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      Plan contre le cancer : une critique libérale

      Finn Andreen · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 9 February, 2021 - 03:30 · 6 minutes

    cancer

    Par Finn Andreen.

    Le président de la République vient d’annoncer un plan contre le cancer . L’information est relayée entre autre par Franceinfo, la radio de l’État français qui est évidemment tout à fait incapable de voir d’un œil critique et indépendant cette annonce gouvernementale.

    Quelle approche libérale à propos du plan cancer

    Une personne libérale ne devrait-elle pas faire une exception à son idéologie, quand l’État se propose de sauver des vies ? La réponse est évidemment non, pour les raisons suivantes.

    Le libéral se rappellera que l’État veut avant tout préserver sa légitimité. Cet instinct de survie est dans son ADN, même si, personnellement, Macron n’incarne peut-être pas directement ce phénomène.

    L’État doit constamment justifier, moyennant ses chiens de garde , son contrôle sur une grande partie de l’économie française, malgré une incompétence et une inefficacité évidentes. Il fait souvent cela en créant des plans, contre le cancer ou autres fléaux réels ou imaginés, que supposément le secteur privé n’aurait pas le cœur ou l’intérêt de prendre en charge.

    En tant que libéral, il serait possible d’argumenter que le secteur privé peut avoir un cœur tout aussi grand que l’État et également vouloir sauver des vies, comme le démontrent la philanthropie et d’innombrables initiatives privées dans les pays les plus libres.

    Mais un meilleur argument est plutôt celui du libre marché ; cet ordre spontané unique qui, dans sa recherche du profit, génère de la satisfaction client. Dans ce cas précis : survivre au cancer.

    Il n’existe pas de domaines qui soient exclus de ce principe de libre marché. Mais l’étatiste pense que ce principe capitaliste est valable pour certains secteurs mais pas pour d’autres ; c’est donc à lui qu’incombe la tâche de démontrer en quoi le secteur de la santé serait si spécial qu’il n’obéirait pas à la loi du marché, qui pousse inexorablement la qualité vers le haut et le prix vers le bas.

    Un autre principe libéral à garder en tête par rapport à ce plan cancer, est celui de la liberté des individus de choisir ce qu’ils veulent consommer. La question n’est pas de savoir si le tabac, l’alcool, la cocaïne, le sucre, ou quelque autre produit que ce soit, est nuisible ou non à la santé sur le court ou long terme. Certains le sont clairement, mais toujours en fonction du type de consommation et de sa constitution personnelle.

    L’individu doit avoir le droit de prendre toutes les décisions relatives à son propre corps ; cela veut dire aussi le droit d’endommager sa propriété, sciemment ou non. C’est l’idée que le droit devrait être basé sur le principe de non-agression . C’est loin d’être le cas, puisque l’État dépense énormément de ressources non seulement à la poursuite de violations des biens publics, mais également à punir ou interdire des comportements qui ne nuisent pas à autrui , se substituant ainsi à une figure parentale.

    Quand l’État dissuade de consommer du tabac via des taxes ou des paquets neutres , par exemple, ceci est aussi une forme d’agression, certes plutôt légère. C’est le concept de nudge que pratiquent de nos jours tous les gouvernements. Les inventeurs de ce concept le baptisèrent « paternalisme libertarien », ce qui est évidemment un contradictio in terminis , car par définition un paternalisme d’État ne peut pas être libertarien.

    Il est en cela préférable que les entreprises privées pratiquent le nudge en réalisant des plans de marketing pour essayer de modifier les comportements de clients libres de leurs choix.

    Il existe cependant un argument non libéral qui pourrait légitimer des actions coercitives envers les citoyens afin qu’ils réduisent leur consommation de produits considérés nocifs. Il s’agit de l’argument des coûts dans un système de santé largement socialisé comme le système français. La majorité des coûts de dépistage et de traitement du cancer en France étant pris en charge par l’État, il semble raisonnable que celui-ci puisse inciter la population à changer de comportement pour épargner des ressources financières et humaines futures. Un État en déficit a besoin non seulement des taxes sur les cigarettes , mais également de contribuables en vie.

    Mais cet argument n’est jamais utilisé par le gouvernement, sûrement parce qu’il serait perçu comme cynique. De plus, cet argument n’est jamais naturel pour l’État ; le gouvernement français est l’exemple flagrant d’un gouvernement qui ne se sent pas responsable de la bonne gestion de l’argent des contribuables.

    Le libéral pourrait voir de l’humour noir de la part du gouvernement avec ce plan cancer en pleine pandémie. Car les confinements de la population tout entière sont toujours présentés comme des mesures nécessaires et salvatrices qu’il est considéré presque indécent de remettre en question.

    Ils vont pourtant générer un nombre beaucoup plus élevé de cancers et d’autres conséquences graves sur la santé. En effet, de nombreuses études montrent déjà les effets néfastes du confinement à cause des retards dans le dépistage de cancers et de leurs traitements.

    Une étude du Lancet de juillet 2020 annonce une mortalité significativement accrue de plusieurs cancers à cause de ces mesures gouvernementales. Cette étude conclut que les mesures restrictives pour lutter contre la Covid-19, équivalentes au Royaume-Uni aux mesures françaises, donneront, selon les types de cancers, 5 % à 15 % de décès additionnels dans les cinq années suivant le diagnostic. Et ce nouveau plan cancer se dit vouloir lutter, comme le dit l’article de Franceinfo, « contre les cancers à mauvais pronostic (taux de survie à cinq ans inférieur à 33%) »…

    Ces conséquences choquantes sont inévitables quand on néglige la leçon de Frédéric Bastiat , désormais vieille d’un siècle et demi, de ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas . Bastiat a été l’un des premiers à identifier la notion d’externalités, en particulier pour les politiques publiques. Le gouvernement français se moque de ce principe ; il se focalise uniquement sur la mortalité due à la Covid-19, selon la formule maintenant notoire de « Quoi qu’il en coûte ».

    La priorité politique est de sauver les malades atteints de la forme grave de la maladie. Par contre, les milliers de décès prématurés du cancer et les années de vie perdues des Français, qui seront les conséquences futures des actions de ce gouvernement ne semblent pas préoccuper outre mesure l’exécutif.

    Le libéral sait qu’il ne s’agit pas uniquement d’incompétence de la part de l’État. Il faut rejeter l’idée d’un gouvernement n’ayant que des bonnes intentions mais qui se trompe souvent.

    Les impacts des confinements et autres restrictions étaient déjà connus et présagés dès le début de la pandémie. La prise en compte d’externalités est connue depuis le milieu du XIXe siècle. Le libéral a donc plusieurs raisons de ne pas se méprendre sur cette annonce plutôt hypocrite de ce plan cancer.

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      Infantilisation, le pamphlet qui annonce le tournant libéral de 2022

      Francis Pérani · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 2 February, 2021 - 04:15 · 7 minutes

    infantilisation

    Par Francis Pérani.

    Il est rare de voir sortir un pamphlet libéral à succès en France. La mode est plutôt aux essais nationalistes ou égalitaristes, pavant la route de la servitude par la droite ou par la gauche. Les restrictions récentes et croissantes liées au Covid-19 sont l’occasion pour Mathieu Laine de décliner à nouveau son refus de l’infantilisation par un État qui nous veut du bien, au-delà de nous vouloir tous égaux.

    Point de vue sur l’ouvrage

    Pour tous ceux qui ne s’habituent pas aux documents à compléter à chaque sortie ou voyage, voyant bien que ce contrôle est mal conçu et qu’il n’a pas fait grand-chose pour freiner l’épidémie de Covid-19 comme beaucoup d’autres mesures absurdes et peu copiées par d’autres pays, l’ouvrage de Mathieu Laine est à recommander.

    Cette frustration initiale que constituent les petites immixtions de l’État dans la vie privée à l’occasion de la pandémie, et pour notre bien suprême, est un bon point de départ pour se rappeler que la liberté n’est pas un acquis irréversible et que la propension de l’État a faire le bien n’a de limite que celle que chaque citoyen veut bien lui accorder.

    Ce livre pointe du doigt notre tendance générale à l’infantilisation , c’est-à-dire le besoin d’État sur tous les sujets nous apportant protection et précaution en temps de paix et a fortiori en temps de guerre, l’épidémie actuelle étant assimilée à une guerre. L’État, constitué d’hommes, ne pouvant répondre à toutes nos exigences en sort d’autant plus affaibli qu’il se disperse dans le détail, le micro, les contrôles plutôt que l’essentiel régalien qui le légitime pour promouvoir nos libertés.

    Ce livre dénonce l’acceptation de moindres libertés , sorte de servitude volontaire moderne. Il évoque au passage l’impact de la pandémie sur la dette de la France, déjà en tête des prélèvements obligatoires et de l’interventionnisme social rapporté au PIB.

    On peut imaginer ainsi l’enjeu des élections de 2022, ce qui requiert un prochain livre : en sortie de crise, espérons-le, comment devrons-nous à la fois reprendre l’habitude de nos libertés mises en veilleuse pendant la crise sanitaire tout en soldant nos comptes pour payer cette crise, non pas par davantage d’impôts mais par davantage de libertés économiques et de concurrence des domaines de l’État. Vaste programme. Libéral.

    La pandémie a réveillé notre besoin de maternage jusqu’à l’absurde

    Au nom de la sauvegarde de la santé publique en période de pandémie, l’État s’est mis à réguler les repas de Noël , les déplacements dans la rue et même les motifs de déplacement ainsi que les distances parcourues, les biens de consommation tantôt essentiels tantôt proscrits comme non essentiels (dont les livres).

    Il est naturel que la régulation augmente en période de crise extrême. Les citoyens sont demandeurs de ce durcissement des normes et contrôles afin de se prémunir d’un risque inconnu au point que les libertés peuvent même passer au second plan. Tel est le piège dont il faut attirer l’attention dès maintenant et encore plus en sortie de crise.

    L’infantilisation rampante ne date pas d’aujourd’hui. Elle était déjà à l’œuvre pour nous protéger de nous-mêmes au sujet de la nourriture , des addictions ou de l’environnement. Avec la pandémie de Covid-19, elle est tout aussi visible dans les autres pays à des degrés divers.

    L’infantilisation en progression constante a progressé encore plus à l’occasion de la crise sanitaire

    Un nouveau mouvement intellectuel de troisième voie entre libéralisme et socialisme, le nudge (paternalisme libéral), a été mis en avant par Obama, Cameron et la France n’a pas mis longtemps à se l’approprier. Il s’agit de promouvoir les bonnes décisions à la place des individus qui ne sont pas si rationnels que cela, non par la contrainte mais l’incitation.

    C’est ainsi que l’État est devenu maternel, incitant préventivement à manger mieux, épargner plus, consommer moins d’énergie. Ni centralisateur ni naïf quant à la rationalité individuelle, ce mouvement prétend avoir trouvé l’optimum social qui pourrait un jour se transformer en société de contrôle.

    Mais l’homme d’État obsédé par sa réélection ou le fonctionnaire inamovible sont irresponsables des décisions prises. Ils ne sont pas les mieux placés pour nous conseiller sur nos choix individuels quotidiens. Leurs décisions sont biaisées et pleines d’effets pervers inconnus et rarement analysés.

    Les citoyens ont la tentation de l’addiction à l’État nounou. C’est là le cœur de l’infantilisation, régression volontaire des citoyens adultes acceptant leur dépendance multiple à l’État en échange de toutes ses promesses de protection et préventions. La peur alimentée par l’épidémie alimente cette tendance à l’infantilisation et au principe de précaution, néfaste pour la prise de risque nécessaire à une société innovante.

    L’épidémie a libéré la machine bureaucratique française prompte aux contrôles en tout genre, y compris les plus loufoques. Aux restrictions déjà à l’œuvre pour protéger l’environnement ou la santé, les limites à la circulation des personnes sont venues renforcer cette tendance à tout surveiller. L’économie a ainsi été sacrifiée au confinement, négation de l’interaction sociale et de l’échange.

    En réaction à ces excès, les citoyens perdent confiance en l’État qui s’empêtre dans le micro-contrôle sans pouvoir garantir l’essentiel comme la sécurité. De même, le bilan économique de l’infantilisation ne pourra être reporté puisque son coût a explosé avec la pandémie d’une manière inédite depuis la Seconde Guerre mondiale. En attendant la dette française est désormais à 120 % du PIB et sa résolution par plus d’impôts devient un nouveau piège à éviter, au même titre que la propension naturelle de l’État à croître sans limite.

    La tyrannie est une route qui se déploie au nom du Bien, la liberté individuelle est une route alternative que nous devons protéger

    Sécurité, santé, pureté, bonheur, égalité sont les valeurs au nom desquelles le despotisme peut réapparaître à tout moment remettant en cause la conquête des libertés jamais acquises pour toujours et donc toujours à défendre.

    La tyrannie du Bien est un danger à bien des égards pour la liberté individuelle. Les extrémismes s’en délectent pour progresser, surfant sur la déception inévitable envers l’État maternant ne tenant pas ses promesses, jetant en pâture les libertés fondamentales à une foule prête à y renoncer pour davantage de sécurité ou de morale.

    L’ordre spontané est toujours menacé par l’ordre construit des hommes politiques qui, tout surhommes qu’ils se projettent, ne sont pas en mesure d’ appréhender toute la complexité humaine et sociale pour prendre les bonnes décisions à la place des acteurs eux-mêmes, les mieux placés pour juger de ce qui est bon pour eux.

    Les individus ne sont pas les pions d’un échiquier que seuls les hommes de l’État peuvent gérer rationnellement et centralement. Au contraire, l’État doit tout faire pour que les individus restent le centre du jeu et des décisions qui y sont prises. Ainsi la route de la liberté peut se substituer à celle de la servitude.

    Remettre l’État à sa place en sortie de crise

    En référence à des théories récentes américaines (Daron Acemoglu, James Robinson, Tyler Cowen), il est recommandé de limiter le pouvoir de l’État vis-à-vis des libertés individuelles dans un esprit de laissez-faire tout en évitant le chaos d’une absence de régulation et d’intervention pour promouvoir l’égalité des chances par l’éducation, le marché libre, la concurrence, l’innovation, les infrastructures structurantes.

    Le programme est donc tout trouvé : réduire le fardeau des règlements bureaucratiques ubuesques, contractualiser les missions sociales de l’État avec obligation de résultats plutôt que de moyens, déployer des programmes en responsabilisant directement les citoyens, mettre en concurrence les administrations publiques avec des services privés.

    Faire le pari de la personne humaine, de son autonomie de décision doit évidemment être le programme de sortie de crise, de retour à la normale accompagné du reflux de la dépendance à l’État non seulement du point de vue sanitaire mais aussi du point de vue économique.

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      11 novembre, armistice et suicide de l’Europe libérale

      Daniel Tourre · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 11 November, 2020 - 04:17 · 6 minutes


    Par Daniel Tourre.

    Extrait de Pulp Libéralisme, la tradition libérale pour les débutants , Éditions Tulys .

    Le 11 novembre 1918 marque l’armistice de la Première Guerre mondiale mais malheureusement pas la fin du suicide européen par le nationalisme guerrier ou le socialisme.

    Car par-delà ses massacres de masse et ses destructions, cette Première Guerre mondiale marque la fin de l’âge d’or européen, un âge d’or largement libéral.

    Dans son autobiographie Le monde d’hier , souvenirs d’un Européen Stefan Zweig (1881-1942) raconte l’Autriche et la Vienne de la Belle Époque. Il ne s’agit pas d’une société complètement libérale sur le plan institutionnel comme sur le plan des mœurs, mais par bien des aspects, elle l’était davantage que l’Europe et la France de 2012.

    J’ai connu avant-guerre la forme et le degré les plus élevés de la liberté individuelle et, depuis, le pire état d’abaissement qu’elle eût subi depuis des siècles…

    Son livre, tragique et émouvant, nous fait suivre la longue descente aux enfers de l’Europe, à travers sa vie de jeune étudiant juif viennois jusqu’à son exil au Brésil , fuyant le nazisme, peu avant son suicide.

    Il n’est pas libéral mais son témoignage est intéressant à plus d’un titre par sa description d’une société largement libérale (et bourgeoise) de la Vienne de la Belle Époque.

    Notre monnaie, la couronne autrichienne, circulait en brillantes pièces d’or et nous assurait ainsi son immutabilité. Chacun savait combien il possédait ou combien lui revenait, ce qui était permis ou défendu. Qui possédait une fortune pouvait calculer exactement ce qu’elle rapportait chaque année en intérêt […] Chaque famille avait son budget bien établi, elle savait ce qu’elle aurait à dépenser pour le vivre et le couvert, pour les voyages estivaux et la représentation […] Le XIXe siècle, avec son idéalisme libéral, était sincèrement convaincu qu’il se trouvait sur la route droite qui mène infailliblement au « meilleur des mondes possibles ». On ne considérait qu’avec dédain les époques révolues, avec leurs guerres, leurs famines et leurs révoltes, on jugeait que l’humanité, faute d’être suffisamment éclairée, n’y avait pas  atteint la majorité. Il s’en fallait de quelques décades à peine pour que tout mal et toute violence soient définitivement vaincus, et cette foi en un progrès fatal et continu avait en ce temps là toute la force d’une religion. Déjà l’on croyait en ce « Progrès » plus qu’en la Bible, et cet évangile semblait irréfutablement démontré par les merveilles sans cesse renouvelées de la science et de la technique… On ne croyait pas plus à des retours de barbarie, tels que des guerres entre les peuples d’Europe, qu’on ne croyait aux spectres et aux sorciers ; nos pères étaient tout imbus de la confiance qu’ils avaient dans le pouvoir et l’efficacité infaillibles de la tolérance et de l’esprit de conciliation. Ils pensaient sincèrement que les frontières et les divergences entre nations et confessions se fondraient peu à peu dans une humanité commune et qu’ainsi la paix et la sécurité, les plus précieux des biens, seraient impartis à tous les hommes. Stefan Zweig, Le monde d’hier , 1944.

    Il décrit ainsi sur plusieurs pages une société libre mais où prédomine un sentiment incroyable de sécurité. Une société dynamique sur le plan culturel, scientifique, technique et économique sans pour autant une haine rageuse contre le passé. Une société où l’on peut aller, venir et s’établir d’un bout à l’autre de l’Europe sans passeport. Une société avec une monnaie saine, une société où les plus démunis sortent massivement de la misère noire sous la poussée du capitalisme libéral. Pour ceux qui ont un peu voyagé, cet optimisme vibrant n’est pas sans rappeler l’atmosphère qui règne aujourd’hui dans certains pays émergents asiatiques.

    Cette société avait bien sûr ses tares, son puritanisme, sa pauvreté et ses hypocrisies, mais elle donne une vision vertigineuse de ce que le XXe siècle et ses idéologies totalitaires ont fait à notre culture commune, l’Europe libérale . Prisonniers d’un État-nounou omniprésent, d’une haine de soi latente forgée par ces deux guerres et le colonialisme, d’une peur de l’avenir, de rancœurs, d’une course institutionnelle à la victimisation, nous réalisons tout ce que nous, Européens, avons perdu en liberté et en âme avec le nationalisme guerrier et le socialisme du XXe siècle.

    Cette autobiographie permet de voir que la liberté ne s’oppose pas à un sentiment de sécurité économique, au contraire. L’État mammouth et sa bureaucratie coûteuse limitent la liberté sans même servir la sécurité. L’angoisse collective dans laquelle nous baignons actuellement en témoigne.

    Les opéras de Vienne de 1900 montrent aussi que la liberté n’entraine pas mécaniquement la médiocrité mais peut être source d’une excellence à tous les niveaux.

    Elle permet en passant de renvoyer dans les cordes les nouveaux nationalistes étatistes – de Zemmour à Le Pen – se lamentant sans fin sur l’ultra-libéralisme foudroyant la France ou l’Europe. L’Europe foudroyée, c’est la conséquence de leurs doctrines politiques et économiques, pas de la doctrine libérale. Ils peuvent garder leurs leçons, nous payons encore collectivement le prix de leurs idéologies protectionnistes, socialistes ou nationalistes, qu’ils tentent de nous resservir aujourd’hui parfois à l’identique.

    La guerre est toujours un désastre. Elle est aussi comme le savent depuis longtemps les libéraux , un prétexte parfait pour augmenter de manière démentielle le périmètre de l’État. Nous ne nous sommes pas encore remis des deux guerres mondiales, ni de leurs conséquences institutionnelles.

    Nous allons bientôt fêter le centenaire du suicide de l’Europe libérale. 1914-2014 semble être une bonne occasion de fermer la parenthèse de l’étatisme délirant de ce XXe siècle, dans nos têtes et dans nos institutions. Il ne s’agit pas d’une nostalgie pour une époque révolue, ni de nier les évolutions favorables qu’a apporté le XXe siècle, mais de sortir de ce monde crépusculaire que nous nous infligeons et que nous infligeons à nos enfants,  il s’agit de retrouver le cap perdu de la liberté.

    … Malgré ce que moi-même et mes innombrables compagnons  d’infortune avons souffert d’humiliations et d’épreuves, il ne m’est pas possible de renier sans recours la foi de ma jeunesse et de désespérer d’un relèvement et d’une nouvelle renaissance. De l’abîme de terreur où nous marchons comme des aveugles, l’âme bouleversée et le cœur brisé, je jette encore un regard vers ces anciennes constellations qui resplendissaient sur ma jeunesse et me console avec la confiance héréditaire que cette décadence ne paraîtra qu’une interruption momentanée dans le rythme éternel de l’irrésistible progrès… Stefan Zweig, Le monde d’hier, 1944 .

    – Stefan Zweig, Le monde d’hier, Souvenirs d’un Européen , 1944, 506 pages, Le Livre de Poche, 1996.

    Cet article a été publié une première fois en 2018.

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      Les bases de la domination étatique et de la soumission populaire

      Mises Institute · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 8 November, 2020 - 04:45 · 6 minutes

    domination

    Par Robert Higgs.

    Comme le dit le dicton, la familiarité peut engendrer le désintérêt, mais elle peut aussi entraîner une sorte de somnolence.

    Les gens qui n’ont jamais connu qu’un certain état des choses ont tendance à ne rien remarquer du tout, à ne rien soupçonner, même quand cet état des choses est extrêmement problématique. Ils sont pour ainsi dire comme des somnambules.

    Telle est la situation de l’homme moderne par rapport à l’État. Il l’a toujours vu sous le même angle, et il le prend totalement comme un acquis, le considérant comme il opine sur le temps qu’il fait : qu’il pleuve ou fasse beau, qu’il y ait des éclairs ou des brises printanières apaisantes, l’État est toujours là, comme faisant partie de la nature.

    Même lorsque qu’il se révèle destructeur, ses exactions sont admises comme des « actes de Dieu ».

    Nous sommes liés à l’État par ce somnambulisme, non pas parce que cela est inscrit dans nos gènes, mais parce que nos conditions de vie et un long conditionnement à vivre sous la domination de l’État, fruit de notre histoire, nous prédisposent à réagir de cette manière oublieuse.

    Toutefois, ceux qui ont vécu dans d’autres circonstances ont réagi très différemment. Ce n’est que lorsqu’une population adopte l’agriculture et la sédentarité qu’elle se montre vulnérable à la domination de l’État.

    Il fut un temps où l’humanité ne s’organisait qu’en bandes de chasseurs et de cueilleurs : la fondation d’un État était impossible. Les individus ne possédaient  à titre de richesse que peu ou pas de biens non périssables et pouvant être pillés, et si quelqu’un tentait d’imposer sa domination sur le groupe auquel il appartenait, comme le fait actuellement l’État, ses membres s’enfuyaient tout simplement, mettant autant de distance que possible entre eux et les exploiteurs pour échapper à la prédation de cet État en devenir 1 .

    Cependant, durant les 5000 à 10 000 dernières années, pour la quasi-totalité des habitants de la planète, l’État a existé comme un prédateur omniprésent et agresseur des droits de l’Homme. Son pouvoir de dominer et de piller s’est développé et s’appuie toujours sur son exploitation habile des peurs des hommes, dont la plupart sont associées à l’État lui-même, et les autres aux menaces externes dont l’État prétend protéger ses sujets.

    Quelle que soit la situation, la quasi-totalité de la population a fini par devenir incapable de simplement imaginer une vie sociale sans un État.

    Deux questions principales agitent l’esprit des rares personnes qui ont réussi à sortir de cet aveuglement vis-à-vis de l’État :

    1. Qu’est-ce qui anime ces gens – les chevilles ouvrières de l’État, sa garde prétorienne, ses lèche-bottes et ses partisans venus du secteur privé – pour nous traiter comme ils le font ?
    2. Pourquoi la quasi-totalité d’entre nous s’accommode de ce traitement scandaleux ?

    De ces questions, on pourrait facilement tirer de nombreux livres, articles et manifestes – et d’ailleurs toute une littérature existe sur le sujet. Même si aucun début de consensus n’a émergé, il semble assez clair que les réponses à la première question ont surtout à voir avec la forte prévalence d’individus malintentionnés et arrogants en faveur d’un avantage comparatif en matière de violence et de manipulation de leurs victimes.

    Face au choix fondamental entre ce que Franz Oppenheimer appelait les moyens économiques de s’enrichir (par la production et l’échange) et les moyens politiques (par le vol et l’extorsion de fonds), les membres des classes dirigeantes optent résolument pour la seconde.

    Et c’est en vertu de ce choix que le pape Grégoire VII (1071-1085), chef de la révolution papale capitale qui a commencé pendant son pontificat et s’est poursuivie sur une période de près de cinquante ans (voire plus en Angleterre), n’a pas mâché ses mots quand il a écrit (cité par Harold Berman ) :

    « Qui ignore que les rois et les princes tirent leur origine d’hommes ignorants de Dieu, qui se sont élevés au-dessus de leurs semblables par l’orgueil, le pillage, la trahison, le meurtre – bref par toutes sortes de crimes – à l’instigation du Diable, le prince de ce monde, des hommes aveugles de cupidité et intolérables dans leur audace. »

    Bien sûr, il est possible que certains dirigeants politiques croient sincèrement qu’il y ait une base juste légitimant leur domination sur leurs semblables – surtout de nos jours via la conviction qu’une victoire électorale est équivalente à l’onction divine – mais cette auto-illusion ne change rien à la réalité de la situation.

    Quant à savoir pourquoi nous nous soumettons aux outrages de l’État, les réponses les plus convaincantes ont à voir avec la peur de l’État (et pour beaucoup, de nos jours, avec la peur des responsabilités personnelles également) ; avec la crainte de se distinguer de la masse lorsque d’autres victimes ne voudront pas prendre le risque d’unir leurs forces avec ceux qui résistent ; et probablement la plus importante raison, avec l’hypnose idéologique (au sens de Léon Tolstoï ) qui empêche la plupart des individus d’être en mesure d’imaginer la vie sans État ou de comprendre pourquoi la prétention de l’État à s’abstraire de la morale des Hommes relève du pur délire.

    Si une personne ordinaire ne peut moralement assassiner ou en voler une autre, aucun individu composant l’État ne le peut. Et, bien sûr, parce qu’ils n’ont pas ces droits au préalable, les individus ne peuvent pas déléguer à l’État de droits à voler ou à assassiner.

    Comme Tolstoï, de nombreux auteurs ont reconnu que les classes dirigeantes travaillent très dur pour endoctriner leurs victimes avec une idéologie qui sanctifie l’État et ses actions criminelles. À cet égard, on se sent obligé de convenir que de nombreux États ont historiquement été étonnamment talentueux dans cette voie.

    Ainsi, sous l’ère nazie, le citoyen allemand lambda pensait qu’il était libre, tout comme aujourd’hui les Américains pensent qu’ils sont libres. La capacité de l’idéologie à aveugler l’esprit des citoyens et à les faire sombrer dans le syndrome de Stockholm semble quasiment sans limites, même si un régime tel que celui de l’URSS, qui avait cloué sa population dans une pauvreté persistante, découvrait que ses tentatives d’enchantement idéologique produisaient de facto des retours sur investissements de plus en plus faibles.

    Ainsi, une habile et toujours dynamique combinaison de coercition arrogante et de manipulation insolente peut être considérée comme l’ingrédient principal déployé par l’État dans ses multiples efforts pour plonger ses sujets et victimes dans un état de somnolence.

    Bien sûr, un peu de cooptation ajoute un piquant essentiel au mélange, et ainsi tous les États font de menus efforts pour redonner à leurs victimes quelques miettes du pain qu’ils leur ont arraché. Pour ce don gracieux, elles deviennent généralement infiniment reconnaissantes.

    Article initialement publié en mai 2014.

    1. Voir, par exemple, l’analyse récente de James C. Scott intitulée : The Art of Not Being Governed: An Anarchist History of Upland Southeast Asia .
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      Pénurie de masques, de gel : pas de panique, l’État gère…

      news.movim.eu / Contrepoints · Tuesday, 3 March, 2020 - 03:45 · 4 minutes

    Par Margot Arold.

    Plus de masques, ni chirugicaux, ni FFP2. Et aujourd’hui, plus de gel hydroalcoolique non plus .

    Ces pénuries ont bien vite été attribuées aux clients saisis de panique, de psychose. Si cela a certes eu un impact, là n’est pas la cause principale de la pénurie. L’État a constitué des stocks, vidant le marché de son offre.

    Certains distributeurs expliquent d’ailleurs que l’État a bloqué leurs stocks, les empêchant de répondre à la demande des pharmacies.

    Pas besoin de masques… et puis si

    Le 26 janvier, Agnès Buzyn alors ministre de la Santé, se voulait très rassurante et estimait les masques de protection inutiles :

    « Aujourd’hui, il n’y a aucune indication à acheter des masques pour la population française, nous avons des dizaines de millions de masques en stock. En cas d’épidémie, ce sont des choses qui sont d’ores et déjà programmées. »

    « Dizaines de millions » de masques qui ont fondu comme neige au soleil.

    La semaine dernière, exactement un mois après, le nouveau ministre de la Santé expliquait : « avoir décidé de déstocker 15 millions de masques anti-projections dans les stocks constitués par l’État pour qu’ils soient distribués dans les pharmacies et les hôpitaux aux professionnels de santé et aux personnes à risque ».

    On connait depuis plusieurs semaines l’importance de la protection respiratoire, et le ministère attend la semaine du 1er mars pour « déstocker » 15 millions de masques. L’État français toujours si prompt à intervenir sur les prix, n’a pas cassé les prix en larguant sur le marché ses millions de masques pour le bien-être collectif si cher à sa politique. Notre État-nounou serait-il donc plus Tatie Danielle que Mary Poppins ?

    Pénurie de chloroquine

    De la même façon, la pénurie s’est portée rapidement sur la chloroquine, ce médicament anti-paludisme qui semble avoir une certaine efficacité contre le virus, du moins selon les chercheurs chinois qui en testent l’efficacité.

    Curieusement, impossible de se procurer de la chloroquine dans les pharmacies françaises depuis que cette information a filtré. La raison ? Ce ne sont pas les clients, peu informés à ce moment-là, qui se sont rués sur les boîtes disponibles. Mais l’État a, là encore, constitué des stocks.

    Comme simple patient, comme simple individu, vous n’aurez plus accès à ces protections ni à ces traitements : l’État les a capturés pour mieux les redistribuer quand il le jugera nécessaire.

    Distribués, oui mais pas pour tout le monde…

    Dans Libération , le président de l’Union des Professionnels de santé, Christophe Wilcke, explique que lorsque les masques seront disponibles ils ne seront pas vendus à la population :

    « Mercredi à midi, tous les pharmaciens ont reçu un message de l’Ordre des pharmaciens indiquant que nous allions recevoir, via les grossistes répartiteurs, un stock d’État de masques de protection.

    Et puis à 20 h 56, un deuxième message indiquait que ce stock devait être réservé aux professionnels de santé contre un bon de l’assurance maladie, et qu’il n’était pas envisagé à ce stade de distribuer le stock à la population. »

    Ainsi, il n’est plus possible pour un patient dans un circuit médical libéral (c’est-à-dire passant par son médecin traitant au lieu de l’hôpital) ou à un médecin libéral en personne d’avoir librement accès à une protection ou à un traitement. Tout dépend désormais de l’État et de sa gestion de la crise sanitaire.

    Il ne laisse pas les mains libres à ceux qui, sur le terrain, sont en première ligne et  compétents pour prendre des décisions. Il faut attendre les consignes, et maintenant, attendre aussi le matériel de protection.

    Les médecins libéraux mal servis

    Si les hôpitaux seront les premiers servis, les médecins libéraux, eux, auront le plaisir de réclamer et de remplir moult formulaires administratifs pour obtenir un masque :

    « De plus, en parallèle, les médecins généralistes seront dotés, la semaine prochaine, de masques chirurgicaux issus de ce stock pour la prise en charge de patients suspects de Covid-19, poursuivent les services du ministère. Cette mise à disposition sera réalisée via les pharmacies d’officine à l’aide d’un bon de retrait fourni par la Caisse nationale d’assurance maladie.»

    N’aurait-il pas été plus simple et plus rapide de mettre ce matériel à disposition des médecins, gratuitement et sur présentation de la carte professionnelle, plutôt que d’élaborer une énième strate bureaucratique à un moment où personne n’a besoin de plus complexité ?

    L’État va choisir où, quand et comment distribuer ses stocks. Cette manière centralisée de gérer les problèmes du terrain risque d’être une fois de plus délétère pour les Français : mais cette fois, Il ne s´agit plus de mal gérer l’école, l’entretien des routes et des ponts, ou la SNCF. On parle de la santé des individus, de leur vie.

    Après avoir siphonné le marché du matériel de protection, l’État se sert le premier, distribue à sa façon, et au rythme qu’il estime justifié.

    Les masques livrés dans certains hôpitaux ces dernières années laissent dubitatifs : leur date de péremption affiche… décembre 2007. Ca promet.