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      Souveraineté industrielle et technologique : l’Europe a-t-elle la bonne méthode ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 22 January, 2023 - 04:15 · 6 minutes

    Par Philbert Carbon.
    Un article de l’IREF France

    C’est sous cet intitulé alléchant que s’est tenue, le 10 janvier 2023, une soirée-débat à l’initiative de La Fabrique de l’industrie , le think tank de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM).

    Pour commencer, arrêtons-nous sur le mot « souveraineté » qui a bien besoin d’être défini. Le co-président de La Fabrique de l’industrie, Pierre-André de Chalendar, par ailleurs président du groupe Saint-Gobain, rappela que souveraineté ne veut pas dire indépendance ni autarcie. La souveraineté, comme l’indique une note du think tank , « consiste à ne pas dépendre de la bienveillance d’autrui pour satisfaire certains besoins et à pouvoir agir sans être soumis à la volonté d’un autre État ou d’une entreprise ».

    Le mot est apparu récemment dans l’actualité à la faveur de la pandémie de covid et de la guerre en Ukraine . C’est en effet lors de ces crises – qui ne sont pas terminées – que beaucoup de Français ont pris conscience que nous étions dangereusement dépendants de l’étranger pour un grand nombre de produits, du fait notamment de la désindustrialisation de notre pays .

    Les politiques européennes contribuent à la perte de souveraineté

    Ce soir-là la représentante de la Commission européenne, Astrid Cousin, assura l’auditoire que la politique de l’institution consistait à construire un marché intérieur – qui a fêté bien discrètement son 30 e anniversaire le 1 er janvier – « fort et résilient ». Mme Cousin détailla alors l’arsenal déployé pour ce faire par la DG Concurrence à laquelle elle est rattachée : révision des règles pour favoriser les transitions écologiques et numériques ; lutte contre les abus de position dominante ; contrôle des subventions des pays tiers, etc. Elle mit également en avant les milliards d’euros d’aides arrosant le continent : programme de financement de l’innovation ; chips act pour remédier aux pénuries de semi-conducteurs ; subventions en réponse à l’ IRA ( inflation reduction act ) annoncé par Joe Biden ; etc.

    C’est peu dire que Mme Cousin n’a pas vraiment convaincu la salle ni les autres orateurs. Ceux-ci – de Marie-Claire Cailletaud de la CGT aux co-présidents de La Fabrique de l’industrie, Pierre-André de Chalendar et Louis Gallois – se sont évertués à rappeler combien la Commission européenne pouvait mettre des bâtons dans les roues des entreprises.

    On peut citer, par exemple, une politique énergétique qui a découragé les investissements et qui aboutit à une explosion des prix et à une dépendance accrue de l’étranger. Ou la « taxonomie verte » qui exclut, on se demande bien pourquoi, l’hydrogène produit à partir du nucléaire. Et quand l’Union européenne réagit, c’est, comme l’ont souligné plusieurs intervenants, petitement et à retardement. Ainsi, souhaite-t-elle favoriser l’implantation de gigafactories de batteries électriques mais elle oublie que les machines pour fabriquer ces batteries viennent toutes d’Asie et que celles qui nous arrivent ne sont pas de la dernière génération ! Pour longtemps encore dans ce domaine, quoi qu’on en dise, l’Europe restera à la remorque des leaders mondiaux. Comme elle l’est dans le voltaïque où 8 des 10 premiers fabricants mondiaux sont asiatiques. Et que dire dans le domaine du numérique, sinon, comme l’ancien commissaire général à l’investissement Louis Gallois, que l’Europe est « une colonie des États-Unis » ?

    Et que dire de la politique anti-concentration qui, au nom d’une conception erronée de la concurrence, empêche la naissance de champions européens ? N’est-ce pas, par exemple, Bruxelles qui a interdit la fusion Alstom-Siemens ?

    Les politiques françaises accroissent le problème

    Il serait cependant abusif de mettre toutes les difficultés de l’industrie française sur le dos de l’Europe. Les politiques françaises ont également leur part de responsabilité.

    Comme l’indiquait un article de La Tribune il y a quelques mois, « La France [est le] seul pays à s’enfoncer dans un déficit commercial abyssal avec ses partenaires de l’UE ».

    Sur le plan mondial, en 2021 nous avons connu le pire déficit commercial de notre histoire (109,7 milliards d’euros), alors que l’Allemagne a eu un solde positif de 178,4 milliards d’euros, les Pays-Bas de 66,1 milliards, l’Italie de 44,2 milliards, la Belgique de 29,6 milliards. Ici, ce n’est donc pas l’UE qui est un obstacle.

    Autre exemple donné par Sarah Guillou de l’OFCE : ces dernières années la France a investi plus d’argent public que l’Allemagne et le Royaume-Uni dans l’intelligence artificielle mais elle a déposé moins de brevets que ces pays. Ici non plus, ce n’est pas l’UE qui est à blâmer.

    Il est indéniable qu’en étant championne de la pression fiscale et en renchérissant constamment sur la réglementation européenne , la France tue son industrie et plus largement ses entreprises et ses emplois. En creusant ses déficits et en alourdissant chaque jour la charge de sa dette, elle obère son avenir.

    Quelles solutions ?

    Pour sortir de cette impasse, les solutions sont multiples et l’IREF en a déjà proposé de nombreuses .

    Ce qui est certain, c’est qu’elles ne consistent pas à augmenter les investissements publics comme l’a réclamé Louis Gallois, énarque et ancien fonctionnaire comme son compère Pierre-André de Chalendar, tous deux éminents représentants de ce « capitalisme de connivence » qui est probablement une des causes de nos problèmes.

    En effet, nous sommes persuadés que l’argent public (via la BPI par exemple) n’aboutit qu’à du mal investissement. Comme l’a précisé Olivier Coste, entrepreneur et ancien conseiller de Lionel Jospin à Matignon, l’investissement privé en R&D dans ce que l’on appelle la « tech » est cinq fois moindre en Europe (40 milliards en 2020) qu’aux États-Unis (200 milliards). Et si les États-Unis mettent autant d’argent privé dans la « tech », c’est parce qu’ils ont des leaders mondiaux (les fameux Gafam tant honnis chez nous) qui peuvent investir.

    Si ces Gafam sont nés aux États-Unis, ce n’est pas un hasard. Comme a tenté de le faire comprendre Olivier Coste à un auditoire quelque peu sceptique, c’est notamment « parce que les entreprises y embauchent rapidement, quitte à devoir licencier rapidement ». En Europe, a-t-il ajouté, les entreprises n’osent pas embaucher sur des projets risqués, qui donc ne démarrent pas.

    Il est vrai qu’aux États-Unis, « une réduction d’effectifs de centaines ou de milliers d’emplois peut être réalisée en quelques semaines. Le coût total pour l’entreprise se chiffre en semaines de salaires, autour de 20 000 dollars par personne » pour des individus qualifiés de la « tech ». En France, une telle opération dans une grande entreprise peut durer un an et coûter 200 000 euros par personne. En Allemagne, c’est pire, affirme Olivier Coste : 18 mois et 250 000 euros par personne.

    Or, les marchés de la « tech » évoluent très vite, à la hausse comme à la baisse. Les entreprises doivent par conséquent pouvoir adapter rapidement leurs effectifs. Elles peuvent le faire aux États-Unis – mais aussi en Inde ou en Chine –, pas en Europe où les coûts des restructurations sont, en plus, exorbitants. C’est ainsi qu’une décision d’investissement dans la « tech », par nature risquée (le taux de succès est de l’ordre de 20 %), devient déraisonnable en Europe du fait des coûts de restructuration.

    Par conséquent, l’Europe – et singulièrement la France – ne donnera jamais naissance à des champions de la « tech » tant que les délais et les coûts des restructurations seront aussi importants.

    Entendre un ancien conseiller d’un Premier ministre socialiste affirmer qu’il faut s’attaquer au droit du travail, n’était pas le moins intéressant de cette soirée-débat.

    Sur le web

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      Homophobie: Idrissa Gueye peut-il être sanctionné par le PSG?

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Tuesday, 17 May, 2022 - 15:15 · 4 minutes

    Après qu'il a refusé de porter un maillot floqué aux couleurs du drapeau LGBT, Idrissa Gueye sera-t-il sanctionné par le Paris Saint-Germain? Photo d'archive prise à l'occasion d'un match de Ligue des Champions, le 7 décembre dernier au Parc des Princes. Après qu'il a refusé de porter un maillot floqué aux couleurs du drapeau LGBT, Idrissa Gueye sera-t-il sanctionné par le Paris Saint-Germain? Photo d'archive prise à l'occasion d'un match de Ligue des Champions, le 7 décembre dernier au Parc des Princes.

    FOOTBALL - Quelles suites après l’indignation? En se faisant porter pâle lors du déplacement du Paris Saint-Germain à Montpellier samedi 14 mai pour ne pas avoir à arborer un maillot floqué aux couleurs du drapeau LGBT+ , le footballeur Idrissa Gana Gueye a créé la polémique et attiré de nombreuses critiques. Jusqu’à se faire sanctionner par son club?

    En cette journée mondiale de lutte contre l’homophobie et la transphobie , la question revient avec insistance. Notamment du côté de Valérie Pécresse ou dans la bouche de la ministre des Sports Roxana Maracineanu , qui a insisté au cours d’une interview au Parisien sur le fait que la sanction devrait quoi qu’il arrive émaner de l’employeur du milieu de terrain, et non pas d’une instance extérieure.

    “Je ne vais pas me substituer à son employeur, c’est à lui de voir quelles suites donner à cette affaire”, a ainsi déclaré l’ancienne nageuse, estimant pour sa part que la décision d’Idrissa Gueye, même si “nous sommes en démocratie” et donc que le jeune homme est libre d’agir à sa guise, est “regrettable”.

    Les “convictions religieuses”, pas une excuse pour manquer un match

    En l’occurrence, les textes de loi sont clairs: un employeur ne peut pas interdire au salarié d’avoir une “conviction religieuse”, le motif invoqué par l’entourage du milieu de terrain sénégalais pour justifier sa décision de ne pas porter le maillot anti-homophobie.

    Toutefois, cette liberté s’accompagne de garde-fous. Comme le précise le Code du travail , un salarié ne peut pas invoquer sa religion comme un motif pour refuser d’exécuter des tâches pour lesquelles il a été embauché au départ. Ce qui signifie que s’il l’avait souhaité, le PSG aurait pu exiger d’Idrissa Gueye qu’il participe à la rencontre de samedi, d’autant qu’il avait fait le voyage dans l’Hérault avec le reste de ses coéquipiers.

    Reste donc à savoir si une sanction peut être prise par le club de la capitale contre son joueur de 32 ans. D’après France Bleu Paris , la direction parisienne n’en aurait pas l’intention, mais comme le rapportent plusieurs médias dont L’Équipe , le service juridique et celui des ressources humaines du PSG suivent l’affaire de près. Et d’après le média spécialiste du club CulturePSG , d’un rappel à l’ordre à la suppression de la “prime d’éthique”, différentes possibilités de sanction pourraient être envisagées.

    Une évolution dans l’attitude du PSG

    Car au-delà du cas personnel d’un joueur qui a pris part à 30 rencontres toutes compétitions confondues cette année, il y a les répercussions de l’affaire sur le club. D’une part, dans une saison une nouvelle fois décevante sur le plan sportif, l’idée de voir un homme décider de lui-même s’il accepte de jouer ou non une rencontre pourrait écorner encore un peu plus l’image du PSG.

    Et ensuite, ne pas réagir avec fermeté minimiserait l’impact des initiatives prises par le club contre les discriminations (interventions d’associations auprès des jeunes, campagnes de communication...).

    Ce qui explique l’évolution dans l’attitude du Paris Saint-Germain dans ce genre de cas. En 2014, dans un documentaire diffusé par Canal+, le défenseur brésilien Marcos Ceara expliquait ne pas être “vraiment pour l’homosexualité”, arguant du fait que cela sortait “un peu du projet de Dieu”. Et son compère Alex d’ajouter que “Dieu aurait créé non pas Adam et Eve mais Adam et Yves” s’il était favorable à l’homosexualité. Des propos qui n’avaient même pas été commentés par le PSG à l’époque.

    Puis l’an passé, alors qu’Idrissa Gueye séchait, déjà, la journée contre l’homophobie et le port du maillot orné des couleurs arc-en-ciel, son coach l’avait couvert, évoquant une “gastro”.

    Le club renvoie Gueye à ses responsabilités

    Mais cette année, le ton a changé. D’emblée, Mauricio Pochettino, l’entraîneur parisien, a parlé de “raisons personnelles” derrière le forfait du milieu de terrain, laissant la presse aller interroger l’intéressé.

    Puis dans un second temps, dans un communiqué, le club a reconnu en creux les raisons de l’absence de son joueur, lui renvoyant encore une fois la balle. “Idrissa Gueye n’était pas dans le groupe pour des raisons personnelles et individuelles, peut-on y lire. Le Paris Saint-Germain a toujours tenu à combattre toute forme de discrimination et l’a une nouvelle fois fait samedi.”

    Une attitude à laquelle le joueur goûte peu, d’après L’Équipe et Le Parisien , lui qui a déjà fait l’objet d’une campagne de dénigrement cette saison après un tacle un peu trop appuyé sur Kylian Mbappé à l’entraînement dont les images avaient été diffusées. Or avec seulement un an de contrat dans la capitale, c’est peut-être le signe que les chemins du Paris Saint-Germain et d’Idrissa Gueye s’apprêtent à se séparer.

    À voir également sur le HuffPost : Depardieu s’adresse à Mbappé dans sa 1ère story Instagram

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      Réindustrialisation : un enjeu vital pour l’avenir du pays

      Claude Sicard · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 23 February, 2021 - 03:30 · 11 minutes

    Réindustrialisation

    Par Claude Sicard.

    Les Français auxquels on a toujours dit que le pays est une grande puissance, en position numéro six dans le monde, sont stupéfaits de découvrir avec la crise du  coronavirus qu’il est extrêmement dépendant de l’étranger pour un très grand nombre de produits, y compris les plus essentiels comme les médicaments. Ceux-ci proviennent presque tous de l’Inde ou de la Chine .

    Il en va de même pour les respirateurs artificiels dont nos hôpitaux ont besoin pour équiper les services de réanimation : les Allemands ont deux fabricants, la Suisse en a un, d’ailleurs très réputé ; et la France zéro…

    Ces jours-ci les journaux nous apprennent que nos usines automobiles sont à l’arrêt en raison d’une grave pénurie de semi-conducteurs : ce sont essentiellement les Taïwanais qui nous approvisionnent, le groupe TSMC détenant à lui seul 55 % du marché mondial.

    Bruno Le Maire s’en alarme et déclare que « notre dépendance vis-à-vis de l’Asie est excessive et inacceptable. »

    Aussi, depuis la fin des Trente glorieuses les pouvoirs publics ont aveuglément plongé la France dans la mondialisation et font soudain marche arrière : ils affichent depuis quelques mois leur ferme volonté de relocaliser bon nombre de fabrications , accordant même maintenant des aides aux industriels afin qu’ils rapatrient leurs productions.

    Prise de conscience tardive et douloureuse

    Ce souci de réindustrialisation né de la recherche d’une moindre dépendance vis-à-vis de l’étranger va sans doute permettre à nos dirigeants de découvrir enfin que l’avenir du pays se joue sur sa capacité à se réindustrialiser. Au moins la crise du coronavirus aura-t-elle eu un effet bénéfique : replacer l’industrie au centre des préoccupations du gouvernement car fondamental pour l’avenir du pays. Mais il faudra une réindustrialisation essentiellement basée sur  de nouvelles technologies.

    Nos différents gouvernements avaient considéré jusqu’ici d’un très bon œil que le pays se désindustrialise, pensant que c’était là le signe même de sa modernisation.

    Après la fin des Trente glorieuses, l’élite aux commandes a été marquée par les travaux de Jean Fourastié , l’auteur du livre Le grand espoir du XXe siècle , un ouvrage très documenté dans lequel cet économiste a montré qu’en se développant, les sociétés passent obligatoirement du secteur primaire, l’agriculture et la pêche, au secteur secondaire, l’industrie, puis ensuite au secteur tertiaire, celui des services.

    Ainsi pouvait-on conclure qu’une société moderne n’offrirait plus que des activités relevant du secteur tertiaire. Le monde s’organiserait selon un schéma où les activités industrielles seraient transférées vers les pays en voie de développement dont l’abondante main-d’œuvre bon marché se chargerait des tâches ingrates et salissantes de la production industrielle ; les pays développés se consacrant aux  tâches nobles de la connaissance et du savoir.

    Ainsi, les pays occidentaux échangeraient leur savoir contre les biens manufacturés dont ils ont besoin, fabriqués à bas prix dans les pays sous-développés. C’était encore à l’ère de la suprématie de l’Homme blanc dans le monde : un stéréotype aujourd’hui totalement dépassé.

    Dans le cadre de cette stratégie, la Chine est non seulement est devenue l’usine du monde , mais a aussi rattrapé à pas de géant son retard technologique. Elle a su exiger des transferts de technologie des pays occidentaux qui installaient des usines chez elle pour bénéficier des coûts très bas d’une main-d’œuvre obéissante et habile. Elle a pratiqué l’espionnage industriel pour piller les savoir-faire des Occidentaux, et elle a eu l’intelligence d’envoyer ses meilleurs étudiants se former dans les grandes universités américaines.

    Aujourd’hui, la Chine dispose d’autant de chercheurs que les États-Unis, elle dépose davantage de brevets chaque année que les Américains, et a pour projet de devenir le numéro un mondial dans le domaine de l’intelligence artificielle. En 2016 elle est passée devant les États-Unis en nombre d’articles scientifiques publiés. Elle est le premier exportateur mondial de TIC (Technologie de l’information et de la communication) et de produits de haute technologie. Le géant chinois Huawei s’est lancé dans une course à l’innovation avec Samsung et Apple.

    La France a ainsi vu fondre à grande vitesse son secteur industriel, est devenue le pays d’Europe le plus désindustrialisé , la Grèce mise à part. Son secteur industriel ne concourt plus que pour 10% seulement à la formation du PIB, alors qu’en Allemagne il représente 23 %, la moyenne des pays de l’OCDE se situant à 20 %.

    Le ministre de l’Économie a déclaré récemment, en présentant son plan de relance industrielle : « Nous avons laissé partir nos usines, nos compétences, des filières entières depuis 20 ou 30 ans. » Il a évoqué un « scandale économique », « une faute politique ».

    Il faut comprendre l’enchaînement fatal dans lequel se sont trouvés entraînés nos dirigeants en laissant fondre notre industrie. Il s’agit d’une spirale descendante dangereuse. L’industrie est un secteur qui crée beaucoup de richesse, directement et indirectement. En laissant péricliter le secteur secondaire le pays s’est appauvri.

    Pour soutenir le niveau de vie des Français, les gouvernements successifs ont été contraints d’effectuer des dépenses sociales de plus en plus importantes . Elles sont devenues les plus élevées de tous les pays de l’OCDE en proportion du PIB. Ces dépenses sociales régulièrement croissantes ont gonflé les dépenses publiques, lesquelles ont conduit les gouvernements à augmenter d’année en année les prélèvements obligatoires ; ceux-ci se révélant toujours insuffisants, les pouvoirs publics ont fait appel à l’endettement afin de boucler chaque année le budget.

    Ce mécanisme s’est amorcé il y a quarante ans. En 2019 l’endettement du pays a atteindre 100 % du PIB .

    En 2020 la pandémie du coronavirus est venue se greffer sur ce phénomène structurel, aggravant très sérieusement la situation de l’économie française.

    L’endettement a fortement augmenté, et va exploser pour atteindre 122 % du PIB fin 2021 , car les pouvoirs publics ont été pris au dépourvu pour soutenir l’activité économique. Le « quoi qu’il en coûte » du Président s’est imposé, et les vannes de l’endettement ont été ouvertes sans modération.

    Les économistes n’ont pas su sensibiliser en temps voulu les pouvoirs publics sur l’importance capitale de l’industrie pour assurer la prospérité d’un pays et procurer les éléments lui permettant d’avoir dans le monde une position politiquement forte. Seuls quelques grands économistes ont tiré la sonnette d’alarme, tout particulièrement Elie Cohen et Christian Saint-Étienne .

    On sait combien sont montées en épingle, lorsqu’elles se réalisent, les ventes de Rafale, ces avions de combat de la firme Dassault, et on s’enorgueillit de pouvoir doter l’Australie de sous-marins ultra-modernes. Mais le gouvernement n’a pas eu d’autre solution pour renouveler les fusils d’assaut de l’armée française que de s’adresser à un fabricant allemand, à cause de la fermeture de la manufacture d’armes de Saint-Étienne .

    Le graphique ci-dessous montre la corrélation très forte existant entre la production industrielle dans les pays et leur niveau de richesse. La production industrielle, calculée à partir des données de la BIRD, (organisme qui incorpore la construction dans le secteur industriel) et ramenée ici par habitant, est prise comme variable explicative sur ce graphique. On voit que la corrélation avec les PIB per capita des pays est extraordinairement forte, le coefficient de corrélation étant supérieur à 0,93.

    Réindustrialisation

    • Avec une production industrielle de 6900 dollars par personne la France a un PIB/tête de 40 493 dollars.
    • Avec un ratio de 12 400 dollars l’Allemagne obtient un PIB/tête de 46 258 dollars.
    • Avec une production industrielle de 21 000 dollars et un PIB/habitant record de 81 993 dollars, la Suisse est en tête de tous les pays.

    Le redressement de l’économie française passe donc par sa réindustrialisation . Le redressement du secteur industriel constitue un enjeu majeur, l’objectif étant de porter à 18 % environ la contribution de l’industrie à la formation du PIB.

    Il faut créer de la richesse pour réduire les dépenses sociales et comprimer ces dernières pour mettre fin à l’endettement. Cela nécessiterait que les effectifs du secteur industriel passent de 2,7 millions de personnes, chiffre actuel, à 4,5 millions, soit 1,8 million de personnes de plus employées dans le secteur secondaire.

    Cet accroissement des effectifs du secteur industriel induirait automatiquement 3,6 millions d’emplois dans le secteur tertiaire. Le problème du chômage se trouverait  ainsi résolu, le pays pourrait sortir de l’engrenage fatal dans lequel il se trouve engagé depuis quarante ans.

    Comment procéder pour atteindre un tel objectif

    Pour relever ce défi, car il s’agit bien d’un défi, il faut s’attaquer aux causes du déclin du secteur secondaire depuis la fin des Trente glorieuses, les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets, car pour paraphraser Albert Einstein « c’est de la folie de penser qu’en faisant tout le temps la même chose vous pourrez obtenir des résultats différents. »

    Si l’on ne change rien aux causes de ce déclin , le pays ne pourra pas se réindustrialiser. Les identifier est donc bien la première phase de la démarche à  suivre si du moins la pays veut reprendre son destin en mains. Malheureusement, personne ne se préoccupe de procéder à ces analyses.

    Ces causes sont de trois ordres différents.

    Droit du travail et climat social

    Selon les économistes, la qualité du climat social est un facteur clé de la compétitivité d’un pays. Les firmes étrangères qui voudraient investir dans notre pays sont souvent freinées par le climat social. C’est ce que dit le président de l’AmCham , la chambre de commerce américaine à Paris.

    Les syndicats ont encore dans leur ADN la charte d’Amiens de 1906 qui prône la destruction du patronat, avec comme moyen d’action la grève générale. En France, le syndicalisme est révolutionnaire qui a conduit au Code du travail actuel , extrêmement lourd et particulièrement favorable aux salariés.

    Il suffit pour s’en convaincre de s’en référer au Code du travail suisse, un pays où  l’État n’intervient pas dans le dialogue social, et où des milliers de frontaliers travaillent. Il n’y a jamais de grève en Suisse…

    La fiscalité

    Les charges fiscales qui pèsent sur nos entreprises sont anormalement élevées. Les comparaisons avec l’étranger montrent que les impôts de production sont bien plus importants chez nous que partout ailleurs, tout comme les impôts sur les bénéfices. Depuis quelques années, le gouvernement tente d’y remédier, mais nous sommes encore loin d’être alignés sur l’Allemagne, par exemple.

    La fiscalité sur les successions est une autre anomalie française extrêmement préjudiciable particulièrement aux entreprises industrielles. Elle empêche généralement les héritiers de prendre le relais, et l’entreprise change alors de mains.

    En Allemagne, il en va tout autrement, les entreprises demeurent dans le giron familial. Les économistes s’accordent à dire qu’il s’agit là de l’un des éléments qui fait la force de l’industrie allemande. Les mittelstand constituent la colonne vertébrale du modèle social allemand : il y a continuité de direction, souci du long terme et attachement du personnel à l’entreprise.

    Le manque de capitaux

    La France manque cruellement de business angels , ainsi que de fonds d’investissements qui viendraient apporter aux jeunes entreprises les capitaux dont elles ont besoin pour croître rapidement. Certes, il s’agit d’investissements à risque, et là aussi la fiscalité a un rôle clé à jouer : elle doit être conçue pour permettre aux détenteurs de capitaux d’orienter leur épargne dans le bon sens, ce qui n’est pas le cas actuellement en France.

    À ces trois causes on pourrait ajouter l’interdiction faite à l’État par la Commission européenne d’apporter son aide à des entreprises en difficulté pour traverser une crise passagère.

    Le pays pourra-t-il politiquement et socialement procéder dans des délais relativement brefs à toutes les mutations qui seraient nécessaires afin de se redresser en se réindustrialisant ? On ne peut qu’en douter.

    Les pesanteurs sont énormes. Les caractéristiques de la sociologie française relevent d’une longue histoire comme le montre Jean-Philippe Feldman dans son livre Exception française : histoire d’une société bloquée . Les lois sur le travail sont difficilement réformables car il y aurait immédiatement des levées de boucliers.

    La crise du coronavirus a conduit le gouvernement à accroître considérablement la dette, la fiscalité ne pourra donc que s’alourdir.

    Pourtant, il est impossible de poursuivre sur la voie actuelle.

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      Droit du travail et déconfinement : un État infantilisant et donneur de leçons

      Jean-Philippe Feldman · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 7 May, 2020 - 03:30 · 5 minutes

    Par Jean-Philippe Feldman.
    Un article de l’Iref-Europe

    Poétiquement, le ministère du Travail vient de pondre le 3 mai 2020 un magnifique document de 20 pages serrées intitulé « Protocole national du déconfinement pour les entreprises pour assurer la sécurité et la santé des salariés ». Ce protocole est paradigmatique des trois caractères contemporains de la réglementation : kafkaïenne, infantilisante et prompte à donner des leçons au secteur privé.

    Quelques exemples édifiants

    Ce qui est dénommé le « socle du déconfinement » correspond à une « distance physique d’au moins 1 mètre (soit 4 m² sans contact autour de chaque personne) » . Il faut « aérer régulièrement (toutes les trois heures) les pièces fermées, pendant quinze minutes » (p. 5).

    Le document ne dit pas ce qu’il se passe pour l’entrepreneur si une pièce se trouve aérée seulement toutes les 3 heures 10 pendant quatorze minutes, chronomètre en main…

    Comment se calcule la surface de l’établissement à prendre en compte ?

    Il s’agit de « la surface résiduelle de l’espace considéré, c’est-à-dire la surface effectivement disponible pour les occupants, déduction faite des parties occupées. Il convient de rattacher à la surface totale celle qui est occupée par les rayonnages et les réserves (entre autres) pour déterminer in fine la surface résiduelle pour l’accueil des clients. »

    Tout cela est d’une limpide clarté et le Protocole a la gentillesse de nous donner un exemple de calcul « des surfaces résiduelles et des jauges maximales » , qui se clôt ainsi : « Sr/4 : 135/4 = 33 personnes »…

    Le jargon administratif laisse également songeur :

    « Pour nettoyer les surfaces, il conviendra d’utiliser des produits contenant un tensioactif. »

    Quant à la désinfection, elle est « réalisée avec un produit répondant à la norme virucide NF EN 14476 ou avec d’autres produits comme l’eau de Javel à la concentration virucide de 0,5 % de chlore actif ».

    Là encore, le Protocole a le bonheur de nous livrer une illustration : « un litre de Javel à 2,6 % plus 4 litres d’eau froide » (p. 19).

    À ceux qui croiraient que notre époque a inventé la règlementation foisonnante tant de la France que des autorités de Bruxelles, il sera rappelé qu’elle est consubstantielle à la notion d’État. Il suffit de penser à la frénésie normative sous Colbert . Mais le caractère à la fois minutieux et risible de la règlementation nous fait penser au prurit règlementaire sous le régime de Vichy (bien entendu nous ne comparons pas les types de gouvernement !) avec ses 16 786 lois et décrets promulgués entre 1940 et 1944, ses pages denses du Journal Officiel consacrées aux « escargots bouchés et coureurs » ou à l’arrêté du 4 novembre 1941 qui fixait « la marge de bénéfice du ramasseur-trieur de poils de lapin angora épilé »…

    Ce qui est plus novateur dans la règlementation contemporaine, au-delà du jargon utilisé car autrefois on savait écrire (il est vrai qu’alors c’étaient des juristes qui rédigeaient les textes…), c’est son aspect infantilisant.

    Quant aux masques, ils « doivent être ajustés et couvrir la bouche et le nez » , mais les autorités publiques croient encore bon d’ajouter que « le sens dans lequel ils sont portés doit impérativement être respecté » (p. 13)…

    Quant aux gants, il convient de les ôter « en faisant attention de ne pas toucher sa peau avec la partie extérieure du gant » (p. 14)… Il va de soi que les pouvoirs publics ne prennent nullement les salariés et les chefs d’entreprises pour des imbéciles…

    Tout cela pourrait faire sourire, mais la ministre du Travail, Muriel Pénicaud , n’a pas hésité à prononcer, manifestement de manière délibérée compte tenu de ses anciennes fonctions de haut niveau dans le secteur privé, des contrevérités en matière de droit du travail et plus précisément de responsabilité des entreprises. En effet, elle a martelé à tort que la sécurité des salariés était une simple obligation de moyens pour les entreprises.

    Car, il faut rappeler – et c’est la dernière caractéristique de la règlementation contemporaine – qu’elle s’adresse uniquement au secteur privé… alors même que l’État s’affranchit allègrement de ses obligations. Le lecteur nous permettra de quitter les habits du théoricien pour mettre la casquette de l’avocat en droit du travail.

    Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais

    Nous avons ainsi appris que, dans un tribunal de grande instance, mais le cas n’est pas isolé, un magistrat avait dû fournir des masques au personnel sur ses propres deniers, soit une vingtaine de personnes ! Confirmation du fait que les services publics français en ruine ne peuvent encore fonctionner que grâce au professionnalisme de certains fonctionnaires….

    Nous venons même de déposer physiquement un dossier de plaidoirie (obligation surprenante en vertu d’un texte de crise, soit dit en passant, alors que l’informatique permettrait de l’éviter dans bien des cas, c’est-à-dire lorsque des pièces en original ne sont pas indispensables, mais la santé des avocats présente-t-elle de l’importance ?) devant une Cour d’appel (dont nous tairons charitablement le nom).

    Nous avons alors croisé près d’une dizaine de fonctionnaires du personnel administratif, tous non masqués, parfois en groupe et sans respect aucun des distances de sécurité. Des obligations auxquelles sont tenues les entreprises privées de manière stricte à compter du 11 mai 2020 sous peine, ainsi que l’ont déclaré plusieurs membres du gouvernement de manière insistante, d’engager leurs responsabilités civile et pénale. Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais !

    En attendant, les pouvoirs publics profitent de l’état d’exception sanitaire pour intervenir plus encore et de manière abusive dans le monde de l’entreprise.

    Jean-Philippe Feldman publiera prochainement Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron (Odile Jacob).

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