• chevron_right

      Esclavage moderne au Qatar : les multinationales épargnées par la critique

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Monday, 2 January, 2023 - 17:32 · 11 minutes

    A l’occasion de la Coupe du monde de football, les nations occidentales ont, à juste titre, accusé le Qatar, pays hôte, de se livrer à une exploitation des travailleurs et de faire preuve d’autoritarisme. Le monde post-colonial a de son côté reproché à l’Occident son hypocrisie sur le sujet. Les multinationales, pourtant grandes gagnantes de la compétition, ont elles été épargnées par les critiques. Article de notre partenaire Jacobin , traduit par Alexandra Knez et édité par William Bouchardon.

    La récente Coupe du monde 2022 de la FIFA a suscité de nombreux articles à propos de la politique de soft power par le sport – décrit par certains comme du « sports washing » – pratiquée par le Qatar. Avant le tournoi, les commentateurs occidentaux ont critiqué l’autoritarisme politique et les conditions de travail draconiennes du pays hôte de la compétition. En réponse, les commentateurs des pays anciennement colonisés ont légitimement pointé du doigt l’hypocrisie de l’Occident. Après tout, les anciennes superpuissances coloniales ont bien jeté les bases de la débâcle qui a eu lieu au Qatar.

    Bien que chaque camp soulève des remarques pertinentes, la discussion qui en a résulté n’a guère été productive. Le discours politique autour du mondial 2022 a surtout montré que les récits de « choc des civilisations » continuent de dominer l’imaginaire politique mondial, malgré une réalité moderne toute autre dans laquelle le capital international – qu’il soit oriental ou occidental – règne en maître, et a le pouvoir de mettre les gouvernements au pas. Pendant que nous sommes occupés à nous pointer du doigt les uns les autres, les multinationales se frottent les mains.

    Le scandale de la Coupe du Monde

    Depuis qu’il a obtenu, en 2010, le feu vert pour l’organisation de la Coupe du monde du football dans des circonstances de corruption manifestes , le petit pays pétrolier du Qatar, qui ne possédait que peu ou pas d’infrastructures sportives au départ, a lancé un mégaprojet de 220 milliards de dollars pour accueillir l’événement télévisé le plus regardé au monde.

    Si l’économie qatarie fait depuis longtemps appel aux travailleurs migrants dans tous les secteurs, leur nombre a augmenté de plus de 40 % depuis que la candidature a été retenue. Aujourd’hui, seuls 11,6 % des 2,7 millions d’habitants du pays sont des ressortissants qataris. Il y a eu une augmentation massive de migrants précaires, principalement originaires d’Asie du Sud-Est, embauchés pour effectuer le travail manuel nécessaire à la construction des infrastructures pratiquement inexistantes en vue de 2022.

    Stade de Lusail au Qatar. © Visit Qatar

    Malgré les centaines de milliards investis, les conditions de travail de ces travailleurs manuels ont fait l’objet d’une exploitation flagrante . Les travailleurs migrants du Qatar ont dû faire face à des environnements de travail mettant leur vie en danger, à des conditions de vie précaires, à des paiements tardifs et dérisoires, à des passeports confisqués et à des menaces de violence, tout en effectuant un travail manuel rendu particulièrement pénible par la chaleur étouffante du soleil du Golfe. Selon The Guardian , 6 751 travailleurs migrants sont décédés depuis que le Qatar a obtenu l’organisation de la Coupe du monde.

    Les principaux médias occidentaux n’ont commencé à souligner ces injustices qu’au cours du mois précédant le tournoi, une fois les billets achetés, les hôtels entièrement réservés et toutes les infrastructures terminées.

    Alors que les ONG de défense des droits de l’homme et les journalistes avaient documenté l’exploitation rampante des travailleurs migrants au Qatar depuis environ une décennie avant la Coupe du monde 2022, les principaux médias occidentaux n’ont commencé à souligner ces injustices qu’au cours du mois précédant le tournoi – une fois les billets achetés, les hôtels entièrement réservés et toutes les infrastructures terminées. Le média occidental le plus virulent a été la BBC, qui a même refusé de diffuser la cérémonie d’ouverture , choisissant plutôt de diffuser une table ronde condamnant le bilan du Qatar en matière de droits de l’homme.

    Bien sûr, les critiques de la BBC à l’égard du Qatar sont tout à fait valables. Toutefois, elles ne reconnaissent pas le rôle de l’héritage colonial du Royaume-Uni dans l’établissement des conditions d’exploitation de la main-d’œuvre qui existaient au Qatar bien avant la Coupe du monde. La Grande-Bretagne est en effet intervenue d’une manière matérielle et codifiée qui continue de profiter à la fois à la monarchie qatarie et au marché mondial dominé par le capital international.

    Le kafala , un héritage britannique ?

    Au cœur de l’exploitation systémique des travailleurs d’Asie du Sud-Est au Qatar et au Moyen-Orient en général, se trouve le système de kafala (parrainage), qui dispense les employeurs parrainant des visas de travailleurs migrants de se conformer aux lois du travail protégeant les ressortissants qataris. Les travailleurs migrants n’ont pas le droit de chercher un nouvel emploi, de faire partie d’un syndicat, ni même de voyager.

    La version moderne du système de kafala a pour origine un fonctionnaire colonial relativement inconnu nommé Charles Belgrave. L’actuel Qatar, et plus généralement une grande partie du Golfe de la péninsule arabe, sont tombés sous domination coloniale britannique après la défaite de l’Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale. Belgrave, un vétéran anglais de la Grande Guerre, a été nommé en 1926 conseiller de la monarchie tribale de ce qui allait devenir l’actuel Bahreïn, dans le but d’aider à créer un État-nation moderne doté d’une bureaucratie gouvernementale fonctionnelle.

    L’intention des Britanniques en administrant le Moyen-Orient post-ottoman, composé de « protectorats » ou de « mandats » plutôt que de colonies, était de garantir les intérêts britanniques à long terme dans la région. Ainsi, si le colonisateur disposait d’un certain pouvoir, les élites locales ont également conservé une grande part de leur influence et de leur patrimoine, donnant naissance à une symbiose entre les intérêts des classes dirigeants locales et celles du Royaume-Uni . Prévoyant l’éventuelle non-viabilité de la domination coloniale directe au lendemain de la guerre, l’objectif était de créer des structures stables pour que des gouvernements d’État favorables à l’Occident et alignés sur un système économique de marché libre puissent prendre le relais.

    Avant la découverte du pétrole, Bahreïn et la région environnante abritaient des sociétés côtières et nomades gravitant autour de la pêche et de la culture des perles. L’avènement des frontières tracées par les colonisateurs a créé des obstacles à cette industrie régionale qui reposait sur la libre circulation du commerce et de la main-d’œuvre à travers la mer, désormais restreinte par de nouveaux concepts comme les passeports et les visas.

    Pour y remédier, Belgrave, en coopération avec les élites locales, a codifié la première version du système moderne de kafala , qui s’est rapidement étendu à d’autres gouvernements nouvellement formés dans la région. Cela a finalement permis à Bahreïn, au Qatar, à Oman et à d’autres États du Golfe de faciliter l’immigration et l’exploitation de travailleurs d’Asie du Sud-Est.

    En 1957, la forte impopulaire du kafala au Bahreïn conduit à des protestations qui finissent par faire démissionner Belgrave de son poste. Mais le système a persisté bien après le départ de ce dernier et la fin du pouvoir britannique dans le Golfe dans les années 1960 et 1970, témoignant de l’attachement des dirigeants locaux à cet équivalent moderne de l’esclavage. Si, à la suite des révélations des ONG et d’une enquête de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), le système du kafala a théoriquement été aboli en 2019 , très peu semble avoir changé en réalité. Selon un ancien haut-fonctionnaire international sur Blast , l’OIT aurait même été acheté par les qataris pour qu’une exception leur soit accordée et que la procédure judiciaire soit classée sans suite.

    Les multinationales, véritables vainqueurs du mondial

    Le kafala n’est qu’un des nombreux systèmes modernes d’exploitation du travail dans le soi-disant « tiers-monde » qui remontent à la domination coloniale occidentale. De manière générale, le mode de vie de consommation dont jouissent de nombreux Occidentaux est rendu possible par l’externalisation d’une exploitation économique extrême dans des pays post-coloniaux socialement répressifs et politiquement autoritaires.

    Ignorant les faits historiques, les reproches de l’Occident à l’égard du Qatar ont donc été, à juste titre, qualifiés d’ hypocrites par de nombreux acteurs du monde post-colonial . Un certain nombre de commentateurs se sont empressés de souligner les lacunes des gouvernements occidentaux dans leur propre lutte contre leurs mauvaises conditions de travail, sans parler du racisme, de la misogynie et de l’homophobie (autres griefs légitimes à l’encontre du gouvernement qatari) existant dans leurs propres pays.

    Ces critiques ont des arguments légitimes, tout comme le sont les critiques envers le Qatar lui-même. Mais ce débat n’a mené nulle part, l’Occident reprochant à l’Orient son retard et l’Orient reprochant à l’Occident son éternelle hypocrisie. Ce discours s’appuie sur un clivage Est/Ouest réducteur et ne parvient pas à saisir les intérêts communs des gouvernements occidentaux et orientaux et de leurs entreprises respectives dans le maintien de régimes d’exploitation et de répression sociale.

    L’administration Biden a donné son feu vert à une vente d’armes d’un milliard de dollars au Qatar pendant la mi-temps du match entre l’Iran et les États-Unis.

    Le Qatar, très proche de l’Iran, abrite la plus grande base militaire américaine du Moyen-Orient. Ce n’est donc pas une coïncidence si l’administration Biden a donné son feu vert à une vente d’armes d’un milliard de dollars au Qatar pendant la mi-temps du match entre l’Iran et les États-Unis. Un comportement habituel : les États-Unis ne se privent pas de fermer les yeux sur le despotisme de leurs alliés riches en pétrole dans le Golfe, tout en critiquant leurs ennemis autoritaires qui adoptent pourtant ce même comportement.

    Les gouvernements et les entreprises de l’Union européenne entretiennent également des relations profitables avec le Qatar. À ce sujet, quatre membres du Parlement européen ont été accusés le 11 décembre dernier d’avoir reçu des pots-de-vin de la part de responsables qataris qui cherchaient à influencer des décisions politiques. Pourtant, le fait que l’Occident profite du despotisme qatari – et de celui du Golfe en général – n’a pas été pris en compte dans les critiques adressées au Qatar ces dernières semaines. Cela n’a pas non plus été souligné par ceux qui se sont empressés d’esquiver ces critiques.

    Les critiques et les détracteurs ont très peu parlé des sponsors occidentaux , des marques de vêtements de sport , des diffuseurs sportifs et d’autres entités commerciales internationales qui ont engrangé des bénéfices massifs sur le dos des travailleurs qui ont peiné et sont morts en préparant ce tournoi. La seule organisation occidentale complice de la controverse Qatar 2022 faisant l’objet de critiques justifiées est la FIFA, une entité non corporative ou gouvernementale. À l’instar des gouvernements occidentaux, les entreprises occidentales ont été largement épargnées.

    Les critiques et les détracteurs ont très peu parlé des sponsors occidentaux, des marques de vêtements de sport, des diffuseurs sportifs et d’autres entités commerciales internationales qui ont engrangé des bénéfices massifs sur le dos des travailleurs.

    Ce récit de « choc des civilisations » qui alimente le discours autour du mondial 2022 détourne l’attention d’un autre plus grand problème qui touche à la fois le Moyen-Orient et les travailleurs migrants exploités dans le monde entier, à savoir le capitalisme néolibéral mondialisé. Le véritable gagnant de la Coupe du monde est le capital international, qu’il soit occidental ou qatari, et les véritables perdants sont les travailleurs migrants exploités et les citoyens politiquement réprimés du Qatar et du Moyen-Orient post-colonial.

    La focalisation respective de chaque partie sur des nations orientales vues comme barbares ou sur des nations occidentales hypocrites ne rend pas compte du caractère financiarisé et international du capitalisme du XXIe siècle et de la façon dont il a modifié le paysage politique mondial – unissant souvent l’Est et l’Ouest dans un projet commun visant à tirer un maximum de profit des populations pauvres exploitées de par le monde.

    Sur une note plus optimiste, la Coupe du monde 2022 a également vu l’expression d’une solidarité panarabe et post-coloniale qui va au-delà de ces frontières dessinées par la colonisation, une forme de conscience politique historiquement liées à des tendances anticapitalistes et de gauche dans les décennies passées. La présence continue du drapeau palestinien et le soutien massif dont a bénéficié l’équipe du Maroc de la part des Arabes et des Africains suggèrent le retour possible d’un discours politique post-colonial qui rompt avec ces récits improductifs de « choc des civilisations » souvent liés à l’existence des États-nations.

    • chevron_right

      Indemnité exigées à Haïti par la France: pourquoi l'article du "New York Times" fait polémique

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Monday, 23 May, 2022 - 16:21 · 8 minutes

    Dans une série d'articles, le Dans une série d'articles, le "New York Times" revient en longueur sur les indemnités imposées par la France à Haïti à la fin du XIXe siècle. Un récit mal connu, mais dont le traitement fait polémique chez les historiens.

    HISTOIRE - C’est un pan de l’Histoire de France qui n’est pas enseigné au plus grand nombre, au collège ou au lycée. Vendredi 20 mai, le New York Times a publié une série d’articles qui reviennent en détail sur les indemnités réclamées à Haïti par la France en 1825 , après que les esclaves ont mené une révolution pour chasser les colons et obtenir leur indépendance.

    Une page historique qui s’est occasionnellement invitée dans l’actualité, notamment en 2015 au travers d’une phrase de François Hollande sur la “rançon de l’indépendance”, ou en 2004 lorsque le président haïtien d’alors, Jean-Bertrand Aristide , a été contraint à l’exil après des manœuvres franco-américaines pour empêcher que le sujet fasse les gros titres. Sauf que pour le grand public, ce récit demeure bien mystérieux.

    Des pertes colossales à travers les siècles

    Vendredi 20 mai donc, le prestigieux quotidien new-yorkais a mis en ligne plusieurs articles à ce propos, publiés en anglais, en français et en créole. Ils reviennent sur les origines de cette “dette” haïtienne imposée par la France, sur ses désastreuses conséquences au long cours pour le pays caribéen, sur le profit qu’en a tiré depuis le XIXe siècle la banque française CIC (qui finança notamment la construction de la tour Eiffel) ou encore sur la manière dont Paris a œuvré au fil des années pour éviter que l’affaire soit rendue (trop) publique.

    Un travail fouillé et précis, dont l’accomplissement principal, se targue le New York Times , est de parvenir à la première estimation du coût réel de ces indemnités pour les Haïtiens. Car si la France exigea, en 1825, sous peine d’attaquer l’île, cinq paiements annuels de 30 millions de francs (soit déjà six fois les revenus d’Haïti à l’époque), les répercussions furent bien plus grandes.

    Du fait de l’incapacité des Haïtiens à payer une telle somme, ils furent contraints de recourir à des prêts... auprès de banques françaises. Avec comme effet direct, l’ajout d’intérêts colossaux aux sommes déjà ridicules réclamées par Paris. Tant et si bien que certaines années entre 1825 et le dernier paiement en 1888, “ce sont plus de 40 % des revenus du gouvernement d’Haïti que la France accaparera.”

    Ce qui fait dire au quotidien américain qu’Haïti ayant eu à payer cette double dette (les indemnités et les intérêts), le pays a été privé de dizaines de milliards de dollars au cours des siècles, et par ricochet d’effets de croissance et de développement chiffrés à 115 milliards de dollars. “Soit huit fois la taille de l’économie haïtienne en 2020”, précise le NYT , et des montants qui auraient permis au pays d’atteindre le même niveau de développement que la République dominicaine, l’autre État qui partage l’île d’Hispaniola.

    Vraiment une découverte?

    Voilà pour le constat. Sauf qu’au-delà de l’attention accordée à ce pan de l’Histoire par la publication de tels articles dans un journal possédant neuf millions d’abonnés, le New York Times a aussi suscité la polémique. Ainsi, depuis vendredi, nombre d’universitaires, de militants et de journalistes multiplient les reproches à l’égard du journal. Méthode scientifique qui divise, absence de certaines sources, “découverte” qui n’en est pas une... plusieurs critiques reviennent régulièrement, tout en concédant que la lumière mise sur le sujet est à saluer.

    La première critique concerne le “ Colombusing ”, un concept américain proche de celui d’appropriation culturelle. Dérivé du nom de Christophe Colomb (Colombus en anglais), il sert à décrire les “découvertes” qui n’en sont que pour une certaine partie de la population mondiale. Avec pour point de départ l’idée que la “découverte” de l’Amérique par le navigateur génois n’en était une que pour le monde blanc et occidental, des peuples entiers vivant dans les Caraïbes et sur le continent américain depuis des siècles.

    En l’occurrence, ce que disent ces premières critiques, c’est que la “double dette” d’Haïti n’est aucunement un scoop pour la population qui endure ses conséquences depuis des siècles. Et que de nombreuses publications ont déjà traité des indemnités haïtiennes sans jamais avoir le même retentissement que le New York Times , ni recevoir les mêmes louanges.

    Les spécialistes du sujet oubliés?

    C’est par exemple l’argument de Michael Harriot, auteur et journaliste pour le The Root , publication qui s’adresse à la communauté d’afrodescendants aux États-Unis. Dans une série de tweets, il ironise ainsi sur le fait que son magazine ait maintes fois écrit sur le sujet.

    Et cet argumentaire va au-delà du journalisme, comme en ont encore fait le reproche plusieurs chercheurs et professeurs d’université , déplorant que les ressources universitaires aient été occultées des sources avancées par le Times et des experts cités dans les articles. Et cela alors que le quotidien a mis en ligne un article décrivant “ ce qu’il s’est passé sous le capot ” pour parvenir à l’élaboration du dossier sur Haïti.

    Ainsi, alors que le New York Times assure que “seule une poignée d’universitaires a étudié dans le détail la double dette” et “qu’aucun calcul approfondi n’a été tenté, d’après les historiens, de ce que les Haïtiens ont effectivement payé”, nombreux sont ceux qui s’insurgent face à cette idée. Notamment parce que la question était abordée dans les grandes largeurs dès 1944 dans “Capitalisme et esclavage”, un ouvrage de référence écrit par Eric Williams, futur Premier ministre de Trinité-et-Tobago, ou parce que Jean-Bertrand Aristide avait lui-même avancé les mêmes montants en 2004, lorsqu’il avait été poussé à l’exil après avoir réclamé un remboursement à la France.

    Difficile coopération entre journalistes et historiens

    “C’est bien que le NYT publie cela. C’est important de dire ce que les Haïtiens et les historiens hurlent depuis des générations”, ironise par exemple l’essayiste kényane Nanjala Nyabola. Et Aaron Bundy, spécialiste de littérature africaine, d’ajouter : “C’est drôle de voir une équipe entière de journalistes produire une ‘série d’investigation’ pour découvrir ce qui est écrit dans n’importe quel bouquin à peu près correct sur le sujet.”

    Une controverse qui, comme l’écrivent entre autres l’historien américain Paul Cohen et son confrère français Paul Chopelin, résume bien la difficile cohabitation entre journalistes et historiens. Car si les premiers cherchent à vulgariser et à apporter une dimension de nouveauté, ils se fondent nécessairement sur le travail bien plus poussé et beaucoup moins mis en avant des seconds, qui planchent pendant des années sur ces dossiers. En l’occurrence, plusieurs historiens qui ont fourni travaux et contacts aux journalistes du Times disent n’avoir jamais été cités, ni remerciés pour leur aide, et déplorent cette “invisibilisation” de leur rôle.

    Car en ne pouvant être exhaustifs, les journalistes se coupent mécaniquement de la méthode scientifique, ce qui rend nécessairement leur travail critiquable par les historiens. Ici, Paul Chopelin donne un exemple de cela: “L’Histoire contrefactuelle (que serait-il arrivé si...?) est un exercice toujours utile, mais qui nécessite la plus grande rigueur”, écrit-il sur Twitter. Or “ici tous les possibles ne sont clairement pas explorés.”

    Une différence de méthode de travail et de buts recherchés qui crée une distance et une défiance réciproque. Et qui a pu, dans ce cas précis, occulter la publication d’un récit qui demeure mal connu d’une vaste partie de la population.

    À voir également sur le HuffPost : En Haïti, après le séisme de magnitude 7,2, on recherche les survivants sous les décombres

    • chevron_right

      Les mains (coupées) du caoutchouc Belge

      Mathias Poujol-Rost ✅ · Thursday, 25 June, 2020 - 16:42 edit

    • chevron_right

      sur le statut de la Guyane

      Mathias Poujol-Rost ✅ · Wednesday, 29 March, 2017 - 07:20