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      La réforme des retraites est-elle constitutionnelle ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 24 January, 2023 - 04:30 · 7 minutes

    Si le débat sur la « réforme » des retraites est d’abord politique, il peut aussi s’engager sur le terrain de la Constitution. D’ailleurs, on apprend par le Canard enchaîné que Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, émettrait des doutes sur la constitutionnalité de cette réforme, au regard du véhicule législatif utilisée et de la procédure adoptée. Il redoute notamment un vice de procédure voire un détournement de procédure. En contentieux constitutionnel, il y a vice de procédure quand la violation est substantielle (voir en ce sens la décision n°88-248 DC ). Le détournement de procédure n’a, quant à lui, jamais été sanctionné pour l’instant.

    Cette utilisation pose des questions relatives à la validité à la procédure (I) et à la recevabilité des amendements (II) portant sur la réforme des retraites.

    Validité de la procédure comme dépendante de la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    Le gouvernement souhaite passer par un projet de Loi de financement de la sécurité sociale rectificatif (PLFSSR). Il faut donc savoir si la procédure de l’article 47-1 relative au PLFSS s’applique au PLFSSR.

    L’ article LO 111-3 du Code de la sécurité sociale qualifie les PLFSSR de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). On peut donc, en s’appuyant aussi sur l’ article LO 111-7 du même Code, estimer que le PLFSSR tombe sous le coup de l’ article 47-1 de la Constitution et de ses délais.

    Mais l’inverse peut aussi être soutenu si l’on s’en tient à une interprétation téléologique des dispositions de cet article. On peut en effet soutenir que ni l’article 47-1 ni l’article LO.111-7 ne font référence aux PLFSSR. On peut aussi soutenir que les délais de l’article 47-1 se comprennent au regard de la nature particulière des PLFSS mais ne s’appliquent pas au PLFSSR qui par principe, vient modifier les prévisions du PLFSS. Tout dépendra in fine de la manière dont le Conseil constitutionnel interprétera l’article 47-1.

    Il faut donc revenir plus en détail sur cet article.

    La procédure législative des PLFSS est prévue à l’article 47-1 de la Constitution. Cet article dispose dans son alinéa 2, que « si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l’article 45 ». L’article 45 disposant quant à lui le cas de la Commission mixte paritaire si le projet ou la proposition de la loi n’a pas pu être adoptée (art.45 al. 2). L’alinéa 3 de l’article 47-1 précise que, « si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance ».

    Cependant, c’est l’utilisation même de l’article 47-1 qui est en soi contestable.

    En effet, par cet article, le gouvernement n’aurait pas besoin d’obtenir l’adoption du texte par l’Assemblée car le texte sera automatiquement transmis au Sénat dans les délais précédemment détaillés. Or, Laurent Fabius semble peu enclin à l’accepter. On peut estimer, par analogie, que la décision n°86-209 portant sur les PLFR s’applique aux PLFSSR. Mais pour être conforme à la Constitution, l’objet d’un PLFSSR doit concerner les « mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale » ; ce qui peut interroger sur la réforme des retraites et la précipitation dans laquelle elle se fait. Ne produisant des effets sur l’équilibre des comptes qu’à partir de 2030 environ, on voit mal comment elle pourrait tomber sous la validité de la jurisprudence. Que la réforme soit faite en janvier, en mars ou en juillet, cela n’empêchera pas pendant ce temps que la vie nationale continue, même en l’absence de réforme. De même, d’un point de vue plus « politique », le Conseil constitutionnel pourrait estimer que ce genre de passage en force risque, à terme, de nuire au Parlement. Il pourrait, par des policy arguments , estimer qu’il est loisible que dans une démocratie, la chambre basse représentant la Nation, adopte le texte.

    En exigeant officieusement que le texte soit adopté par l’Assemblée avant transmission au Sénat, Laurent Fabius fait peser sur le gouvernement la responsabilité du choix d’une telle procédure et le contraint sans le dire vraiment à utiliser l’article 49 al.3. Or, se pose aussi la question de savoir si ce PLFSSR pourra faire l’objet d’un 49.3. Si l’on s’en tient à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n°2022-847 DC) et si l’on raisonne par analogie, il semble possible d’affirmer, comme le fait Jean-Philippe Desrosier, que son utilisation est possible pour le cas des PLFSSR. Encore une fois, tout dépendra de l’interprétation du Conseil constitutionnel.

    Qualification des amendements de « cavaliers législatifs » dépendante du Conseil constitutionnel

    Le gouvernement souhaite faire passer la réforme de la retraite au travers d’un amendement à ce PLFSSR.

    Se pose la question de la constitutionnalité d’une telle mesure. Si le droit d’amendement est souvent considéré comme étant assez large, il faut néanmoins que l’amendement « ne soit pas dépourvu de tout lien avec le projet de loi en discussion » (CC, n°85-198 DC, cons. 4). Il faut donc que l’amendement proposé soit en lien avec l’objet du PLFSS. Or, quel est l’objet d’un PLFSS ?

    Au regard de l’article 34 de la Constitution, « les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ».

    L’amendement doit donc concerner les « conditions générales de son équilibre financier ».

    Reste à savoir ce qui entre dans cette notion indéterminée. S’il est probable qu’une augmentation de la durée de cotisation ou que la fixation d’un minimum de retraite à 85 % du SMIC entre dans cette catégorie, il est peu probable que l’allongement de l’âge de départ à 64 ans y entre. Le lien n’est pas direct ni automatique. Tout sera – encore une fois – question d’interprétation par le Conseil constitutionnel.

    Ainsi, le Conseil constitutionnel sera probablement amené à trancher plusieurs questions de droit :

    • Le PLFSSR peut-il passer par l’article 47-1 et les délais de cet article lui sont-ils imposables ?
    • Le 49.3 peut-il être utilisé pour les PLFSSR ?
    • L’amendement portant la réforme des retraites au PLFSSR constitue-t-il un cavalier législatif ?

    Conclusion

    Ce rapide tour du problème permet d’illustrer deux choses.

    En premier lieu, on voit que les dispositions de la Constitution, les énoncés, ne contiennent au mieux que des règles (et non des normes juridiques) et au pire des principes. Les règles de procédures (comme l’article 47-1), n’étant pas des normes juridiques, bénéficient d’une grande marge d’interprétation. C’est en ce sens que les énoncés de la Constitution ne sont pas « impératifs ». Si ces dernières habilitent, permettent, abrogent ou commandent une certaine conduite , il n’en demeure pas moins que, revêtant le caractère de « règle », elles sont soumises à une indétermination dans leur contenu et dans leur application. Leur application sera déterminée par l’interprétation qu’en tireront les acteurs de la scène politique. Ce n’est que si les énoncés revêtent le caractère de normes juridiques, par le produit de l’interprétation du juge constitutionnel (ou à défaut par le Président) que les énoncés seront impératifs car déterminés dans leurs significations.

    En second lieu, la marge entre la règle et la norme représente deux choses. D’un côté, c’est dans cet espace que se situe la vie politique et parlementaire. De l’autre côté, c’est dans cet espace que vivent les interprétations du Conseil constitutionnel (D.Baranger).

    Enfin, cela montre que le Conseil constitutionnel est finalement au centre de la procédure législative et qu’il est un participant au processus concurrentiel d’élaboration des normes (D.Rousseau).

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      Proportionnelle : la France mérite une Constitution de la liberté !

      Jean-Philippe Feldman · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 6 February, 2021 - 04:40 · 4 minutes

    proportionnelle

    Par Jean-Philippe Feldman.

    La modification du mode de scrutin pour l’Assemblée nationale tient de l’Arlésienne. En 2018, Emmanuel Macron très inspiré par son soutien centriste François Bayrou, avait soutenu la nécessité d’une dose de proportionnelle pour élire les députés.

    Pas question donc d’une représentation proportionnelle intégrale, mode de scrutin que l’on s’accorde à juger désastreux, mais une nouvelle manifestation du « en même temps » : un scrutin mixte de nature majoritaire et proportionnelle. L’affaire a traîné et il semble que, une nouvelle fois, la réforme soit enterrée.

    Représentation proportionnelle ou scrutin majoritaire ?

    Les termes du débat sont bien connus. Ils sont fort tranchés entre les partisans d’un scrutin majoritaire à l’anglo-saxonne et les adeptes des multiples scrutins dits mixtes qui constituent l’essentiel des différents régimes européens.

    Habituellement, on présente le scrutin majoritaire comme un scrutin efficace car il permet à une majorité parlementaire d’émerger, mais injuste car plus ou moins brutal, les minorités étant exclues de la représentation nationale ou au mieux réduites à la portion congrue.

    Les qualités et les défauts de la représentation proportionnelle en sont le miroir inversé. Il s’agirait d’un scrutin juste car il permettrait, plus ou moins, la représentation des minorités, mais dangereux car il mènerait à une anarchie parlementaire faute de majorité stable.

    Un mode de scrutin mixte ?

    En réalité, les choses sont un peu plus complexes. Le mode de scrutin n’est que l’un des facteurs explicatifs d’un système de partis. Le scrutin majoritaire ne mène pas automatiquement à un gouvernement stable et la représentation proportionnelle ne conduit pas automatiquement à une représentation fine du corps électoral.

    Aussi a-t-on conçu une multitude de scrutins mixtes ayant pour objet revendiqué de garder le meilleur de chacun des modes de scrutins : la justice et l’efficacité. L’exemple type est celui de l’Allemagne. On peut comprendre la faveur des centristes envers ce type de scrutin car il réduit les oppositions tranchées et il favorise les coalitions. Malheureusement, le paradigme n’est guère convaincant, comme on l’a vu à la suite des élections allemandes de 2017.

    L’un des défauts majeurs de la représentation proportionnelle comme des scrutins mixtes est leur complexité, d’autant plus grande que l’on vise une « justice » de représentation plus élevée. Surtout, ils remettent aux partis politiques et plus encore à leurs états-majors la charge de combiner au besoin des coalitions postérieurement aux élections. Des coalitions concoctées dans l’opacité et qui ne respectent pas forcément les volontés de la majorité des votants.

    Les vrais problèmes institutionnels

    Cela dit, se focaliser sur le mode de scrutin pour l’élection des députés apparaît plus que contestable. N’y aurait-il pas des aspects autrement importants en matière d’institutions politiques ?

    Les problèmes de la France seront-ils résolus lorsque l’on aura fait entrer quelques membres du Rassemblement national au Palais-Bourbon ou que l’on aura donné à M. Bayrou la faculté de faire et défaire la majorité ?

    Faut-il massacrer l’un des apports de la Cinquième République, à savoir la stabilité des gouvernements, acquis de longue lutte après les Troisième et Quatrième Républiques dont on ferait bien de souvenir qu’elles furent calamiteuses à cet égard ?

    Pour une Constitution libérale

    Un libéral ajoutera trois points :

    1°) Le constitutionnalisme français est depuis toujours déficient. Il conviendrait de conserver les aspects positifs de la Cinquième République et de rénover les institutions en faisant de la Constitution une véritable garantie de la liberté. Lourde tâche qui ne saurait être entreprise à la fin d’un quinquennat, mais dont la légitimité est indéniable dans la perspective de la prochaine élection présidentielle 1

    2°) Les institutions politiques sont précieuses, mais il ne faudrait pas leur accorder plus d’importance qu’elles n’en méritent. Ce sont des barrières de papier, utiles, indispensables, mais ce ne sont que des barrières.

    3°) Ce qui importe n’est pas de promouvoir le référendum ou d’instaurer la proportionnelle, c’est de dépolitiser la France et de confiner la sphère de l’État au profit de la société civile, notamment pour assurer enfin le strict respect d’un droit de propriété en piteux état dans notre pays. Telle est la lourde tâche à laquelle les constitutionnalistes libéraux (un pléonasme ?) devraient s’atteler 2 .

    Jean-Philippe Feldman vient de faire paraître Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron , Odile Jacob, 2020.

    1. Voir mon ouvrage Exception française (Odile Jacob 2020) et plus particulièrement son chapitre VII consacré à la comparaison entre les Constitutions américaine et française.
    2. Je me permets de renvoyer entre autres à mon ouvrage De la Ve République à la Constitution de la liberté paru en 2008 aux Éditions de l’Institut Charles Coquelin.