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      Individualisme ou collectivisme (4) : gagner la guerre

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 18 February, 2023 - 03:50 · 12 minutes

    L’agression russe contre l’ Ukraine est un sanglant épisode du mouvement réactionnaire contre les nouvelles technologies, la mondialisation, l’individualisme, et le droit pour tous les êtres humains de choisir leur vie. Si l’ Ukraine ne gagnait pas cette guerre et si la Russie ne la perdait pas spectaculairement, les autocrates et collectivistes seraient partout confortés et le libéralisme tomberait dans les oubliettes pour plusieurs générations.

    Vous l’avez vécu, ou on vous l’a raconté, les années 1980 ont marqué l’amorce d’un changement d’époque, une nouvelle ère dans l’histoire de l’humanité, qu’on a comparée à la Révolution industrielle, voire, pour les plus enthousiastes, à la maîtrise du feu. Concrètement, la décennie connut les débuts de la téléphonie mobile et de l’internet, l’ouverture de la Chine sous Deng Xiaoping, la chute du Mur de Berlin , puis une vague d’espoirs de paix avec l’effondrement de l’URSS, la libération de ses satellites, la fin de l’apartheid, les accords d’Oslo, etc., etc. Le politiste Francis Fukuyama pouvait annoncer fameusement en 1991 « la fin de l’Histoire » 1 . Les conflits entre religions et idéologies n’avaient plus de sens, puisque, c’était maintenant évident, il n’existait qu’un seul mode rationnel d’organiser les sociétés humaines, la démocratie libérale.

    Cependant, toute action entraîne une réaction en sens contraire et de même ampleur.

    Il semble que la troisième loi de la mécanique newtonienne s’applique aux affaires humaines. Après 1793, Bonaparte et Metternich ; après 1917, la NEP de Lénine ; et après la mondialisation des communications et des échanges, la réaction de tous ceux pour qui « c’est allé trop loin, trop vite. »

    Les frileux, les désemparés, les déboussolés, se sont tournés vers des chefs à poigne, qui allaient « remettre de l’ordre », restaurer les traditions et rétablir les bonnes vieilles valeurs anciennes, la religion, la nation, les hiérarchies « naturelles », l’économie de papa, le collectivisme… De ces champions de la réaction, trois occupent le top du podium : Trump , 2 Xi-Jinping , et Poutine . Mais, en fait, tous les leaders politiques aujourd’hui, suivis d’un paquet d’électeurs (ou de partisans là où on ne vote pas), sont engagés dans cette course au collectivisme.

    Le retour à l’ordre ancien

    En Occident, le théoricien le plus connu de la contre-révolution est Samuel Huntington. Dans un livre au succès planétaire, Le Choc des civilisations 3 , Huntington s’emploie à doucher l’optimisme de Fukuyama , dont il fut le directeur de thèse à Harvard.

    Huntington affirme que le libéralisme et la démocratie n’ont pas de potentiel d’universalité, ce sont des valeurs occidentales, or l’humanité ne s’occidentalise pas. Elle est divisée en civilisations , au nombre de huit 4 , croit-il pouvoir identifier, et si la diffusion des sciences et des technologies, nées en Occident, entraîne une modernisation universelle, paradoxalement elle marque en même temps un recul de l’occidentalisation. Maintenant qu’ils ont appris à devenir riches et sont puissamment équipés, les peuples se retournent contre ceux qui le leur ont appris.

    Cet « éclatement du monde » que décrit Huntington devient pour Poutine et ses copains autocrates une resucée de l’idéal westphalien, mais élevé au carré – non plus la souveraineté d’États, mais de civilisations entières, chacune sous la houlette d’un État-patron, chargé de maintenir l’intégrité des principes civilisationnels fondateurs, de policer les États membres, éviter qu’ils ne dérivent vers un bloc concurrent, ainsi Taïwan et le Vietnam hors de l’orbite chinoise, la Géorgie et l’Ukraine loin de la sphère russe. Chacune dans son pré carré ceint de barbelés, les civilisations doivent accomplir leur destin historique, sans pollution extérieure, minimisant les échanges entre elles, le commerce, les interactions culturelles, l’immigration, et même établissant leur propre internet.

    Professeur à Harvard, avec ses entrées à la Maison Blanche, éminemment fréquentable, Huntington fit la joie de penseurs russes qui puisaient plutôt leur inspiration chez des auteurs moins respectables, l’eurasianiste Lev Gumilov, le fascisant Julius Evola, les nationaux-bolcheviques Guennadi Ziouganov et Edouard Limonov, l’ultranationaliste russe antisémite Gueïdar Djimal, et bien sûr, le plus docte, le plus illuminé et le plus va-t’en-guerre d’entre eux, Alexandre Douguine .

    Chaque civilisation chez elle – l’idée ne peut que séduire les collectivistes.

    Elle excite tous ceux qui placent une croyance au-dessus de l’être humain, à laquelle il peut être sacrifié, la Nation, l’État, la Race, la Tradition, la Religion, la Révolution…  C’est l’assurance de guerres permanentes, comme entre États westphaliens, car si l’une de ces civilisations acquiert une avance technologique sur les autres, des technologies que la pratique des silos ne permet pas de distribuer, ses rivales tombent dans le « piège de Thucydide », elles doivent détruire celle d’entre elles qui est la plus dynamique, sous peine se trouver bientôt vassalisée. Elles doivent parallèlement étrangler toute velléité d’affranchissement des individus et des populations, qui saperait les fondements de leur croyance (ainsi les Révolutions de couleurs dans l’ex-URSS, EuroMaidan en Ukraine , le Printemps arabe , les manifestations de femmes en Iran …).

    La mondialisation, la circulation des idées subversives, l’assurance pour chacun de trouver ailleurs ce qui est interdit ici, c’est la brèche dans le mur d’enceinte, la menace mortelle, pour tous les suppôts d’idoles collectivistes. Huntington popularisa le terme « homme de Davos » pour fustiger les membres d’une classe cosmopolite, sans loyauté à un État. La Première ministre britannique Theresa May raillait les « gens de nulle part », citoyens du monde, qui possèdent plusieurs passeports, épousent des étrangers/ères, parlent deux ou trois langues à la maison, envoient leurs enfants étudier dans d’autres pays, vivent à cheval sur deux continents… Le sociologue David Goodhart célèbre le petit peuple des somewhere , qui, dans sa vision réactionnaire, résiste autant à cette élite mondialisée qu’aux immigrants paumés qui viennent chercher une vie meilleure dans un pays riche 5 .

    Le libéralisme est nécessairement un mondialisme

    Tout à l’opposé d’un monde hungtingtonien, le postulat libéral est qu’il existe de l’universel.

    Du Kansas au Kamtchatka, les êtres humains souffrent de la même façon. Leur éviter cette souffrance, quelle qu’en soit la cause, est au cœur du projet libéral. Or est-il un fléau plus facile à écarter que les sacrifices que nous infligeons à nous-mêmes ? Ces sacrifices ne trouvent-ils pas encore et toujours leur justification dans un culte rendu à quelque idole, jalouse et farouche, une entité conçue par les humains, qu’ils imaginent supérieure à eux, à qui ils devraient leur vie ?

    Or les cultures, les religions et les appartenances nationales sont des produits de nos imaginations, elles n’existent pas hors de nos fantasmes. On ne les trouve pas dans la nature, elles ne tombent pas des étoiles. La culture et la nation françaises et celles de toutes les autres nations se sont constituées au cours de l’histoire, elles ont évolué, elles se transforment, et elles disparaîtront quand elles cesseront d’apporter aux êtres humains ce qui les fait grandir (comme sont mortes tant d’autres cultures et nations avant elles).

    Ainsi un libéral conséquent n’accorde aucun respect aux cultures, aux religions, aux langues, aux traditions, aux nations… Elles ne le méritent pas. Seuls les êtres humains vivants, pensants, aimants, souffrants, sont dignes de respect. Et donc lorsque des hommes et des femmes déclarent qu’il est important pour eux de croire en une certaine divinité, de parler une langue ultraminoritaire et de suivre certains rituels et coutumes vestimentaires, je respecte ce choix, parce qu’il est le leur et non parce que ces pratiques possèderaient en elles-mêmes une quelconque valeur. Donc, si les individus dans la maison à côté, l’étage au-dessus, ne partagent pas absolument pas ces croyances, c’est leur choix aussi, c’est leur droit d’apostasier, faire défection, chercher une autre appartenance ou se débarrasser de toute allégeance envers un quelconque collectif.

    On n’a pas besoin de Français (ni d’Américains, de Russes, d’Ukrainiens, de Chinois, ou de n’importe quel titulaire de passeport). Ils nous sont totalement inutiles. Nous voulons interagir avec des hommes et des femmes intègres, diligents, spirituels, s’ils peuvent l’être, bons compagnons et collègues, s’ils doivent l’être, amis ou amants, si affinités. Qu’ils se déclarent Français ou Fidjiens, juifs ou musulmans, grand bien leur fasse.

    Car dire ma culture, ma religion, signifie bien qu’elles m’appartiennent, pour enrichir l’être humain que je suis. Elles sont à moi et non pas moi à elles. Comme de tout ce qui nous appartient, nous pouvons jouer de cette culture, la rejeter, la vivre à notre façon, pratiquer une religion à notre convenance, nous montrer ou bien puriste et dogmatique dans notre compréhension du monde, ou bien rebelle et inventif, selon ce qui fera de nous les êtres humains accomplis que nous aspirons à devenir.

    Nous ne devons être prisonniers d’aucun collectif.

    En conclusion

    La défense des Ukrainiens contre une agression massive est une exigence morale. Elle s’impose à tous les honnêtes gens. Mais il existe deux façons de la formuler. Une seule est acceptable pour les libéraux.

    On peut défendre l’Ukraine avec un argument collectiviste. Il existe un pays, l’Ukraine, souverain au sein de frontières reconnues par l’ONU et par des traités, dont la Russie elle-même était partie. Soutenir un État souverain contre un envahisseur devrait recueillir l’adhésion de toutes les chancelleries. Quel État accepte d’être dépecé par son voisin plus puissant ? Mais c’est brandir un collectivisme contre un autre, c’est placer les États au-dessus de la vie et du bien-être des êtres humains. Car cet argument de la souveraineté nationale ne tient pas appliqué à d’autres situations où les individus sont menacés, depuis les Ouïghours jusqu’aux femmes iraniennes et afghanes, en passant par des populations entières en Afrique, et même les Taïwanais, qui juridiquement ne forment pas un État souverain.

    C’est pourquoi un libéral cohérent ne défend pas l’Ukraine. On s’en fiche bien de l’Ukraine – comme de la Russie et de tous les États, ces constructions arbitraires et néfastes. L’argument individualiste procède d’un autre constat : des hommes et des femmes, qui s’appellent eux-mêmes ukrainiens, sont attaqués par des bandes armées. Que fait un libéral, un homme de cœur, quand il voit un petit vieux tabassé par une brute, une femme harcelée par un gang, un gamin maltraité, quand il voit des masses armées déferler sur une contrée, piller et brûler des propriétés, et massacrer des innocents ? Est-ce qu’il ferme les yeux, est-ce qu’il s’en lave les mains ? Protéger les victimes d’agressions dans toute la pleine mesure de nos moyens n’est pas seulement une position libérale, c’est le devoir moral de tout être humain.

    Il faut défendre les Ukrainiens, de chair et de sang, il faut démontrer au monde entier que la prédation ne paie pas, que les agresseurs seront battus. C’est faire œuvre de justice.
    _____

    Postscriptum

    L’issue d’une guerre n’est jamais prévisible. Si elle l’était, le vaincu désigné accepterait les conditions du vainqueur, en s’épargnant le coût des combats. Il y a un an les Russes ne visaient pas à « conquérir l’Ukraine », ils ne s’en étaient pas donné les moyens. En poussant leurs blindés vers Kyiv, ils attendaient plutôt une fuite du gouvernement « nazi » et un accueil chaleureux ou résigné des populations. L’Ukraine serait devenue un autre Belarus, sous la férule d’un satrape poutinien. Erreur d’appréciation des services de renseignements du Kremlin.

    Dans l’autre camp, l’OTAN prévoyait plus d’efficacité des sanctions économiques et moins de détermination du Kremlin dans la poursuite de la guerre. Chaque protagoniste se trouve désormais face à des sunk costs , bien connus des entrepreneurs, un investissement en vies humaines, en matériel, en argent et en prestige, qu’il faut accepter de perdre, sauf à doubler la mise, encore et encore, jusqu’à la victoire.

    Se retirer d’Ukraine ne sonnerait pas nécessairement la fin de Poutine. Saddam Hussein est resté au pouvoir après sa défaite cinglante dans l’invasion du Koweït. Il a simplement – comme Poutine le fera – alourdi la répression contre ses opposants et renforcé la propagande sur les masses. Et même si Poutine est débarqué, le régime pourrait bien lui survivre. L’important est que l’État russe perde visiblement la guerre. Car si les Occidentaux renonçaient à la victoire, ils concèderaient devant le monde entier que le libéralisme a eu son temps, que l’autocratie est maintenant le seul régime viable dans les sociétés humaines.

    Les forces réactionnaires ainsi énergisées, la contre-révolution consolidée, l’humanité aurait une décennie ou plus à attendre les sociétés plus douces, plus ouvertes, plus florissantes, que les nouvelles technologies et la mondialisation nous permettent.

    1. Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le Dernier Homme , (titre original : The End of History and the Last Man , 1992), reprenant des articles publiés dès 1990
    2. En scandant leur slogan favori, « MAGA » « Make America Great Again », les Trumpistes ne se déclarent pas seulement collectivistes nationalistes, mais aussi réactionnaires et défaitistes devant l’avenir. Des collectivistes ambitieux réclameraient « Make America greater than she has ever been ».
    3. Original anglais, The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, 1996, qui reprend des conférences et des articles publiés dès 1993.
    4. Occidentale (Europe, Amérique du Nord, Australie, Nouvelle-Zélande…) — Sinisante (Chine et Asie du Sud-Est) — Japonaise — Hindoue — Islamique (arabe, turque, persane, et partiellement asiatique) — Orthodoxe (Russie, monde slave) — et deux civilisations aux contours flous, Amérique latine, si elle n’est pas incluse dans l’Occident, et Afrique, trop multiple pour être clairement identifiée comme une seule civilisation
    5. David Goodhart, The Road to Somewhere: The Populist Revolt and the Future of Politics , 2017
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      Individualisme ou collectivisme (2) : des libéraux séduits par le collectivisme

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 16 February, 2023 - 03:35 · 8 minutes

    Le chant des sirènes collectivistes mystifie les libéraux. Comment diable peut-on se laisser berner par Vladimir Poutine ?

    Je poursuis ici l’article sur l’opposition irréductible entre collectivisme et individualisme .

    L’actualité illustre ce que signifient vraiment ces deux termes, collectivisme et individualisme. Écoutez les gouvernants chinois et russes. Ils tiennent ce discours collectiviste pur jus :

    « Nous devons réintégrer à notre pays et soumettre à ses lois les individus qui ethniquement et culturellement lui appartiennent, même si par accident historique, ils sont à l’extérieur de notre gouvernement, à Taïwan et en Ukraine. »

    Un dirigeant iranien leur fait écho plus ou moins en ces termes :

    « Notre religion exige que les femmes soient voilées, soumises aux hommes de leur famille et exclues de certaines fonctions dans la société. »

    Mais posons-nous la question : est-ce qu’un quidam à Saint Pétersbourg ou à Irkoutsk vivra mieux, deviendra-t-il meilleur parent, meilleur amant, meilleur voisin, trouvera-t-il plus d’intérêt à son travail, si l’Ukraine est russifiée ? Est-ce que ces autres inconnus à Shanghai et à Wuhan seront en meilleure santé, connaîtront-ils plus de succès dans leur carrière et de joies dans leur famille et de passion pour les arts, si Pékin règne sur Taïwan ? Qu’est-ce qui compte le plus dans votre esprit libéral – les petits drapeaux sur la carte ou la vie des hommes et des femmes sur la planète ?

    Un collectiviste (ils ne sévissent pas qu’au Kremlin, certains écrivent dans Contrepoints ) répond que seuls comptent les petits drapeaux. Chacun a le sien qu’il vénère, son Tricolore, son Union Jack, son Star-Spangled Banner …  Aucune armée ne menace mon petit drapeau, déclarent-ils, alors tout va bien. Les intérêts vitaux de mon collectif ne sont pas en danger.

    Erreur. Grossière, fatale. L’exemple du succès est communicatif. C’est le fondement même du marché économique et des idées. Chacun imite ce qui a fait ses preuves. Une victoire de Poutine, de Xi, des mollahs, serait une leçon enseignée aux apprentis autocrates du monde entier.

    Que veut démontrer cette leçon poutinienne en Ukraine ?

    • que l’individualisme libéral est une expérience historique occidentale, qui a fait son temps,
    • que l’individu toujours doit être sacrifié au collectif,
    • que la violence paie et le maximum de violence garantit le paiement maximum.

    La leçon de Vladimir Poutine

    Cette leçon, on ne l’écoute pas seulement en Russie, en Chine, en Iran, au Moyen Orient, mais aussi dans nos banlieues et nos beaux quartiers, dans nos lycées et nos universités et dans bien des milieux à travers le monde. Si Poutine apparaît victorieux demain, ses élèves mettront en pratique sa leçon le jour d’après.

    Première partie : soyons collectivistes

    Occupons-nous de notre collectif avant de dépêtrer celui des autres. Il n’y a pas de guerre chez nous, en France, à l’Ouest, mais il y a la vie chère, les magouilles politiciennes, les enquêtes de corruption, les incivilités, les élections à venir… C’est ça qui nous importe. Ukraine, Taïwan, Iran… ce sont d’autres mondes, d’autres collectifs. On n’a rien à y faire, même si les populations là-bas nous supplient à genoux de les aider.

    Deuxième partie : blâmons les victimes

    Eh, oui, car ces « victimes » qui nous demandent de l’aide le sont-elles vraiment ? Si on leur tape dessus, ne l’ont-elles pas cherché ? Quelle idée d’enseigner l’ukrainien comme langue officielle ; d’inviter des hauts dirigeants américains à visiter Taïwan quand Pékin fait les gros yeux ; et de provoquer les mâles et les mollahs en marchant tête nue dans les rues ! Ils et elles sont allés trop loin dans la provoc’. Ils et elles n’ont pas volé le châtiment qui leur tombe dessus.

    Troisième partie : prononçons l’oraison funèbre du libéralisme

    Le libéralisme est cette idée saugrenue que tous les êtres humains disposent d’un droit identique à chercher le bonheur. Puisque c’est leur responsabilité, il faudrait permettre aux individus le choix des moyens pour atteindre ce but, les laisser nouer des liens à leur guise, former des associations à leur initiative, entreprendre librement dans tous les domaines. « Mais pas du tout, entonnent en chœur les autocrates, kleptocrates et théocrates. Ces droits ne sont pas attachés aux individus (quel horrible individualisme !). Ils sont conférés par une collectivité politique à ses membres, et les dirigeants définissent le périmètre de ces droits, plus ou moins étiré selon les circonstances. »

    L’idée mise en avant par les idéologues de Poutine, les Goumilev, Douguine , Surkov, et al., par les théoriciens du Parti communiste chinois, par les théologiens iraniens et par bien d’autres mauvais penseurs en Occident, est de nier cet universel humain. Le libéralisme est mort. L’humanité, affirment-ils, est pour toujours éclatée. Chaque peuple, chaque groupe de peuples partageant une même civilisation, doit suivre son destin dans un silo séparé des autres, avec ses institutions propres, son économie fermée, son internet verrouillé, son système protégé des influences délétères d’autres peuples.

    « Bref, réclament les autocrates, on ne vous critique pas, on vous laisse traiter vos populations comme vous l’entendez, alors laissez-nous agir dans notre pays souverainement ; laissez-nous bâillonner, embrigader, opprimer, emprisonner, sacrifier nos sujets à nos intérêts et ceux de notre collectif. Chacun chez soi. Don’t tread on me . »

    Comme si un pays était leur propriété privée, comme si un peuple appartenait à ses dirigeants.

    Des États souverains, des individus qui ne le sont pas et l’immunité pour les autocrates

    C’est une vieille idée platonicienne, dépoussiérée au XVII e siècle pour illustrer une vision du monde portée par le Traité de Westphalie et la maxime plus ancienne qui l’inspira, Cujus regio, ejus religio « tel souverain, telle religion ».

    En dépliant la traduction, on obtient : chaque gouvernement décide seul de sa politique sur son territoire. Le but était d’en finir avec les guerres de religion qui avaient ravagé l’Europe pendant plus d’un siècle, les souverains catholiques volant au secours de leurs coreligionnaires persécutés dans les États protestants, et inversement. Avec la doctrine westphalienne, le souverain n’a plus à craindre l’ingérence d’autres gouvernements. Il persécute chez lui impunément.

    Le principe a eu la vie dure. Avec des exceptions, il a régi la diplomatie mondiale jusqu’à la fin du siècle dernier laissant les mains libres et sanglantes aux grands bourreaux de leur peuple, Hitler, Staline, Mao, Pol Pot, et autres massacreurs.

    Ces dernières décennies, les diplomates ont travaillé à établir un nouvel ordre mondial, fondé non plus sur l’impunité des dirigeants politiques mais sur la protection de leurs sujets. Non seulement l’ingérence n’est plus bannie, comme au temps westphalien, elle devient un devoir. La communauté nationale a désormais l’obligation morale d’intervenir lorsque des vies humaines sont menacées, tant dans le cas d’une catastrophe naturelle que d’une catastrophe politique, une tyrannie, une persécution, un génocide…

    Un libéral ne peut logiquement qu’applaudir. Les libéraux n’ont pas pour programme de défendre les États et les oppresseurs. Ils reconnaissent que sauver des vies humaines n’est pas praticable dans tous les cas. L’intervention peut se révéler trop complexe, mettre en danger trop de sauveteurs ; il faut du discernement, balancer les risques. Mais la prescription est sans équivoque. Chaque fois que c’est humainement faisable, il faut porter secours aux victimes.

    L’individualisme comme principe moral exige la solidarité des honnêtes gens

    L’injonction découle du fondement même du libéralisme et de l’individualisme.

    Si les individus sont souverains, ils doivent se montrer solidaires dans la protection de cette souveraineté. Nécessairement. Seul, à un contre dix, un contre cent, la souveraineté n’a pas de sens. Prétendre que si un écolier est harcelé par toute sa classe, il n’a qu’à rendre les coups, les parents et les maîtres n’ont pas à s’en soucier ; que si une femme est molestée par une grande brute, elle n’a qu’à cogner plus fort ; que si les Chinois sont tyrannisés, ils n’ont qu’à se révolter ; que si les Ukrainiens sont envahis par la deuxième armée du monde d’un voisin trois fois plus peuplé, c’est à eux de combattre sans appui extérieur, ce type d’argument qu’on lit trop souvent, et même sur le libéral Contrepoints , n’est pas seulement inepte, il est abject. Il déclare l’impossibilité de tout projet libéral, puisque personne ne peut compter que sur soi. Pire, il exprime une démission de notre dignité d’être humain.

    Ce n’est pas seulement ployer l’échine aux bastonneurs et tendre le cou aux garotteurs, c’est signaler aux criminels que non seulement on ne résistera pas (ce qui, prise pour soi-même, est une décision rationalisable), mais qu’on ne portera pas secours aux agressés – ce qui est lâche, méprisable et un encouragement donné aux agresseurs.

    Libéral ou pas, vous savez qu’une fripouille qui sévit dans le quartier, tabasse les faibles, rackette les plus fortunés et peut en venir à tuer, vous savez que cette nuisance doit être éliminée. Sans sécurité pour les honnêtes gens, toute vie sociale est impensable. Pourquoi en irait-il autrement pour la société mondiale ? Vous savez qu’à ce niveau aussi, pour la paix et la sécurité de tous, les agresseurs doivent être désarmés, et leur défaite servir d’avertissement aux possibles imitateurs.

    Il existe nombre d’agresseurs politiques dans le monde d’aujourd’hui, au Yémen, en Syrie, dans plusieurs régions d’Afrique… Mais aucune frappe n’est aussi massive, meurtrière, immotivée et immorale que celle que la Russie assène à l’Ukraine. C’est sur ce sujet brûlant que je vous inviterai à réfléchir dans un prochain article.

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      Droit à la paresse : une conséquence de notre État-providence

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 10 February, 2023 - 04:30 · 5 minutes

    Il faut faire grève. Il faut manifester. Il faut se mobiliser. Il faut s’opposer à cette réforme des retraites. Cette proposition de loi est totalement injuste et inacceptable.

    Imposer un départ à la retraite à 64 ans : hors de question !

    Je revendique le droit à la paresse, le droit de ne pas être obligé de travailler.

    Et ce n’est pas de l’ironie, je suis totalement d’accord avec Sandrine Rousseau . Sérieusement !

    Il faut faire grève. Il faut manifester. Il faut se mobiliser. Il faut s’opposer à cette réforme des retraites. Non pas pour obtenir l’abandon de la réforme, non pas pour s’opposer à Emmanuel Macron , même pas pour embêter Éric Ciotti et faire rager les Républicains.

    Il faut faire grève, il faut manifester, il faut se mobiliser pour que tout ce système de protection sociale qui détruit le pays depuis près d’un siècle maintenant s’effondre en emportant avec lui le socialisme corrompu qui a envahi jusqu’au moindre petit rouage de la société.

    Il est temps que la servitude s’arrête.

    Tourner la page du collectivisme

    Sandrine Rousseau a totalement raison quand elle appelle à la diminution du temps de travail et au partage des richesses ! Pour cela, il y a urgence à faire voler en éclats le système collectiviste moribond qui entraine le pays dans l’abime. Il y a urgence à le remplacer par un modèle économique et social juste, solidaire et performant, le seul au monde d’ailleurs qui ait jamais montré ses preuves : le libre marché, le libéralisme.

    Il est temps de mettre fin à 150 ans de socialisme, à 90 ans de national-bolchevisme et à 40 ans de soviétisme.

    Le Droit doit redevenir le Droit. Il doit cesser d’être une distribution de privilèges financés par la spoliation des uns au bénéfice des autres. Tout le monde a le droit d’être paresseux. Tout le monde a le droit à la paresse. C’est un droit naturel que le socialisme nous arrache dès trois ans quand commence le lavage de cerveau destiné à faire des petits Français de bons contribuables, de bons petits soldats au service de sa majesté l’État français.

    Le piège de l’État-providence

    La France n’est pas née avec la défaite d’Alésia, ni avec le baptême de Clovis, ni avec le sacre de Charlemagne, ni même avec la Révolution ou le sacre de Napoléon. La France actuelle, la République démocratique de France est née le 18 janvier 1871 au Château de Versailles quand les princes allemands ont proclamé Guillaume 1° de Prusse Empereur d’Allemagne et ont fixé les termes de l’armistice imposée à l’armée française vaincue.

    Depuis cette date, la France est entrée dans un monde parallèle, un monde fantasmagorique, celui de l’État providence bismarckien.

    En imposant en 1871 la République aux Français humiliés et vaincus, le stratège prussien voulait conserver le contrôle sur ce voisin à la fois si riche mais si inorganisé et si indiscipliné. Quoi de mieux que cette bonne vielle démocratie inventée par l’aristocratie athénienne pour museler toute opposition populaire en offrant à ces leaders des postes très bien payés et totalement inutiles ?

    Le pari se révéla raté. Qui aurait pensé que ce système imposé par la force et l’humiliation allait devenir une fierté nationale ? Qui aurait osé imaginer que la fille ainée de l’Église allait reprendre à son compte et se complaire avec délectation dans ce mensonge profondément immoral ? Qui aurait pensé que les irréductibles Gaulois allaient passer les 150 années suivantes à pleurnicher sur leur sort en se fustigeant du soir au matin de ne pas jouer assez collectif, de ne pas être assez disciplinés, de ne pas être assez romains ?

    C’est pourtant ce qui est arrivé. Cent cinquante ans plus tard, nous en sommes toujours au même point. Le pays est toujours enfermé dans un étroit carcan d’idées fumeuses qui maintient en place la servitude volontaire.

    Droits et privilèges

    Le droit à la paresse revendiqué par Sandrine Rousseau n’est pas un droit. C’est l’octroi d’une faveur rendue possible uniquement par la contrainte exercée sur les autres. Ce faux droit n’est rien d’autre qu’une allocation perçue non pas sous forme monétaire mais sous forme de temps libre à être nourri, chauffé, logé, éduqué, diverti par les autres. Une allocation de plus, financée par un impôt de plus, dans un pays où tout repose sur la redistribution . Un privilège, l’aumône de quelques piécettes prélevée sur le butin pour faire taire la foule.

    Est-ce que 150 ans est une durée expérimentale suffisante pour se rendre compte que toute cette usine à gaz qui consiste à prendre l’argent quelque part pour le distribuer ailleurs ne marche pas, ne sert à rien et est profondément injuste en plus d’être totalement immorale ?

    Même les farouches partisans du socialisme se prennent les pieds dans le tapis. La confusion est devenue si grande qu’on en est à écouter du soir au matin des gens nous expliquer que le système par répartition est un salaire différé, s’insurger des dividendes des entreprises tout en fustigeant la capitalisation, parler de diminution du temps de travail tout en sacralisant le salariat…

    Il faut se réveiller

    Mais si vous voulez que votre retraite soit effectivement un salaire différé, il suffit d’épargner ce salaire. Ce n’est pourtant pas compliqué à comprendre.

    Si vous voulez que les dividendes bénéficient aux travailleurs, il suffit de permettre aux travailleurs de devenir actionnaires, soit directement, soit au travers de fonds de pensions ! Ça non plus, il n’y a pas besoin d’une intelligence transcendantale pour le concevoir !

    Si vous voulez être libre de votre temps de travail, il n’y a pas cinquante solutions : soit vous convenez avec votre employeur de cette liberté, soit vous êtes votre propre employeur ! Pourquoi y aurait-il besoin de Sandrine Rousseau pour négocier votre contrat de travail ou de prestation ?

    Pourquoi ? Parce que l’immense usine à gaz soviétique construite dans l’édifice national-bolchévique qui repose sur les fondations socialistes creusées sur les ruines de l’ancien régime en copiant le plan de l’État-providence bismarckien est en fin de vie. Les tuyaux fuient de toute part, la cuve est vide et les parasites aux commandes, trop habitués au chauffage et aux repas gratuits, n’ont aucune idée de comment effectuer les réparations.

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      Face à la résurgence du tout collectif, revenir aux leçons de Jean-François Revel

      IREF Europe · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 22 February, 2021 - 04:35 · 9 minutes

    collectif

    Par Matthieu Creson.
    Un article de l’Iref-Europe

    La crise du Covid-19 aura remis au premier plan de nos sociétés les valeurs du tout collectif. Le 15 octobre 2020, Emmanuel Macron déclarait ainsi :

    On s’était progressivement habitués à être une société d’individus libres, nous sommes une nation de citoyens solidaires.

    Remarquons ici deux choses : la substitution du mot citoyen au mot individu ; l’opposition apparente entre liberté et solidarité.

    La crise du Covid nous aura conduits à porter à nouveau aux nues les valeurs de la seule collectivité

    Depuis la conférence prononcée en 1819 par Benjamin Constant, « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », on sait pourtant que l’individu moderne, s’il est en effet un citoyen, ne se réduit pourtant nullement à celui-ci : sa liberté ne réside en effet pas uniquement dans la possibilité pour lui de participer aux débats de la Cité, mais dans son aptitude à s’affranchir des grands desseins collectifs pour exercer son autonomie propre et se rendre ainsi le plus possible maître de sa propre existence.

    Faut-il donc croire que la crise du Covid-19 nous fera revenir plus de 200 ans en arrière en nous conduisant à ne plus pouvoir penser l’être humain autrement que comme simple atome social et politique ?

    Quant à la solidarité , celle-ci présuppose au contraire la liberté des individus : ne méritent vraiment d’être qualifiés de solidaires que les comportements d’individus décidant librement de s’entraider, de se porter mutuellement assistance lorsque les circonstances l’imposent.

    Nous voyons donc que la crise du Covid-19 s’est accompagnée d’un retour à l’exaltation des valeurs collectivistes au détriment des valeurs individuelles . Elle nous aura ainsi fait oublier la grande leçon qui avait tout d’abord semblé devoir s’imposer à nous après plus de 2500 ans d’histoire de l’Occident : à savoir que la civilisation que nous avons bâtie au fil des siècles, assise sur la démocratie, la science moderne et le capitalisme, avait peut-être principalement pour but la libération de l’individu.

    Les totalitarismes, les collectivismes du XXe siècle avaient justement tenté de contrecarrer cette aspiration de l’individu à l’autonomie personnelle, pour la remplacer par un mortifère désir de soumission envers le seul pouvoir politique. Les totalitarismes ayant été à jamais discrédités et balayés par l’histoire du XXe siècle, on avait cru que l’individu allait enfin pouvoir s’épanouir durablement dans une société qui le laisserait être libre de ses propres choix et acteur de sa propre destinée.

    Eh bien voilà que la survenue d’une crise sanitaire, certes grave, voilà maintenant un an, semble avoir remis en cause cet héritage essentiel qui est pourtant à la base même de notre civilisation moderne.

    « Il incombe à la politique de débarrasser l’homme de la politique »

    Cette leçon sur le sens de notre civilisation, Jean-François Revel (1924-2006) l’a rappelée dans plusieurs de ses écrits. On peut par exemple lire dans sa préface à la traduction française du livre de Dinesh D’Souza What’s so great about America – Pourquoi il faut aimer l’Amérique en français (Paris, Grasset, 2003) :

    Outre le développement économique, scientifique et démocratique, ce qui caractérise la civilisation moderne, c’est la libération de l’individu. (page 17)

    Dans Le Regain démocratique (Paris, Fayard, 1992), Revel va même jusqu’à écrire :

    Il incombe à la politique de débarrasser l’homme de la politique, ou, pour mieux dire, de lui apprendre à se déterminer par lui-même au lieu d’être déterminé par la collectivité. (pages 473-474)

    Cette dernière phrase de Revel, étonnante de perspicacité sur les conditions du bon fonctionnement de la démocratie libérale, aucun commentateur n’oserait aujourd’hui l’écrire, tant la crise du Covid nous aura conduits à porter à nouveau aux nues les valeurs de la seule collectivité.

    Ainsi les professionnels de la politique semblent-ils avoir renoué avec leurs rêves ancestraux de définir et de mettre en œuvre un programme régissant le fonctionnement de l’ensemble de la société, société dans laquelle l’individu n’a plus d’autre raison d’être que de se conformer, bon gré mal gré, au rôle social qui lui est imparti par le pouvoir politique.

    Nos dirigeants et collectifs médico-sanitaires – ces derniers ayant été omniprésents dans les médias depuis presque un an – nous proposent ainsi un nouvel idéal hygiéniste , à la réalisation duquel les individus sont tenus d’œuvrer collectivement. Entendons-nous bien : par sa gravité, la crise actuelle doit certainement nous conduire à modifier rationnellement, pour une durée déterminée, certains de nos comportements individuels habituels.

    Reste qu’elle ne devrait pas permettre aux inconditionnels surmédiatisés du tout-sanitaire d’imposer aussi facilement à la société tout entière leur nouvel idéal de santé publique, pour bien intentionné qu’il se voulût. Car rappelons-nous que vouloir à tout prix faire advenir le Bien peut aussi finir par causer beaucoup de mal.

    Ils veulent confisquer notre liberté, notre autonomie de jugement et notre capacité à nous montrer responsables

    Nous touchons ici sans doute à l’une des clefs de l’extraordinaire soumission du politique au médical de par le monde depuis le début de la crise sanitaire : ne pouvant sans doute concevoir qu’il soit possible de faire de la politique sans proposer d’idéaux collectifs, nombre de dirigeants en exercice s’en sont alors remis à une certaine classe médico-sanitaire, qui semble avoir décidé quasiment à elle seule du sort de nos sociétés : confinements, couvre-feux, fermetures de commerces déclarés non essentiels , des restaurants, des théâtres, des cinémas, des musées, autant de mesures prises pour lutter contre la crise sanitaire, « quoi qu’il en coûte » .

    Il fallait en effet écouter les médecins , mais il fallait aussi à l’évidence donner davantage la parole aux autres acteurs de la société civile (économistes, entrepreneurs, innovateurs, commerçants, travailleurs, etc.), et ne pas laisser certains professionnels de la santé confisquer notre liberté, notre autonomie de jugement et notre capacité à savoir nous montrer responsables en tant qu’individus .

    La soumission du politique au médical durant la crise du Covid s’explique ainsi peut-être en partie par une certaine incapacité que nous avions déjà depuis longtemps à accepter l’idée que la société ne doit plus s’attacher à dicter à l’individu la conduite que celui-ci devrait adopter.

    Ici encore, relisons Revel dans Le Regain démocratique :

    C’est une erreur de reprocher à la société libérale de ne plus proposer d’idéal. C’est justement là sa noblesse, et même son but. L’individu a besoin que la société lui propose un idéal lorsqu’il est incapable de s’en proposer un à lui-même. Ce n’est alors pas un adulte, ce n’est même pas un adolescent. (pages 473-474)

    Les politiques n’ont pas à proposer un idéal collectif, sanitaire ou autre, aux individus : ils doivent pouvoir leur garantir le respect de leurs droits fondamentaux afin qu’ils soient en mesure de réaliser leur propre idéal.

    En d’autres termes, il ne devrait y avoir d’idéaux dans une société moderne que ceux que les individus se proposent à eux-mêmes d’accomplir : la tendance persistante des États à l’infantilisation des individus vient précisément de ce fait qu’il leur est toujours difficile d’accepter une fois pour toutes que seuls les individus sont fondés à tenter de mettre en œuvre les idéaux qu’ils se sont forgés.

    Il appartiendrait donc plutôt aux politiques en temps de crise comme celle que nous vivons d’émettre des recommandations et de garantir le libre accès des personnes à l’information, à toute l’information, et non pas uniquement à celle qui relève d’un certain politiquement ou sanitairement correct, qu’il est de bon ton de véhiculer dans la société.

    « C’est la démocratie qui permet à l’homme libre de naître, mais c’est l’homme libre qui permet à la démocratie de durer »

    La crise sanitaire actuelle ne doit pas non plus nous amener à occulter le caractère déterminant de l’éducation de l’individu, dans le sens d’accès à l’indépendance intellectuelle et culturelle.

    C’est encore ce que nous rappelle Revel dans le même passage déjà cité du Regain démocratique :

    La condition du bon fonctionnement de la démocratie et de sa solidité, c’est cette accession du citoyen à l’autonomie personnelle, autrement dit à la culture comprise comme capacité de se conduire tout seul… »

    Certes, en écrivant ces lignes en 1992, Revel l’exemple d’une pandémie sous les yeux. Reste que la vraie question est de savoir si, au nom de la lutte légitime contre une épidémie aux conséquences indéniables, nous devons accepter d’abdiquer aussi facilement en tant qu’individus nos aspirations et notre autonomie personnelles pour nous fondre dans une nouvelle masse guidée par une sphère politico-médicale qui entend œuvrer au nom d’un même idéal collectif.

    Tranchant sur les propos couramment colportés par cette dernière concernant les vertus supposées de l’idéal collectif du tout médical et du sanitairement correct, cette autre citation de Revel semble ainsi retrouver toute sa pertinence dans le contexte mondial actuel :

    Ce sont les politiques professionnels qui veulent nous faire croire que seul le collectif importe, parce qu’ils redoutent de perdre leur champ d’action. C’est quand les sociétés s’enfoncent dans les tempêtes et les utopies que l’homme retombe au rang d’atome impersonnel, balloté par des forces qui le noient dans l’uniformité, l’écrasent et décident de son destin à sa place.

    Mais quoi de plus ennuyeux que ces grands mélodrames de l’abrutissement grégaire ? Où voit-on davantage les hommes se ressembler entre eux et psalmodier plus de sottises identiques, inventées par d’autres ?

    Il n’est pas de démocratie durable sans autonomie culturelle des individus, de chacun des individus. C’est la démocratie qui permet à l’homme libre de naître, mais c’est l’homme libre qui permet à la démocratie de durer. (pages 474-475)

    Pour légitime qu’elle puisse donc paraître, la focalisation depuis près d’un an sur la seule santé collective comme nouvel horizon social ne doit donc pas pour autant nous conduire à oublier que notre civilisation se définit avant tout par la place centrale accordée à la liberté et à l’autonomie des individus, lesquelles conditionnent ni plus ni moins la bonne marche de nos démocraties libérales.

    Sur le web

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      Revenu universel : le projet collectiviste de Benoît Hamon

      Alain Laurent · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 2 February, 2021 - 04:30 · 6 minutes

    revenu universel

    Par Alain Laurent.

    Mettant sans doute à profit le déconfinement provisoire de la rentrée 2020, le projet de revenu universel a effectué un retour offensif dans l’actualité avec la publication remarquée d’un livre, et le dépôt d’un projet de loi à l’Assemblée nationale.

    Le livre, Ce qu’il faut de courage. Plaidoyer pour le revenu universel , a pour auteur Benoît Hamon, l’ancien candidat de gauche aux présidentielles de 2017.

    Le projet de loi , plus précisément la « Proposition de résolution n° 3476 relative au lancement d’un débat public sur la création d’un mécanisme de revenu universel appelé socle citoyen », a été déposé le 23 octobre par une quarantaine de députés, principalement de gauche et d’extrême gauche avec le renfort de quelques macroniens progressistes.

    Revenu universel : tous assistés à vie

    Tant l’ouvrage de Benoît Hamon que la proposition de loi reprennent sans originalité les points forts d’un argumentaire ressassé depuis au moins deux décennies par les partisans de ce qu’on nomme aussi bien revenu d’existence, revenu citoyen de base que revenu universel ( basic income aux USA).

    Ouverte de droit à tous – même aux PDG du CAC 40, perçue à vie, inconditionnelle et sans contrepartie, cette manne providentielle semblant automatiquement tomber du ciel (un cas supplémentaire d’argent magique) sous forme d’une allocation mensuelle d’un montant variant de 500 à 700 euros selon les auteurs, est censée présenter de multiples avantages : simplification des aides sociales, pas de stigmatisation des pauvres, autonomie et responsabilisation de chacun.

    Pour les receveurs nets de cette allocation, c’est-à-dire ceux qui ne contribuent pas à alimenter le pot commun en ne payant pas d’impôt, le statut qui en résulte est purement et simplement dans les faits celle d’ une mise sous perfusion et assistance financières permanente : ils vivent non pas du résultat de leur propre activité mais de celle des autres par l’intermédiaire d’un État redistributeur.

    Un esprit modéré comme le leader italien de centre-gauche l’assène sans ménagement :

    Le revenu de citoyenneté est une mesure d’assistanat… Rester des années sur un divan en regardant la télévision et en travaillant au noir est inacceptable… Le revenu de citoyenneté consiste à donner de l’argent […] à qui ne travaille pas et ne veut pas travailler Le Point , 6 décembre 2018

    Cette institutionnalisation du droit à vivre indéfiniment sans être un individu productif ni un contributeur aux charges communes de cette copropriété qu’est une nation revient à placer ses bénéficiaires dans un rapport de dépendance et même de grande dépendance avant l’âge.

    Non seulement ils ne vivent pas de l’utile échange et de la réciprocité avec les autres, mais se trouvent dans une situation de sujétion relativement à la providence étatique. Cet enfermement dans la passivité interdit tout logiquement d’y voir une quelconque autonomie et encore moins une prise de responsabilité.

    Car une authentique autonomie est proactive et non dépendante d’une source extérieure, et le revenu universel de base conduit plus sûrement aux désastres sociaux et existentiels de la déresponsabilisation du non-acteur économique de sa propre vie.

    Spoliation, coercition et collectivisation

    Le fait qu’actuellement le plus fervent et retentissant plaidoyer en faveur du revenu universel provienne de Benoît Hamon révèle la vraie nature de ce projet : étatiste et collectiviste en diable, et donc anti-libéral au possible.

    Outre qu’il continue à reposer sur la collectivisation préalable des revenus productifs propre au socialisme, il a pour opérateur discrétionnaire un État omnipotent qui en fixera le montant sous la pression démagogique des bénéficiaires, et forcera les citoyens ayant encore le courage de travailler à y contribuer.

    Comme il a souvent été dit que le principe du revenu universel n’était qu’une systématisation de celui de l’impôt négatif évoqué par Milton Friedman, il faut rappeler que dans Capitalisme et Liberté (chapitre 12), il en a été le premier critique aussitôt après l’avoir envisagé, sa dénonciation d’un danger valant à plus forte raison contre le socle citoyen ou l’allocation de base :

    L’adopter, en effet, ce serait créer un système dans lequel des impôts frapperaient les uns pour que l’on puisse verser des subsides aux autres. Et il est à présumer que ces autres ont le droit de vote.

    Le grand biais qui invalide aussi bien intellectuellement que moralement et socialement la projet de revenu universel est que l’égalité censée être instituée par son universalité entre les citoyens n’est qu’un leurre. Il instaurera une grave inégalité entre ceux qui ne feront que recevoir des subsides, et tous ces autres qui, en travaillant et étant donc taxés, en reverseront le montant à l’État (bravo cette nouvelle usine à gaz !) et devront en outre financer ce qui sera versé aux pensionnés. La mise sous assistance socialo-respiratoire permanente des uns implique la mise sous esclavage fiscal des autres.

    On retrouve là le tropisme collectiviste bien connu des vases communicants  consistant à prendre à Pierre pour donner à Paul, sans que Pierre y consente forcément et ait les moyens de le refuser et de s’y opposer (coercition) s’il ne voit pas pourquoi il devrait être dépossédé de ce qu’il a découvert, créé et produit sans violer le droit des autres (spoliation) : selon Bastiat, coercition et spoliation sont les deux mamelles du despotisme étatique et égalitariste. Le principe du libre consentement à l’impôt n’est-il pas le pilier d’une démocratie se prétendant libérale ?

    La fierté de gagner sa vie par soi-même

    Un autre des arguments avancés pour justifier l’urgence d’adopter le revenu universel serait que la monopolisation croissante de la production par les robots et autres automates boostés par l’intelligence artificielle faisant disparaître le travail , il est la seule alternative à la paupérisation par chômage de masse.

    Or cette déprimante perspective n’a rien d’évident : de nouveaux gisements d’activité proviendront du redéploiement de l’économie dans le développement des services aux personnes et de la créativité technologique de l’éco-capitalisme – et des ressources de la réorganisation du travail par l’auto-entrepreneuriat et d’une distribution primaire des revenus salariaux plus équitable.

    Plutôt que parachever l’avènement de l’État social total incitant encore davantage à survivre de revenus sociaux non gagnés, la priorité existentielle et éthique est de préserver et réinventer la fierté pour chacun de s’accomplir en gagnant sa vie par ses propres efforts (selon le principe randien du earned/deserved : n’est humainement mérité que ce qui est gagné), dans la coopération volontaire et l’échange libre avec les autres.

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      Le principe de précaution, cheval de Troie du collectivisme

      Samuel Kohlhaas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 9 November, 2020 - 04:30 · 5 minutes

    principe de précaution

    Par Samuel Kohlhaas.

    Quelle signification historique à la crise sanitaire que nous vivons ?

    Elle marque la prise de pouvoir du principe de précaution comme paradigme dominant de notre société, en lieu et place de l’idéal d’émancipation propre aux Lumières.

    Il fallait créer, libérer, il faut préserver. Préserver la vie. Quoiqu’il en coûte.

    Apparu politiquement au sommet de Rio en 1992, à propos des questions de santé et d’environnement, le principe de précaution est inscrit dans la Constitution française en 2005 (via la charte de l’environnement).

    Son origine intellectuelle est à chercher dans Le principe responsabilité du philosophe allemand Hans Jonas . Notons sa date de parution, 1979, qui témoigne d’une ascension fulgurante.

    L’idée est de développer un nouveau principe répondant au pouvoir démiurgique inédit et destructeur de l’humanité, basé sur l’essor de la technologie. L’Homme pouvant tuer la vie, animale, végétale, la sienne propre, il lui faut créer, via ce qu’il nomme une « heuristique de la peur » , une nouvelle façon d’appréhender la découverte. Celle-ci ne doit être autorisée que si son potentiel létal est connu et maîtrisé. Jonas n’est pas contre la technologie en soi mais pour son encadrement social strict.

    Pour y parvenir, il évoque notamment l’hypothèse d’une « tyrannie bienveillante, bien informée et animée par la juste compréhension des choses » , contrairement à la masse.

    « Seule une élite peut éthiquement et intellectuellement assumer la responsabilité pour l’avenir » . D’où ses louanges pour La République de Platon, « bon antidote contre les naïvetés libérales en matière de véracité publique ».

    Ce principe à la base de l’écologie politique est intrinsèquement antilibéral et liberticide. On ne peut avoir simultanément deux principes dominants. Liberté ou précaution, ordre spontané ou planification, il faut choisir.

    Et le choix se fait sous nos yeux : tyrannie destinée à protéger, vérité manipulée, peur comme mode de gouvernement, censure de droits individuels élémentaires au nom du principe sacré de protection de la vie.

    Le plus frappant étant cette mise en scène permanente du fossé entre élite et masse. « Relâchement », « manque de discipline », « acceptabilité » sont autant de termes expliquant la permanence du virus par l’incapacité du peuple à bien se comporter . Comprenez à obéir aux ordres.

    Le mot-clé est pédagogie . Le peuple est un enfant que l’élite doit guider en permanence. Une démocratie est-elle compatible avec des citoyens-enfants ?

    L’aversion au risque

    À long terme, l’implication la plus évidente est l’aversion au risque, compréhensible dans des sociétés semi-gériatriques.

    Le risque étant par définition danger, possibilité d’échec mais aussi conséquences indésirables sur autrui, l’idée devient en soi péjorative. Loin du modèle de l’aventurier du XIXe siècle, qui justifiait sa valeur par sa capacité à mettre sa vie en jeu (la caractéristique même des maîtres pour Hegel), le risque est irresponsabilité, fléau à combattre. Que penser de l’avenir d’une civilisation qui dévalue la condition nécessaire à la réussite ? No pain no gain.

    Le principe de précaution est intrinsèquement liberticide

    On pourrait penser qu’en se limitant aux technologies létales, le principe de précaution pourrait avoir un champ d’application restreint. Il n’en est rien. Érigé en totem, même le risque individuel devient intolérable . Vous voulez fumer ? Tabagisme passif. Rouler à 150 km/h sur une autoroute peu fréquentée ? Mise en danger d’autrui. Faire la fête et s’enivrer ? Comportement à risque.

    Un nouveau moralisme émerge, l’hygiénisme. Au nom du respect de la vie, tout comportement déviant d’une norme sanitaire et/ou écologique stricte est prohibé et puni si résistance.

    Sur le plan sanitaire, il devient inconcevable de mettre sa vie en jeu.

    Sur le plan écologique, les choix de l’individu doivent être censurés s’ils ne sont pas « écologiquement soutenables » . La voiture synthétise cette évolution. Symbole de liberté dans les années soixante, elle est devenue l’ennemi à abattre, responsable de la disparition des bébés phoques.

    Le principe de précaution, cheval de Troie du collectivisme

    Le principe de précaution se révèle être un cheval de troie du collectivisme . Au nom de la vie, chaque individu est jugé (dans un sens quasi-judiciaire) à l’aune de son apport à la collectivité. Ses choix ne sont rien, son apport à la préservation est tout.

    Est-ce un hasard si le principe émerge au moment de la chute de l’URSS et du discrédit de l’idée communiste ? Les collectivistes, persuadés qu’une société doit s’organiser verticalement selon un plan rationnel conçu par des philosophes rois (on revient toujours à Platon), ne peuvent accepter l’idée de l’ordre spontané . Sous cet angle, le principe tombe à pic. Il ne peut en effet s’appliquer que verticalement, selon un plan prédéfini et à tous puisque l’enjeu est la survie du groupe.

    Voilà pourquoi le gouvernement se sent autorisé à pratiquer une politique authentiquement collectiviste depuis un an , expliquant aux entreprises comment gérer leurs ressources humaines, prenant en charge le revenu de 80 % de la population et la santé des individus, fut-ce contre leur gré.

    Ce collectivisme, piquant pour un gouvernement présenté comme libéral , s’appuie sur l’idée que l’individu n’est pas apte à gérer sa capacité à nuire sanitairement à autrui. On peut se demander si plus qu’une dictature, ce n’est pas un système totalitaire qui s’annonce. Totalitaire car ne pouvant faire confiance à l’individu, vu comme un danger, le système politique doit prendre en charge tous les aspects de sa vie. Qu’il le veuille ou non.

    Pour conclure, on pourrait dire : vive la prudentia , à bas la précaution. L’une permet une action raisonnée et équilibrée, l’autre empêche le développement. Réfléchir à l’impact des OGM, des technologies intrusives, des dangers de la modernité ? Bien sûr. Faire d’ une peur généralisée le deus ex machina de notre époque ? Certainement pas.

    N’en doutons pas, ce sera un combat à mort entre principe de précaution et libéralisme et l’issue fait peu de doute, tant la sacralisation de la vie semble avoir atteint un point de non-retour. Mais, ne dit-on pas que les combats perdus d’avance sont les plus beaux ? Messieurs, en garde !