• Co chevron_right

      La justice, dernier rempart contre la dérive de nos démocraties ?

      Sébastien Leblet · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 19 October, 2020 - 03:30 · 7 minutes

    JUSTICE

    Par Sébastien Leblet.

    La France n’est pas encore la Chine. Cependant, il n’a échappé à personne que depuis dix mois maintenant nous vivons déjà sous un régime autoritaire . Certes, pour l’instant surtout il s’agit de l’incompétence, de l’arbitraire et de décisions liberticides d’une poignée de femmes et d’hommes, prises systématiquement sans consulter les autres élus, et jamais les chefs d’entreprise, en dépit de la science, en dépit du bon sens (ce n’est pas toujours la même chose) et sans doute aussi souvent de l’intérêt général de la nation.

    En réaction aux perquisitions menées cette semaine par la commission d’enquête de la Cour de Justice de la République aux domiciles d’Édouard Philippe, Olivier Véran, Agnès Buzyn et Jérôme Salomon, le président de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde, a réagi en indiquant à BFMTV : « Ça n’est pas l’urgence aujourd’hui, on doit lutter contre la deuxième vague et je ne suis pas persuadé qu’on doive perdre du temps avec ça » , indiquant qu’il ne croyait « pas à la responsabilité pénale des ministres dans cette affaire » .

    Pour rappel, ce ne sont pas une ou deux mais bien 86 plaintes qui ont été déposées contre les membres du gouvernement auprès de la Cour de justice de la République (CJR) pour sa gestion de la première vague de la Covid-19 !

    Qu’attendait Jean-Christophe Lagarde des magistrats de la CJR et des gendarmes de l’OCLAESP ? Sous prétexte de seconde vague , qu’ils préfèrent postuler auprès des hôpitaux de l’Assistance Publique comme brancardiers, aides-soignants, infirmiers, parce que ceux qui nous gouvernent n’ont pas trouvé utile d’augmenter le nombre de lits des hôpitaux dont ils ont la responsabilité, alors qu’ils ne cessent depuis six mois de crier à la seconde vague ?

    Chacun peut imaginer la violence psychologique que doit être la perquisition de son domicile personnel. Mais qui peut reprocher à la justice de faire son travail ?

    À part les membres du gouvernement qui ont été perquisitionnés et qui ne veulent  probablement pas répéter l’erreur de Jean-Luc Mélenchon – qui s’était vivement emporté lorsqu’il avait été perquisitionné en octobre 2018, beaucoup s’offusquent de ces perquisitions, comme le député LFI Éric Coquerel qui dit sur LCI : « Je ne trouve pas que ces perquisitions soient opportunes, il y a une judiciarisation de la vie politique. C’est plus une mise en scène qu’autre chose ».

    Mais combien se sont offusqués quand la justice a ouvert dans des conditions troubles une information judiciaire à l’encontre de François Fillon , alors candidat favori à l’élection présidentielle de 2017, deux mois avant le premier tour ?

    Combien se sont offusqués du traitement par la justice des Gilets jaunes parfois mis en garde à vue préventivement ?

    Combien se sont offusqués des perquisitions menées auprès de tous les opposants d’Emmanuel Macron (Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen…) et de son apparente mansuétude avec ses partisans ( Alexandre Benalla , Alexis Kohler , François Bayrou…) ?

    Les politiques ou les commentateurs suspectent la justice d’agir pour de mauvaises raisons. Par ce coup de force, elle montrerait à Emmanuel Macron son pouvoir de nuisance, afin, au choix, de contester la nomination de l’avocat Éric Dupond-Moretti comme ministre de tutelle, la nomination d’une avocate pour diriger l’École  Nationale de la Magistrature, ou bien encore, pour « réclamer son dû » pour son soutien à Emmanuel Macron (élections présidentielles, Gilets jaunes, affaires de la Macronie, etc).

    Pour nous, citoyens, que nous importent les motivations de la justice à faire son travail si elles permettent qu’existe un dernier contre-pouvoir à ce gouvernement ivre.

    En effet, sans la réaction de la justice, comment savoir que la France est encore une démocratie depuis mars 2020 ? Il n’existe plus aucun contre-pouvoir à ce  gouvernement en roue libre, pourtant inefficace.

    Face à la succession de mesures liberticides et très souvent incohérentes prises par le gouvernement, où sont les parlementaires ? Contrôlent-ils le gouvernement comme c’est normalement leur rôle ? Que font les sénateurs ? les élus locaux, maires, conseillers, présidents de région ? À part appliquer les directives de Paris, en dehors de l’exemple récent de la fronde de Aix-Marseille. Sont-ils consultés préalablement aux décisions sanitaires qui sont en train de ruiner leurs villes et leurs territoires ?

    Que font ou disent les syndicats salariaux et patronaux ? les grands médias ? Peuvent-ils encore informer objectivement les Français quand ils sont complètement subventionnés par cet État dont ils devraient être, au contraire, un contre-pouvoir ?

    En réalité, la justice est peut-être le dernier rempart contre la tyrannie qui s’instaure doucement chez nous sous des prétextes sanitaires. En France, ce sont d’ailleurs les tribunaux administratifs qui avaient demandé aux préfets du Rhône et du Bas-Rhin de modifier leurs arrêtés généralisant le port du masque.

    À l’étranger, comme en Espagne, c’est le tribunal qui a rejeté les mesures de confinement partiel de Madrid, jugées « nuisibles aux droits fondamentaux » des 4,5 millions d’habitants concernés.

    En Allemagne, c’est aussi la justice qui vient de retoquer l’obligation pour les bars et restaurants de Berlin de fermer leurs portes de 23 heures à 6 heures, jugeant cette mesure disproportionnée.

    N’est-ce pas aussi parce qu’il existe des actions judiciaires en cours contre l’OMS que celle-ci vient de changer publiquement de position sur le bien-fondé du confinement ?

    N’est-ce pas le fait que la justice française enquête actuellement sur la gestion chaotique de la première vague de la Covid-19 qui explique par exemple le  revirement récent du docteur et consultant Martin Blachier ?

    En effet, celui dont la société de conseil a abreuvé l’État de ses chiffres apocalyptiques lors de la première vague et jusqu’à très récemment, indique maintenant sur LCI le 16 octobre qu’ « en toute franchise, on commence à se demander si ces chiffres de contaminations sont réels » ?

    L’ombre de la Justice rend-t-elle prudents ceux qui ont conseillé nos gouvernants, ou nos gouvernants eux-mêmes ?

    Tout de même, les commentateurs jugent que la justice fait « de la communication » . Mais qui a commencé ?

    N’est-ce pas Emmanuel Macron et son épouse qui allaient au théâtre le 6 mars dernier pour inciter les Français à ne pas modifier leurs habitudes de sortie, puis qui a annoncé, seulement six jours après, confiner totalement les Français pendant deux mois ?

    N’est ce pas toujours Emmanuel Macron qui lors de son discours le 12 mars dernier, a répété à maintes reprises que nous étions en guerre , pour justifier un confinement dans le but de ne pas saturer les hôpitaux ? Hôpitaux qui n’avaient pas été dotés de masques, de blouses, de lits suffisants alors que selon Agnès Buzyn , le chef de l’État et toutes les personnes perquisitionnées avaient été informés deux mois avant de la crise à venir…

    Qui a utilisé une communication sans cesse anxiogène pour autoriser les atteintes à nos libertés ? Qui a pris une mine de croque-mort pour annoncer chaque semaine le nombre des décès, sinon Olivier Véran ou Jérôme Salomon ? Le faisons-nous habituellement pour la grippe saisonnière, les accidents de la route ou le cancer des poumons ?

    Qui a fait réquisitionner des TGV ou des avions pour transférer des patients en province ou à l’étranger, quand dans le même temps, on apprenait que les cliniques privées étaient vides et non sollicitées ?

    Pourquoi avoir abaissé discrètement courant juillet 2020 le taux d’incidence habituel des épidémies (de 150 ou 200 cas pour 100 000 habitants, à 50) pour pouvoir afficher la Mayenne en rouge sur une carte , pour 51 cas répertoriés pour 100 000 habitants, quand la seconde vague n’arrivait toujours pas ?

    Ne sont-ce pas ces personnes aujourd’hui perquisitionnées qui ont fait de la mort de milliers de personnes âgées en EPHAD, privées de soin et de leurs proches, un sujet de communication ?

    Peut-on hurler au gouvernement des juges quand, saisie de 83 plaintes, la justice enquête pour comprendre comment un gouvernement a pu faire si peu pour sauver des vies, et en même temps communiquer autant pour inquiéter constamment ?

    Alors, oui, c’est très triste d’en être réduit à se réjouir que nos gouvernants soient perquisitionnés par la justice. Ce n’est pas par vengeance. Mais quelle autre lueur d’espoir dans notre démocratie en train de mourir ?

    • Co chevron_right

      Covid : perquisitions chez les ministres, justice d’exception ou justice spectacle ?

      Laurent Sailly · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 18 October, 2020 - 03:30 · 6 minutes

    perquisitions

    Par Laurent Sailly.

    C’est un véritable coup de tonnerre judiciaire qui a éclaté jeudi 15 octobre 2020. Alors que tous les commentaires concernaient l’intervention présidentielle de la veille et le couvre-feu déclaré dans les grandes métropoles françaises, on apprenait dans la matinée, que plusieurs perquisitions étaient en cours au domicile et bureau du ministre de la Santé, Olivier Véran et d’autres responsables dans le cadre de l’enquête sur la gestion de la crise sanitaire.

    Perquisitions chez les ministres

    Dans le même temps, les gendarmes de l’OCLAESP (Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique) et des policiers de l’OCLCIFF (Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales), ont perquisitionné chez le directeur général de la Santé Jérôme Salomon et la directrice générale de Santé Publique France, Geneviève Chêne, ainsi qu’aux domiciles ou dans les bureaux d’Édouard Philippe, Agnès Buzyn, et Sibeth Ndiaye.

    Ces perquisitions ont été décidées, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte le 7 juillet dernier, par la Cour de justice de la République (CJR) sur la gestion de la crise du coronavirus.

    Depuis le début de la crise du coronavirus, 90 plaintes contre des ministres ont été adressées à la CJR, seule instance habilitée à juger les membres du gouvernement pour l’exercice de leur fonction. Neuf d’entre elles ont été jugées recevables , plaintes portant notamment sur « l’incohérence des mesures » prises au sommet de l’État ou encore « l’absence d’application des recommandations de l’OMS ».

    De son côté, le parquet de Paris, qui a reçu plusieurs dizaines de plaintes ciblant parfois des responsables de l’administration, a ouvert le 9 juin une vaste enquête préliminaire, notamment pour « homicides involontaires » ou « mise en danger de la vie d’autrui ».

    Réactions politiques aux perquisitions

    Les réactions politiques n’ont pas manqué. « Ça n’est pas l’urgence aujourd’hui, on doit lutter contre la deuxième vague et je ne suis pas persuadé qu’on doive perdre du temps avec ça » , a réagi sur BFMTV le président de l’UDI Jean-Christophe Lagarde, qui ne croit « pas à la responsabilité pénale des ministres dans cette affaire » .

    « Je vois vraiment dans cette perquisition ordonnée au lendemain de la déclaration du président de la République par les plus hauts magistrats une vraie déclaration de guerre de la justice au pouvoir politique » , a estimé sur LCI Gilbert Collard, député européen proche de Marine Le Pen.

    « Je ne trouve pas que ces perquisitions soient opportunes, il y a une judiciarisation de la vie politique. C’est plus une mise en scène qu’autre chose » , a déploré sur LCI le député LFI Éric Coquerel.

    Ces trois interventions, émanant de trois ténors politiques de famille différente éloignée de la majorité gouvernementale, soulèvent trois problématiques : la responsabilité pénale des ministres, le risque d’un pouvoir des juges, la judiciarisation de la vie politique. Dans cet article, nous ne nous interrogerons que sur la première des trois problématiques.

    La responsabilité pénale des ministres

    Un des piliers de la démocratie réside dans sa capacité à évincer du pouvoir ceux qui en abusent ou ne répondent pas aux attentes du détenteur de la souveraineté, c’est-à-dire le peuple dans les démocraties libérales modernes.

    Pour Benjamin Constant, « les ministres sont souvent dénoncés, accusés quelquefois, condamnés rarement, punis presque jamais… » .

    La responsabilité pénale permet de mettre fin à la fonction du ministre qui s’est rendu coupable d’un délit, d’un crime, ou a failli à sa mission de façon grave et de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de son pays et cette sanction peut être assortie de condamnations pénales.

    Une procédure qui a évolué sous la Ve République

    La responsabilité pénale des membres du gouvernement, pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions, a connu une évolution très importante en 1993. Auparavant, ils étaient responsables, comme le président de la République, devant la Haute cour de justice, sur décision du parlement.

    Depuis la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993, un particulier peut déclencher les poursuites devant la Cour de justice de la République. Les requêtes sont examinées par une commission composée de magistrats professionnels, et sont ensuite soit classées, soit transmises au procureur général près la Cour de cassation pour saisir la Cour de justice de la République.

    Celle-ci est composée de 12 parlementaires et de trois juges professionnels (magistrats du siège à la cour de cassation), dont l’un préside la cour.

    Art. 68-1 de la Constitution de la Vème République

    Les membres du gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis.

    Ils sont jugés par la Cour de justice de la République.

    La Cour de justice de la République est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu’elles résultent de la loi.

    La Cour de justice de la République « constitue un privilège qui n’a plus de raison d’être »

    La Cour est accusée d’être une justice d’exception, symbole d’une justice à deux vitesses. Sa création en 1993 avait pourtant pour objectif de réconcilier l’opinion publique avec ses responsables politiques.

    En effet l’opinion jugeait très sévèrement la classe politique qui lui semblait échapper aux règles communes en particulier lors de certaines affaires liées au financement de la vie politique et surtout lors de l’affaire dite du sang contaminé.

    La légitimité de la CJR est contestée. Selon Cécile Guérin-Bargues, professeure de droit public, ses décisions sont peu convaincantes, les condamnations très faibles, parfois assorties de jugement moraux.

    De plus les ministres sont jugés par la CJR mais leurs conseillers par les tribunaux ordinaires, conduisant ainsi à une justice à deux vitesses et des jugements peu cohérents.

    Supprimer la CJR ?

    Plusieurs projets ou propositions de lois constitutionnelles ont proposé de supprimer la CJR. Les ministres devraient être jugés par les juridictions pénales de droit commun, y compris pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, après autorisation préalable de la commission des requêtes.

    En 2018, un autre projet de loi proposait la suppression de la CJR, les ministres devant être jugés par la cour d’appel de Paris. Cette solution bancale doit être écartée.

    Les perquisitions ne sont que le début

    Toujours est-il que nous ne sommes qu’au début de la procédure judiciaire. Si l’un ou l’autre des protagonistes devait être déclaré coupable, une condamnation définitive n’est pas attendue avant de très longues années (les recours judiciaires sont nombreux).

    Quant à une parodie de justice, mon caractère optimiste me pousse à la rejeter. À défaut de ce positionnement, il faudrait accepter être dans un pays avec un régime autocratique. En cas d’acquittement des ministres poursuivis, nul doute que les accusations de parodie de justice fleuriront.

    Mon inquiétude porte sur un éventuel lynchage électoral ou politique via les réseaux sociaux des personnes incriminées face à la disparition progressive de la présomption d’innocence en France.