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      Coupe du monde de football : la défaite du Maroc n’est pas celle de l’Afrique

      Jean-Michel Lavoizard · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 16 December, 2022 - 04:30 · 3 minutes

    Au lendemain d’une demi-finale attendue de la Coupe du monde de football, la défaite (par 2 buts à 0) de l’équipe du Maroc n’est pas plus celle de l’Afrique que la victoire des « pays du Nord », d’Europe, sur les « pays du Sud ».

    On ne s’étendra pas ici sur les allégations soutenues de corruption dans le processus d’organisation des championnats internationaux de football, y compris de cette Coupe du monde exotique et controversée au Qatar, que renforcent les scandales actuels de conflits d’intérêts, de trafic d’influence et d’enrichissement illicite au sein de l’Union européenne. La série Netflix bien documentée FIFA : Ballon rond et corruption , éclairante sur le règne croissant de l’argent sans odeur dans le milieu du football professionnel depuis cinquante ans suffit à dégoûter tout public exigeant sur les valeurs supposées saines du sport.

    Autre tendance, depuis l’Afrique on entend avec lassitude les nombreux et bruyants commentaires média politisés et idéologisés en provenance de la France sur cette Coupe du monde.

    Les « décoloniaux » français, Français de souche renégats ou d’adoption ingrats, voudraient imposer dans ce feuilleton mondialisé le scenario d’une revanche imaginaire. La vengeance fantasmée des pays du Sud (Noirs et métissés) où ils ne vivent pas, contre ceux du Nord (Blancs) où ils ne s’intègrent pas ; des opprimés qu’ils n’ont jamais été contre d’anciens dirigeants dont ils ne retiennent que les excès ; des victimes d’un passé qu’ils invoquent indument contre leurs exploiteurs dont ils convoquent injustement les descendants au tribunal mémoriel. Les Français éclairés d’aujourd’hui intenteraient-ils un procès contre l’Italie, au titre de dommages infligés par l’Empire romain dont les bienfaits de la colonisation ont largement contribué au développement ?

    Cette tentative idéologique de récupération et de manipulation s’appuie sur une vision simpliste, anhistorique et décontextualisée.

    En effet, cette vision assimile le Maroc, pays du Maghreb, à l’Afrique. Or, le continent africain se définit avant tout par sa diversité politique, ethnique et culturelle. Le projet de panafricanisme reste plombé par des ambitions rivales, nationales et claniques.

    Le roi Mohammed VI a fait sienne cette phrase de son père , Hassan II :

    « Le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe » .

    Or, depuis le ralentissement de la croissance économique en Europe, il mène une campagne très active de diplomatie politique et d’investissement économique sur le continent africain pour rejoindre la CEDEAO (Communauté Économique des Pays d’Afrique de l’Ouest), tout en maintenant des liens particuliers avec les pays du pourtour méditerranéen et une relation spéciale avec les États-Unis (premier pays à avoir reconnu le Maroc). Cette ambition dominante d’un puissant pays arabo-musulman souvent admiré et respecté en Afrique suscite toutefois une certaine crainte de domination auprès des populations d’Afrique noire, occidentale et centrale.

    Lors de cette demi-finale, tandis que l’équipe du Maroc (composée exclusivement de Marocains de souche) était unanimement soutenue par les pays musulmans d’Afrique, du Golfe et d’ailleurs, de nombreux Africains d’Afrique noire soutenaient ouvertement l’équipe de France pour la raison politique évoquée et du fait de sa composition ethnique très métissée dans laquelle ils se reconnaissaient.

    Dans La haine de l’Occident , essai publié en 2008, Jean Ziegler, ancien député socialiste de Genève et rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, confondait les termes « Occident, Nord, Blancs » pour cibler et justifier la « méfiance viscérale » des pays de l’hémisphère sud face à leur arrogance et à leur aveuglement, et « l’exigence de réparations » de leurs « crimes historiques ».

    Soixante ans après les indépendances, cette rhétorique persistante et dépassée entre Nord et Sud exonère toute responsabilité des dirigeants et des peuples africains dans leur sous-développement chronique. On retiendra et soutiendra plutôt cet appel final et salutaire de Jean Ziegler :

    « C’est dans leurs cultures autochtones, leurs identités collectives, leurs traditions ancestrales, que les peuples du Sud puiseront le courage d’être libres. ».

    En attendant, on espère voir avant tout du sport de qualité dans la finale prochaine d’une Coupe du monde décidément très politisée.

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      Qatar 2022 : en attendant le foot, un peu de cirque politique !

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 22 November, 2022 - 03:50 · 4 minutes

    On attendait une rencontre sportive , on a droit à un numéro de cirque tragico-comique supervisé par le Qatar et ses différents soutiens. Entre les faux supporters qui défilent, les sponsors floués au dernier moment et un président de la Fifa qui joue grossièrement la carte de l’antiracisme woke pour répondre aux critiques adressées au Mondial dans le domaine des droits de l’Homme, le spectateur a droit à une suite de sketches en marge des matchs programmés.

    Il est donc temps de sortir son paquet de popcorn et sa bière (sans alcool) pour rappeler à ceux qui appellent au boycott que le désastre était prévisible depuis au moins… 12 ans et qu’il porte un nom : diplomatie économique. Encore une fois, c’est la politisation d’un événement populaire dans le monde entier qui aujourd’hui se traduit par un pataquès généralisé.

    Qatar, nos amis pleins aux as

    Malheureusement, dans cette histoire, on ne peut pas dire que la classe politique française se soit illustrée par sa grande clairvoyance et l’intransigeance morale qu’elle affiche régulièrement quand il est question de politique internationale.

    Certains se souviendront que c’est Nicolas Sarkozy qui a lourdement insisté auprès de Michel Platini pour soutenir la candidature de l’Émirat au Mondial 2022. La voix de l’ancien footballeur, si elle n’est pas la seule, sera décisive pour l’attribution du mondial au petit pays ami de la France. Vanessa Ratignier et Pierre Péan ont rappelé dans Une France sous influence (2014) le travail de lobbying de l’ancien président de la République auprès de l’ancien triple ballon d’or :

    « [Sarkozy] ne m’a pas demandé de voter pour les Qataris, déclare Platini. Il m’a juste dit, durant une réunion, que ça serait une bonne chose si je le faisais » explique-t-il sur le site internet espagnol donbalon.com, en mars 2011, avant d’ajouter : « il sait que je suis libre et indépendant ». « Il m’a dit que les Qataris étaient des gens bien », éludera-t-il encore l’été suivant auprès de SoFoot ; le magazine précise qu’« averti des réticences de Platini sur la candidature qatarie, Sarkozy aurait suggéré au président de l’UEFA de reconsidérer sa position sur le sujet. »

    « Des gens bien » donc. Seulement, la petite monarchie absolue n’avait pas si bonne réputation que ça. Les pratiques moyenâgeuses du Qatar en matière de travail faisaient déjà la Une des journaux et pire, le pays a connu une crise diplomatique majeur en 2017, c’est-à-dire bien après son rapprochement avec la France. Trois de ses voisins l’accusaient de soutenir le terrorisme. De son côté, les États-Unis ont depuis accusé à plusieurs reprises la monarchie d’une trop grande bienveillance envers les djihadistes.

    En 2014, David S. Cohen, alors sous-secrétaire au Trésor des États-Unis pour le terrorisme et le renseignement financier, a même accusé les autorités qataries de permettre à des financiers figurant sur des listes noires internationales de vivre librement dans le pays : « Il y a au Qatar des financiers du terrorisme désignés par les États-Unis et l’ONU qui n’ont pas fait l’objet de mesures en vertu de la loi qatarie. »

    Qatar 2022 : démocratie à éclipse et ballon rond

    Depuis tout a changé et le Qatar a fait le ménage en adoptant des mesures antiterroristes plus radicales et en sortant de l’ambiguïté. En juillet 2017, le secrétaire d’État américain Rex Tillerson a fait l’éloge du Qatar après qu’il soit devenu le premier État régional à signer un protocole d’accord avec les États-Unis pour lutter contre le financement du terrorisme.

    Il faudra toutefois attendre 2021 pour que l’Arabie saoudite accepte de rouvrir sa frontière au Qatar. Et bien entendu, le Qatar reste un régime autoritaire -c’est une monarchie absolue- selon le Democracy index 2021 de The Economist , avec un score particulièrement bas en matière de pluralisme politique et d’élections libres.

    Ce n’est pas ce qui gênait beaucoup la classe politique française des années 2010. Certains se souviendront de l’entretien lunaire d’ Anne Hidalgo , ravie de voir le PSG propulsé au sein des clubs les plus riches au monde grâce au rachat de l’émirat et assez oublieuse de sa réputation sulfureuse… Elle était loin d’être la seule à avoir mis un mouchoir sur ses beaux principes pour aider nos amis aux poches pleines. Mais aujourd’hui, elle choisit superbement d’appeler au boycott du championnat au nom de la Capitale…

    À retenir entre deux pages de pub lors du match France-Australie : la vertu en politique est une variable d’ajustement et méfiez-vous, même vos loisirs les plus anodins peuvent servir de sponsors aux entreprises de propagande les moins avouables.