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      Bureaucratie contre terrorisme : le match perdu d’avance

      Claude Robert · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 22 October, 2020 - 03:15 · 7 minutes

    Par Claude Robert.

    En France, le déni de la classe politico-médiatique est tel qu’évoquer la montée de l’insécurité a toujours soulevé les qualificatifs les plus méprisants du moment. Avec l’évidente multiplication des actes, parmi lesquels la récente et abjecte décapitation d’un professeur , ce problème d’insécurité est à présent bien plus qu’encombrant. Mais comment, chez notre élite administrative qui n’a qu’une vision très distanciée, la collision avec le réel pourrait-elle provoquer un choc opérationnel ?

    Ce choc n’aura vraisemblablement pas lieu. Pour deux raisons aussi dramatiques l’une que l’autre :

    • la capacité de déni de notre caste au pouvoir atteint des sommets vertigineux, des sommets à la hauteur desquels l’idéologie remplace l’objectivité, la rhétorique et les symboles remplacent l’action ;
    • le profil même des membres de cette caste, tous issus d’une sélection et d’une cooptation dangereusement endogames, constitue le rempart le plus solide contre toute prise de conscience salutaire.

    L’élite politique française, ou la fuite dans la dialectique

    Ces quelques postures choisies parmi tant d’autres en disent tellement long :

    -au lendemain de l’attentat de Trèbes, le président Emmanuel Macron s’affiche dans les salons de l’Elysée en compagnie de l’Imam du Danemark ;

    -à peine élu ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti visite les prisons pour s’assurer des bonnes conditions de détention de nos prisonniers ;

    -très récemment, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin évoque dans une interview la menace des suprémacistes blancs.

    En toute logique, le comportement de Macron, Dupont-Moretti et Darmanin devrait s’interpréter de cette façon :

    -les minorités musulmanes sont victimes de violences de la part de la population française historique et il est donc important de montrer un exemple d’ouverture et de tolérance ;

    -la France maltraite ses prisonniers, voire remplit ses prisons de façon abusive, pour un oui pour un non, il est donc urgent de mettre fin à ces injustices ;

    -en France, deux camps s’affrontent avec une égale violence : les suprématistes blancs et les islamistes, il ne s’agit surtout pas d’en punir un plus que l’autre.

    Or, dans le premier cas, les auteurs du carnage n’étaient pas du tout des chrétiens. Dans le second, à force de ne pas vouloir stigmatiser certaines minorités et par manque de moyens, la France semble n’enfermer des détenus que lorsqu’elle ne peut vraiment pas faire autrement.

    Enfin, dans le troisième, il n’y a aucune menace émergente de ce type-là, si ce n’est dans l’imagination d’un ministre qui, pour des raisons idéologico-politiques, ne veut surtout pas chatouiller la susceptibilité d’une communauté qu’il ne faut pas nommer.

    Plus tard, les livres d’histoire feront certainement beaucoup rire (ou pleurer) sur cette actuelle propension à ne pas vouloir regarder la réalité en face, et à lui affubler des qualificatifs les plus fantasques afin d’en dissimuler les aspérités.

    N’est-il pas incroyable en effet que dans son discours sur le projet de loi contre ce qu’il qualifie de « séparatisme islamique », début octobre, le président n’ait même pas prononcé une seule fois le mot « immigration » ?

    Quant à cette appellation de « séparatisme », n’est-ce pas du camouflage pur et dur ? Ce que le Larousse définit comme une « tendance à sortir d’un ensemble national et à former une entité politique distincte de l’État d’origine » n’a en effet rien à voir avec les tentatives d’imposer la loi religieuse et la terreur en remplacement de la loi de la république.

    Quelle est donc la nature des motivations du gouvernement ? Ménager l’électorat musulman ? Dissoudre les ferments de la nation française au sein d’un ensemble multiculturel chaotique ? En découdre avec les traditions chrétiennes bourgeoises qui faisaient l’art de vivre du pays ?

    On ne saura sans doute jamais. Une chose est sûre cependant : à l’instar de ses prédécesseurs, mais avec un bien meilleur talent de magicien du verbe, Macron n’a pas vraiment fait la démonstration d’un immense pragmatisme face à la montée de l’insécurité. Ce sont encore et toujours les postures idéologiques qui prévalent.

    Et à chaque nouveau coup de boutoir d’un réel toujours plus désagréable, car nous sommes pris dans un processus d’escalade, la classe politico-médiatique nous gratifie d’un déferlement toujours plus exubérant de symboles : hommages posthumes, funérailles nationales, éloges enflammés, minutes de silence, cérémonies de commémoration, décorations et honneurs rétroactifs exceptionnels… Faut-il pourtant le rappeler : rien ne permet de ressusciter les victimes. Lorsque le crime a été commis, il est tout simplement trop tard.

    L’élite politico-médiatique française, ou la toxique endogamie

    Il y a déjà plus de 40 ans, Michel Crozier , sociologue des organisations, fustigeait ce qu’il appelait « la sélection de l’élite française ». Lui-même ancien juré de l’ENA, il avait déclaré : « je n’ai jamais rencontré des étudiants aussi fermés intellectuellement » et militait pour sa « fermeture immédiate ». Cela se passait à la fin des années 70 !

    Depuis, l’école existe toujours. Elle administre avec luxe, calme et volupté le puissant déclin industriel du pays, ce pays qui a perdu la moitié de son industrie en à peine plus de 20 ans, ce pays qui est passé de la 5 ème à la 25 ème place mondiale en matière de richesse per capita. Non seulement rien a changé depuis les propos de Michel Crozier, mais le premier président à s’être engagé à mettre un terme à cette école aux résultats funestes ne cesse de s’entourer de ses diplômés. L’un chasse l’autre, notamment chez ses premiers ministres successifs.

    L’inclination pour l’administration est telle que Macron se targue de vouloir réformer la « sélection de la haute fonction publique ». Ainsi, devons-nous comprendre que le pilotage du pays doit rester l’apanage du fonctionnaire.

    Il n’est même pas venu à l’idée du président d’imaginer une absence de filière, ce qui permettrait pourtant d’assurer une totale diversité des profils… Et avec un peu de chance, la possibilité de recruter des personnalités de la société civile, sur la base de leur réussite en entreprise, meilleur gage d’une quelconque efficacité !

    Quasi courtelinesque, ce déterminisme administratif est hélas profondément enraciné dans les mentalités du pouvoir. L’actuel ministre de l’économie n’avait-il pas lui aussi évoqué la fermeture de l’ENA pour… la remplacer par une autre école ? N’ayant jamais connu rien d’autre, la caste qui dirige le pays ne peut envisager que ce fameux canal historique unique d’accession au pouvoir.

    Ce canal permettant à n’importe quel diplômé en administration de se retrouver très rapidement au sommet de l’Etat sans jamais avoir été confronté au management des hommes, à la concurrence internationale, aux problématiques de Recherche & Développement, de disparités de coûts de main d’œuvre, de conflits sociaux et culturels au sein d’une même organisation…

    Il ne faudrait tout de même pas oublier qu’aujourd’hui, l’activité principale de la planète consiste en une espèce de guerre économique dans laquelle la course à l’enrichissement est le sport favori de la quasi-totalité des nations, entreprises et individus. Comment, dans cette course pourtant débridée, un pays dirigé par des profils administratifs comme la France pourrait-il s’en sortir ? La trajectoire qui est la nôtre depuis 40 ans nous en fournit la réponse indiscutable.

    Alors, maintenant qu’une guerre terroriste à composante religieuse fait également rage sur notre territoire, comment ces mêmes profils administratifs, qui n’ont d’ailleurs rien voulu voir arriver, trouveraient-ils tout d’un coup la solution ?

    Sur le web

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      État d’urgence sanitaire : comment l’administration a remplacé le politique

      Jonathan Frickert · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 19 October, 2020 - 03:45 · 9 minutes

    administration

    Par Jonathan Frickert.

    Chassez le naturel, il revient au galop. Seulement trois mois après avoir été levé, l’État d’urgence sanitaire est à nouveau en vigueur depuis ce samedi sur l’ensemble du territoire national.

    Le nouveau régime permet de possibles confinements partiels, des réquisitions de véhicules et de bâtiments privés tels que des taxis ou des hôtels ainsi que la mise en place d’un contrôle des prix, soit un bond en arrière de 34 ans pour l’économie française qui s’était semble-t-il débarrassée de cette triste maladie économique.

    Si la situation est officiellement exceptionnelle, l’histoire récente a montré que les situations d’exception ont une fâcheuse tendance à entrer dans le droit commun .

    De quoi laisser songeur quant à un possible retour à la normale, rendu d’autant plus improbable qu’en France, le politique semble avoir cédé à la place à l’administration.

    À cela s’ajoute l’imbroglio administratif que connaît le pays, une nouvelle fois révélé par la crise sanitaire, ainsi qu’une tendance gouvernementale à prendre de plus en plus de libertés avec l’État de droit.

    Trois phénomènes qui contribuent aujourd’hui à faire péricliter un peu plus l’esprit démocratique dans ce pays.

    L’énarchie au sommet de l’État

    L’ENA est-elle la panacée lorsqu’on prétend à des fonctions politiques ? Si la réponse est malheureusement évidente, Dominique de Villepin a lui-même vendu la mèche lors d’un passage chez Laurent Ruquier en 2010.

    Justifiant politiquement son aversion notoire pour Nicolas Sarkozy, l’ancien Premier ministre estimait que l’exécutif de l’époque ne savait pas ce qu’étaient les affaires de l’État. La raison évoquée était que le couple exécutif était uniquement composé de juristes et non d’énarques.

    Difficile de ne pas mettre cette pique en parallèle avec la formation des deux présidents de la République qui ont suivi, qu’il s’agisse de François Hollande ou d’Emmanuel Macron, pour lequel l’ex-bras droit de Jacques Chirac a par ailleurs déclaré avoir voté.

    Aujourd’hui, la composition de l’exécutif est particulièrement claire .

    Si les gouvernements qui se sont succédé durant le mandat de François Hollande et les deux gouvernements Philippe ont compté peu d’énarques comparativement à d’autres, l’équipe formée autour de Jean Castex redonne un poids certain à la haute-administration dans la vie politique nationale. Sur les 16 ministres du premier gouvernement Castex se trouvent ainsi près de 6 énarques .

    Seulement, un ministre n’est pas un haut-fonctionnaire, ni un simple administrateur, mais une personnalité politique. Si la plupart des juristes s’accordent à dire qu’il existe une porosité entre ce qui relève du politique et ce qui relève de l’administration, la distinction est claire : le politique définit des objectifs que l’administration réalise.

    Le ministre change, l’administration reste

    C’est donc là que l’administration s’arrête, avec pour principale ligne de crête les cabinets ministériels qui peuvent avoir en leur sein des personnalités plus éclectiques que les services de l’État.

    Ainsi, l’administration ne décide pas. Elle exécute. Or, les gouvernements mis en place depuis 2017 voire 2012 montrent que les personnalités politiques se sont effacées au profit de la Haute fonction publique.

    Ensuite, même si les ministres changent, l’administration, généralement, demeure, et de nombreuses enquêtes journalistiques ne manquent pas d’en souligner l’importance. Pour ne citer que Dans l’enfer de Bercy , de Frédéric Says, cette différence de durée de vie entre les ministres et leurs administrations pose un certain nombre de problèmes.

    En France, depuis 1958, un ministre reste à son poste moins de deux ans en moyenne. Cette différence, ajoutée à la technicité des dossiers que le ministre est amené à gérer, crée un filtrage entre la mesure souhaitée par le ministre et le texte sorti des bureaux, à la manière d’un tamis.

    Les crises ont une tendance à renforcer ces dynamiques.

    L’administration comme refuge du pouvoir

    Si historiquement, la peur a toujours favorisé l’émergence de chefs charismatiques, qu’en est-il lorsque ce dernier est lui-même frappé de frilosité ?

    Loin d’être théorique, cette question se pose de plus en plus lorsqu’on constate le comportement d’Emmanuel Macron au regard de la crise sanitaire, comme lorsqu’il retrouvait ses réflexes idéologiques.

    Ainsi, au moment où la perspective d’un confinement commençait à se poser et que les avis ont divergé à la tête de l’exécutif , Édouard Philippe s’est montré plus sensible au maintien de la vie économique et sociale, tandis que le président de la République privilégiait la fermeture, avec les résultats que nous connaissons. Par cette mésentente, chacun retrouvait sa position au sein d’un clivage politique qu’ils s’étaient pourtant employés à gommer.

    Si c’est bel et bien dans l’adversité que les hommes révèlent leur vraie nature, celle d’Emmanuel Macron s’est particulièrement bien révélée ces derniers mois. Le politique s’est ainsi effacé au profit de l’administration.

    Déresponsabilisation du politique

    Dans le cas du Covid-19, le galimatias décisionnel français composé d’une myriade d’agences et d’administrations créées pour conseiller le souverain a tristement rappelé leur perniciosité.

    Les défenseurs de la liberté portent en eux un concept administratif très simple et pourtant très peu appliqué : la subsidiarité .

    Théorisée par la pensée chrétienne et formalisée par le philosophe Johannes Althusius , la subsidiarité se base sur un principe simple voulant que chaque décision doive être prise au niveau qui lui est le plus adapté.

    L’objectif était donc ici de définir quel échelon est responsable de telle décision, tel problème ou plus largement de tel domaine.

    Très mal comprise en France où l’on évoque souvent le concept pour justifier des suppressions d’échelons administratifs au nom de la lutte contre le fameux millefeuilles administratif , la subsidiarité suggère au contraire une diversité des niveaux de décision afin de s’adapter au mieux à la diversité des situations. Les régions, départements ou communes ont tous leur place.

    Le problème tient dans ce que nous pouvons appeler « un millefeuilles horizontal », composé des différents organismes et agences prenant part à la décision publique. En effet, ces dernières entraînent lenteur, désorganisation et surtout déresponsabilisation du politique au profit des structures administratives.

    Ainsi, outre le défaut d’anticipation lié à la polémique sur les vaccins lors de l’épidémie de H1N1 et la relégation en second plan de la question sanitaire au profit du risque terroriste, le fameux rapport Pittet sur la gestion française de la crise sanitaire remis la semaine dernière pointe du doigt la complexité de l’organisation administrative française , que l’épidémiologiste genevois n’hésite pas à qualifier de « labyrinthe ».

    Le résultat est sans appel : à l’ efficacité du système décentralisé allemand qui a su isoler plus rapidement et plus efficacement les différents foyers de contamination, l’imbroglio français a fait perdre énormément de temps et d’énergie dans la lutte contre le virus.

    On décide d’abord, on régularise ensuite

    Enfin, dans le cas de l’État d’urgence sanitaire, la manière employée par l’exécutif suit une mécanique particulière : on crée le consensus politique, on prend la décision, et l’on ne régularise juridiquement qu’ a posteriori.

    C’est ainsi que les mesures prises avant la loi du 23 mars 2020 sur l’État d’urgence sanitaire ont suscité de nombreuses interrogations, notamment à travers le décret du 16 mars 2020 instaurant le confinement.

    Ce décret, et en particulier la question de coordination entre les mesures sécuritaires et sanitaires, que ce soit nationalement ou localement, a été considéré comme illégal par certains juristes , même si ces derniers s’accordent sur le fait que ces mesures peuvent être justifiées par la théorie des circonstances exceptionnelles, déjà invoquée lors des deux conflits mondiaux et ce jusqu’aux différentes lois qui les ont depuis régularisées.

    Cette manière de procéder n’est pas sans rappeler deux événements fondateurs de notre régime politique.

    D’une part, la création de la Cinquième République, sur laquelle plusieurs juristes avaient émis des doutes sur sa constitutionnalité. Ils rappelaient que la Quatrième République ne pouvait être modifiée par référendum et que la procédure opérée par le général de Gaulle était inconstitutionnelle.

    D’autre part, le référendum de 1962 sur l’élection du président de la République au suffrage universel direct, convoqué non par l’article 89 initialement prévu pour modifier la Constitution, mais par l’article 11, prévu initialement pour questionner sur une loi. Saisi par le président du Sénat de l’époque, le Guyanais Gaston Monnerville, le Conseil constitutionnel s’était finalement déclaré incompétent pour juger une loi référendaire.

    Pour cause, en 1962 comme en 1958, ces écarts ont été régularisés par « le droit souverain du peuple à disposer de lui-même ». En vertu de sa qualité de souverain en dernier ressort, le peuple tranchait et les institutions s’y soumettaient.

    Si cette manière d’agir est donc le propre des grandes crises, la différence principale avec la situation actuelle tient dans le mode de régularisation qui, en 1958 comme en 1962, passait par un vote direct du peuple.

    Une carence démocratique

    La France n’a pas connu de référendum national depuis maintenant plus de 15 ans. Depuis 1958, cet écart n’a été dépassé qu’une seule fois : entre celui portant sur l’entrée du Royaume-Uni, de l’Irlande, du Danemark et de la Norvège dans la CEE en avril 1972 et celui portant sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en novembre 1988, soit un peu plus de 16 ans et demi sans consultation nationale.

    Or, le manque de consultation des citoyens pose un véritable problème démocratique, en particulier dans un contexte de doute économique, social, identitaire et désormais sanitaire où le pouvoir retrouve sa vieille tentation liberticide.

    Une situation qui n’est pas près de s’arrêter, alors que les scrutins régionaux et départementaux pourraient connaître un report , que ce soit pour des raisons sanitaires ou de purs faits du Prince.