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      Réforme des prix de l’électricité : tout changer pour ne rien changer

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Wednesday, 10 January - 16:02 · 13 minutes

    « Nous avons réussi à trouver un équilibre vital entre la compétitivité de notre industrie, la stabilité pour les ménages et le développement d’EDF ». A la mi-novembre 2023, après deux ans de crise sur le marché de l’électricité, Bruno Le Maire était fier d’annoncer un accord entre l’Etat et EDF . A l’entendre, tous les problèmes constatés ces dernières années ont été résolus. Le tout en restant pourtant dans le cadre de marché imposé par l’Union européenne. En somme, la France aurait réussi l’impossible : garantir des prix stables tout en permettant une concurrence… qui implique une fluctuation des prix.

    Alors que la crise énergétique n’est toujours pas vraiment derrière nous et que les investissements pour la maintenance et le renouvellement des centrales électriques dans les années à venir sont considérables, cet accord mérite une attention particulière. Devant la technicité du sujet, la plupart des médias ont pourtant renoncé à se plonger dans les détails de la réforme et se sont contentés de reprendre les déclarations officielles. Cet accord comporte pourtant de grandes zones d’ombre, qui invitent à relativiser les propos optimistes du ministre de l’Économie. Alors qu’en est-il vraiment ?

    Une réforme qui n’a que trop tardé

    D’abord, il faut rappeler à quel point une réforme des prix de l’électricité était urgente. Depuis l’ouverture à la concurrence du secteur imposée par l’Union Européenne (UE) à la fin des années 90, le système est devenu de plus en plus complexe, EDF s’est retrouvée de plus en plus fragilisée et les prix pour les consommateurs ont explosé, contrairement aux promesses des apôtres du marché. En transformant l’électricité d’un bien public au tarif garanti en un bien de marché échangé sur les places boursières, son prix a été largement corrélé à celui du gaz, correspondant au coût marginal de production, c’est-à-dire au coût pour produire un MWh supplémentaire. Une absurdité alors que nos électrons proviennent largement du nucléaire et des renouvelables, notamment l’hydroélectricité.

    Complexification du système électrique français depuis la libéralisation européenne. © Elucid

    Dès la fin 2021, l’envolée des prix du gaz entraîne de fortes hausses des prix de marché de l’électricité, qui se répercutent ensuite sur les consommateurs. Pour la plupart des entreprises et les collectivités, qui ne bénéficient pas du tarif réglementé, l’augmentation a été brutale : +21% en 2022 et +84% en 2023 en moyenne selon l’INSEE ., soit un doublement des factures en à peine deux ans ! Et cette moyenne cache de fortes disparités : les exemples d’entreprises ou communes ayant vu leur facture tripler ou quadrupler, voire multipliée par 10, sont légion . Les conséquences de telles hausses sont catastrophiques : faillites, délocalisations, gel des investissements, dégradation des services publics, hausse de l’inflation… Pour les particuliers, la hausse a été moins brutale, mais tout de même historique : après +4% en 2022, le tarif réglementé a connu une hausse de 15% en février 2023 et une autre de 10% en août. Soit presque +30% en deux ans, avant une nouvelle hausse de 10% prévue pour cette année.

    Face aux effets dévastateurs de cette envolée des prix, l’Etat a bricolé un « bouclier tarifaire»  pour les particuliers et divers amortisseurs et aides ciblées pour les collectivités et les entreprises. Un empilement de dispositifs considéré comme une « usine à gaz » par un rapport sénatorial et qui aura coûté 50 milliards d’euros entre 2021 et 2023 rien que pour l’électricité. L’Etat français a ainsi préféré payer une part des factures lui-même pour acheter la paix sociale plutôt que de taxer les superprofits des spéculateurs ou de reprendre le contrôle sur l’énergie. Privatisation des profits et socialisation des pertes.

    Le bilan des deux dernières années est accablant : les factures des ménages et des entreprises ont flambé, l’Etat a dépensé sans compter pour les aider et l’endettement d’EDF a explosé. Les seuls bénéficiaires de cette période sont les spéculateurs du marché, qui ont engrangé des profits indécents.

    De manière absurde, alors que les prix étaient au plus haut, EDF a enregistré des pertes historiques en 2022 (18 milliards d’euros). Une situation qui s’explique par des erreurs stratégiques et une faible disponibilité du parc nucléaire, qui l’a obligée à racheter à ses concurrents les volumes vendus dans le cadre de l’Accès Régulé à l’Énergie Nucléaire Historique (ARENH). Concession de la France aux fanatiques européens de la concurrence, ce système force EDF à vendre 120 TWh par an, soit environ un tiers de sa production nucléaire, à ses concurrents à un prix trop faible de 42€/MWh. Si la situation de l’énergéticien s’est depuis améliorée , le bilan des deux dernières années est accablant : les factures des ménages et des entreprises ont flambé, l’Etat a dépensé sans compter pour les aider et l’endettement d’EDF a explosé. Les seuls bénéficiaires de cette période sont les spéculateurs du marché, qui ont engrangé des profits indécents.

    Un « tarif cible » encore très flou

    Après un tel échec du marché et alors que le mécanisme de l’ARENH doit prendre fin au 1er janvier 2026, une réforme devenait indispensable. Suite à des mois de négociations, un accord a finalement été trouvé entre l’Etat et EDF pour la période 2026-2040 pour « garantir un niveau de prix autour de 70€ le MWh pour l’électricité nucléaire » selon Bruno Le Maire. Si certains ont jugé la hausse trop forte par rapport aux 42€/MWh de l’ARENH, il convient de relativiser. D’une part, l’ARENH ne concernait qu’une part de la production nucléaire, le reste étant vendu bien plus cher. D’autre part, le tarif de l’ARENH était devenu trop faible par rapport aux coûts de production du nucléaire, estimés autour de 60€/MWh dans les années à venir , et aux besoins d’investissement d’EDF. Une hausse conséquente était donc inéluctable.

    Le nouveau tarif paraît donc élevé, mais pas délirant. Mais voilà : ces 70€/MWh ne sont en fait pas un tarif garanti mais un « tarif cible » que se fixe le gouvernement, « en moyenne sur 15 ans et sur l’ensemble des consommateurs ». Cette cible repose sur des prévisions d’évolution des prix de marché absolument impossibles à valider et sur un mécanisme de taxation progressive des prix de vente d’EDF aux fournisseurs, qui démarre à 78 €/MWh. A partir de ce seuil, les gains supplémentaires seront taxés à 50%, puis à 90% au-delà de 110€/MWh. Rien qui permette de garantir un prix de 70 €/MWh aux fournisseurs… et encore moins aux consommateurs puisque la marge des fournisseurs n’est pas encadrée. Si l’Etat promet que les recettes de ces taxes seront ensuite reversées aux consommateurs, le mécanisme envisagé n’est pas encore connu. S’agira-t-il d’un crédit d’impôt ? D’une remise sur les factures suivantes ? Sans doute les cabinets de conseil se penchent-ils déjà sur la question pour concevoir un nouveau système bureaucratique.

    Ce système bricolé reste vulnérable aux injonctions européennes.

    En attendant, une chose est sûre : les factures vont continuer à osciller fortement, pénalisant fortement les ménages, les entreprises et les communes, à l’image de la situation actuelle. On est donc loin de la « stabilité » vantée par le gouvernement. Enfin, ce système bricolé reste vulnérable aux injonctions européennes : si les tarifs français sont plus attractifs que ceux d’autres pays européens – par exemple, ceux d’une Allemagne désormais largement dépendante du gaz américain particulièrement cher – rien ne garantit que ceux-ci ne portent pas plainte auprès de l’UE pour distorsion de concurrence. Quelle nouvelle concession la France fera-t-elle alors aux gourous du marché ?

    En revanche, le fait que les fournisseurs et producteurs privés continuent à engranger des superprofits sur le dos des usagers ne semble gêner personne. Imaginons par exemple une nouvelle période de flambée des prix durant laquelle TotalEnergies, Eni, Engie ou d’autres vendent de l’électricité à 100 ou 150€/MWh : si les consommateurs ne percevront pas la différence – le mécanisme de taxation prévoyant une redistribution indépendamment de leur fournisseur – les profits supplémentaires n’iront pas dans les mêmes poches suivant qui les réalisent. Chez EDF, d’éventuels dividendes iront directement dans les caisses de l’Etat, désormais actionnaire à 100%. Chez ses concurrents, ces profits sur un bien public enrichiront des investisseurs privés.

    EDF, gagnant de la réforme ?

    Pour l’opérateur historique, la réforme ouvre donc une nouvelle ère incertaine. Certes, en apparence, EDF semble plutôt sortir gagnante des négociations. Son PDG Luc Rémont n’a d’ailleurs pas hésité à menacer de démissionner s’il n’obtenait pas un tarif cible suffisant. Une fermeté qui doit moins à son attachement au service public qu’à sa volonté de gouverner EDF comme une multinationale privée, en vendant l’électricité à des prix plus hauts. Or, EDF doit faire face à des défis immenses dans les prochaines décennies : il faut non seulement assurer le prolongement du parc existant, notamment le « grand carénage » des centrales nucléaires vieillissantes, mais également investir pour répondre à une demande amenée à augmenter fortement avec l’électrification de nouveaux usages (procédés industriels et véhicules notamment). Le tout en essayant de rembourser une dette de 65 milliards d’euros, directement causée par les décisions désastreuses prises depuis 20 ans et en essayant de se développer à l’international.

    A première vue, le tarif cible de 70€/MWh devrait permettre de remplir ces différents objectifs. D’après la Commission de Régulation de l’Énergie , le coût de production du nucléaire sur la période 2026-2030 devrait être de 60,7€/MWh. La dizaine d’euros supplémentaires ponctionnés sur chaque MWh devrait servir à financer la « politique d’investissement d’EDF, notamment dans le nouveau nucléaire français et à l’export », indique le gouvernement. Selon les calculs d’ Alternatives Economiques , cette différence par rapport aux coûts de production permettrait de financer un réacteur EPR tous les deux ans. Que l’on soit pour ou contre la relance du programme nucléaire, cet apport financier supplémentaire pour EDF reste une bonne nouvelle, les énergies renouvelables nécessitant elles aussi de gros investissements.

    Les factures d’électricité des Français serviront-elles à payer les réacteurs EPR britanniques ?

    Cependant, l’usage exact de ces milliards par EDF reste entouré d’un grand flou. L’entreprise est en effet le bras armé de la France pour exporter son nucléaire dans le reste du monde. Or, les coûts des centrales atomiques construites à l’étranger ont eu tendance à exploser. C’est notamment le cas au Royaume-Uni, où EDF construit la centrale d’Hinkley Point C. Un projet dont le coût est passé de 18 milliards de livres au début de sa construction en 2016 à presque 33 milliards de livres aujourd’hui . Des surcoûts que le partenaire chinois d’EDF sur ce projet, China General Nuclear Power Group (CGN), refuse d’assumer. EDF risque donc de devoir assumer seule cette facture extrêmement salée, ainsi que celle de la future centrale de Sizewell C , également en « partenariat » avec CGN. Les factures d’électricité des Français serviront-elles à payer les réacteurs EPR britanniques ? Si rien n’est encore décidé, le risque existe bel et bien.

    La France osera-t-elle s’opposer à l’Union Européenne ?

    Enfin, EDF fait toujours figure d’ennemi à abattre pour la Commission Européenne. Étant donné la position ultra-dominante de l’opérateur national, les technocrates bruxellois cherchent depuis longtemps des moyens d’affaiblir ses parts de marché. Le nucléaire intéresse peu le secteur privé : il pose de trop grands enjeux de sécurité et est trop peu rentable. Les concurrents d’EDF espèrent donc surtout mettre la main sur le reste des activités du groupe, c’est-à-dire les énergies renouvelables et les barrages hydroélectriques, amortis depuis longtemps et qui garantissent une rente confortable. Si un pays européen venait à se plaindre de la concurrence « déloyale » d’EDF, la Commission européenne pourrait alors ressortir des cartons le « projet Hercule », qui prévoit le démembrement de l’entreprise et la vente de ses activités non-nucléaires. Bien qu’ils disent le contraire, les macronistes ne semblent pas avoir renoncé à ce scénario. En témoignent la réorganisation actuelle du groupe EDF, qui ressemble fortement aux plans prévus par Hercule, et leur opposition intense à la proposition de loi du député Philippe Brun (PS) qui vise, entre autres, à garantir l’incessibilité des actifs d’EDF.

    EDF fait toujours figure d’ennemi à abattre pour la Commission Européenne.

    Etant donné la docilité habituelle de Paris face aux injonctions européennes, le retour de ce « projet Hercule » est donc une possibilité réelle. La France pourrait pourtant faire d’autres choix et désobéir à Bruxelles pour pouvoir appliquer sa propre politique énergétique. L’exemple de l’Espagne et du Portugal montre que des alternatives existent : en dérogeant temporairement aux règles européennes pour plafonner le prix du gaz utilisé pour la production électrique, les deux pays ibériques ont divisé par deux les factures des consommateurs bénéficiant de tarifs réglementés . Quand le Parti Communiste Français et la France Insoumise, inspirés par le travail du syndicat Sud Energie , ont proposé que la France revienne à une gestion publique de l’électricité, les macronistes ont agité la peur d’un « Frexit énergétique », estimant que la sortie de la concurrence reviendrait à cesser tout échange énergétique avec les pays voisins. Un mensonge qui témoigne soit de leur mauvaise foi, soit de leur méconnaissance complète du sujet, les échanges d’électricité ne nécessitant ni la privatisation des centrales, ni la mise en concurrence d’EDF avec des fournisseurs nuisibles.

    Si cette réforme s’apparente donc à un vaste bricolage pour faire perdurer l’hérésie du marché, l’insistance sur la « stabilité » des prix dans le discours de Bruno Le Maire s’apparente à une reconnaissance implicite du fait que le marché n’est pas la solution. Les consommateurs, qu’il s’agisse des particuliers, des entreprises ou des collectivités et organismes publics, souhaitent tous de la visibilité sur leurs factures pour ne pas tomber dans le rouge. De l’autre côté, les investissements menés sur le système électrique, tant pour la production que pour le réseau, ne sont amortis que sur le temps long. Ainsi, tout le monde a intérêt à des tarifs réglementés, fixés sur le long terme. Un objectif qui ne peut être atteint que par un retour à un monopole public et une forte planification. Exactement l’inverse du chaos et de la voracité des marchés.

    Note : L’auteur remercie la syndicaliste Anne Debrégeas (Sud Energie) pour ses retours précis et ses analyses sur la réforme en cours.

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      Le géant russe du gaz #Gazprom annonce suspendre “complètement” ses livraisons au groupe français #Engie dès jeudi.

      eyome · Tuesday, 30 August, 2022 - 19:54

    du fait de “sommes financières dues”.

    C’est une forme intéressante de boycott.

    “Prends ça Poutine !”

    #France, #Politique, #fr, #Ukraine, #Russie, #OTAN, #UE, #AuxFous

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      TotalEnergies, EDF et Engie appellent les Français à consommer moins d'énergie

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Saturday, 25 June, 2022 - 22:46 · 2 minutes

    Un pylône de lignes électriques à haute tension devant une cheminée de la centrale électrique au charbon EDF de Bouée (Loire-Atlantique), France, le 25 février 2022. Un pylône de lignes électriques à haute tension devant une cheminée de la centrale électrique au charbon EDF de Bouée (Loire-Atlantique), France, le 25 février 2022.

    ÉNERGIE - Ils ont un message à faire passer. Les dirigeants des trois énergéticiens français TotalEnergies, EDF et Engie appellent ensemble ce dimanche 26 juin les Français à réduire “immédiatement” leur consommation de carburant , pétrole, électricité et gaz face au risque de pénurie et de flambée des prix qui menacent “la cohésion sociale” l’hiver prochain.

    “L’effort doit être immédiat, collectif et massif. Chaque geste compte”, indiquent dans une rare tribune commune publiée par le Journal du Dimanche , Patrick Pouyanné (TotalEnergies), Jean-Bernard Levy (EDF) et Catherine MacGregor (Engie), alors que la France, comme le reste de l’Europe, tente de remplir ses réserves de gaz pour l’hiver prochain, avec un objectif français de 100% de stockages remplis d’ici au début de l’automne, malgré la baisse des livraisons de gaz russe.

    Aux difficultés d’approvisionnement en gaz lié aux conséquences de la guerre en Ukraine , s’ajoutent des “tensions” sur les capacité de production électrique pilotable en Europe, et une production hydraulique “amputée” en raison de la sécheresse, expliquent-ils.

    “La flambée des prix de l’énergie qui découle de ces difficultés menace notre cohésion sociale et politique et impacte trop lourdement le pouvoir d’achat des familles” relèvent les auteurs du texte.

    “La meilleure énergie reste celle que nous ne consommons pas”

    “La meilleure énergie reste celle que nous ne consommons pas” soulignent les trois dirigeants qui appellent à “une prise de conscience et à une action collective et individuelle pour que chacun d’entre nous -chaque consommateur, chaque entreprise- change ses comportements et limite immédiatement ses consommations énergétiques, électriques, gazières et de produits pétroliers”.

    Ils souhaitent le lancement d’un “grand programme d’efficacité énergétique” et une “chasse au gaspillage nationale”.

    “Agir dès cet été nous permettra d’être mieux préparés pour aborder l’hiver prochain et notamment préserver nos réserves de gaz”, estiment les trois dirigeants.

    “Acteurs industriels responsables, nos trois groupes s’engagent à collaborer activement” indiquent les patrons, d’ordinaire plutôt en concurrence sur les sujets de transition énergétique, notamment qui voient fleurir des investissements massifs mais pas toujours coordonnés dans les énergies renouvelables, le nucléaire et l’hydrogène notamment.

    À voir également sur Le HuffPost : Total en Russie? On a interrogé les actionnaires sur l’invasion de l’Ukraine

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      Électricité : des travaux d’Hercule surréalistes

      Michel Negynas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 8 February, 2021 - 04:30 · 11 minutes

    électricité

    Par Michel Negynas.

    L’électricité n’est pas un produit comme les autres : il se gère en temps réel, ne se stocke pas, comporte des aspects de souveraineté régionale et de sécurité. Compte tenu des niveaux financiers requis, il  doit se planifier à long terme pour éviter soit un surinvestissement, soit des ruptures d’approvisionnement.

    Le contexte initial

    On peut distinguer trois activités dans le secteur électrique : elles ont chacune des caractéristiques qui leur sont propres :

    • La production peut être sans problèmes majeurs libéralisée et soumise à la concurrence… à condition quelle le soit vraiment. On verra qu’il n’en est rien.
    • Le transport et la distribution, ainsi que la gestion et la conduite des réseaux, pour des raisons évidentes d’optimisation, gagnen à être centralisées. Les myriades de câbles dans les rues arrière des blocs d’immeubles aux USA et au Japon en sont l’illustration. Toutefois, cela ne veut pas dire que l’opérateur soit obligatoirement public .
    • La commercialisation peut parfaitement être un terrain de saine concurrence sans conditions particulières autres qu’une règle anti trust. Mais cela ne représente que quelques pour cent des coûts.

    En outre, qu’on le veuille ou non, l’importance de la sécurité d’approvisionnement fait intervenir des notions d’indépendance vis-à-vis d’entités qui pourraient tirer profit, sur un plan géopolitique, de leurs fournitures énergétiques. C’est le cas pour la France, et pour une partie de l’Europe, de l’approvisionnement en gaz et en pétrole.

    Rappelons aussi que la continuité du service exige des moyens pilotables à hauteur des besoins à la pointe de consommation.

    Mise à part cette contrainte, où la politique intervient, une libéralisation doit tirer les prix au consommateur à la baisse, et favoriser l’investissement et l’innovation. C’est pourquoi l’Union européenne, avec l’approbation des États, a lancé en 1996 une série de règles visant à libéraliser le marché de l’électricité.

    La situation réelle du marché de l’électricité

    En fait, pour des raisons à la fois inhérentes à la nature de l’électricité et à l’histoire des équipements en place, il y a des problèmes dans l’application, et même de gros problèmes.

    • On l’a vu, le transport et la gestion du réseau est un monopole « naturel », le saucissonner ne conduit pas à l’optimum.
    • La commercialisation ne peut jouer que très faiblement sur les prix.
    • La production pilotable (qui est absolument indispensable) et à des coûts optimisés nécessite des investissements lourds, que seuls de très gros investisseurs peuvent engager (centrales thermiques de grande puissance, barrages). Les vrais acteurs en Europe ne sont pas très nombreux : EDF, ENGIE, E. On, Wattenfal, RWE… La concurrence sur les coûts bruts (pas ceux qui sont artificiellement modifiés par les lois) se fait plus entre filières qu’entre producteurs.

    Enfin, la notion de « terrain de jeux » n’est pas simple à définir, car il y a une limite physique aux territoires historiques : les interconnexions. Et l’on a institué des règles concurrentielles abstraites avant de penser aux détails du monde réel, comme souvent.

    Où cela devient schizophrénique

    Au moment même où l’Europe mettait en place cette libéralisation, deux contraintes supplémentaires montaient en puissance :

    • La lutte pour « sauver le climat », qui nécessitait de pénaliser réglementairement les émissions de CO2 et de favoriser des énergies dites renouvelables.
    • Le nuke bashing rendant très difficile l’investissement en équipements et en recherche pour la production nucléaire.

    Cette prétendue libéralisation s’est donc accompagnée d’une foule de règlements anti concurrentiels :

    • Marché de quotas de CO2 pour pénaliser la production fossile.
    • Avantages incompréhensibles pour les énergies intermittentes, pourtant incapables d’assurer un vrai service : obligation d’achat pour les réseaux, prix de vente au réseau imposé ou subventionné, coûts induits pris en compte par la collectivité.
    • Arrêt prévu du charbon et du nucléaire en Allemagne sans considération des coûts
    • Programme étatique de passer de 75 % à 50 % de nucléaire en France, sans justification réelle autre qu’électorale.

    Le résultat ne s’est pas fait attendre : plus personne n’investit dans des équipements de production pilotables. Les grands producteurs privés allemands ont tous scindé leurs sociétés en deux parties : une pour les renouvelables, afin de récolter les subsides, et une pour les pilotables, en perte et promises au fiasco, anticipant peut-être des filiales de défaisance, afin de se retourner un jour vers les États.

    Même les pétroliers se mettent aux renouvelables : car il ne fait aucun doute que tout ça augmentera la part du gaz, et parce qu’ils ne voient pas pourquoi ils ne profiteraient pas eux aussi du fromage.

    Les États ont quand même pris peur en voyant cela… en créant un troisième marché réglementé, un marché de capacités ; les propriétaires de pilotables peuvent ainsi vendre des « capacités » aux renouvelables intermittentes, sommées réglementairement d’en acheter.

    Ou est donc le « marché libre » censé faire baisser le prix de l’électricité au consommateur ? Il a doublé en Allemagne, il doublera en France pour les mêmes raisons. La structure des vrais opérateurs de production n’a guère changé, elle a juste fait apparaître une myriade de producteurs opportunistes d’ENR guère en mesure d’orienter le marché, sauf à y semer le chaos : voir la volatilité des prix de gros…

    Coté commercialisation, c’est la même chose : on a vu apparaître des vendeurs aux méthodes douteuses, guère capables d’offrir de vraies alternatives, puisqu’ils n’investissent pas et préfèrent acheter aux historiques.

    Électricité : le cas d’EDF

    EDF a deux problèmes : c’est un monopole historique, et il a des coûts « trop bas ».

    La vraie libéralisation aurait été de privatiser EDF et de le vendre par appartements. Pour de nombreuses raisons faciles à comprendre (souveraineté, technologies duales, contrôle de la sécurité) l’État français n’a évidemment pas souhaité le faire.

    Et qui aurait donc acheté des centrales nucléaires à EDF, dans le climat anti- nuke ? Peut-être des investisseurs chinois, ils n’attendent que ça, mais pas pour faire vraiment du business.

    D’ailleurs, le seul autre opérateur nucléaire français, ENGIE, essaye sans succès depuis plusieurs années de se débarrasser de ses centrales belges.

    Et c’est là que la schizophrénie des règles est à son comble : pour qualifier EDF de monopole à démanteler, la Commission européenne choisit le territoire français ; mais pour toute autre considération (conditions de marché, prix…) c’est l’ensemble France plus Allemagne plus Benelux qui est considéré. Or sur ce périmètre, EDF a 30 % du marché, alors que la définition d’un monopole est de 40 %.

    La France a protesté. Un compromis qui devait être temporaire a été trouvé : on définirait un prix coûtant d’EDF, qui devra vendre à ce prix le quart de sa production nucléaire à ses concurrents. Cela devait permettre de construire un réseau de concurrents qui investiraient grâce à leur marge, artificiellement créée, dans de nouvelles unités de production. Le tarif en question s’appelle ARENH (Accès régulé à l’énergie nucléaire historique.)

    On peut déjà noter que compte tenu des remarques ci-dessus, la concurrence des vendeurs aurait du être illusoire, car elle ne joue en théorie que sur les coûts de commercialisation, négligeables devant le reste.

    Mais les « concurrents » n’ont pas joué le jeu, comme on pouvait s’y attendre. Pourquoi prendraient-ils des risques en investissant, alors qu’ils se faisaient des marges assurées avec EDF ? Pire, selon les conditions des marchés spot , volatils à cause des fluctuations du gaz et des ENR, ils pouvaient jongler entre achats spots et le quota d’ARENH qu’ils avaient réservé annuellement.

    Le comble est né de la crise du Covid : avec la baisse de la demande, ils avaient trop d’ARENH, à des prix supérieurs aux prix spots . Ils ont demandé l’annulation de leurs contrats annuels, pour « cas de force majeure »… C’est encore en jugement. S’ils gagnent, ils auront inventé le commerce qui gagne à tous les coups !

    Et leur seule innovation, c’est « l’électricité verte », alors que 80 % de leur fourniture vient d’EDF.

    Évidemment, le développement artificiel des ENR n’arrange rien puisqu’il dirige les capitaux vers un secteur grassement rémunéré aux frais des consommateurs et des contribuables, avec des rentabilités à court terme, des engagements sur seulement 20 ans, et des coûts unitaires d’investissement faibles.

    Tout est donc réuni pour faire mourir EDF, sans qu’on sache comment le remplacer. Il est vrai qu’EDF y a mis aussi du sien : frais internes exorbitants, investissements repris d’AREVA avec des ardoises énormes…

    Mais sur un marché vraiment libéralisé, EDF pourrait profiter du fait que son programme nucléaire est amorti. (il a été financé uniquement sur emprunt, sans aide de l’État, contrairement à un mythe assez répandu). Il pourrait alors assainir son bilan pour réinvestir  dans le Grand Carénage et le prolongement des installations à 60 ans, voire à un nouveau programme.

    La suite, Hercule arrive

    Le temporaire de l’ARENH prend fin en 2025. La Commission européenne revient donc à la charge : il faut briser le monopole d’EDF. Plus vraiment pour établir une concurrence qui baisserait le prix au consommateur : cet argument serait risible, vu les résultats de la précédente « libéralisation » !

    Il s’agit juste maintenant d’obéir à un dogme dépouillé de toute rationalité. Certes EDF a encore un « monopole » en France, mais dans un marché européen tellement éloigné des règles libérales que c’est juste une situation surréaliste parmi tant d’autres.

    La solution qui est sur la table, le projet Hercule , fait l’objet d’intenses discussions. La Commission veut scinder EDF en deux parties, le nucléaire et le transport haute tension d’une part (la part qui sera en perte et en besoin d’intenses financements) et la distribution et les ENR d’autre part, (c’est-à-dire ce qui gagne de l’argent aux frais du contribuable et du consommateur). Elle souhaiterait évidemment une privatisation importante et la rupture des liens entre les deux sociétés.

    La question des barrages hydrauliques fait aussi débat : ce n’est pas un détail, cela représente 25 GW en France, et c’est indispensable pour assurer la continuité de service, surtout avec des ENR. Ce qui limite le degré de liberté d’opérateurs indépendants, ou, à tout le moins, nécessite des règles de servitude. Et l’eau a des usages multiples, pour le bien commun, autres que l’électricité, qu’il faut assurer eux aussi.

    Le gouvernement met sur la table une organisation scindée en trois entités : EDF bleu (le nucléaire et RTE, le réseau haute tension), EDF vert (les ENR et Enedis, le réseau de distribution, et le commerce), EDF Azur (les barrages hydrauliques) avec des liaisons qui resteraient fortes entre les entités.

    Mais la question du nucléaire reste entière. Une proposition pourrait être que l’entité dédiée vende son GWh nucléaire à prix plus ou moins réglementés (en rapport avec les coûts) en totalité sur le marché, son entité commerciale étant un acheteur comme un autre.

    Le vrai enjeu c’est le financement du renouvellement du parc du nucléaire. Les conditions ne permettent plus, comme dans les années 1980, à EDF d’emprunter seul à des taux avantageux. Or, vu la longueur des emprunts les taux sont un élément capital dans les coûts du GWh.

    De plus, la rentabilité du parc nucléaire ne peut que baisser, avec le développement frénétique des ENR, si l’obligation d’achat perdure : les autres producteurs, les pilotables, ne peuvent que moins produire. Tout ceci amène à conclure que si la France veut poursuivre dans le nucléaire, cela ne pourra se faire sans l’État : horreur pour la Commission européenne !

    Au gouvernement, personne ne croit que l’on puisse se passer du nucléaire (sauf peut être l’ADEME et Mme Pompili, et encore.) Il faut donc trouver une solution pour sauver la face. Une option vraiment privée serait sans doute chinoise. Mais l’heure est à la souveraineté nationale.

    La décision du renouvellement du parc sera prise en 2023… si Hercule convainc la Commission. Le premier nouvel EPR sera couplé en 2030, au mieux. D’ici là, la France, et l’Allemagne (qui aura arrêté nucléaire et charbon) auront sans doute acheté en catastrophe des centrales au gaz pour éviter la pénurie.

    Épilogue

    Ceci n’est pas une fiction inspirée d’Alice au pays des merveilles. C’est notre monde, c’est notre avenir. On peut en rire, tellement c’est surréaliste, on peut aussi en pleurer.

    Tant que les conditions faites aux ENR perdureront, le « prix de marché » reflétera davantage la météo que les performances des acteurs. On ne peut baser un marché libre là-dessus.

    On échafaudera des « Hercule » de plus en plus compliqués, de plus en plus shadockiens, pour corriger sans fin les corrections des corrections des dysfonctionnements créés de toute pièce par un système que plus personne ne contrôle.

    Pendant ce temps là, la Russie pousse son gazoduc et la Chine vend ses centrales  nucléaires.