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      [Débat] Quelle position avoir face à la Chine ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 21 April, 2023 - 03:30 · 19 minutes

    Emmanuel Macron a beaucoup fait parler de lui lors de sa visite en Chine et avec ses propos sur les tensions avec Taïwan. L’occasion pour les auteurs de Contrepoints Finn Andreen et Christian Michel de débattre sur ce sujet et sur la place de l’État dans les relations internationales.

    Macron en Chine : le manque d’indépendance de la France

    Selon Finn Andreen, la visite récente du président Macron en Chine illustre le manque d’indépendance politique de la France à la fois vis-à-vis de l’Union européenne et des États-Unis. Les messages contradictoires de Macron, en mettant l’accent sur le conflit en Ukraine tout en plaidant pour une stratégie européenne d’autonomie, montrent une absence de clarté dans la politique étrangère de la France. Pour Finn Andreen, la France devrait améliorer ses relations avec la Russie et la Chine tout en cherchant une relation plus équilibrée avec les États-Unis.

    La récente visite du président Macron en Chine a été très suivie pour des raisons politiques plutôt qu’économiques. Ce n’est pas surprenant puisque la Chine est le centre de l’attention en Occident, étant donné sa proche relation avec la Russie, mais aussi à cause de la dégradation de ses relations avec les États-Unis.

    Il est souvent difficile de savoir exactement quelle est la position d’Emmanuel Macron, et donc de la France, en politique étrangère, car le président passe souvent « en même temps » des messages contradictoires. Cette visite en Chine ne fut pas une exception. Mais elle fut aussi un exemple flagrant du manque d’indépendance politique de la France aussi bien de l’Union européenne que des États-Unis.

    Manque d’indépendance envers Bruxelles

    D’abord, Macron a clairement confirmé la position de dépendance de la France à l’Union européenne, en invitant Ursula von der Leyen à l’accompagner en Chine. En mars, la présidente de la Commission et probable future cheffe de l’OTAN a déclaré conjointement avec les USA que la Chine est un « rival stratégique ». En lui proposant de participer à cet échange bilatéral, Macron a non seulement associé la France à l’Union européenne, mais aussi avec la position clairement antichinoise de Washington.

    Lorsque Macron a évoqué la « feuille de route bilatérale » entre la France et la Chine, il a prononcé les mots suivants au président chinois, lesquels méritent d’être intégralement cités :

    « Vous l’avez évoqué, ce partenariat stratégique nous le voulons et il est au fond très illustratif, en effet, de cette vision française et je crois maintenant pouvoir le dire, européenne. Cela fait cinq ans que vous m’entendez défendre la souveraineté européenne, une autonomie stratégique européenne, au service d’ailleurs d’un projet commun mais aussi parce qu’elle est jumelle de l’indépendance française. Je crois que nous y sommes et je pense que l’Europe est en train de se doter d’une vraie stratégie en la matière, et je pense que c’est d’ailleurs l’intérêt de nos amis d’œuvrer en ce sens. Et notre feuille route bilatérale, je crois, a une total pertinence à cet égard. »

    Xi Jinping et ses collègues chinois peuvent être pardonnés de n’avoir pas compris la relation entre la France et l’Union européenne. À travers cette description tordue et confuse, la France est présentée comme indépendante mais en même temps ( sic ) liée à l’Union européenne, ce qui est contradictoire.

    Manque d’indépendance envers Washington

    Pour les États-Unis, la Chine est non seulement un obstacle à son hégémonie mais aussi un levier pour influencer le conflit en Ukraine en faveur de l’Occident. Mais Washington n’a que peu de contact avec Pékin depuis la destruction, début février, d’un ballon météorologique chinois sans échanges préalables, et après les remarques personnelles du président Biden envers Xi Jinping lors de son discours sur l’état de la Nation, le 7 février.

    Macron a donc commencé sa visite en Chine en véhiculant les messages de Washington , en particulier une intransigeance quant à une possible fourniture d’armes à la Russie. Il aussi insisté auprès des Chinois sur la nécessité de « ramener les Russes à la raison », demande qui forcément ne pouvait aboutir. Pour Pékin, la guerre en Ukraine ne concerne pas les relations entre la Chine et la France. Si Macron avait une politique étrangère indépendante des États-Unis, il n’aurait donc pas priorisé le conflit en Ukraine.

    Les États-Unis et la France souhaitent utiliser la Chine pour « faire basculer » le conflit ukrainien en leur faveur. Ceci semble improbable étant donné que la Chine comprend la position russe sur l’origine du conflit et ne s’y immisce pas. De plus, en quittant Moscou en mars, Xi Jinping a dit à Poutine qu’ensemble ils effectuaient des changements sur le monde comme il n’en n’a pas vu depuis 100 ans .

    La position de Macron montre donc non seulement une considération démesurée des intérêts des États-Unis, mais aussi une ignorance du monde multipolaire qui prend forme de manière accélérée. La France aurait intérêt à soigner ses relations avec la Russie et la Chine et en même temps revenir à une relation plus symétrique avec les États-Unis. La France ne pourrait-elle pas effet jouer un rôle unique de vase communiquant entre, d’une part les États-Unis et un groupe de pays subordonnés qui insistent sur la préservation du concept de monde unipolaire, et d’autre part le reste du monde, mené par les BRICS ?

    Le « en même temps » est de retour

    À la fin de sa visite en Chine, Macron a néanmoins fait quelques déclarations qui allaient dans le sens des Chinois et du monde multipolaire, ce qui en a inquiété certains à Washington.

    Par exemple, France24 rapporte que « Macron suscite un tollé en défendant une voie européenne entre Chine et États-Unis ». Et Politico titre que « Macron incite les Européens à ne pas se penser en suiveurs des États-Unis », et que « le président français plaide pour l’indépendance vis-à-vis des positions américaines. »

    Cette position ne peut que rappeler la politique gaullienne d’indépendance et d’autonomie stratégique de la France. Cependant, jusqu’à preuve du contraire, il ne faudrait pas prendre au sérieux ce genre de déclarations car les actions de Macron démontrent qu’il a positionné la France clairement dans le camp de Washington, continuant ainsi une soumission stratégique envers les USA qui existe au moins depuis la présidence de Nicolas Sarkozy.

    Quel rôle pour l’État ?

    Les visites de chefs d’État devraient soulever la question du rôle de l’État dans les relations entre les nations. Il y a une tendance à oublier que les relations les plus importantes entre elles sont les relations économiques. Et dans des sociétés libres ces relations ne concernent pas les gouvernements mais les entreprises et les individus qui échangent entre eux au-delà des frontières politiques. Par leur zèle souvent mal placé, les gouvernements peuvent aussi bien faciliter le commerce en respectant et protégeant le libre-échange, que l’entraver en essayant de le contrôler.

    Ces dernières années, les Occidentaux, États-Unis en tête, sont responsables d’entraver les échanges commerciaux avec la Chine. Xi Jinping a du rappeler à Ursula von der Leyen et à Macron que « la Chine et l’Union européenne devraient maintenir leurs marchés ouverts l’un à l’autre, offrir un environnement équitable et non discriminatoire aux entreprises de l’autre partie, et éviter de transformer les questions économiques et commerciales en questions politiques ou de sécurité nationale. »

    Quelle ironie que ce soit la Chine, officiellement communiste, qui rappelle à l’Europe les principes du libre-échange.


    Pourquoi la Chine est bien un adversaire stratégique du monde libre ?

    Christian Michel soutient que la Chine est un adversaire stratégique du monde libre car elle remet en question les valeurs universelles et le droit d’ingérence. Selon Christian Michel, la multipolarité du monde, prônée par certains, ne conduira ni à la paix ni à la prospérité, mais qu’un ordre mondial fondé sur des institutions internationales solides est nécessaire pour garantir la sécurité et la liberté pour tous.

    Comme des marathoniens font la course en tête un moment avant d’être rejoints et dépassés, différentes civilisations au cours de l’histoire ont dominé leur partie du monde – Assyriens, Égyptiens, Grecs et Romains, Chine sous les dynasties Tang et Song, Mayas et Aztèques, Ottomans. Et bien sûr, plus près de nous, les empires nés en Europe. Ils ont projeté partout la civilisation occidentale.

    Mais aujourd’hui la Chine et aussi la Russie, et quelques seconds couteaux, déclarent que le jeu a assez duré, qu’il est temps pour l’Occident de se replier, que le futur est à un monde multipolaire. Chacun chez soi sur cette planète, comme des voisins dans leur bungalow, avec un panneau « Don’t tread on me » pendu à la grille. N’est-ce pas la recette d’un monde bien ordonné ?

    Que non ! Et l’histoire nous le montre. Car la multipolarité que d’aucuns réclament n’est qu’une extension à l’échelle de civilisations du principe westphalien qui a gouverné la diplomatie européenne du XVII e siècle jusqu’à la fin du siècle dernier. Assez longtemps pour que l’expérience soit probante.

    Pourquoi un monde westphalien nourrit les tyrannies

    À gros traits, la trame fut la suivante.

    Avec la Réforme que certains souverains embrassèrent alors que d’autres restèrent fidèles à l’Église catholique commença un cycle de persécutions et de guerres de religion. Elles furent humainement abominables, économiquement ruineuses. Pour y mettre fin, les souverains se lièrent par différents pactes établissant le principe de Cujus regio, ejus religio, la religion du souverain est acceptée comme étant la religion de ses sujets, même si cela n’est pas vrai. L’heureuse conséquence, puisqu’elle marqua la fin des conflits, fut de délégitimer l’intervention d’un prince volant au secours de coreligionnaires discriminés ou massacrés chez son voisin.

    Le principe fut plus tard intégré dans les différents Traités de Westphalie de 1648. Il y est établi que quelles que soient l’étendue de son territoire ou la taille de sa population, chaque État est égal en droit à tous les autres États. Il est maître chez lui (on pourrait dire comme un propriétaire), sans avoir de comptes à rendre à quiconque, sans avoir à craindre d’interférence ou d’ingérence dans ses affaires intérieures. La dramatique conséquence – revers de Cujus regio – fut que les pires régimes que l’humanité ait connus purent se livrer impunément à des déportations, des massacres de masse, des génocides.

    C’est pourquoi Westphalie et la règle du « chacun maître chez soi » ne sont plus acceptables, ni éthiquement ni même économiquement. La honte d’être restés l’arme au pied, comme indifférents aux abominations perpétrées sous les totalitarismes du siècle, fit émerger chez les dirigeants occidentaux dès les années 1980 deux concepts nouveaux, le « droit d’ingérence » et le « devoir de protéger ». En d’autres termes, point de sanctuaire pour les criminels politiques.

    Pourquoi ? Parce que certaines valeurs sont universelles. Où qu’il se trouve, dans quelque société qu’il vive, l’être humain souffre d’être privé de parole et d’initiative, d’être dépossédé, discriminé, déporté, enfermé, torturé, tué. Le libéralisme, qui rejette toute justification à l’infliction de souffrances à des êtres humains innocents, est donc bien une philosophie universelle. Le libéralisme prescrit qu’il est de notre devoir de porter secours à ceux qui souffrent d’abus politiques (autant qu’aux victimes de catastrophes naturelles), en s’ingérant pour cela dans les affaires intérieures du pays concerné. Parfois il est déraisonnable de suivre ce devoir (de même que les secouristes renoncent à une intervention trop dangereuse pour eux-mêmes et qui ne sauveraient pas ceux qui les attendent), mais l’impossibilité matérielle d’intervenir n’invalide pas le principe qu’il le faudrait.

    Un libéral conséquent ne peut sans se déjuger accepter la multipolarité du monde. Il ne saurait tenir des propos tels que « rééduquer les Ouïghours (selon l’euphémisme en vigueur) est une décision qui relève du gouvernement chinois, nous n’avons rien à en dire », ou bien « si le Parti communiste chinois veut immoler quelques millions de Taïwanais qui ne veulent pas se soumettre à sa loi, ce n’est pas notre affaire » (de la même façon que des libéraux n’oseraient pas déclarer « c’est ok s’ils lapident les femmes adultères et les filles qui ont entaché l’honneur de la famille, c’est leur tradition ».

    En fait, je ne sais pas pourquoi je n’attribue de telles réserves qu’aux libéraux. Tout être humain qui possède une conscience morale sait que cette violence contre des innocents est perverse.

    Pourquoi les arguments réaliste et isolationniste en faveur de la multipolarité ne tiennent pas

    Néanmoins, on rencontre cette perversité en politique étrangère chez les réalistes et chez les isolationnistes.

    Pour les réalistes, dans la tradition de Machiavel , de Hobbes et d’une pléiade de penseurs au XX e siècle, les États sont les seuls acteurs pertinents sur la scène internationale. Ils ne reconnaissant aucune autorité au-dessus d’eux, aucun organisme supranational. Et par une sorte d’anthropomorphisme ces États sont supposés mus par les mêmes intérêts que les humains de chair et de sang – soif du pouvoir, rivalité mimétique et peurs. Les relations internationales sont ainsi condamnées à l’anarchie (au sens populaire du terme), à une course perpétuelle à la domination armée, un jeu à somme nulle, puisque le renforcement de l’un entraîne l’affaiblissement de l’autre. L’absence de conflit résulterait de ne pas chatouiller son voisin.

    Les isolationnistes , eux, font un pas de plus dans le pessimisme. À un fantasme autarcique, ils ajoutent l’autoflagellation. Comme notre gouvernement est aussi vil, vénal et violent que les autres, expliquent-ils, nous n’avons aucune leçon à leur donner.

    Or, il est objectivement faux que les gouvernements occidentaux soient aussi répressifs et corrompus que leurs homologues chinois et russe (pour ne citer que ceux-là).

    Et à la grande différence de la « pensée Xi Jinping », le libéralisme occidental reconnaît des règles de droit que chacun peut invoquer contre son gouvernement. Mais qu’est-ce qu’un Chinois peut objecter au Parti qui affirme que l’individu ne possède aucun droit opposable à la volonté de ce Parti et à l’intérêt du pays tel que ce Parti le définit ?

    Pourquoi un monde multipolaire n’apportera ni la paix ni la prospérité

    Comme seule évidence d’un monde multipolaire fonctionnel, quelques historiens citent le « concert des nations », qui harmonisa l’Europe après 1815.

    L’expérience est-elle réplicable aujourd’hui ?

    Les instrumentistes de ce concert étaient peu nombreux : France, Royaume Uni, Prusse, Autriche, Russie. Ils étaient de puissance comparable, ils partageaient le même ethos européen. Mais la géopolitique aujourd’hui n’est plus limitée à l’Europe. Une centaine de pays y sont inclus et tout le travail des diplomates est de discerner les quelques valeurs qu’ils partagent (j’y reviendrai).

    Cependant, même cette prestation exemplaire du « concert des nations » n’évita pas les fausses notes (guerre de Crimée, guerres entre la France et l’Autriche en Italie, entre la Prusse et le Danemark, la Prusse et l’Autriche, la Prusse et la France…) et elle se termina (il faudrait quand même en tenir compte !) par la boucherie de la Première Guerre mondiale.

    Certes, si chaque prédateur pouvait être confiné dans son pré carré, encagé et inoffensif, la paix serait assurée entre États, car au contraire, rien ne garantirait la paix intérieure à ces États puisqu’ils pourraient avec impunité tyranniser leurs minorités et leurs dissidents. Mais qui serait le gardien de ce zoo géopolitique ? Qui, mieux qu’aujourd’hui, empêcherait un raid sur Taïwan, ou l’invasion de l’Ukraine, ou ces guerres épidémiques entre plus petits acteurs en Afrique, dans la péninsule arabique, en Asie… ?

    Et la réfutation de ces silos géopolitiques est celle-ci : pour son épanouissement, l’humanité a besoin d’ouverture, de circulations, d’interpénétrations et certainement pas d’isolationnisme, d’indifférence aux problèmes du monde et de fermetures aux échanges de tous ordres.

    Car on n’apprend pas à des libéraux, lecteurs d’ Adam Smith , que la division du travail est « l’origine et la cause de la richesse des nations ». Sans échanges planétaires, sans investissements transnationaux, sans monnaies mondiales, sans globalisation, d’où viendrait la prospérité commune ?

    Il survient des crises. Des urgences. La covid. La pénurie alimentaire. Il est prudent de constituer des stocks. Cependant, comment faire confiance à des États comme la Chine et la Russie qui, même en dehors de périodes critiques, déclarent sans ambages que les entreprises sur leur territoire ne suivront pas la logique économique ? Ces entreprises nous servent, préviennent ces États, pas leurs clients, pas leurs investisseurs, ni leurs employés. Alors, sur quelle assurance se fonder si vous voulez traiter avec ces entreprises et que vous opérez dans un autre pôle ?

    Pourquoi la paix, la sécurité et la prospérité de tous exigent un ordre mondial

    Pas la multipolarité. Pas le « chacun dans son coin, sans rendre des comptes ». Et pas non plus, bien sûr, un gouvernement mondial (pensée à raison horripilante pour des libéraux). Mais un ordre mondial – dans l’esprit de Proudhon lorsqu’il déclarait la liberté « mère de l’ordre ».

    La guerre, qui embrase l’Ukraine et menace Taïwan , a ceci pour enjeu, rien de moins que l’agencement du monde :

    Soit la population des grands États et celle de leurs vassaux tombent sous la coupe de potentats à la Xi Jinping, affranchis de toute contrainte (et ça pourrait se passer chez nous).

    Soit des institutions mondiales produisent des règles de droit, d’autres les appliquent, chacune limitée strictement à un domaine spécifique (donc ne formant pas un gouvernement) : droits humains, santé, climat, environnement, océans, espace, commerce, propriété intellectuelle, transports, télécoms, règlements des différends, tribunaux internationaux, police… Nombre de ces institutions existent déjà – OMS, OMC, CPI, Interpol… Il faut maintenant renforcer leur légitimité et les muscler.

    C’est ça, la globalisation.

    Pourquoi tant de dirigeants occidentaux se plantent en géopolitique

    Les autocrates ne disent jamais « en même temps ». Pas plus que les adjudants. Parce que chez ces gens-là, on n’entend qu’une seule voix, la leur, et on ne suit qu’une seule ligne, celle qu’ils tracent. Ils prennent pour faiblesse ou incohérence les moyens termes, les conciliations et les accommodements.

    Devant le président chinois la semaine dernière, Emmanuel Macron a desservi l’Occident et la liberté. Il l’avait déjà fait en croyant négocier avec Poutine alors qu’il se faisait rouler dans la farine. Les autocrates comme les gangsters évaluent des rapports de force (puisqu’ils ne reconnaissent pas de tribunal commun où faire valoir des arguments – ils sont dans la « multipolarité »). Contre eux, il faut faire cause commune. Front contre front. Puissance contre puissance. La « petite voix » est une brèche que l’autocrate élargit pour diviser ses opposants. Sentir la France indécise sur Taïwan (comme Poutine l’avait constaté à propos de l’Ukraine) ne peut qu’enhardir l’autocrate chinois.

    La seule réponse idoine au président Macron est celle qu’on donne aux propos du pépé quand il devient gâteux, « faites pas attention à ce qu’il dit ». Mais malheureusement, lorsqu’il s’agit du président des États-Unis, l’indifférence n’est plus permise. Il y a eu l’orgueil blessé de George W. Busch, tombé comme un bleu dans le piège du 11 septembre (car l’isolationnisme, c’est aussi intervenir militairement, comme en Irak, en bafouant les instances internationales) ; il y a eu l’abyssale nigauderie de Trump, son dédain de ces mêmes instances internationales, et les offrant donc sur un plateau au Parti communiste chinois ; et il n’y a pas de superlatifs (« crétinisme criminel ? », « débilité autodestructrice ? ») pour qualifier les renforts que Fox News , et les nains Républicains, genre Rand Paul, et les têtes non-pensantes au Mises Institute et autres couveuses d’inanité géopolitique, apportent aux communistes chinois et à la camarilla du Kremlin.

    Dans cet embrouillement de déclarations filandreuses et contradictoires, l’opinion publique mondiale ne peut plus percevoir quelle juste cause l’Occident défend.

    Cette cause n’est pas celle d’une rivalité économique avec la Chine. Quoi qu’on dise, les Américains ne craignent pas que la Chine les dépasse économiquement. L’Union européenne affiche un PIB supérieur à celui des États Unis et ça n’empêche personne de dormir à Washington.

    Cette cause n’est pas non plus celle des nationalités, comme aux deux derniers siècles, ni celle des civilisations, incarnées dans un État et ses vassaux, comme l’imaginent Samuel Huntington et Alexandre Douguine . Le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, les Hongkongais sont totalement des Asiatiques. Mais Poutine ne se méprend pas en les incluant dans « l’Occident global ». Car pour cet Occident, il s’agit de défendre l’universalisme de l’aspiration humaine à l’autonomie.

    L’être humain est-il un instrument au service d’un pays ou d’un parti, comme le prétendent la Chine, la Russie et leurs petits suiveurs, Iran, Myanmar, Corée du Nord… ? Ou bien l’être humain est-il une fin en soi, vaut-il par lui-même ? Et alors la société n’existe que pour lui apporter les moyens d’épanouir son humanité. C’est ce rapport entre l’être humain et la société qu’affirme pour l’humanité entière l’Occident des Lumières.

    Si l’Occident global ne confronte pas le Parti communiste chinois et le gang du Kremlin lorsqu’ils agressent leur propre peuple et les peuples voisins, alors quelle cause vaut d’être défendue ? À quel niveau d’horreur dirons-nous que « ça suffit » ?

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      Euthanasie : pourquoi tant d’incompréhension ?

      Patrick Aulnas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 13 January, 2023 - 03:30 · 5 minutes

    Pourquoi une petite minorité de militants très actifs s’oppose-t-elle avec tant d’acharnement à l’euthanasie et au suicide assisté ?

    Ce n’est pas vraiment un mystère puisqu’à chaque évolution sociétale (contraception en 1967, IVG en 1975, PACS en 1999, mariage pour tous en 2013, PMA élargie en 2021) nous assistons à la même tragicomédie jouée par des opposants très minoritaires.

    À chaque fois, il s’agirait selon eux d’un pas gravissime franchi vers l’inconnu, d’une atteinte à des principes moraux anciens et intangibles.

    Un acharnement antidémocratique

    Il n’est pas question ici de revenir pour la énième fois sur les arguments et contrarguments des partisans et opposants à l’euthanasie dite active, mais de tenter de situer la parole des opposants. D’où parles-tu ? Qui représentes-tu ? Eu égard au caractère ultraminoritaire des oppositions à l’euthanasie et au suicide assisté, il ne peut s’agir que de personnes n’accordant pas une importance majeure aux principes de base de la démocratie, en particulier la loi de la majorité. Les sondages sont depuis des années tous concordants : plus de 90 % des Français, et en tout état de cause au moins 80 %, sont favorables à cette liberté nouvelle.

    Les opposants contestent la validité de ces sondages avec quelques arguties. Mais leur nombre, la concordance et la permanence dans le temps des résultats ne permettent pas de douter de l’orientation de l’opinion dans ce domaine. Nul doute que cette opinion publique n’est pas toujours fondée sur la rationalité et que l’émotivité joue un rôle, surtout lorsqu’il s’agit de la maladie et de la mort. Mais il n’y a là rien de spécifique : l’opinion publique est toujours déterminée tout autant par des facteurs émotionnels que rationnels.

    Il s’agit donc bel et bien, en toute conscience, de s’opposer à la volonté d’une écrasante majorité de citoyens, de leur interdire d’accéder à une liberté de choix face à la mort. Là encore, pas de véritable surprise. Les opposants sont regroupés en associations proches des milieux les plus conservateurs, voire réactionnaires, du catholicisme. Les musulmans ou les juifs traditionnalistes sont évidemment sur la même ligne idéologique. Ces ultraconservateurs n’ont jamais éprouvé un amour immodéré pour la liberté ni même pour la démocratie et le principe de majorité. In petto, leur sentiment profond est que les principes traditionnels issus de la religion sont supérieurs aux lois votés par les Parlements. Ils défendent avec acharnement ces principes.

    En l’espèce, leur approche consiste à penser ou plutôt à croire que la vie et la mort des êtres humains relèvent de la volonté d’une divinité et non de la liberté des Hommes. On comprend alors que le fait d’aider une personne qui le souhaite à quitter la vie soit perçu comme une atteinte majeure à la sacralité de la vie. Ces traditionnalistes ne comprennent probablement pas que pour un athée ou agnostique, un tel geste, sans aucun doute très difficile à accomplir, représente un ultime témoignage d’amour et de respect de la libre volonté d’une personne.

    Électoralisme de droite, hypocrisie de gauche

    Alors qu’une législation autorisant l’euthanasie et/ou le suicide assisté a été adoptée dans de nombreux pays (Belgique Suisse, Pays-Bas, Luxembourg, Canada Colombie, Oregon, Californie, etc.), l’extrême timidité de la classe dirigeante française sur ce sujet interroge. L’expérience existe et n’a entraîné aucune difficulté majeure, aucun bouleversement dans la société, aucun abus du fait même de l’encadrement extrêmement strict de l’assistance à mourir. Alors, pourquoi tant d’hésitations en France, pourquoi tant de controverses déjà mille fois abordées ailleurs ?

    L’aspect purement électoraliste toujours minutieusement observé par les politiciens professionnels ne concerne vraiment que la droite. Elle risque de perdre un nombre d’électeurs sans doute assez faible mais significatif eu égard aux faibles différences de nombre de voix entre les candidats. La prudence de droite peut donc être intéressée, purement politicienne.

    Bien que l’électorat de gauche soit, lui, massivement favorable à une évolution de la législation, la présidence de François Hollande (2012-2017) n’a fait qu’un pas de clerc dans ce domaine avec la Loi Léonetti (2016) autorisant la « sédation profonde et continue », c’est-à-dire l’endormissement définitif et profond du patient et l’arrêt des soins. Pour beaucoup de personnes favorables à l’euthanasie, il s’agit de la dernière torture possible médicalement. Pourquoi ne pas délivrer le patient, s’il le souhaite, d’une vie qui n’en est plus une ? Pour de pures raisons idéologico-religieuses bien évidemment. Accepter la sédation profonde, c’est en réalité aujourd’hui en France souhaiter quitter la vie sans le pouvoir. Quelle épouvantable hypocrisie !

    Mutation anthropologique ?

    Le thème du changement anthropologique a souvent été évoqué par les opposants à l’euthanasie.

    Ce thème fait l’objet de débats universitaires mais dans un cadre beaucoup plus large. Simple dans son principe, la question peut mener à des développements complexes et très hypothétiques. Voici.

    L’évolution extrêmement rapide de nos sociétés depuis un siècle conduit-elle à l’apparition d’un nouveau type d’individu ? Sommes-nous en présence d’une évolution en profondeur de l’espèce humaine par rapport à ce qu’elle était durant les siècles passés ? Pour traiter le sujet il faut aborder ses aspects économiques (élévation considérable du niveau de vie en Occident), politique (la démocratie), technologiques (la numérisation de l’information, les biotechnologies, etc.) psychologiques, sociologiques, etc. Si le problème de la fin de vie (liée en partie à la technologie médicale car auparavant on mourait rapidement) fait bien partie du sujet de l’éventuelle mutation anthropologique, il n’en est qu’un aspect très particulier.

    Prétendre qu’à elle seule la possibilité de finir sa vie librement avec l’aide d’autrui représente un bouleversement anthropologique relève du mensonge ou du fantasme d’idéologues en mal de justifications conceptuelles.

    Crispation et pusillanimité

    La crispation conservatrice face une liberté nouvelle ne surprend pas. Mais la pusillanimité de tous les gouvernants français étonne car ils semblent hésitants face à une population déterminée. L’étonnement est d’autant plus grand que de multiples expériences étrangères peuvent être analysées. De toute évidence, nous n’irions pas vers l’inconnu ni vers un changement majeur comme aiment à le croire les opposants.

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      chapitre 17 À quoi sert l'école ? extrait 27

      Angélique Andthehord · Wednesday, 9 November, 2022 - 09:43

    Monsieur Bébert s'en sortait bien, vu qu'il n'y avait jamais de devoirs à faire à la (?) maison, en cours de gym. Il passa donc au paragraphe suivant. Pareil que précédemment, il le lut une fois et le reformula à la manière d'un rebelle.

    Pareil que précédemment, le petit groupe de cinq ou six filles pétulantes, au milieu de la colonne de droite, clamèrent un grand « non ! », tandis que tout le reste de notre grande classe d'une trentaine d'élèves était triste et silencieux ; puis se firent entendre des voix pondérées de bonnes élèves qui reconnaissaient qu'effectivement, il y avait quelque chose qui clochait dans le règlement bien qu'il avait du bon.

    Pareil que précédemment, un débat s'ouvrit et toute la classe tomba d'accord sur une juste correction à apporter à ce paragraphe.


    extrait de : C'est beau, de rêver


    #école #classe #projet #choix #élèves #règlement #rejet #dialogue #concertation #plaisanterie #sérieux #sagesse #correction #compromis #débat

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      chapitre 17 À quoi sert l'école ? extrait 26

      Angélique Andthehord · Tuesday, 8 November, 2022 - 15:24 · 1 minute

    Monsieur Bébert laissa s'exprimer toutes celles qui le voulurent. Les premières à prendre la parole furent des bonnes élèves. D'autres souhaitèrent intervenir. Il y eut concertation. Il en ressortit que même les meilleures élèves n'étaient pas d'accord sur tout. Que l'école fût obligatoire ou non, elles avaient fait le choix de venir étudier et acceptaient les règles édictées au sein des cours. En revanche, chez nous, c'est notre vie privée, c'est à nous de la mener à notre guise, en principe. Que le professeur suggère des exercices, donne des pistes pour qui veut approfondir ce qu'on a vu en cours, ce serait le bienvenu mais des devoirs imposés, c'est plus une gêne qu'autre chose et ce n'est pas juste.

    D'autres élèves, dans la classe, avaient plus de réticence à venir par obligation ou à venir tout court, pour diverses raisons qui leur étaient personnelles mais c'était leurs parcours à elles et elles n'avaient pas l'intention de causer de dérangement à celles qui voulaient étudier en classe. De plus, ce concept de respect de la vie privée, avec devoirs à la maison proposés et non plus imposés leur plaisait et elles se dirent prêtes à accepter le compromis.

    Toute la classe tomba d'accord là-dessus.


    extrait de : C'est beau, de rêver


    #école #classe #ennui #enfance #projet #choix #élèves #règlement #obligation #contrainte #dialogue #concertation #sérieux #justice #sagesse #correction #compromis #débat

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      chapitre 17 À quoi sert l'école ? extrait 25

      Angélique Andthehord · Monday, 7 November, 2022 - 12:11

    Si on veut protéger son rire du danger d'être cassé, il faut le laisser rangé dans son cartable. Moi, je ne l'amenais même pas à l'école.

    Comme chacun sait, un enfant qui ne rit pas est un enfant traumatisé donc le règlement scolaire est traumatisant.

    Bon, moi, ce que j'en dis… je n'étais pas la seule à ne pas rire à la lecture du règlement scolaire mais j'étais la seule à pleurer, toute seule dans mon coin, tout au long de l'année scolaire. Alors, écoutons ce que les autres avaient à en dire !


    extrait de : La guerre folle et de : C'est beau, de rêver


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      10 moyens d’avoir toujours raison avec Schopenhauer

      Damien Theillier · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 6 November, 2022 - 03:30 · 10 minutes

    Dans son petit livre, L’art d’avoir toujours raison ou Dialectique éristique , publié en 1864 à Leipzig, Arthur Schopenhauer nous propose un véritable manuel d’auto-défense intellectuelle ou de communication de crise.

    Que faire lorsque l’on est à court d’argument ? Voici dix stratagèmes parmi les 38 que suggère Schopenhauer, ainsi que sa conclusion finale.

    L’auteur commence par distinguer la logique et la dialectique.

    La logique est la science des principes de la démonstration. Elle concerne la recherche de la vérité objective.

    La science de la dialectique, dans le sens que lui donne Schopenhauer, a pour principal but d’établir et d’analyser les stratagèmes malhonnêtes afin qu’ils puissent être immédiatement identifiés dans un débat réel, et écartés.

    « C’est ainsi que l’on peut voir la dialectique : comme l’art de l’escrime mental, et ce n’est qu’en la considérant ainsi que l’on peut en faire une discipline à part entière » .

    Elle est l’art de se défendre contre tout type d’attaque, et l’art d’attaquer toute thèse adverse sans se contredire soi-même.

    Car les êtres humains ne pèchent pas facilement contre les lois de la logique. Ils manquent rarement de logique naturelle. Ainsi, « étudier la logique en vue de ses avantages pratiques , écrit-il, ce serait vouloir apprendre au castor à bâtir sa hutte » . En revanche, il n’y a pas de dialectique naturelle ou innée. Celle-ci s’apprend.

    C’est pourquoi « il arrive souvent que, bien que l’on ait raison, on se laisse confondre ou réfuter par une argumentation spécieuse, ou inversement ; et celui qui sort vainqueur du débat doit bien souvent sa victoire non pas tant à la justesse de son jugement quand il soutient sa thèse qu’à l’astuce et à l’adresse avec lesquelles il l’a défendue. »

    Résumons donc en 10 points les grandes idées exposées par l’auteur dans ce manuel de controverse.

    1) Ne pas confondre véracité et validité d’une thèse

    La dialectique éristique est l’art de la controverse, celle que l’on utilise pour avoir raison par tous les moyens, aussi bien honnêtes et rationnels que malhonnêtes et sophistiques car il peut arriver un moment où les arguments traditionnels ne suffisent plus à emporter la conviction de l’auditoire.

    Cela n’implique pas nécessairement que notre thèse soit fausse. Cela signifie simplement que l’argument décisif nous échappe temporairement. En effet, si un adversaire réfute une preuve, et par là donne l’impression de réfuter notre thèse, il peut pourtant exister d’autres preuves.

    Les rôles ont donc été inversés : l’adversaire donne l’impression d’avoir raison alors qu’il a objectivement tort. Ainsi, la véracité objective d’une phrase et sa validité pour le débatteur et l’auditeur sont deux choses différentes. C’est précisément sur cette validité que repose la dialectique.

    2) Ne pas s’engager dans une controverse avec le premier venu

    « Sur cent personnes , écrit Schopenhauer, il s’en trouve à peine une qui soit digne qu’on discute avec elle ». La controverse est souvent bénéfique aux deux parties car elle leur permet de rectifier leurs propres idées et de se faire aussi de nouvelles opinions.

    Mais il faut que les deux adversaires soient à peu près du même niveau en savoir et en intelligence. Si le savoir manque à l’un, il ne comprend pas tout et n’est pas au niveau. Si c’est l’intelligence qui lui manque, l’irritation qu’il en concevra l’incitera à recourir à la mauvaise foi, à la ruse et à la grossièreté.

    Schopenhauer rappelle ces paroles de Voltaire : « La paix vaut encore mieux que la vérité » .

    3) Les deux méthodes d’argumentations

    Ad rem

    Nous devons démontrer lors du débat que cette thèse n’est pas en accord avec la nature des choses, avec la vérité objective.

    Ad hominem (ou ex concessis)

    Il faut dans ce cas démontrer qu’une thèse adverse contredit d’autres affirmations ou concessions de l’adversaire. Il ne s’agit alors que d’une preuve relative n’ayant rien à voir avec la vérité objective.

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    4) Les deux méthodes de réfutation

    Directe

    La réfutation directe attaque la thèse adverse dans ses fondements, soit en démontrant que les prémisses sont fausses, soit en démontrant que les conclusions n’en découlent pas (négation de la conséquence).

    Indirecte

    La réfutation indirecte attaque la thèse sur ses conséquences, soit en démontrant que la thèse conduit à une conséquence objectivement fausse, soit en trouvant un cas particulier compris dans le champ de la thèse mais auquel elle ne peut s’appliquer.

    Schopenhauer nous donne un exemple de ces méthodes :

    « Lors d’une discussion concernant la philosophie, j’ai admis que mon système soutenait les Quiétistes et les louait. Peu après, la conversation dévia sur Hegel et j’ai maintenu que ses écrits étaient pour la plupart ridicules, ou du moins, qu’il y avait de nombreux passages où l’auteur écrivait des mots en laissant au lecteur le soin de deviner leur signification.

    Mon adversaire ne tenta pas de réfuter cette affirmation ad rem, mais se contenta de l’argumentum ad hominem en me disant que je faisais la louange des Quiétistes alors que ceux-ci avaient également écrit de nombreuses bêtises. J’ai admis ce fait, mais pour le reprendre, j’ai dit que ce n’était pas en tant que philosophes et écrivains que je louais les Quiétistes, c’est-à-dire de leurs réalisations dans le domaine de la théorie, mais en tant qu’hommes et pour leur conduite dans le domaine pratique, alors que dans le cas d’Hegel, nous parlions de ses théories. Ainsi ai-je paré l’attaque ».

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    5) Plus une thèse est générale et plus il est facile de l’attaquer et de la réfuter

    Ici la stratégie consiste à reprendre la thèse adverse en l’élargissant hors de ses limites naturelles, en lui donnant un sens aussi général et large que possible et l’exagérer.

    Inversement, il est possible de défendre ses positions en réduisant davantage les limites dans lesquelles elles s’appliquent initialement.

    6) Cacher son jeu

    Lorsque l’on désire tirer une conclusion, il ne faut pas que l’adversaire voit où l’on veut en venir, mais quand même lui faire admettre les prémisses une par une, l’air de rien, sans quoi l’adversaire tentera de s’y opposer par toutes sortes de chicanes.

    S’il est douteux que l’adversaire admette les prémisses, il faut établir des prémisses à ces prémisses, faire des pré-syllogismes et s’arranger pour les faire admettre, peu importe l’ordre. Vous cachez ainsi votre jeu jusqu’à ce que votre adversaire ait approuvé tout ce dont vous aviez besoin pour l’attaquer.

    7) Forcer l’adversaire à l’exagération

    La contradiction et la dispute incitent l’homme à l’exagération.

    Nous pouvons ainsi par la provocation inciter l’adversaire à aller au-delà des limites de son argumentation pour le réfuter et donner l’impression que nous avons réfuté l’argumentation elle même. De même, il faut faire attention à ne pas exagérer ses propres arguments sous l’effet de la contraction. L’adversaire cherchera souvent lui-même à exagérer nos arguments au-delà de leurs limites et il faut l’arrêter immédiatement pour le ramener dans les limites établies : « Voilà ce que j’ai dit, et rien de plus. »

    8) Fâcher l’adversaire

    Provoquez la colère de votre adversaire : la colère voile le jugement et il perdra de vue où sont ses intérêts. Il est possible de provoquer la colère de l’adversaire en étant injuste envers lui à plusieurs reprises, ou par des chicanes, et en étant généralement insolent.

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    9) Faire diversion

    Lorsque l’on se rend compte que l’on va être battu, on peut faire une diversion, c’est-à-dire commencer à parler de quelque chose de complètement différent, comme si ça avait un rapport avec le débat et consistait en un argument contre votre adversaire.

    10) Ultime stratagème : soyez insultant et malpoli

    Lorsque l’on se rend compte que l’adversaire nous est supérieur et nous ôte toute chance de gagner par la raison, il faut alors devenir blessant, insultant, malpoli.

    Cela consiste à passer du sujet de la dispute (que l’on a perdu), au débateur lui-même en attaquant sa personne. On pourrait appeler cela l’ argumentum ad personam pour le différencier de l’ argumentum ad hominem .

    Et voici l’admirable conclusion de notre philosophe misanthrope :

    « Cette attitude est souvent rencontrée, […] même si on prend grand soin de ne pas être désobligeant. [Car le problème est] qu’en démontrant tranquillement à quelqu’un qu’il a tort et que par voie de conséquence il juge et pense de travers, ce qui est le cas dans toute victoire dialectique, on l’ulcère encore plus que par des paroles grossières et blessantes. Pourquoi ? Parce que comme dit Hobbes : « Toute volupté de l’esprit, toute bonne humeur vient de ce qu’on a des gens en comparaison desquels on puisse avoir une haute estime de soi-même. » Rien n’égale pour l’homme le fait de satisfaire sa vanité, et aucune blessure n’est plus douloureuse que de la voir blessée. Cette satisfaction de la vanité naît principalement du fait que l’on se compare aux autres, à tout point de vue, mais surtout au point de vue des facultés intellectuelles. C’est justement ce qui se passe effectivement et très violemment dans toute controverse. D’où la colère du vaincu, sans qu’on lui ait fait de tort, d’où son recours à ce dernier expédient, à ce dernier stratagème. […] Toutefois, en tant que joute de deux esprits, la controverse est souvent bénéfique aux deux parties car elle leur permet de rectifier leurs propres idées et de se faire aussi de nouvelles opinions. Seulement, il faut que les deux adversaires soient à peu près du même niveau en savoir et en intelligence. Si le savoir manque à l’un, il ne comprend pas tout et n’est pas au niveau. Si c’est l’intelligence qui lui manque, l’irritation qu’il en concevra l’incitera à recourir à la mauvaise foi, à la ruse et à la grossièreté. […]

    La seule parade sûre est donc celle qu’Aristote a indiquée : ne pas débattre avec le premier venu mais uniquement avec les gens que l’on connaît et dont on sait qu’ils sont suffisamment raisonnables pour ne pas débiter des absurdités et se couvrir de ridicule. Et dans le but de s’appuyer sur des arguments fondés et non sur des sentences sans appel ; et pour écouter les raisons de l’autre et s’y rendre ; des gens dont on sait enfin qu’ils font grand cas de la vérité, qu’ils aiment entendre de bonnes raisons, même de la bouche de leur adversaire, et qu’ils ont suffisamment le sens de l’équité pour supporter d’avoir tort quand la vérité est dans l’autre camp. Il en résulte que sur cent personnes il s’en trouve à peine une qui soit digne qu’on discute avec elle. Quant aux autres, qu’on les laisse dire ce qu’elles veulent car desipere est juris gentium (c’est un droit des gens que de délirer…) »

    — Arthur Schopenhauer, L’art d’avoir toujours raison , 1830

    Sur le web

    Article publié initialement le 30 août 2016.

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      Mathias Poujol-Rost ✅ · Wednesday, 2 February, 2022 - 17:32

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