CORPS - Je ne sais pas trop comment le dire, mais, lorsque j’étais enfant, j’étais “grosse”. C’est plutôt le terme peu
ménageant
que l’on utilisait à l’époque, au début des années 1990. Ma croissance a fait que je me suis affinée avec le temps. Cependant, je suis depuis mon adolescence habituée au yo-yo
pondéral
et je dois dire que depuis quelque temps je suis retournée en enfance…
Aujourd’hui, on dirait que j’ai des formes, ou que je suis plantureuse. Je dois admettre que la différence de sémantique, celle-là même qui traduit une différence de regard social m’apaise, car je ne me presse pas pour perdre du poids. Je ne dirais pas que je m’assume avec ma nouvelle silhouette, mais plutôt que j’en souffre moins. Pourtant, en allumant mes
écrans
, il me semble voir de nouveaux standards de beauté, et sans forcément y répondre ne m’accueillent-ils pas mieux?
Les traumatismes de l’enfance
Comme toutes les familles, la mienne avait ses problèmes, et, je ne me souviens pas d’une enfance insouciante, mais plutôt d’instants suspendus avec mes cousins, mon acolyte de jeux, ou encore sa maman m’initiant au point de croix. Défoulement ou concentration, mon esprit pouvait s’évader l’espace de quelques heures. Ces moments me sont aussi chers que je honnis encore le souvenir de mes rendez-vous réguliers chez la pédiatre. Encore avec mes yeux d’enfant, je me remémore que pour elle, j’étais une anomalie, en effet, je comprenais que j’étais trop grande pour mon âge, mais surtout que j’étais trop grosse. Trop. Pour résumer, je dépassais les courbes du carnet de santé autant que les rations alimentaires.
Vous avez envie de raconter votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à
temoignage@huffpost.fr
et consulter tous les
témoignages
que nous avons publiés. Pour savoir comment proposer votre témoignage, suivez ce
guide
!
J’ingérais la nourriture autant que mon stress et celui de mon environnement… cela faisait de grosses quantités. Cependant, je ne conscientisais pas tout cela. Tout ce que je comprenais, c’est que je devais “manger moins” donc me gérer. La gestion de soi fait partie des priorités depuis petite. Frigos et portes de placards condamnés, je me rappelle cet insoluble mal et de ma solitude qui trouvait écho dans la bouche de la pédiatre “votre fille est boulimique” là où aujourd’hui on parlerait d’
hyperphagie
. Je me rappelle aussi la solution toute trouvée pour une enfant, “un régime”. L’objet n’est pas de faire pleurer dans les chaumières, non, il est de témoigner du traitement du “hors norme” ou du “hors statistiques” à l’époque, c’est-à-dire qu’il fallait revenir dans les courbes. Je ne jette pas non plus l’opprobre sur ma pédiatre, elle faisait son métier, et c’était simplement une autre époque.
Frigos et portes de placards condamnés, je me rappelle cet insoluble mal et de ma solitude qui trouvait écho dans la bouche de la pédiatre “votre fille est boulimique” là où aujourd’hui on parlerait d’hyperphagie.
Aujourd’hui, il m’arrive de voir des enfants avec de belles joues et un petit bidon, et cela n’étonne personne. Encore, je peux voir des jeunes femmes aux formes généreuses s’assumer dans un ensemble
mom-jean
,
crop
top, surchemise. Dans ce dernier cas, je loue le courage de leur affirmation, c’est-à-dire de ce que je ne ferais pas. En effet, les courbes postérieures sont arrondies, la taille mise en valeur. Dans mon for intérieur je me dis que c’est ostentatoire et que ce n’est pas pour moi. C’est comme ça, je suis d’une autre époque, ou plus toute jeune, mais c’est surtout que cela fait remonter mes mauvais souvenirs, ceux des interdits. En effets, durant mon adolescence, aux débuts des années 2000, la mode était aussi aux petits hauts, mais surtout aux jeans tailles basses, et avec un tel combo vestimentaire on était -presque- jamais assez mince. “Rentrer dans les courbes”, la norme, voici bien l’obsession d’un trentenaire devenue un peu réactionnaire!
En finir avec la notion de “norme”
Ainsi, si j’ai bien compris les leçons de mon enfance, je me demande aujourd’hui quelle est la norme. D’un côté je vois des jeunes femmes plantureuses et s’affirmant, mais de l’autre il y a moi… moi? J’ai pris plus de deux tailles de vêtements en un an. Comme beaucoup de femmes de ma génération je ne préciserais pas ma taille, mais je dois admettre que je ne trouve plus à m’habiller chez mes -pas si- petites marques préférées. Ces dernières s’arrêtent à la taille 3, or, j’ai l’impression personnelle que la population s’est arrondie en deux décennies, donc, je ne trouve ça vraiment pas normal. Ainsi, quand je vois que je ne peux pas rentrer dans les petites robes qui me plaisent, je ne trouve pas cela normal.
D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi je parle de normalité, car je ne sais plus trop où elle se situe, et si elle a droit de citer. Cependant que faut-il comprendre lorsque d’un côté l’alimentation se fait plus grasse et plus sucrée, et que de l’autre on ne trouve pas à se vêtir comme on l’entend? Que faut-il comprendre lorsque les troubles psychosociaux augmentent (ceux-là mêmes qui m’ont marqué, notamment plus jeune) et que de l’autre on nous propose l’affirmation positive de soi? Ici, je me rends compte que je me demande ce qui me sépare de ces jeunes femmes que je ne comprends pas, mais que j’admire pour leur courage vestimentaire.
J’ai eu ma réponse en regardant des extraits de téléréalité. Je me rends alors compte que là où dans ma jeunesse, on louait la beauté de jeunes femmes se hissant sur les sommets sociaux pour leur beauté et leur discipline de vie, aujourd’hui, Internet a tout disrupté et que les formes des femmes du commun sont mises en avant. Je suis plutôt impressionnée de voir comment des physiques de l’ordinaire s’imposent et se parent d’ornements esthétiques. Des fesses rebondies et de la poitrine oui, mais avec une taille et des jambes fines. Briscarde des “cycles modes” et de leurs retours, je n’ai pas envie de ressembler à ces jolies-femmes, mais je m’aperçois que ce sont les rondeurs supervisées par un médecin qui sont vendues. Là où hier nous devions nous conformer à une discipline intenable est apparue la chirurgie esthétique.
Je comprends que la jeune femme que je regarde dans la rue n’a pas probablement pas moins de pression. L’image reste un immense vecteur social, et je ressens maintenant le
body positive
comme une forme de contestation de l’ordre ancien de la beauté sur papier glacé. Aujourd’hui, les corps s’exposent sur Internet, ce tiers lieu de la rencontre et de la découverte. Aussi, les silhouettes de femmes sont animées, parlent et les physiques sexuellement attirants auront autant de prétendants. Je suis obligée de le mentionner, mais je ne parlerai pas de la dichotomie des exigences avec les hommes. L’exigence pour les femmes aux physiques divers (je ne parle pas des visages) serait –selon moi- avant tout de se plaire.
Là où hier nous devions nous conformer à une discipline intenable est apparue la chirurgie esthétique.
L’apaisement grâce à la vague du body positive
Bref, élevée avec l’idée que la minceur est le signe du bien-être, sa recherche depuis l’enfance m’a menée sur des troubles du comportement alimentaires qui peuvent ou non réapparaître. Je crois que la minceur a toujours résonné chez moi comme le confort d’une vie ou d’un foyer stable, c’est-à-dire là où on n’a pas besoin de manger ses émotions. Ce que le
body positive
vient me dire aujourd’hui, c’est que cette normalité et cette sur maîtrise de soi, autrefois louées ne sont pas, ou ne sont plus, et que je n’ai pas besoin de me rajouter une pression supplémentaire avec des normes physiques intenables, voire dépassées. Cela malgré quelques traits caractéristiques des visages de téléréalité, on s’entend bien.
Cependant, bien que la pression soit moins élevée qu’il y a même une dizaine d’années, je crains de donner l’impression d’exposer mes émotions avec mon corps plantureux. J’avoue qu’il est bon de savoir que je ne suis pas la seule femme ronde, et de voir que le
body positive
est une grande révolte à la pression physique passée des femmes. Le corps décharné par les régimes, et inanimé n’ont plus droit de citer, mais j’espère que ce n’est pas au prix d’une boulimie de consommation de chirurgie esthétique, et effet ne serait-ce pas là le risque d’un nouvel impératif? Je ne sais pas, mais je constate que le concept de normalité a disparu et que je n’ai pas à m’inquiéter dans l’urgence de mon apparence.
À voir également sur
Le HuffPost: Après “Rumors” avec Cardi B, Lizzo ciblée par des insultes grossophobes