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      Les Centres du Progrès (23) : Londres (Émancipation)

      Chelsea Follett · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 11 December, 2022 - 03:50 · 11 minutes

    Un article de Human Progress

    Notre vingt-troisième Centre du progrès se situe à Londres à la fin du VIII e et au début du XIX e siècle, lorsque la ville a accueilli des débats sur la nature des droits de l’homme qui allaient changer le monde. Aujourd’hui, nous considérons comme acquise la norme selon laquelle personne ne peut acheter ou vendre un autre être humain, mais il a fallu beaucoup de temps à l’humanité pour en arriver à cette norme. L’esclavage a été accepté et rarement remis en question pendant des millénaires dans le monde entier, mais aujourd’hui, l’esclavage est illégal dans tous les pays. Les batailles juridiques menées à Londres et les mesures législatives prises dans cette ville ont contribué à mettre fin au commerce mondial des esclaves et à provoquer un changement radical des attitudes à l’égard de l’esclavage – une victoire inestimable pour la liberté humaine.

    Aujourd’hui, Londres est une ville qui n’a plus besoin d’être présentée. Elle est connue pour être l’une des principales villes mondiales, ainsi que la capitale et la ville la plus peuplée du Royaume-Uni. Londres est reconnue comme un centre de commerce, de finance, d’art, d’éducation et de recherche, et fait partie des destinations touristiques les plus populaires du monde. Elle abrite le palais de Buckingham, l’emblématique tour de l’horloge Big Ben, le British Museum et la plus grande roue d’Europe, le London Eye. Elle abrite également quatre sites différents inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO : l’abbaye de Westminster, la tour médiévale de Londres, les jardins de Kew et le quartier maritime de Greenwich.

    Des preuves suggèrent que le site de l’actuelle Londres est habité depuis au moins l’âge de bronze. Cependant, l’importance du site a commencé lorsque les Romains y ont fondé une colonie portuaire en 43 après J. -C. Elle était connue sous le nom de Londinium. Londinium est rapidement devenue un centre de commerce régional, un nœud routier majeur et la capitale de la Grande-Bretagne romaine pendant la majeure partie de la période où les Romains ont régné sur la province de Britannia. Une fois qu’ils ont quitté la Grande-Bretagne, les Anglo-Saxons ont pris le pouvoir à Londres et la ville est devenue la capitale du futur royaume d’Angleterre. Après la conquête normande de 1066, Guillaume le Conquérant est devenu le roi d’Angleterre et c’est sous son règne que Londres a été associée pour la première fois aux tentatives de limiter l’esclavage.

    Dans différentes parties du monde, l’esclavage a longtemps fait l’objet de critiques ponctuelles, de diverses limites et même de brèves interdictions. Par exemple, l’empereur Wang Mang a interdit l’esclavage en Chine en l’an 9 de notre ère. Il a été rétabli peu après. Au VII e siècle, la reine franque Balthild, elle-même ancienne esclave, a contribué à la promulgation de réformes visant à empêcher le commerce d’esclaves chrétiens. Dans les années 740, le pape Zachary a interdit la vente d’esclaves chrétiens aux musulmans. En 873, le pape Jean VIII a également qualifié de péché l’asservissement des chrétiens et a plaidé pour la libération des esclaves.

    Mais la première tentative de restriction de l’esclavage à l’impact le plus durable s’est produite à Londres. Selon le Domesday Book, un vaste recensement de l’Angleterre et de certaines parties du Pays de Galles réalisé dans les années 1080, environ 10 % des habitants de la région étaient des esclaves . En 1080, Guillaume le Conquérant a interdit la vente d’esclaves aux non-chrétiens. En 1102, le Conseil ecclésiastique de Londres a interdit le commerce d’esclaves en Angleterre, décrétant que « personne n’osera plus s’engager dans cette activité infâme […] qui consiste à vendre des hommes comme des animaux ».

    En une génération, l’esclavage a pratiquement disparu en Angleterre. Il a été remplacé par le servage. Contrairement aux esclaves, les serfs pouvaient au moins posséder des biens. De plus, ils ne risquaient pas d’être séparés de leur famille. Hélas, ils ne pouvaient pas se déplacer puisqu’ils étaient perpétuellement confinés à la terre qu’ils travaillaient. Un seigneur féodal pouvait vendre cette terre, changeant ainsi qui le serf servait, mais les serfs eux-mêmes n’étaient pas vendus.

    Depuis des temps immémoriaux, toutes les grandes civilisations ont pratiqué une forme d’esclavage pendant la majeure partie de l’histoire. L’esclavage existe depuis au moins 3500 avant J.-C., lorsque les anciens Sumériens le pratiquaient. Les progrès de la navigation maritime ont entraîné la mondialisation de la traite des esclaves. Par exemple, la traite atlantique des esclaves a duré du XVI e au XIX e siècle et a impliqué le transport de millions d’Africains subsahariens à travers l’océan pour y vivre en esclavage.

    Si les premiers esclavagistes étrangers en Afrique subsaharienne étaient des Arabes – l’Arabie saoudite n’a en effet interdit l’esclavage qu’en 1962 -, les Européens n’ont pas tardé à jouer un rôle de premier plan dans la traite maritime des esclaves, transportant environ 11 millions d’esclaves hors d’Afrique. Le premier et le plus grand contrevenant était le Portugal, qui a transporté environ 5 millions d’esclaves des marchés d’esclaves africains, principalement vers sa colonie du Brésil.

    La Grande-Bretagne a transporté le deuxième plus grand nombre d’Africains réduits en esclavage (2,6 millions) dans ses différentes colonies. Au moins 300 000 esclaves africains ont été expédiés dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord, qui deviendront plus tard les États-Unis. Cependant, l’absence quasi-totale d’esclavage en Grande-Bretagne qui perdurait depuis les réformes de Guillaume le Conquérant, allait se révéler cruciale pour retourner les cœurs et les esprits britanniques vis-à-vis de cette institution.

    Comme chacun le sait, les esclaves africains étaient traités comme des biens et non comme des personnes. Leurs conditions de vie sur les navires négriers étaient horribles, ils étaient nombreux à ne pas survivre pas au voyage. La plupart de ceux ayant survécu au voyage ont ensuite vécu le cauchemar du travail agricole forcé et éreintant dans les plantations du Nouveau Monde. Les esclaves des plantations des Caraïbes et du Brésil ont enduré les pires conditions et ont connu les taux de mortalité les plus élevés.

    Un adolescent barbadien asservi, Jonathan Strong, a été amené à Londres par son maître qui, en 1765, l’a blessé avec un pistolet et l’a laissé pour mort dans la rue. Strong, en sang et presque aveugle à la suite de cette attaque, s’est retrouvé dans une clinique pour les pauvres à Mincing Lane. Alors qu’il est soigné pour ses blessures, il fait impressionne le frère du médecin, Granville Sharp (1735-1813).

    Sharp, né à Durham mais résidant à Londres depuis l’âge de quinze ans, fut transformé à jamais par cette rencontre. Avec son frère, il emmène Strong à l’hôpital et lui paie un traitement de plusieurs mois. Mais peu de temps après s’être suffisamment rétabli pour quitter l’hôpital, Strong est repris par son ancien esclavagiste qui tente de le vendre à une plantation jamaïcaine.

    Sharp a défendu avec avec succès la liberté de Strong au tribunal battant mais seulement sur un point de détail. Hélas, la santé de Strong est définitivement compromise par l’attaque au pistolet et il meurt à l’âge de 25 ans en 1770. Sharp se consacre à la mise à l’établissement d’une législation sur la question de savoir si un homme peut être contraint de quitter la Grande-Bretagne et de devenir esclave. Ses efforts lui valent une réputation de penseur des Lumières et de militant anti-esclavagiste. Il n’est pas seul. Le mouvement abolitionniste en Grande-Bretagne prend de l’ampleur.

    En 1769, un autre esclavagiste des colonies a tenté d’amener à Londre un homme asservi, James Somerset. En 1771, Somerset s’est échappé. En moins de deux mois, il est capturé et des dispositions sont prises pour le vendre à nouveau comme esclave en Jamaïque. Trois Londoniens ont demandé que Somerset soit entendu et leur requête a été acceptée. De nombreux Britanniques inquiets envoient de l’argent pour lancer une défense juridique pour Somerset mais plusieurs avocats se portent volontaires pour s’occuper de l’affaire bénévolement. Sharp conseille longuement les avocats de Somerset.

    L’un d’eux, William Davy, est célèbre pour avoir cité à la défense de Somerset une affaire de 1569 dans laquelle un charretier aurait tenté d’amener un esclave de Russie en Angleterre. Dans cette affaire, il a été décidé que l’air de l’Angleterre était « trop pur » pour qu’un esclave puisse le respirer et que toute personne en Angleterre était donc libre. Ou, comme l’a dit le juriste londonien Sir William Blackstone (1723-1780), « l’esprit de liberté est si profondément ancré dans notre constitution qu’un esclave, dès qu’il débarque en Angleterre, est libre ».

    Somerset gagne son procès. Le jugement énonce que tant qu’il est en Grande-Bretagne, Somerset est libre. En outre, il ne peut être forcé à quitter le pays. Ce jugement marque un tournant.

    Quelles que soient les motivations initiales de Guillaume le Conquérant pour limiter l’esclavage, à l’époque du jugement de Somerset, l’absence d’esclavage en Grande-Bretagne était devenue une question de fierté britannique. C’était également une question morale pour plusieurs penseurs des Lumières, des membres du clergé – dont l’ecclésiastique anglican John Newton (1725-1807), auteur de l’hymne bien connu Amazing Grace – et le grand public.

    En 1807, grâce à la pression croissante de l’opinion publique et au travail de réformateurs infatigables tels que William Wilberforce (1759-1833) au sein du Parlement britannique de Westminster, basé à Londres, la Grande-Bretagne interdit le commerce international des esclaves avec la loi sur le commerce des esclaves. Lorsque les efforts diplomatiques visant à faire pression sur Paris et Vienne pour qu’ils signent une législation similaire se sont révélés vains, le soutien de l’opinion publique à l’usage de la force a augmenté.

    Les décideurs de Londres ont ordonné à la marine britannique de former l’escadron d’Afrique de l’Ouest en 1808 afin de bloquer l’Afrique de l’Ouest et d’arrêter le mouvement des navires transportant des esclaves à travers l’océan Atlantique. Dans les années 1850, l’escadron d’Afrique de l’Ouest comptait environ 25 navires, deux mille hommes britanniques et un millier de membres d’équipage supplémentaires recrutés localement, principalement dans ce qui est aujourd’hui le Liberia. Les officiers de la marine britannique recevaient une récompense pour chaque esclave libéré, mais la principale motivation était humanitaire – à cette époque, les efforts anti-esclavagistes étaient extrêmement populaires en Grande-Bretagne. Comme l’a dit le poète Alfred Tennyson (1809-1892), « Cet esprit de chevalerie […] nous le voyons dans les actes d’héroïsme sur terre et sur mer, dans les combats contre le commerce des esclaves. »

    Entre 1808 et 1860, l’escadron d’Afrique de l’Ouest a réussi à chasser au moins 1600 navires négriers et à libérer environ 150 000 esclaves africains. L’Espagne et le Portugal ont tenté de poursuivre la traite des esclaves en achetant souvent des esclaves à des vendeurs africains. Au milieu du XVII e siècle, le roi Tegbesu du Dahomey, dans l’actuel Bénin, tirait l’équivalent d’environ 250 000 livres par an – la majeure partie de ses revenus – de la vente aux Européens d’esclaves capturés lors de batailles. Son successeur au trône a déclaré en 1840, en réponse aux pressions exercées par les Britanniques pour qu’il cesse de vendre des esclaves : « Le commerce des esclaves est le principe directeur de mon peuple. C’est la source et la gloire de leur richesse… la mère berce l’enfant avec des notes de triomphe sur un ennemi réduit à l’esclavage » . Son acceptation de l’esclavage montre à quel point cette pratique était encore profondément ancrée à l’époque et dans le monde entier.

    La marine britannique finit par bloquer le Brésil également et réussit à mettre un terme au commerce d’esclaves brésilien en 1852. Mais les effets du mouvement abolitionniste né à Londres ne se sont pas arrêtés là. Le mouvement connut un renouveau dans les années 1860, lorsque David Livingstone, médecin écossais et membre éminent de la London Missionary Society, publia des rapports décrivant la traite des esclaves arabes en Afrique qui émurent également le public britannique. Dans les années 1870, la marine britannique a de nouveau consacré des ressources à l’arrêt de la traite des esclaves, cette fois-ci par des négociants basés à Zanzibar. Grâce en partie aux efforts lancés à Londres, le nombre de pays où l’esclavage est légal s’effondre tout au long du XIX e siècle.

    Si les législateurs londoniens des XVIII e et XIX e siècles étaient loin d’être parfaits, leur zèle anti-esclavagiste a contribué à changer le monde pour le mieux. Comme le disait l’historien irlandais William Lecky (1838-1903), « La croisade inlassable, sans ostentation et sans gloire de l’Angleterre contre l’esclavage peut probablement être considérée comme l’une des trois ou quatre pages parfaitement vertueuses de l’histoire des nations . »

    C’est à Londres que les abolitionnistes britanniques se sont organisés, qu’ils ont remporté des victoires judiciaires et législatives, qu’ils ont lancé des navires de guerre avec pour mission d’émanciper les esclaves et qu’ils ont finalement contribué à modifier des normes morales qui avaient persisté depuis l’aube de la civilisation. Pour son rôle essentiel dans la fin de la traite des esclaves et la dénormalisation de l’institution de l’esclavage, Londres est à juste titre notre vingt-troisième Centre du progrès.

    Traduction Contrepoints

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      Racisme, esclavage, colonies : et si on revenait à la vérité historique ?

      Yves Montenay · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 3 July, 2020 - 03:40 · 18 minutes

    Racisme

    Par Yves Montenay.

    À partir du meurtre d’un Noir américain par un policier blanc aux États-Unis, une déferlante a gagné le monde entier. Or si le problème noir est très réel aux États-Unis, ce n’est pas une raison pour inventer une fausse histoire du monde.

    Certains utilisent ce problème américain pour semer la haine et détruire les relations entre l’Europe et l’Afrique, au détriment de cette dernière à qui l’on répète que ses problèmes de développement économique et humain sont dus à l’esclavage et à la colonisation .

    Allons bon, direz-vous, voilà un suprémaciste blanc qui veut nier l’évidence !

    Pas du tout. Un peu de chronologie paraît nécessaire pour revenir à la vérité historique.

    Race et esclavage, la chronologie

    Dans l’Antiquité, l’esclavage était général dans l’empire romain, chez les Grecs et ailleurs. Il ne concernait que les Blancs, seuls habitants de ces régions. Je mets de côté l’Égypte pharaonique puis grecque et romaine, qui était au contact des populations noires dans son extrême sud.

    Au Moyen Âge l’esclavage a disparu en Europe occidentale.

    En Afrique subsaharienne esclavagistes et esclaves étaient noirs, avant comme après l’arrivée des Européens dans les comptoirs africains, tout simplement parce qu’il n’y avait pas de population blanche.

    Dans l’empire ottoman, qui comprenait l’Algérie mais pas le Maroc, les esclaves étaient européens et subsahariens.

    De même au Maroc, dans la péninsule arabique, et j’en oublie.

    Les Blancs étaient des prisonniers de guerre (principalement pris par les Turcs en Europe orientale et dans le Caucase) ou des populations civiles razziées (principalement sur les côtes espagnoles, françaises et italiennes par les pirates barbaresques maghrébins).

    Les Noirs étaient dans un premier temps achetés par les marchands arabes aux Africains en échange des biens manufacturés. Puis, au fur et à mesure des progrès arabes en armement, ces échanges devinrent des razzias de populations entières et certaines populations africaines étaient en cours de disparition à l’arrivée des armées coloniales. À ce sujet vous pouvez vous reporter à l’étude d’Olivier Pétré-Grenouilleau : La traite oubliée des négriers musulmans .

    Plus tard, au XVIIIe et XIXe siècle les reculs des armées musulmanes, notamment turques, en Europe et en Asie occidentale et centrale tarirent la source d’esclaves blancs dans le monde musulman, où le mot arabe pour esclaves se confondit avec le mot noir , comme le rappelle Alban Dignat dans Des origines au XXe siècle L’esclavage en Afrique.

    Revenons chez les chrétiens

    Quand les Européens ont commencé à occuper les Amériques, ils ont entrepris une colonisation agricole et ont réduit les Indiens en esclavage. Mais Charles Quint en 1526, puis le pape en 1537, le leur a très vite interdit ( Controverse de Valladolid ).

    Les nouveaux propriétaires fonciers se sont alors tournés vers le marché aux esclaves existant en Afrique subsaharienne et en ont acheté aux autorités locales. Ces propriétaires des deux Amériques étaient en très grande majorité des Blancs, mais certains étaient Africains ou mulâtres.

    En Afrique, pour les Européens, cette époque était non pas celle de la colonisation, qui date de la fin du XIXe siècle, mais des comptoirs. Les premiers datent de la Renaissance et se sont installés avec l’accord de l’autorité africaine locale. C’étaient des lieux de commerce où étaient échangés les produits européens et les produits africains, dont les esclaves.

    Quand les Européens ont colonisé l’Afrique à la fin du XIXe siècle, ils avaient aboli l’esclavage dans leurs colonies américaines et l’ont donc aboli également en Afrique.

    Ainsi prirent fin la traite intérieure (entre Africains) et la traite génocidaire arabe , bien décrite par l’anthropologue sénégalais Tidiane N’Diaye.

    La traite arabe perdit aussi ses débouchés en Afrique du Nord avec l’arrivée des Français.

    C’est au Maroc que l’esclavage a disparu le plus tardivement (en 1922) puisque les Français n’ont vraiment administré le pays qu’à partir de 1919 du fait de la guerre, même si le début du protectorat date de 1911.

    Donc grâce à la colonisation européenne en Afrique et à la guerre civile américaine, qui se termine en 1865, l’histoire de l’esclavage se termine. À chacun d’apprécier si, cinq à sept générations plus tard, cela détermine encore les trajectoires professionnelles et familiales.

    De l’esclavage au racisme, un phénomène américain

    Il y eut toutefois une exception importante : le sud des États-Unis.

    À contre-courant de l’évolution intellectuelle en Europe, illustrée notamment par Montesquieu, les États-Unis institutionnalisent le racisme sur tout leur territoire, notamment avec la loi de « naturalisation » du 26 mars 1790, qui la réservait aux Blancs.

    C’est en 1861 que le gouvernement américain supprime l’esclavage. Le Sud fait sécession. Il est battu en 1865 et l’esclavage y est alors supprimé.

    Mais les États-Unis étant un pays très décentralisé (États, municipalités…) beaucoup d’autorités locales mirent en place des politiques racistes qui ont considérablement réduit les droits des Noirs, y compris sur le plan électoral.

    Ces politiques ségrégationnistes ont été démantelées depuis plus de 50 ans , mais leur souvenir est resté et certaines mentalités « blanches » en sont encore imprégnées. Remarquons qu’il ne s’agit plus de l’esclavage, même s’il existe une évidente continuité historique.

    C’est dans ce contexte que le déboulonnage des statues d’hommes politiques vivant à l’époque de l’esclavage se répand aux États-Unis, dont une statue de Louis XVI. Ce dernier est pourtant l’acteur principal de l’indépendance américaine avec la création d’une flotte qui a permis de neutraliser celle de la Grande-Bretagne, notamment à Chesapeake, permettant aux Américains et à Lafayette leur victoire sur terre.

    On se focalise aujourd’hui sur les différences sociales

    Les statistiques montrent en effet un très réel retard économique et scolaire de la population noire américaine.

    Une parenthèse pour dire que jusqu’à récemment, était considérée comme noire toute personne « ayant une goutte de sang noir » . La définition a changé et le président Obama a fait savoir qu’il avait coché la case du recensement « origine mixte ».

    Mais quel est le lien entre ce retard économique et scolaire et le racisme au sens courant du terme ?

    Une partie de la différence raciale ainsi statistiquement apparente s’explique par la proportion élevée des mères célibataires dans la population noire (55 %), avec leur conséquence sur les revenus et les difficultés d’éducation des enfants.

    On peut discuter à l’infini de l’origine esclavagiste de cette différence, et des mesures à prendre pour la faire disparaître, en gardant à l’esprit que des allocations préférentielles peuvent générer des effets pervers : par exemple, cela a eu pour conséquence imprévue de faire des mères célibataires la cible de séducteurs parasites, ce qui n’arrange pas leur situation.

    Et puis, une corrélation statistique ne dit rien de plus que ce qu’elle indique.

    Les mères célibataires blanches sont plus nombreuses que les noires (7, 5 millions contre 3,4), même si elles forment une partie plus faible de la population blanche (14,6 % contre 55,5 % chez les femmes noires). Voir à ce sujet l’étude sur les Familles monoparentales aux États-Unis de Sylviane Diouf-Kamara.

    Et leurs problèmes sont également graves bien que non raciaux, ce qui affaiblit le lien de cause à effet entre la race et leur situation.

    Enfin le phénomène n’est devenu massif que dans la deuxième moitié du XXe siècle, donc longtemps après la fin de l’esclavage.

    Cette histoire américaine est très loin des généralités sur l’esclavage ou le colonialisme, surtout quand elles visent la France ou la Grande-Bretagne pour leurs actions en Afrique.

    Police et racisme

    En France, comme aux États-Unis, la police est pluri-ethnique. C’est une promotion sociale d’y entrer. Dans les colonies anglaises et françaises, c’était également le cas, comme pour l’armée.

    Bien sûr, les policiers ne sont pas des anges, comme dans beaucoup d’autres professions. Leur métier comprend l’usage de la force, comme d’autres métiers comprennent l’usage de l’argent et il y a dans les deux cas des dérapages dont la justice est saisie. Là aussi on peut tirer des corrélations mais qui ne disent pas où est la cause et où est l’effet.

    Plusieurs solutions ont été envisagées. La plus simple est que toute interpellation soit automatiquement filmée. On a également envisagé de donner « un reçu » de contrôle policier des papiers pour éviter leur multiplication « au faciès »… mais qui suppose un nouveau contrôle pour être certain qu’il n’a pas été passé à un copain…

    Les manifestants voudraient peser pour cela sur le pouvoir politique. Mais dans un État de droit, ce n’est pas le politique qui rend la justice. C’est au juge de dire si tel policier est abusivement violent, ou raciste.

    N’oublions pas qu’en Afrique la brutalité policière est beaucoup plus répandue qu’en France, ainsi que la corruption et l’extorsion de fonds, notamment aux automobilistes. Donc, s’il y avait des statistiques locales et si on utilisait là aussi les corrélations, la police française croulerait sous les félicitations de la population africaine !

    Et la colonisation ?

    L’Afrique est en effet un continent où la violence dans certains États est infiniment plus grande qu’en Europe et en Amérique du Nord, alors que l’ordre public était bien plus calme à l’époque coloniale. Et ceux qui disent que c’était à cause d’une pression policière et militaire ne savent visiblement pas que la police et l’armée étaient alors largement indigènes.

    Un livre fondateur pour ceux qui s’intéressent aux grandes synthèses anglo-saxonnes est Civilization, the West and the Rest (La civilisation, l’Occident et le reste du monde) de Niall Ferguson. Auteur qui par ailleurs est marié avec Ayaan Hirsi Ali, réfugiée aux États-Unis après les menaces islamistes reçues aux Pays-Bas, où elle était députée.

    L’auteur raille la classe intellectuelle qui affirme que tous les malheurs du monde sont le fruit du colonialisme disparu depuis plus d’un demi-siècle, colonialisme devenu un alibi commode pour les pires dictateurs. Sa position rappelle celle de Raymond Aron pendant la guerre froide.

    Il estime que la civilisation occidentale a un bilan globalement très positif pour l’ensemble du monde. Notamment en ayant apporté, ou tenter d’apporter, « la propriété et l’État de droit » , donc la prospérité en économie (voir l’Asie de l’Est et du Sud-Est), et la médecine dans le domaine scientifique.

    Par ailleurs, les métropoles ex coloniales sont généreuses, ayant accueilli tous les réfugiés « indigènes » même ceux qui avait pris les armes contre elles avant d’être purgés par ceux qu’ils avaient aidés à prendre le pouvoir.

    Enfin, avant d’attaquer les sociétés occidentales, on pourrait, par exemple se souvenir de la mise en esclavage actuelle par les Libyens des migrants subsahariens ou moyen orientaux qui transitent par ce pays.

    La France contaminée par les États-Unis

    Comme souvent, les modes américaines sont saisies avec empressement par une partie des intellectuels français.

    On a exigé le déplacement d’ une statue de Colbert , notamment parce qu’il a été un des rédacteurs du « code noir » qui réglementait les rapport maître/esclave pour éviter les pires abus… ce qui illustre aux yeux des « décoloniaux » qu’il connaissait le système et ne s’y opposait pas.

    Devra-t-on aussi déboulonner les statues de Socrate ou de Cicéron qui, eux, avaient des esclaves chez eux et non dans des îles lointaines ?

    L’œuvre de Colbert, dont je ne suis pas un admirateur, a été par ailleurs très importante et il mérite amplement sa statue. Le problème pourrait se résumer à quelques lignes sur le socle de la statue décrivant les aspects positifs ou non de son œuvre.

    Mais les intellectuels arrivent parfois à influencer les gouvernants

    Ainsi, la loi Taubira du 10 mai 2001 a fait de la traite européenne, et elle seule, un crime contre l’humanité, et son anniversaire est devenu une « Journée de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions », réinjectant dans les esprits des drames qui ne correspondent plus aux situations sociales d’aujourd’hui, mais permettant à certains d’utiliser la corde sensible de la victimisation.

    Pourtant, la France n’a eu aucun rôle moteur dans cette histoire universelle.

    Depuis, se sont multipliées les manifestations d’une pensée « décoloniale » ou « indigéniste » au vocabulaire marxiste.

    On voit ressurgir le vocabulaire de la race dans le milieu universitaire et chez les jeunes.

    Le groupe le plus en vue dans ce domaine est le Parti des indigènes de la République (PIR) qui proclame « le racial d’abord ».

    En filigrane, il y a la conviction que la France a construit sa richesse sur son empire colonial et la division raciale. C’était la vieille conviction de Lénine, qui a poussé les partis communistes locaux à agir pour l’indépendance des colonies, pensant que la France et la Grande-Bretagne s’effondreraient. Ce qui n’est pas arrivé et montre l’incompréhension communiste du système de développement libéral.

    Combattre « le privilège blanc »

    Sans faire de Piketty un marxiste au sens précis du terme, remarquons cette obsession du colonialisme dans sa tribune dans Le Monde du 13 juin 2020 : « La vague de mobilisation contre le racisme pose une question cruciale : celle des réparations face à un passé colonial et esclavagiste qui décidément ne passe pas » .

    Même obsession chez Françoise Vergès qui, dans son ouvrage Un féminisme décolonial estime que les féministes occidentaux n’ont pas tenu compte du racisme dans l’oppression des femmes et cherchent à imposer aux femmes du Sud un mode de vie occidental.

    La confusion avec le problème américain est manifeste dans Le Monde de 12 juin : « Avec le mouvement Black Lives Matter, le Royaume-Uni et la Belgique s’interrogent sur leur passé colonial » .

    La synthèse de ces mouvements et analyses peut être résumée par la formule : « le privilège blanc », qu’il faut évidemment combattre.

    Bref, suivez la mode, repentez-vous, bien que vous-même et la quasi-totalité de vos ascendants lointains n’y soient pour rien.

    Pour Sartre, être anticommuniste c’était « être un salaud », aujourd’hui parler de l’époque coloniale comme étant un objet historique à étudier, c’est être « un réactionnaire blanc » à faire taire.

    Rien ne pourrait faire plus plaisir aux dictateurs africains pour faire oublier leur police politique, leur violence et les catastrophes économiques et sociales qu’ils ont suscitées !

    Le noyautage des universités françaises

    Aux États-Unis il y a maintenant quelques décennies que des groupes d’étudiants réussissent à faire renvoyer des enseignants pour avoir tenu des propos non acceptés par telle ou telle minorité raciale, sexuelle ou politique.

    Le mouvement gagne des universités françaises.

    En 2016 se lancèrent les groupes en « non-mixité racisée » de Paris VIII.

    En 2017 les ateliers de même étiquette ont été organisés par le syndicat d’enseignants Sud éducation 93, et dénoncés par Jean-Michel Blanquer, la Licra et SOS racisme.

    Et les universitaires prennent le train en marche, toujours en suivant les États-Unis.

    J’ai noté l’annonce suivante sur une « liste » internationale d’historiens : « Je suis en train de monter un projet décolonial sur le genre, la race et violence sexuelle dans la littérature française. Pour l’instant, j’ai une documentation sur Fanon, Camus, Sartre et Guyotat, mais je voudrais les contributions de femmes auteurs. Envoyer les suggestions à… »

    Nous sommes donc passés d’une conception d’un racisme qui serait le fait d’acteurs individuels déviants, et donc de groupuscules ou de partis secondaires, à la proclamation d’un racisme généralisé anti-Blanc en représailles à leur héritage colonial, qui n’a pourtant pas touché la masse des Français, et dont une partie des acteurs étaient des personnes dévouées aux populations locales.

    J’en connais qui sont morts bouleversés de se voir traiter de monstres sanguinaires par des ignorants de leur travail concret.

    Naturellement, ce « racisme par l’antiracisme » déclenche des réactions.

    La réaction des « vieux Blancs »

    Jean-François Revel avait écrit dès 1999 dans La fin du siècle des ombres : « l’antiracisme fabrique plus de racistes qu’il n’en guérit […] L’antiracisme idéologique, qu’il faut soigneusement distinguer de l’antiracisme effectif et sincère, attise les divisions entre les humains. »

    De même, Pascal Bruckner remarque les slogans lancés le 6 juin 2020 lors de la manifestation « antiraciste » à Paris : « Sibeth traître à sa race », « mort aux Blancs », et conclut : « On réinvente l’apartheid, on revient aux années 1930 tout en prétendant les combattre ».

    De même, dans L’Express du 18 juin Élisabeth Badinter note : « La race partout, c’est la naissance d’un nouveau racisme ».

    Enfin, je citerai deux références hors de France :

    L’une dans le domaine universitaire, celle d’Andrew Sobanet Generation Stalin: French Writers, the Fatherland, and the Cult of Personality (Génération Staline : les écrivains français, la patrie et le culte de la personnalité ).

    C’est la conversion à un stalinisme total et qui paraît aujourd’hui caricatural des plus grands écrivains français des années 1930 : le prix Goncourt Henri Barbusse, Romain Rolland, Paul Éluard et Aragon.

    L’autre d’un homme de terrain non universitaire, Kakou Ernest Tigori, dont les deux bisaïeules ont été vendues comme esclaves à d’autres africains. Cet écrivain ivoirien est l’auteur de L’Afrique à désintoxiquer : sortir l’Europe de la repentance et l’Afrique de l’infantilisme (2018).

    Mon avis personnel

    Et maintenant je vais aggraver mon cas en persistant et signant.

    D’abord, je suis « a-raciste » par éducation, et ce n’est que peu à peu que j’ai constaté, à ma surprise, que le monde entier était raciste : j’ai entendu les Asiatiques et les Maghrébins traiter les Noirs de (censuré) et des Noirs faire de même en visant leurs voisins. Dire que c’est du tribalisme ou de la xénophobie ne change pas le résultat : des remarques désobligeantes d’abord, puis la répression et les massacres. C’est une première raison de trouver le débat actuel ignorant, voire hypocrite.

    Ensuite avec mes bientôt 80 ans et ayant été plongé très jeune dans la vie historique et politique, j’ai rencontré des témoins dont certains avaient vécu la fin du XIXe siècle. Ils étaient de toutes origines ethniques et politiques dans ce qui était alors l’empire français.

    Par exemple mon grand-père était communiste au Vietnam.

    J’ai également vécu la guerre froide, et le débat actuel me rappelle dramatiquement cette époque où beaucoup d’historiens et d’intellectuels francophones, français ou non, ont trahi leur mission en suivant, après les célèbres exemples ci-dessus, la mode soviétophile de l’époque.

    Certains se sont rendu compte qu’ils avaient été manipulés et ont changé de cap quelques années plus tard, à commencer par le président Senghor avec qui j’ai beaucoup discuté.

    Comme aujourd’hui, les universitaires des années de l’après Deuxième Guerre mondiale brandissaient l’argument d’autorité en citant tel livre et plus généralement « le dernier état de la recherche » pour s’opposer au système politico-économique français et orienter les esprits vers « la grande lueur qui se lève à l’Est ». Qui s’exprimait autrement n’était qu’un réactionnaire qui serait bientôt ridiculisé.

    Sartre, Simone de Beauvoir et Philippe Sollers sont ainsi allés en Chine sans s’apercevoir que les gens y mouraient de famine et de persécution. Mais c’était la « mode Mao ».

    François Furet, Edgar Morin, Régis Debray, Annie Kriegel, Michel Foucault, Jean-François Desenti, Alain Besançon, Étiemble et bien d’autres ont suivi la mode marxiste, voire soviétophile de leur temps et s’en sont repentis ensuite dans des livres à succès, dont je vous recommande vivement l’instructive lecture.

    D’où ma grande réserve envers ceux qui suivent une mode intellectuelle, actuellement décoloniale, et mon message : « ne recommencez pas, ne suivez pas les modes, l’histoire se décante petit à petit au fil des discussions contradictoires et non des condamnations du passé ».

    N’allez pas maintenant suivre aveuglément la mode décoloniale !

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