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      La réindustrialisation de la France est bien mal partie

      Claude Sicard · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 24 November, 2022 - 03:50 · 5 minutes

    Beaucoup de temps a été perdu du fait que nos autorités se sont fondées sur la loi dite des trois secteurs de l’économie qui voudrait qu’une société moderne soit une société « postindustrielle ».

    Comme nous l’avons montré dans d’autres articles , les travaux de Jean Fourastié sur l’évolution des sociétés ont été mal interprétés. Dans Le grand espoir du XX e siècle paru en 1949, un ouvrage au succès considérable, cet économiste avait mis en évidence les évolutions en termes d’emplois, et non pas de valeur ajoutée. Nos dirigeants ont trop vite conclu qu’une société moderne est une société sans industrie. Fourastié avait pourtant bien pris comme critères de classification des activités la vitesse à laquelle évolue le progrès technique. Une société moderne a des effectifs industriels effectivement limités mais la valeur ajoutée par personne est devenue très importante de sorte que le secteur secondaire continue à figurer en bonne place dans le PIB des sociétés avancées.

    Cette erreur impardonnable a conduit l’économie française à la ruine : le secteur industriel ne contribue plus que pour 10 % à la formation du PIB alors que ce ratio devrait normalement avoisiner 18% à 20 % du PIB. La France est à présent le pays le plus désindustrialisé de tous les pays européens, la Grèce mise à part. Il s’agit donc maintenant de remonter la pente en réindustrialisant au plus vite le pays. Mais l’environnement n’est guère favorable à la réussite de ce pari. D’une part la fiscalité qui pèse sur les entreprises est trop lourde et la compétitivité des entreprises industrielles s’en ressent fortement. D’autre part, le droit du travail alourdit considérablement la gestion des entreprises et les empêche d’être flexibles en les paralysant.

    Comparé, par exemple, au droit du travail de la Suisse, le notre paraît aberrant : il est dissuasif pour les candidats voulant se lancer dans une aventure industrielle. Malgré un coût du travail extrêmement élevé, la production industrielle par personne de la Suisse est la plus élevée d’Europe et sa balance commerciale est chaque année largement positive, ses exportations étant régulièrement supérieures à ses importations.

    Du fait de la guerre en Ukraine vient s’ajouter un obstacle supplémentaire : le coût de l’énergie est subitement multiplié par trois ou par quatre.

    Le JDD du 20 novembre dernier publie un article très intéressant intitulé « Délocalisations énergétiques : le nouveau péril ».

    La journaliste Emmanuelle Soufi cite différentes entreprises qui délocalisent de ce fait leur production.

    Par exemple, cette PME de 100 personnes délocalise en Espagne sa production de pizzas pour les rapatrier ensuite par camions frigorifiques.

    Toshiba reporte sur les États-Unis sa fabrication d’encre pour photocopieuses.

    La firme Safran retarde l’ouverture d’un nouveau site à Feyzin, où elle voulait produire des freins d’avion, une fabrication où le gaz représente 40 % du prix de revient : en attendant, la production de ces freins est basculée sur des usines aux États-Unis ou en Malaisie.

    Un dirigeant d’entreprise explique : « La France avait deux avantages : les compétences de sa main- d’œuvre et les prix de l’énergie. Les premières sont devenues une denrée rare et les seconds se sont envolés ».

    Pour le seul secteur industriel, les charges nouvelles liées à l’augmentation soudaine du coût de l’énergie s’élèvent à 6 milliards d’euros.

    Le plan France 2030 d’Emmanuel Macron va-t-il permettre de relever le défi auquel le pays doit faire face ? Lancé en octobre 2021, il est trop tôt pour se prononcer mais on peut craindre qu’il soit très insuffisant.

    Une note du ministère de l’Économie et des Finances du 18 novembre 2022 énonce :

    « Le Président de la République Emmanuel Macron dévoilait il y a un an le plan d’investissement France 2030. Avec 54 milliards d’euros, ce plan doit permettre de rattraper le retard industriel français, d’investir massivement dans les technologies innovantes ou encore de soutenir la transition écologique. Il vise en particulier la création de nouvelles filières industrielles et technologiques ».

    Initialement, il s’agissait de seulement 30 milliards d’euros étalés sur 5 ans pour « relever des défis accablants », sans que l’on sache exactement sous quelle forme allait être fourni l’appui de l’État à des entreprises. Le frein essentiel est en fait le climat social du pays, un droit du travail paralysant et des syndicats qui persévèrent dans leur stratégie de lutte permanente contre le patronat, un comportement hérité de la charte d’Amiens qui date de 1906.

    On est très loin du climat dans lequel fonctionne la Suisse dont l’économie est extrêmement performante : jamais de grèves, les conflits se réglant obligatoirement par le dialogue du fait d’un accord entre le patronat et les syndicats remontant à 1937, un Code du travail se limitant à une trentaine de pages et des semaines de travail pouvant aller jusqu’à 45 heures voire 50 heures. L’âge de départ à la retraite est fixé à 65 ans depuis 1948. Les syndicats et le patronat se comportent comme des partenaires sociaux ayant décidé par la convention Paix sociale signée le 19 janvier 1937 de régler les conflits par le dialogue. Les licenciements se font selon des règles très simples : préavis de un mois la première année puis deux mois de la seconde à la neuvième année de présence, ensuite trois mois au-delà ; il n’y a pas nécessairement obligation d’en indiquer le motif ni d’accorder des indemnités particulières. La fiscalité des entreprises est plus légère qu’en France et les cotisations – tant patronales que salariales – sont bien inférieures aux nôtres.

    Notre pays est très loin d’être en mesure de s’acheminer sur cette voie. Par conséquent il est à craindre que le pari de réindustrialiser notre pays dans des délais raisonnables ne puisse être tenu. Les syndicats continuent à se cantonner dans des luttes stériles contre le patronat et les partis d’opposition luttent contre le capitalisme, comme on l’a vu encore tout récemment avec le projet de taxation des « super-profits ».

    On ne peut que s’interroger : pourquoi notre pays est-il incapable de s’inspirer de l’expérience des pays qui ont une économie qui fonctionne bien ? Il y a pourtant autour de nous des économies prospères et dynamiques !

    La Suisse, tout spécialement, en est un : elle a un PIB per capita de 93 457 dollars, alors que la France en est à un PIB par tête de seulement 43 518 dollars. De tels chiffres mériteraient d’être connus des Français, mais aucun média ne s’aventure à jeter le pavé dans la mare. On ne peut que se demander pourquoi.