra-gauche sur le racialisme, le décolonialisme et la théorie du genre.

    Si, par exemple, le genre supplante le sexe, ce ne sera pas par le droit et la politique mais par les biotechnologies. Autrement dit, l’indifférenciation des genres résultera d’une évolution technologique des modalités de la procréation humaine.

    Les somewhere n’ont donc aucune chance de gagner. Ils représentent le passé et craignent l’avenir. Ils constituent le conservatisme actuel, la droite si l’on veut maintenir ce vocabulaire. Ils pourront avoir ici ou là une influence politique de court terme. Mais le conservatisme, par définition, est appelé à être rapidement dépassé.

    Le désespoir des vaincus de l’évolution historique n’en reste pas moins émouvant, surtout lorsqu’il se manifeste avec la candeur enfantine d’un porteur de cornes de bison dans les couloirs du Capitole. Les plus lucides des conservateurs ont toujours eu une conscience aiguë du tragique de leur situation. Car c’est l’Histoire qui les abandonne. Ainsi, Chateaubriand commençait-il ses Mémoires d’Outre-tombe avec cette phrase célèbre :

    « Le 4 septembre prochain, j’aurai atteint ma soixante-dix-huitième année : il est bien temps que je quitte un monde qui me quitte et que je ne regrette pas. »

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      Les géants du Net contre Trump : la guerre culturelle devient partition

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 11 January, 2021 - 13:00 · 8 minutes

    Par Frédéric Mas.

    Durant la première décennie après l’établissement de la République romaine en 509 avant Jésus-Christ, le petit peuple opprimé et méprisé par une aristocratie patricienne majoritaire au Sénat décide de déserter Rome et de se retirer sur le Mont Sacré.

    Là, il célèbre ses propres Dieux et finit par créer ses propres institutions, les tribuns, que les patriciens seront bien obligés d’accepter pour éviter la disparition définitive de la République. Pour Machiavel , de cette tension entre patriciens et plébéiens est née la liberté politique 1 .

    En 2021, à l’ère de l’économie de l’information et des médias numériques, une partie des électeurs et sympathisants de Donald Trump , mais aussi des conservateurs plus classiques ou des libéraux, menacent de quitter les réseaux sociaux dominants pour se réfugier sur d’autres réseaux alternatifs.

    Pour eux, il s’agit de trouver un nouvel espace plus propice à une liberté d’expression qu’ils jugent menacée par des GAFAM plus soucieuses d’éliminer des fake news qu’elles trouvent toujours du même côté. Toujours selon eux, les géants de la tech ne font plus mystère de leur agenda politique progressiste agressif.

    Les nouveaux plébéiens

    Comme les plébéiens, ils se sentent opprimés et méprisés par les nouveaux patriciens que sont les élites progressistes, qui cumulent capital économique, politique et culturel. Celles-ci sont aux commandes à Washington, dans les médias et dans la Silicon Valley, elles sortent des meilleures universités et se sentent investies de la mission sacrée d’éclairer un peuple américain ignorant, idiot et voué à disparaître de toute façon.

    Comme les plébéiens, la réponse conservatrice à ce sentiment de mépris se traduit par la volonté d’investir dans des institutions parallèles, plus libres, moins attentatoires à la vie privée et surtout à la liberté de s’exprimer sous toutes ses formes. Parler, Mewe ou Gab sont en quelque sorte leur Mont Sacré, où ils peuvent s’adonner à leurs Dieux et célébrer leurs propres héros.

    C’est que la suppression du compte Twitter du président Donald Trump a donné le ton de la nouvelle ère numérique qui s’ouvrait devant nous. Certains se sont scandalisés de cette atteinte à la liberté d’expression, ou encore du double standard observé entre le compte du président des États-Unis et d’autres chefs d’État de régimes dictatoriaux qui n’ont jamais été inquiétés pour leurs positions violentes et liberticides.

    D’autres ont applaudi à l’initiative morale de Twitter.

    Entreprise privée modérant sa propre plateforme en fonction de sa propre charte éthique, Twitter a fait sauter le compte de l’une des plus grandes menaces existantes pour la démocratie américaine, comme l’a démontré le pitoyable assaut des ultras du président la semaine dernière à Washington.

    On imagine que le geste éthique des entreprises du net est aussi motivé par le souci de ne pas trop vexer les nouveaux maîtres de Washington. Le régulateur aurait tôt fait de pondre une nouvelle taxe ou des lois anti-trust pour domestiquer les récalcitrants.

    Dans tous les cas, la place des GAFAM comme la nouvelle forme de capitalisme qu’elles représentent dans le fonctionnement de la démocratie américaine pose question. Assisterions-nous à la décorrélation définitive entre une nouvelle forme de capitalisme de surveillance et les vieilles institutions démocratiques et libérales ? La question reste pour le moment ouverte.

    Punition des déplorables et rejet des élites progressistes

    L’affaire ne s’arrête pas là : la gauche veut punir la droite, et la droite s’enferme dans sa colère et le rejet des élites. La montée aux extrêmes est en train de réduire toute position intermédiaire ou nuancée en miettes.

    Parler , le réseau social favori de la droite américaine, devenue le refuge non seulement des trumpistes, mais aussi de tous ceux fatigués de la modération jugée biaisée des Twitter ou Facebook, a été banni par Google, Apple et Amazon. Ce matin, il était hors ligne. Les géants de la tech s’engagent contre Donald Trump, mais aussi pour faire disparaître le trumpisme. Ou tout ce qui peut lui ressembler de près ou de loin.

    Forbes , le célèbre magazine économique new-yorkais, a mis en garde solennellement les entreprises qui chercheraient à embaucher les anciens collaborateurs de Trump. En novembre dernier, un cacique du parti démocrate s’interrogeait déjà gravement : comment va-t-on faire pour « déprogrammer » des dizaines de millions d’Américains qui ont choisi Donald Trump ? À ses yeux la situation était similaire à la dénazification de l’Allemagne d’après-guerre ou de démocratisation du Japon à la même période. Rien que ça.

    Les défections au sein du Parti républicain se multiplient depuis que le président a totalement perdu sa crédibilité après les événements de Capitol Hill. L’ancien gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger, a même brandi son épée de Conan le Barbare devant les caméras pour condamner les excès du trumpisme insurrectionnel. À la parodie lugubre de coup d’État répondent les fanfaronnades d’un vieil acteur fatigué.

    Les trumpistes ne doivent pas seulement être ostracisés sur la toile, mais aussi dans leurs carrières professionnelles. La cancel culture doit battre son plein pour faire disparaître les vestiges d’une présidence vécue comme un affront pour l’ensemble de l’ establishment progressiste qui domine le pays.

    Le débat public n’est plus une conversation entre citoyens, mais un club privé entre gens bien éduqués et conscients des vrais enjeux qui mènent le monde : l’écologie, la justice sociale, la défense des minorités, et éventuellement la guerre contre ceux qui ne sont pas d’accord.

    Le sentiment d’injustice s’intensifie

    À droite, le sentiment d’écœurement et d’injustice n’a fait que s’intensifier. Les derniers événements visant à invisibiliser en masse tout ce qui peut s’apparenter au clan du Président sortant ne fait qu’apporter de l’eau au moulin complotiste, nihiliste et quasi-insurrectionnel d’une partie d’entre eux.

    Pourquoi les médias et les élites condamnent des méthodes qu’ils approuvaient ou excusaient pendant tout le mandat de Trump ? Les manifestations violentes, qu’elles soient antifas ou inspirées par Black Lives Matter, la campagne contre des statues considérées comme des symboles d’oppression , qui s’est fini en procès en règle contre toute l’histoire des États-Unis, tout cela n’apparaît jamais dans les propos des nouvelles élites progressistes. Qui se souvient de la campagne de dénigrement de Brett Kavanaugh ? Des menaces d’invasion faites contre le Capitole s’il était investi à la Cour suprême ?

    Tout ceci les fait relativiser l’intrusion du dernier carré trumpiste au sein du Capitole. Ils ont oublié que le monde entier les regardait, et qu’en affaiblissant le symbole, ils avaient affaibli la démocratie américaine elle-même, et cela au plus grand bénéfice d’ennemis qu’ils s’étaient jurés de combattre.

    La lutte pour la reconnaissance

    Comme au moment de la sécession de la plèbe, ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la lutte pour la reconnaissance entre deux factions identitaires qui ne se reconnaissent aucune légitimité morale. L’existence même du trumpisme est vécue par une partie de la population américaine, celle des minorités, comme une oppression systémique et la preuve vivante de la perpétuation d’un système qui en font des citoyens de seconde zone.

    L’existence même du progressisme anti-Trump diffus qui innerve médias, universités et états-majors politiques, est vécue par une partie de la droite toutes tendances confondues comme une guerre ouverte contre ce qu’elle est et ses valeurs.
    Tous s’accusent d’avoir perdu la raison.

    Choix moral et liberté politique

    Dans un cas comme dans l’autre, c’est l’individu porteur de choix moral qui est nié et dont on demande l’exclusion de la communauté, réelle ou virtuelle. L’anti-trumpiste ne reconnait plus le trumpiste comme faisant partie de la même communauté de citoyens raisonnables, et vice-versa. C’est pourtant cette reconnaissance mutuelle entre citoyens qui est au cœur de la société libérale.

    Pour Francis Fukuyama, qui se place dans le sillage de Hegel plutôt que de celui de Hobbes ou Locke , le libéralisme est interprété comme « la poursuite de la reconnaissance rationnelle, c’est-à-dire la reconnaissance sur une base universelle selon laquelle la dignité de chaque personne comme être humain libre et autonome est reconnue par tous 2 . » Là où la société se morcelle en clans et en factions, l’irrationalité réapparaît et le libéralisme s’évapore. Le risque est aujourd’hui plus grand que jamais en Occident, et pas seulement sur le net.

    Comme le disait Machiavel, c’est de la tension permanente entre patriciens et plébéiens que sont nées les institutions libres de la République romaine.

    Il ajoutait cependant que les aspirations des peuples libres pouvaient se révéler fausses : « Si ces idées sont fausses, il y a le recours aux assemblées, où peut apparaître un homme de bien qui, par son discours, leur fait sentir leur erreur. Comme le dit Cicéron, les peuples, quoique ignorants, sont capables d’apprécier la vérité et ils s’y rendent aisément quand elle leur est présentée par un homme qu’ils estiment digne de foi. »

    Qui aujourd’hui, au sein de la République américaine, sera suffisamment digne de foi pour convaincre les frères ennemis de protéger la liberté contre leurs propres passions destructrices ?

    1. Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live , IV.
    2. Francis Fukuyama, La fin de l’Histoire et le dernier homme , Flammarion, 1992, p234.