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      Inflation tirée par les profits : quand les rapports de force s’invitent dans la hausse des prix

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Tuesday, 29 August, 2023 - 10:13 · 35 minutes

    Depuis quelques mois, les principales institutions internationales, BCE et FMI en tête, sont forcées de reconnaître que l’inflation est en partie tirée par une hausse des taux de profits des entreprises en situation de force. Cette augmentation des prix se fait au détriment du pouvoir d’achat des salariés, auxquels nombre d’acteurs gouvernementaux et médiatiques répondent que l’augmentation des salaires constituerait le principal risque de maintien d’une inflation forte. Sous couvert de pragmatisme, ce discours masque un énième déplacement du partage de la valeur ajoutée au bénéfice du capital, ainsi que la perte de pouvoir de négociation salariales pour les travailleurs entamée depuis plusieurs décennies – signe que la « courbe de Phillips » s’est aplatie. Une évolution que reconnaissent la plupart des institutions internationales… sans changer pour autant d’orientation politique.

    Le 5 juin, dans une célèbre émission en prime time , le ministre de l’économie affirmait : « avant la fin du mois de juin, je publierai la liste de tous les industriels de l’agroalimentaire qui ont joué le jeu et (de ceux …) qui n’ont pas voulu faire baisser les prix de détail alors que les prix de gros baissent ». Chacun sera libre d’évaluer le degré d’exécution de cette mesure. Relevons tout de même qu’elle faisait indirectement référence à un élément d’actualité habituellement très peu mis en avant par le gouvernement : une part non négligeable de l’importance de l’augmentation des prix est purement imputable à celle des profits, une fois les causes « externes » prises en compte – reprise post-Covid, conflit ukrainien, ou encore phénomènes géologiques.

    En effet, la BCE, suivie du FMI, a récemment reconnu que l’inflation était en partie tirée par une augmentation des taux de marge des entreprises, non justifiée par la « part incompressible » liée à l’augmentation des coûts de production. Cette observation détonne avec une crainte mise en avant par nombre d’acteurs politiques et médiatiques : l’inflation risquerait d’être prolongée par les revalorisation des salaires exigée par nombre de salariés et de syndicats, pour faire face à l’augmentation des prix. Face à ces demandes, les entreprises n’auraient en effet pas d’autre choix que d’augmenter les prix, provoquant donc une spirale prix-salaire. Le constat d’un mécanisme inverse, une inflation tirée par les profits, doit éclairer les nouvelles formes que prend le conflit autour du partage des richesses créées.

    La mise en route des mécanismes inflationnistes

    L’inflation est, à tort, souvent réduite au résultat d’une utilisation excessive de la « planche à billet ». Pour comprendre l’inflation présente, il faut examiner – cela paraît évident – le comportement des entreprises et ses causes dans cette hausse des prix. En général, une entreprise cherche a minima à couvrir ses coûts de production 1 . Elle y ajoute ensuite un markup , autrement dit une marge bénéficiaire, le profit, qui sert à financer les investissements internes, à accumuler une trésorerie de sécurité, mais également à rémunérer les propriétaires du capital (dividendes). C’est d’ailleurs le cœur de l’ affectio societatis , la raison juridique de constitution d’une entreprise par des associés dans le Code civil : partager les bénéfices. On peut donc réduire la hausse des prix à trois causes au sein de l’entreprise : faire face à une hausse des coûts de production, produire moins que la demande, et augmenter la marge bénéficiaire, donc la profitabilité.

    les salaires réels ont malgré tout diminué, avec une baisse de 2 % en 2022 et de 2,7 % aux deux premiers trimestres de 2023. L’augmentation des prix n’a pas été compensée par celle des salaires.

    Qu’en est-il de l’ inflation qui touche depuis deux ans les pays développés ? Dans un premier temps, l’on trouve un ensemble de contraintes géophysiques sur la production, dépassant le seul conflit russo-ukrainien. En effet, le retour de l’inflation, et notamment celle de l’énergie, a commencé avant même le début du conflit, comme l’illustre l’augmentation des coûts des intrants, en particulier les matières premières et l’énergie. La hausse du prix de l’énergie a été de 56 % entre fin 2019 et février 2022. Concernant le pétrole brut, son prix mondial a doublé entre juin 2020 et février 2022. Le prix mondial du charbon, lui, a triplé entre juin 2020 et septembre 2021. Mais le plus flagrant réside dans la situation du gaz : en Europe, il a été multiplié par 12 entre mai 2020 et décembre 2021, contre 2,6 pour le gaz américain. Cette hausse n’est pas liée comme en 2009 à la spéculation financière, comme elle n’est pas uniquement liée à la guerre en Ukraine et à la gestion du gazoduc Nord Stream 2.

    Elle est d’abord le produit du phénomène qu’est l’effondrement tendanciel des taux de retour sur l’investissement énergétique (EROI, pour Energy Return Over Investment ) 2 : pour dire la chose simplement, il faut désormais de plus en plus d’énergie pour extraire la même quantité de ressources fossiles, les rendant de moins en moins rentables 3 . Ajoutons à ces contraintes géologiques différents incidents majeurs tels que le blocage du canal du Suez en mars 2021, l’incendie dans une usine gazière en Sibérie à l’été 2021, l’ouragan Ida dans les régions productrices de pétrole du golfe du Mexique à la fin de l’été 2021, aux côtés de la reprise économique post-Covid. Tout cela parallèlement à des goulets d’étranglement suite à la sortie du Covid et des confinements, les chaînes d’approvisionnement internationales étant alors encore bien déstabilisées. Bien sûr, le conflit russo-ukrainien a largement amplifié cet état de fait.

    Il faut noter que l’inflation n’a pas touché de manière uniforme les différentes catégories de la population. En cela, sa mesure par l’IPC (indice des prix à la consommation), soit le prix d’un panier de biens et de services censé être représentatif d’une consommation moyenne, est foncièrement réductrice. Cet indicateur ne permet pas d’étudier les inégalités que l’inflation génère entre les individus, produits de structures de consommation différentes : on notera notamment que les ménages les plus pauvres, pour lesquels l’énergie et l’alimentation représentent une proportion plus conséquente du budget, ont été relativement plus touchés 4 , une inflation moyenne de 5 % pouvant cacher une inflation alimentaire et énergétique de 13 %.

    Face à cette baisse du pouvoir d’achat, nombre d’organisations syndicales réclament le retour de « l’échelle mobile », c’est-à-dire de l’indexation des salaires sur l’inflation. Quid , alors, de l’évolution des salaires dans le contexte inflationniste ?

    La spirale prix-salaire : spectre ou épouvantail ?

    Depuis le début de la période inflationniste, une musique récurrente se fait entendre : alléger le poids de l’inflation en indexant les salaires sur la hausse des prix provoquerait un cercle vicieux, une spirale inflationniste nommée « spirale prix-salaire » 5 . Autrement dit, l’augmentation des salaires induirait aussi une hausse des coûts de production, ce qui forcerait mécaniquement les entreprises à augmenter du même montant leurs prix, provoquant un nouveau cycle de négociation. Selon l’expression du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, en mai 2022, le supplément de salaire est alors « bouffé dans les mois qui suivent ».

    Et d’ajouter que les augmentations généralisées de salaires avaient « toujours provoqué des spirales prix-salaires », notamment dans les années 1970. L’inflation due jusqu’ici à des causes exogènes et importées deviendrait alors « sous-jacente », inhérente aux comportements des agents ( core inflation , en anglais). Résister à la tentation de l’indexation des salaires serait donc nécessaire afin d’empêcher l’amplification d’une inflation devenue hors de contrôle. Selon ses détracteurs, l’indexation, en plus d’être déstabilisatrice d’un point de vue macroéconomique, en deviendrait presque une mesure indubitablement antisociale. Certains, comme le gouverneur de la Banque d’Angleterre ou le ministre allemand des finances sont même allés jusqu’à appeler à « une restriction dans les négociations salariales ».

    C’est donc cette musique, souvent mobilisée pour justifier des politiques de modération salariale 6 , qui est reprise par le gouvernement dans le cadre actuel et souvent accompagnée d’un discours sur la compétitivité des entreprises françaises. Bruno Le Maire expliquait ainsi en novembre 2022, à l’ouverture des débats au Sénat sur la loi de programmation budgétaire, qu’il était primordial d’« éviter la spirale inflationniste qui avait été provoquée dans les années 1970 par une augmentation générale et automatique des salaires totalement découplée de la productivité du travail ». Paroles surprenantes, quand on connaît le décrochage que la rémunération du facteur travail par rapport à l’augmentation de sa productivité a connu depuis les années 1980. En l’espèce, le gouvernement n’a pas choisi d’aller dans le sens du rattrapage des salaires.

    Evolution de la productivité moyenne, du SMIC et du salaire moyen, en base 100 en France de 1980 à 2010 (Sources : Insee et OCDE, graphique par Factsory )

    Que se passe-t-il donc au niveau des salaires français ? Il est vrai que les négociations salariales sont effectivement de retour depuis 2021. Les revalorisations du SMIC, ayant eu lieu 10 fois depuis 2021 avec un taux de croissance sur 2022 de 6,6 %, ont donné l’illusion d’un rattrapage des salaires sur l’inflation, pourtant sans répercussion sur le reste des salaires et provoquant même un tassement par le bas des faibles salaires (même ces revalorisations sont remises en cause car elles risqueraient de pousser à rediscuter les minima de branches au détriment de la productivité…).

    l’érosion syndicale, la désindustrialisation, les délocalisations (…) ont profondément abîmé les capacités de négociation salariale des travailleurs, au point que la courbe de Phillips est empiriquement considérée comme « aplatie »

    Pourtant, même si les salaires nominaux ont augmenté, ce sont des hausses seulement d’1,5 % en 2021, 3,2 % en 2022 et 2,4 % aux deux premiers trimestres de 2023. S’il y a donc bien eu une réaction des salaires, celle-ci n’a pas été suffisante pour faire face à l’inflation, et cette hausse est par ailleurs gonflée par la sortie massive du chômage partiel. Or, en moyenne annuelle, l’inflation a atteint 5,2 % en 2022 et reste relativement stable les deux premiers trimestres, avec une légère baisse en juin. Le résultat est que les salaires réels, qui représentent le pouvoir d’achat, ont malgré tout diminué, avec une baisse de 2 % en 2022 et de 2,7 % aux deux premiers trimestres de 2023. L’augmentation des prix n’a pas été compensée par celle des salaires. Ainsi, même si les négociations salariales prennent plus de temps que l’ajustement des prix des entreprises, la spirale prix-salaire tant évoquée semble pour l’instant inexistante – des mécanismes comme le versement de la « Prime de partage de la valeur » (PPV), en moyenne de 900€/an, ayant par ailleurs réduit ce risque.

    Plus largement, et cela hormis pour les États-Unis qui sont concernés par des tensions très fortes sur le marché du travail, le risque de spirale prix-salaire est très modéré dans les économies développées comme le montrent deux études de la Banque des règlements internationaux (BRI) 7 du fait d’un réel changement de régime dans les capacités de négociation salariale ces dernières décennies 8 . En effet, la théorie néo-classique et plus généralement l’économie mainstream postulent l’existence d’une capacité de négociation salariale forte pour les travailleurs, liée aux tensions sur le marché du travail et aux anticipations d’inflation. C’est la courbe dite de « Phillips ».

    Sommairement, si le chômage est faible et/ou les travailleurs anticipent une baisse de leur pouvoir d’achat, ces derniers peuvent négocier de meilleurs salaires. Si cette relation était plus ou moins vérifiée empiriquement dans une grande partie du XXème siècle, l’érosion syndicale, la désindustrialisation, les délocalisations et la mise en concurrence des travailleurs dans la mondialisation des chaînes de valeur, le détricotage des Codes du travail et des protections de l’emploi 9 , la flexibilisation du marché du travail, le développement des contrats à durée déterminée, des mi-temps anglais ou des « jobs à 1 euro » allemands depuis la fin des années 1970 ont profondément abîmé les capacités de négociation salariale des travailleurs, au point que la courbe de Phillips est empiriquement considérée comme « aplatie » dans la plupart des pays développés 10 , comme le montre une récente étude de la Réserve Fédérale américaine, justement intitulée « Who Killed the Phillips Curve? A Murder Mystery » .

    La stagnation des salaires réels suite à la crise de 2008 en parallèle d’une hausse des profits conforte cette tendance. Et ce, alors même que le chômage est aujourd’hui relativement faible et pourrait justifier des pressions salariales vers le haut 11 . Plus largement, le discours autour de la prévalence historique des spirales prix-salaire semble davantage constituer un épouvantail qu’autre chose.

    Une étude du FMI de 2022 n’a identifié au niveau mondial que 79 épisodes depuis 1960, dont une minorité dépassant deux ans. Il s’agit donc d’un phénomène économique très rare. Plus spécifiquement, les discours invoquant la spirale prix-salaire font souvent référence à la période 1970 de « stagflation » (stagnation économique couplée à inflation) faisant suite aux chocs pétroliers, où les travailleurs auraient maintenu et renforcé l’inflation issue de ce choc d’offre par la négociation continue de meilleurs salaires. Cela alors même que l’inflation était de 23 % au Royaume-Uni, 14 % aux USA, 13,5 % en France, situation incomparable avec celle qui prévaut aujourd’hui. Or, cette étude infirme même cet épisode.

    Par exemple, l’épisode américain de 1973 suite au premier embargo pétrolier de l’OPEP a vu l’inflation des prix s’envoler pendant cinq trimestres supplémentaires avant de commencer à diminuer en 1975. Cependant, la croissance des salaires nominaux n’a pas augmenté, ce qui a entraîné une baisse de la croissance des salaires réels. Il n’y a pas eu d’effet de rattrapage.

    Pourtant, c’est cette théorie qui a servi de fondement au Volcker’s shock , la politique de remontée drastique des taux d’intérêts par la Réserve Fédérale américaine sous la présidence de Paul Volcker, qui a bien participé à réduire l’inflation sur la décennie 1980 aux côtés d’autres facteurs, au prix de la destruction partielle de l’économie américaine et d’une multiplication par deux du taux de chômage. C’est un remède à la façon de Molière : tuez le malade, au moins il meurt en bonne santé.

    Néanmoins, rien ne dit que si l’on indexait les salaires, la spirale serait ne déclencherait pas. Mais si elle se déclenchait, ce ne serait pas forcément parce que les entreprises monteraient leurs prix pour ne pas couler, mais aussi parce qu’elles voudraient conserver leurs taux de marge, donc in fine leurs profits.

    Le silence autour du rôle des taux de profit

    La question de la capacité de négociation salariale des travailleurs invisibilise la capacité des entreprises à gonfler leurs marges en augmentant les prix. Si ce sont elles qui sont en position de force, elles peuvent imposer une augmentation des prix, sans que les travailleurs ne réussissent à imposer une augmentation des salaires en réponse.

    Là devrait être le vrai point de vigilance : l’alimentation de l’inflation par la hausse des taux de marge d’entreprises, généralement les plus grandes et puissantes, utilisant les récents chocs comme opportunités pour gonfler les prix.

    Face à la situation inflationniste, les entreprises sont elles aussi incitées à protéger leurs marges bénéficiaires en augmentant leurs prix, et même à augmenter leurs marges au-delà de l’impact négatif lié au renchérissement des intrants, cela pour plusieurs raisons : tentative de rattrapage des pertes de revenus réels liés aux chocs des trois dernières années (crise sanitaire, confinements, inflation énergétique importée), volonté de renforcer leur trésorerie dans un environnement hautement incertain, ou tout simplement dans une logique de maximisation des profits pour versement en dividendes – ce qui impliquerait une inflation influencée par les hausses des marges.

    Précisons que même le maintien d’un taux de marge constant n’est pas innocent : si des entreprises doivent naturellement augmenter leurs prix pour ne pas faire faillite ou licencier face à ces chocs exogènes, celles qui les augmentent pour maintenir leur taux de marge alors qu’une compression de ce dernier ne les mettrait pas pour autant en danger démontrent leur pouvoir de fixation des prix.

    Il s’avère que l’existence d’une inflation tirée par les profits – surnommée greedflation dans le monde anglo-saxon – est devenue aujourd’hui évidente pour un ensemble d’acteurs institutionnels. Des institutions faisant usuellement appel exclusivement à une théorie économique que d’aucuns qualifieraient de mainstream ont opéré un changement de discours concernant les causes actuelles de l’inflation. Ainsi, le chef économiste du FMI ne se disait pas inquiet quant à l’apparition d’une boucle prix-salaire qui impacterait la croissance cette année, et plaidait même pour une augmentation des salaires 12 .

    Les banques centrales ont également été obligées de se rendre à l’évidence : la présidente de la BCE, Christine Lagarde, a déploré lors d’une conférence de presse sur les causes de l’inflation le 16 mars dernier le fait que « beaucoup d’entreprises ont pu accroître leurs marges dans des secteurs ayant subi les restrictions de l’offre et la résurgence de la demande », et a mis en garde contre le risque de poursuite de l’inflation. On notera enfin que même les travaux menés par nombre d’instituts de recherche du secteur privé financier ont reconnu que l’inflation était désormais alimentée au moins à moitié par une augmentation des profits (à l’instar de Natixis ou d’ Unicredit ).

    En l’espèce, la France est concernée selon l’ Insee . Les entreprises ont récemment connu une croissance significative du taux de marge, en plus d’avoir globalement répercuté le renchérissement des intrants sur les prix de vente. Après un record historique mi-2021 avec un taux de 36 % (il faut remonter à 1949 pour une telle valeur) suite à la reprise post-Covid et aux aides publiques, puis une dégradation suite aux problèmes d’accès aux ressources et à la guerre en Ukraine, le taux de marge global a augmenté nettement à partir de fin 2022 et au premier semestre 2023, avec un taux à la fin du deuxième trimestre qui s’établirait à 33,5 %, soit deux points de plus que son niveau moyen de 2018, pré-Covid.

    Taux de marge des sociétés non-financières (SNF) en % de la valeur ajoutée (Source : Insee, 2023 ) .

    Il y a évidemment de fortes variations selon les secteurs. Plus spécifiquement, pour l’industrie agroalimentaire, après une forte diminution en 2021, son taux de marge a connu un important redressement en particulier au second semestre 2022 dépassant les valeurs moyennes, ainsi qu’au premier semestre 2023, pour atteindre un record de 48 % de marge 13 .

    Ainsi, l’augmentation des taux de marge a bien contribué à l’inflation en 2022 et 2023. En termes de contribution, cette hausse des profits représente 41 % de la hausse des prix de production agro-alimentaires au dernier trimestre 2022, et 61 % pour les produits non-agricoles. Reste à savoir si cela est juste une relation comptable agrégée, ou découle de l’action intentionnelle d’entreprises. Il est vrai que la réduction des impôts de production et le contrecoup de l’arrêt du versement des PPV à la fin 2022 gonflent par eux-mêmes les taux de marge sans aucune action des entreprises.

    Mais la hausse est si élevée, de par ces niveaux records, qu’elle ne peut être réduite à cela. Si la compression des taux de marge en 2021 suite au renchérissement des intrants a permis d’atténuer l’inflation et son impact sur les consommateurs, la hausse actuelle des taux n’est pas seulement un effet de rattrapage « entendable » suite à cette compression et à l’impact de la crise sanitaire, mais constitue un réel dépassement par rapport à 2018, laissant supposer que des entreprises profitent abusivement du signal-prix brouillé.

    Là devrait être le vrai point de vigilance : l’alimentation de l’inflation par la hausse des taux de marge d’entreprises, généralement les plus grandes et puissantes, utilisant les récents chocs comme opportunités pour gonfler les prix. Face à cela, ce ne sont pas seulement les ménages qui sont touchés : de plus en plus de petites entreprises, PME comme TPE, font faillite car ne pouvant plus payer les frais fixes et n’étant pas en capacité de rembourser les prêts de relance économique (PRE) du « quoi qu’il en coût », et les autres dettes : jusqu’ici, 2023 enregistre le plus grand nombre de faillites depuis 2016.

    Et cette situation semble être généralisée en Europe et dans un grand nombre de secteurs 14 , dépassant le simple secteur de l’énergie qui voit ses taux de marge exploser. Le FMI a mené en juin dernier un important travail de décomposition des facteurs de l’inflation, montrant qu’au niveau de la zone euro, la hausse des profits est responsable de près de la moitié de l’inflation en 2022 et première moitié de 2023 – comme on l’observe sur le graphique qui suit.

    Ces pratiques vont des supermarchés aux concessionnaires automobiles, du transport maritime à l’industrie agroalimentaire, utilisant guerre, sécheresse et résurgence de la demande post-pandémique pour maximiser leurs profits. Les déclarations des entreprises elles-mêmes le confirment. Dans une enquête de mars 2022 , 56 % des détaillants américains ont déclaré que l’inflation leur avait permis d’augmenter leurs prix au-delà de ce qui était nécessaire pour compenser l’augmentation des coûts, et 63 % des grandes entreprises ont indiqué qu’elles utilisaient l’inflation pour augmenter leurs bénéfices. Notons que Michel-Edouard Leclerc, pourtant dirigeant d’une des plus importantes enseignes de grande distribution française, a appelé lors d’une interview donnée le 30 juin 2022 à BFMTV à l’ouverture d’une commission d’enquête sur les origines de l’inflation », car selon lui « la moitié des hausses de prix demandées par les industriels ne sont pas transparentes mais au contraire suspectes ».

    D’autres chefs d’entreprises abondent en ce sens, mais en se vantant de leur capacité à récupérer du profit. Dans le Financial Times , le directeur financier de Mercedes-Benz annonçait dès fin 2021 : « nous allons sciemment sous-approvisionner la demande, quand celui de BMW déclarait que la compagnie avait « connu une amélioration significative de son pouvoir de pricing au cours des 24 derniers mois », expliquant qu’ils comptaient « clairement poursuivre … la façon dont nous gérons l’offre pour maintenir notre pouvoir de fixation des prix au niveau d’aujourd’hui ».

    Ce phénomène est ainsi visible dans toute la chaîne de production mondiale. Les quatre géants mondiaux de l’agroalimentaire, ABCD (ADM, Bunge, Cargill et Louis Dreyfus) ont vu leurs bénéfices grimper de 255 % (total de 10,4 milliards de dollars) entre 2019 et 2021 15 . Plus étonnamment, cela s’est produit sur différents types de marchés : dans des monopoles autorisés par l’État, dans des industries dominées par des cartels, mais aussi sur des marchés « concurrentiels », alors même que la théorie néo-classique voudrait que la concurrence empêche cette hausse des marges généralisée, les entreprises qui essaieraient étant balayées par les autres et le mouvement des consommateurs 16 . Tout cela démontre un problème systémique : ce ne sont pas juste quelques déviations de passagers clandestins, mais une évolution structurelle qui risque de s’installer pour durer.

    Inflation is conflict

    La focalisation sur la spirale prix-salaire face au rôle des profits n’est pas sans rapport avec l’invisibilisation d’un autre phénomène : la modification progressive du partage de la valeur ajoutée, des salaires vers les profits. S’il est commun dans l’économie orthodoxe de considérer que la part du travail et la part du capital dans la distribution du revenu est historiquement fixe (elle l’était dans la première moitié du XXème siècle, Keynes en parlait comme « a bit of a miracle » ) la réalité empirique des dernières décennies est tout autre.

    On peut observer trois faits stylisés. Premièrement, une baisse tendancielle et structurelle de la part des salaires, au bénéfice de la part des profits, passant de 66,1 % à 61,7 % en moyenne dans la majorité des pays de l’OCDE entre 1990 et la fin des années 2000 17 . Ces analyses empiriques sont partagées par la Commission européenne 18 , le FMI 19 , le BIT 20 ou encore la BRI 21 .

    Evolution de la part des salaires dans le PIB, en France, depuis 1975 (données EUROSTAT, coût des facteurs en prix courant).

    Néanmoins, malgré ce partage primaire, l’existence de profits n’implique pas nécessairement leur redistribution en dividendes. Ils peuvent (et doivent) également être retenus pour servir à financer les investissements de l’entreprise, et permettre la croissance, et ainsi des embauches, ou une hausse des salaires, selon le fameux « théorème » de l’ancien chancelier allemand Schmidt : « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». Malheureusement, le second fait stylisé infirme ce théorème, de par la stagnation des taux d’investissement ces dernières décennies, en France comme en Europe, malgré la hausse généralisée.

    Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi l’inflation par les profits est un phénomène peu discuté dans le discours public dominant. C’est un phénomène distributif découlant de rapports de force

    Cela implique que les nouveaux profits sont versés en dividendes 22 . Cette stratégie court-termiste de satisfaction des actionnaires a pu mettre des entreprises en danger, en ne faisant pas les investissements nécessaires à leur survie. ENGIE en est un exemple, accumulant plus de 784 millions d’euros de pertes entre 2011 et 2021, tandis qu’elle versait à ses actionnaires la somme considérable de 23,6 milliards d’euros au cours de cette période comme le notait Oxfam France 23 . Une partie des profits a également alimenté un rachat massif d’actions (en 2011 en France, cela représentait 12 % des paiements aux actionnaires et ce chiffre est passé à près d’un tiers en 2021), constituant donc également une forme de rémunération pour les actionnaires. Ainsi, l’argument de la modération salariale de court terme au service des salariés à long terme ne tient pas, les taux de marge augmentant mais pas le taux d’investissement, ni en Europe, ni aux États-Unis (exception faite de nos amis danois).

    Ces deux faits convergent en toute logique vers le troisième : une redistribution massive du revenu national, des salaires vers les dividendes versés 24 . Ainsi, entre 2011 et 2021, dans les 100 premières entreprises françaises cotées, la dépense par salarié n’a augmenté que de 22 %, tandis que les versements aux actionnaires ont augmenté de 57 %. Or, une des propositions essentielles de la théorie néo-classique et plus largement de l’économie mainstream – encore au coeur des modèles macroéconomiques utilisés à Bercy ou à la Commission européenne – est que la rémunération des facteurs de production (travail et capital) ne dépend que de leur productivité marginale, et donc des propriétés technologiques du système productif.

    Si le capital devient plus efficace, alors les gains de productivité augmentent le rendement du capital. Idem pour le travail. Or, cela pose deux problèmes. D’une part, la répartition de la valeur découlerait de facteurs purement techniques, pas des dynamiques socio-politiques ou des rapports de force (ce qui a été de nombreuses fois empiriquement réfuté). D’autre part, si le travail devient plus productif, les salaires devraient absorber ses gains. Pourtant, on l’a vu plus haut, on ne peut que constater un décrochage entre productivité et salaires.

    La situation actuelle ne fait que confirmer la prédation du capital au sein du conflit dans la distribution de la valeur, et cela depuis des décennies – désormais reconnue même chez Bloomberg . Il est aujourd’hui en plus doublé d’un conflit sur la répartition du poids de l’inflation entre travail et capital. Il s’agit là d’une actualisation de ce qu’il faut bien appeler lutte des classes. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi l’inflation par les profits est un phénomène peu discuté dans le discours public dominant. C’est un phénomène distributif découlant de ces rapports de force – une idée que l’on retrouve au cœur des travaux de l’économiste post-keynésien et marxiste Michał Kalecki, à la fois allié de Keynes et adversaire plus radical que ce dernier 25 .

    L’inflation peut donc être vue comme un produit des rapports de force au sein de l’appareil productif : pour Kalecki, si les salariés sont en situation de rapport de force, ils sont susceptibles d’être à l’origine d’une hausse de salaire provoquant de l’inflation. Si ce sont les « capitalistes » qui le sont, ils peuvent se permettre d’augmenter leur marge, et donc des prix, sans augmentation des salaires. Ainsi, le discours autour du risque d’une spirale prix-salaire apparaît comme un moyen commode de faire oublier que le rapport de force est en défaveur des salariés.

    Quelles mesures contre l’inflation face à la nouvelle forme du conflit autour de la valeur ajoutée ?

    Quelles politiques publiques sont donc possibles face à cette inflation tirée par les profits ? Tout est ici un arbitrage entre salaire et profit : pour ramener les salaires réels à leur niveau pré-pandémie pour la fin de l’année 2024 tout en faisant décroître l’inflation jusqu’à son taux cible de 2 %, ils devraient croître de 5,5 %, et surtout, la part des bénéfices devrait tomber à son niveau le plus bas depuis le milieu des années 1990 (à productivité constante) – encore une fois une question de répartition. Sans action politique pour mettre fin à cette logique, le retour à la cible de 2 % d’inflation mise en avant par les institutions européennes deviendrait irréalisable en plus de modifier les anticipations des agents.

    Au-delà du problème des sources de l’inflation, c’est bien l’obsession pour la stabilisation de l’inflation qui permet de maintenir un discours contre les politiques de hausses de salaires. Obsession qui est au cœur des politiques monétaires, au détriment d’autres enjeux comme l’emploi, et malgré le piège d’une crise déflationniste qu’une trop faible inflation pourrait provoquer.

    Volcker, tout juste nommé à la tête de la Réserve fédérale n’avait ainsi pas hésité à déclarer au Congrès que pour se débarrasser de l’inflation, « le niveau de vie de l’Américain moyen [devait] baisser », assumant parfaitement le coût social de la politique monétaire, son fameux « choc », qu’il allait mener. La logique de la montée actuelle des taux par les banques centrales est similaire, malgré leurs digressions sur la promesse d’« une désinflation sans récession » 26 . Il est d’autant plus cocasse de relever que la hausse des profits ralentit l’impact désinflationniste desdites politiques monétaires, car offrant aux entreprises un airbag de trésorerie pour y résister plus longtemps.

    Moins que le contrôle des prix, qui risque en effet d’affaiblir les entreprises réellement touchées par la hausse des coûts de production, notamment les PME, le contrôle des taux de marge semble donc être une possibilité intéressante. Une telle mesure a été mise en place par l’administration Roosevelt durant la Seconde Guerre mondiale, à travers l’établissement de l’ Office of Price Administration en 1941, contrôlant prix à la consommation comme loyers.

    De la même manière, il y a déjà un mécanisme relativement similaire en France dans les Outre-Mer à travers le Bouclier Qualité Prix, réunissant Préfet, associations de consommateurs et entreprises de manière coopérative. Quelques décennies plus tôt, le ministre des finances Raymond Barre – tout sauf marxiste – avait mis en œuvre un contrôle similaire des prix. Aujourd’hui, un tel dispositif ne permettrait pas de faire disparaître l’inflation incompressible induite par la hausse du coût d’extraction des énergies fossiles, mais au moins d’en limiter significativement les effets, en s’attaquant aux bénéfices des « profiteurs de guerre ».

    Enfin, l’usage des profits eux-mêmes pourrait être questionné. Plutôt que d’alimenter des dividendes croissants, ils pourraient être réalloués pour financer des investissements, nécessaires dans le cadre du changement climatique, et qui permettraient de mettre en place une transition énergétique, seule politique permettant de résoudre la part de l’inflation causée par les matières premières et notre dépendance à l’importation de ces dernières 27 . Cela impliquerait un grand retour de l’instrument fiscal.

    Des solutions politiques à disposition de Bercy existent donc, en alternative aux supplications du ministre de l’économie face aux entreprises. Mais une fois les causes de l’inflation comprises, lutter contre implique de s’attaquer à la racine du problème, en s’opposant à un système favorisant la rémunération du capital, au détriment des salariés et des investissements. Au vu de certaines urgences, climatiques par exemple, le « pragmatisme économique » appartient-il vraiment au camp qui s’en revendique ?

    Notes :

    1 Comprenant les salaires, les consommations intermédiaires comme l’énergie et les matières premières, mais aussi les intérêts des prêts etc.

    2 Court, V. and Fizaine, F. (2017). “Long-Term Estimates of the Energy-Return-on-Investment (EROI) of Coal, Oil, and Gas Global Productions”, Ecological Economics 138: 145-159.

    3 C’est l’effet « reine rouge », comme dans Alice au pays des merveilles : il faut courir de plus en plus vite pour ne serait-ce que faire du surplace. D’où la distinction fondamentale entre ressources fossiles (l’ensemble des quantités de matières fossiles présentes sur Terre) et réserves (le sous-ensemble des ressources qui est à la fois technologiquement et économiquement exploitable).

    4 Insee (2022). “Focus – Depending on their energy and food expenditure, some household categories are exposed to apparent inflation that may differ by more than one point from the average” , in Insee, (2022). Economic outlook – June 2022.

    5 Les sources sont nombreuses, mais l’on pourra par exemple la déclaration de Christine Lagarde sur le blog de la BCE en juillet 2022, “Maintenir la stabilité des prix” .

    6 Ainsi, en 2007, le gouverneur de la BCE Jean-Claude Trichet expliquait à la Confédération européenne des syndicats à Séville que les accords salariaux générés ne devaient surtout pas générer de hausse l’inflation , alertant sur la baisse du pouvoir d’achat des salariés qui adviendrait, et donc sur le risque de spirale prix salaires.

    7 Borio, C., Lombardi, M.J., Yetman, J. and Zakrajsek, E. (2023) “The two-regime view of inflation,” BIS Papers, Bank for International Settlements (Basel), number 133.

    8 Boissay, F., De Fiore, F., Igan, D., Pierres-Tejada, A. and Rees, D. (2022). “Are major advanced economies on the verge of a wage-price spiral?”, BIS Bulletin N°53, Bank for International Settlements, Basel.

    9 Une analyse de la concentration du marché du travail amène l’OCDE, dans son rapport sur l’emploi de 2022, à conclure qu’au moins un travailleur sur six est employé dans un marché monopsone, dans lequel les employeurs bénéficient d’un pouvoir quasi unilatéral pour fixer les salaires et les conditions de travail. Cela se traduit par des taux d’emploi et des salaires bas, ainsi que par une baisse de la qualité de l’emploi.

    OCDE (2022). Employment outlook 2022 : Building Back More Inclusive Labour Markets. OCDE (Paris).

    10 Par exemple, pour les USA, voir l’étude de la Réserve fédérale, et pour l’Italie, voir Lombardi et al. (2023) .

    11 Il est piquant de constater que l’OCDE, institution pourtant souvent qualifiée de néolibérale, appelait déjà les gouvernements de l’OCDE dans son même rapport de 2022 cité supra à renforcer le pouvoir de négociation collective des travailleurs et à soutenir les syndicats (incluant leur extension en taille).

    12 Blog du FMI: “ Europe’s Inflation Outlook Depends on How Corporate Profits Absorb Wage Gains ”, Niels-Jakob Hansen, Frederik Toscani, Jing Zhou, 26 juin 2023.

    13 Précisons pour le secteur agro-alimentaire qu’il y a tout de même toujours un effet de décalage, car les intrants sont achetés en amont par contrats à terme, faisant que leur production doit être écoulée au prix fort même en cas de réduction présente des prix des intrants. Enfin, dans les secteurs particulièrement touchés par la hausse du prix des intrants, des firmes ont préféré réduire leur taux de marge, que perdre en compétitivité.

    14 Par exemple, dans le cas du pays européen le plus susceptible d’être victime d’une spirale prix-salaire, le Royaume-Uni, le principal syndicat britannique du secteur privé, Unite , a analysé les 350 premières entreprises cotées à la Bourse de Londres (FTSE 350), et identifié que les marges bénéficiaires moyennes sont passées de 5,7 % au premier semestre 2019 à 10,7 % au premier semestre 2022, un taux strictement supérieur à celui pré-crise sanitaire.

    15 De même, les dix premiers fabricants mondiaux de semi-conducteurs ont réalisé 55 milliards de dollars sur la période, soit 96 % de plus.

    16 De même, la concentration du marché dans certains secteurs (grande distribution, transports…) et l’existence de monopoles permis par l’Etat (énergie, distribution d’électricité…) renforcent le pouvoir de pricing . Enfin, le fait que toutes les entreprises soient théoriquement impactées par l’inflation importée des ressources sans en être responsables leur permet d’augmenter simultanément leur prix par collusion implicite, c’est un effet d’aubaine (la fixation du prix sur un marché même concurrentiel est finalement centralisé en termes de norme « sociale »).

    17 OCDE (2012). Employment Outlook, 2012 (Paris).

    18 European Commission (2007). “The labour income share in the European Union”, in Employment in Europe 2007, Directorate-General for Employment, Social Affairs and Equal Opportunities (Brussels), pp. 237–72.

    19 IMF (2007). “The globalization of labor”, in World Economic Outlook, April 2007: Spillovers and cycles in the world economy (Washington, DC), pp. 161–92.

    20 ILO (2012). Global Wage Report 2012/13: Wages and equitable growth (Geneva).

    21 Bank for International Settlements (BIS). 2006. 76th Annual Report (Basel).

    22 Lié au phénomène de financiarisation, depuis les années 1980: l’un des impacts de la financiarisation a ainsi été une refonte du partage de la valeur ajoutée, au bénéfice des dividendes, au détriment des salaires (ce qui fournit d’ailleurs l’une des explications du décrochage des salaires par rapport à l’augmentation de la productivité), mais aussi des investissements productifs. C’est l’une des conséquences du changement de doctrine d’entreprises durant les années 1970 aux États-Unis, faisant passer d’une doctrine « retain and reinvest » à « downside and distribute » , comme expliqué par William Lazonick et Mary O’Sullivan dans “Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance” (2000, Economy and Society ) . Concernant le fait que ce phénomène se fait en effet au détriment de l’investissement, on citera l’étude de Engelbert Stockhammer, “Financialisation and the slowdown of accumulation” (2004, Cambridge Journal of Economics ).

    23 Oxfam France (2023). Top 100 des Entreprises : L’Inflation des Dividendes , Oxfam France (Paris).

    24 On relèvera au passage qu’hormis Eurostat, aucune institution ne publie de tables de données sur la distribution de la valeur entre salaires, investissement et dividendes, mais seulement quelques rapports épars, montrant leur déconnexion des réalités socio-économiques.

    25 Position défendue il n’en reste par des économistes également du privé, comme l’économiste en chef de Natixis Patrick Artus .

    26 En effet, loin du « ratio de sacrifice » qui renvoie au prix à payer en termes de chômage et de croissance pour réduire l’inflation, les théories macro-monétaires dominantes à la Lucas (Nobel 1995) et Sergent (Nobel 2011) considèrent que, si la banque centrale est crédible, il suffirait pour elle de s’engager à une politique désinflationniste, et la désinflation serait immédiate et sans récession car les agents réduiraient leurs anticipations d’inflation en conséquence au niveau ciblé, la ramenant à ce niveau sans impact sur le reste de l’économie. Les banquiers centraux aimeraient que les politiques monétaires soient si simples à mener…

    27 Plusieurs propositions ont été faites à ce sujet. Voir le rapport de l’Institut Rousseau, “ 2 % pour 2°C ! Les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050 ”.

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      Comment BlackRock prépare l’avenir de l’Ukraine

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Friday, 10 February, 2023 - 16:46 · 6 minutes

    Les opportunités que présente l’Ukraine ne sont pas passées inaperçues. De BlackRock (à qui Volodymyr Zelensky a officiellement souhaité la bienvenue ) aux fonds européens, le pays est scruté par les géants de la finance. Et par les organisations internationales, qui comptent bien lui imposer un climat favorable aux investissements. Au menu : dérégulation, privatisation et « fiscalité efficiente ». Il faut dire que le gouvernement ukrainien n’avait pas attendu la fin de la guerre pour mettre en place ces réformes…

    L’invasion russe qui cause actuellement d’incalculables souffrances à des millions d’Ukrainiens ne signe pas la fin de leurs épreuves. Ces derniers mois, les affaires juteuses que pouvait représenter la reconstruction de l’Ukraine d’après-guerre a aiguisé les appétits.

    En novembre de l’an dernier, le président Ukrainien Volodymyr Zelensky a signé un mémorandum avec BlackRock qui permet au Conseil financier de la société – une unité de consultants destinée à travailler dans les pays en crise – de conseiller son ministre de l’Économie sur une feuille de route pour reconstruire le pays. Selon les propres mots de BlackRock , le but de l’accord est de « créer des opportunités afin que les investisseurs publics et privés participent à la future reconstruction et relance de l’économie ukrainienne ».

    Ces mesures s’ajoutent aux précédentes attaques du Parlement sur le droit du travail ukrainien, hérité de l’ère soviétique, qui avaient plongé 70% de la main-d’œuvre dans une situation d’informalité

    Dans le communiqué de presse du ministère , les fonctionnaires sont plus crus, expliquant vouloir « attirer principalement du capital privé ». L’accord formalise une série d’échanges menés en 2022 entre Zelensky et le président de BlackRock Larry Fink, au cours desquels il a insisté sur la nécessité pour l’Ukraine de devenir « attractive pour les investisseurs ». Selon un communiqué du bureau du président , BlackRock conseillait déjà le gouvernement Ukrainien « depuis plusieurs mois » à la fin de l’année 2022. Les deux parties avaient convenu de se concentrer sur « la coordination des efforts de tous les investisseurs et participants potentiels » dans la reconstruction ukrainienne et de « canaliser les investissements dans les secteurs les plus pertinents et porteurs. »

    Ce n’est pas une première pour le Conseil financier de BlackRock. Selon un article de Investigate Europe qui se plonge dans leurs activités européenne, BlackRock est « un conseiller d’États aux privatisations », « très actif lorsqu’il s’agit de contrer toute tentative visant à les réguler ». La société s’est servie du krash de 2008 – lui-même issu de titres hypothécaires pourris dont Larry Fink était devenu maître – pour accroître son pouvoir et influencer les décideurs politiques, à grand renfort de conflits d’intérêts, portes tournantes et trafic d’influence. Aux États-Unis, BlackRock a suscité une vive controverse pour avoir géré le programme d’investissement du marché obligataire de la Reserve Fédérale pendant la pandémie, qui a entrainé l’investissement de la moitié des fonds du programme au profit de… BlackRock.

    L’Ukraine s’inscrivait déjà dans une dynamique favorable aux investissements étrangers. En décembre 2022, alors que Kiev et BlackRock négociaient déjà depuis plusieurs mois, le Parlement ukrainien adoptait une législation favorable au développement immobilier qui avait été bloquée avant la guerre. Elle a pour fonction de déréguler la législation sur la planification urbaine au profit du secteur privé, qui lorgnait avidement sur la démolition de sites historiques. Elle s’ajoute aux précédentes attaques du Parlement sur le droit du travail ukrainien, hérité de l’ère soviétique, qui avaient légalisé les contrats 0 heure, affaibli le pouvoir des syndicats, et plongé 70% de la main-d’œuvre dans une situation d’informalité. Ces évolutions législatives avaient été suggérées au parlement non par BlackRock, mais par le bureau des Affaires étrangères britannique et portées par le parti de Zelensky. Celui-ci affirmait : « l’extrême régulation de l’emploi contredit les principes du marché autorégulateur (…) elle crée des barrières bureaucratiques à l’auto-réalisation des employés ».

    « Ces premiers pas vers la dérégulation et la simplification du système de taxes sont emblématiques de mesures qui n’ont pas seulement résisté au choc de la guerre, mais qui ont bel et bien été accélérées par celui-ci », pouvait-on lire dans The Economist . « Avec une audience nationale et internationale favorable à la reconstruction et au développement de l’Ukraine », il est vraisemblable que les réforme s’accélèrent après la guerre, espérait encore le quotidien, anticipant une dérégulation accrue qui fluidifierait « l’afflux du capital international vers l’agriculture ukrainienne ». La recette du succès, affirmait-il, passait par davantage de privatisations « d’entreprises étatiques déficitaires » qui « pèsent sur les dépenses du gouvernement ». Cette dernière étape de la privatisation , notait avec amertume The Economiste , « s’était arrêté avec le début de la guerre. »

    Pourtant, The Economist n’aurait pas dû s’inquiéter. Les privatisations constituent en effet l’une des principales priorités pour l’Ukraine d’après-guerre. En juillet dernier, une myriade de grandes entreprises européennes et de représentants ukrainiens ont participé à la Conférence de reconstruction de l’Ukraine , destinée à mesurer les progrès effectués par le pays dans sa mue néolibérale imposée par l’Occident suite aux événements de 2014.

    Comme le bulletin politique de la conférence l’a clairement indiqué, l’État d’après-guerre n’aura pas besoin de BlackRock à ses côtés pour poursuivre cet agenda dont rêvent les investisseurs. Parmi les recommandations politiques apparaissent « une baisse des dépenses de l’État », « un système de taxes efficient » et, plus généralement, une marche vers « la dérégulation ». Il conseille de poursuivre la « réduction de la taille du gouvernement » via de nouvelles privatisation, une libéralisation accrue des marchés de capitaux visant à créer un « meilleur climat d’investissement, plus accueillant à l’égard des investissements directs issus de l’Europe et du monde »…

    La lecture de ces documents évoque les fantaisies libertariennes les plus folles ; l’Ukraine y est dépeinte comme une start-up – une start-up numérique, business friendly et verte – essentiellement grâce aux neuf réacteurs américains de la société Westinghouse. Mais cet imaginaire est tout sauf incohérent avec le slogan « un pays dans un smartphone », mis en avant par Zelensky lui-même il y a trois ans…

    Un pays en crise qui vient demander l’aide aux gouvernements institutions financières : l’histoire n’est pas neuve. Vient ensuite la phase où il découvre que les fonds dont il a désespérément besoin s’implantent avec des conditions de moins en moins désirables. Puis les réformes visant à démanteler l’investissement public dans l’économie, ouvrir le marché national au capital étranger, et l’accroissement des souffrances de la population…

    Il s’agit de la réactualisation d’un scénario que l’Ukraine a déjà connu. Suite au coup d’État pro-occidental de 2014, le FMI et les représentants occidentaux – à l’instar du vice-président américain Joe Biden – avaient pressé le gouvernement de mener des réformes structurelles , passant notamment par la réduction des subventions au gaz pour les foyers ukrainiens, la privatisation de milliers d’entreprises publiques, et la levée de l’ancien moratoire sur la vente de terres agricoles. Durant la pandémie, sous une pression financière intense, Volodymyr Zelensky a fait aboutir cette dernière requête .

    Il y a près d’un an, la souveraineté des Ukrainiens avait été violée, dans un style grossièrement néo-colonial, par les bombardements de Moscou. Il est malheureusement probable que la fin de la guerre déclenchera de nouveaux assauts en Ukraine, menés non par des hommes en treillis militaire mais en costume trois pièce.

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      Bientôt Paris sous tutelle ? Puis ensuite, la France ?

      h16 · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 2 December, 2022 - 12:00 · 6 minutes

    Le vendredi, c’est poisson et la morue en est un excellent qu’on peut par exemple déguster en brandade. Sans rapport aucun, signalons qu’ Anne Hidalgo fait actuellement parler d’elle alors que la ville dont elle a la charge serait en très fâcheuse posture budgétaire.

    Il est vrai que la situation économique du pays et l’inflation galopante finissent par toucher tout le monde, même la Ville des Lumières . Ajoutons-y une petite guerre à l’Est, un méchant covid qui a nettement pénalisé les activités touristiques et voilà la capitale française dans la tourmente.

    Ou disons, voilà l’explication fournie par la maire de Paris pour expliquer la brandade panade dans laquelle la ville se trouve actuellement sur le plan financier. Mais à bien y regarder, les causes extérieures n’ont que peu à voir avec la dette colossale et la déroute budgétaire, visuelle, urbanistique et hygiénique de la municipalité parisienne.

    En effet, lorsque Anne Hidalgo a pris les rênes de la municipalité en 2014, la dette se situait à 4,18 milliards d’euros (au 31 décembre) alors qu’elle s’établit à présent à 8,37 milliards d’euros au 31 décembre 2021 selon la direction générale des Finances publiques. Voilà qui représente un coquet doublement, ce qui, par les temps qui courent, représente une étonnante performance pour une ville dont ni le nombre d’habitants ni la superficie n’ont doublé. Et est-il nécessaire d’évoquer l’attractivité qui n’a pas doublé non plus pour s’interroger sur l’accumulation de ces plus de 8 milliards d’euros de dette.

    Si le chiffre ne dit pas grand-chose en lui-même tant les Français ont été habitués par leurs gouvernements à jongler avec les dizaines voire les centaines de milliards, il faut comprendre que cette dette représente 3800 euros par habitant (contre 1640 euros fin 2014), ce qui est déjà une somme rondelette. Certes, d’autres municipalités françaises importantes cumulent parfois plus de dettes par habitant mais aucune n’atteint cependant le montant total de Paris qui bénéficie pourtant d’arrangements et de largesses comptables et financières assez spécifiques.

    Lorsque cette dette est mise en rapport avec les réalisations visibles au profit de la capitale, on ne peut que rester pantois. Et lorsqu’on épluche les chiffres , il y a de quoi.

    Avec un coût d’administration de la Ville de Paris bien supérieur à ceux qu’on peut comparer pour Lyon (13 % supérieur) ou Marseille (10 % supérieur) par exemple, on se demande en réalité où passe l’argent des contribuables parisiens : depuis 2014, la masse salariale municipale n’a cessé d’augmenter avec une création constante de nouveaux postes salariés (plus de 400 sont ainsi prévus en 2022). À présent, la capitale française compte plus d’un agent pour 39 habitants là où on en compte un pour 95 à Rome et un pour 107 à Londres. S’aligner sur ces chiffres ferait économiser plus d’un milliard et demi d’euros à la capitale…

    Rassurez-vous, il n’en est pas question.

    On pourrait se consoler en espérant qu’à cette pléthore d’agents correspond un service public au taquet. Las : non seulement ces agents se battent pour travailler toujours moins, mais de surcroît le travail réalisé laisse à désirer. Il suffira de constater l’état lamentable de l’ hygiène , de la sécurité, du trafic routier dans la capitale par exemple en butinant les meilleures pages du site Saccage Paris pour mesurer l’ampleur du véritable trou noir qu’est devenu la municipalité parisienne : des sommes colossales y pénètrent pour ne plus jamais revoir la lumière du jour, sans qu’aucune information claire ne fuite jamais sur ce qui s’est passé entre la collecte et la dépense. La multiplication des bric-à-brac en palettes de ZAD, aussi écolobranchouilles soient-ils, ne permet vraiment pas d’expliquer la dérive des finances parisiennes (même s’il est vrai que cela aide à comprendre l’accroissement notable de sa population de rongeurs ).

    Devant ce trou noir, la maire ne semble pas s’inquiéter outre mesure. D’ailleurs, elle a une solution toute simple.

    La main sûre, la voix posée, elle annonce donc il y a quelques semaines une sympathique augmentation de la taxe foncière à 20,5 %. En plus, comme Paris est une ville réputée pour avoir une taxe foncière un peu moins élevée qu’ailleurs, cela lui laisse de la marge : les gueux pourront bien rouspéter un peu mais après tout, ce n’est qu’un alignement sur les autres villes du pays.

    C’est du reste en partie vrai : même avec cette augmentation, la taxe foncière de 2022 reste moins élevée en regard de ce que d’autres citadins payent. Mais il y a un hic : cette taxe réhaussée a été calculée sur les valeurs locatives de 2022. L’année prochaine, qui verra ces valeurs recalculées à la hausse (et pas qu’un peu), promet donc quelques surprises salées au contribuable parisien…

    Il n’en reste pas moins que devant l’écart maintenant affolant des entrées et des sorties d’argent, on commence à murmurer que ces improvisations taxatoires ne suffiront pas. Et alors que le nombre d’habitants de la ville (et donc, de cibles taxables) diminue franchement depuis l’arrivée au pouvoir d’Hidalgo – franchement, on se demande pourquoi, alors que la municipalité redouble d’efforts pour transformer certains quartiers en véritables havres du vivrensemble sous crack – certains évoquent même une petite mise sous tutelle qui reviendrait en substance à retirer les clefs du budget des mains de l’actuelle dispendieuse socialiste.

    La surprise est modérée.

    Comme toute gestion clientéliste basée sur un accès à l’argent facile (dettes contractées alors que l’inflation et les taux d’emprunt sont faibles et les perspectives riantes), la mairie de Paris a maintenant largement dépassé les années de vaches grasses pour arriver à celles des vaches maigres en étant auparavant passée par celles des rats dodus. En s’obstinant à renouveler à leur place les équipes municipales les plus déconnectées du réel (de plus en plus souvent composé de saleté repoussante, de travaux idiots et d’ insécurité galopante ), les Parisiens se retrouvent maintenant avec une facture particulièrement salée et aucune réelle possibilité d’y échapper.

    Il apparaît en effet que la situation parisienne n’est pas unique : non seulement, d’autres villes sont aussi en difficultés financières, mais à vrai dire tout le pays a également été piloté par des équipes de branquignoles économiques comparables à celle de Paris, avec – sans surprise là encore – les mêmes résultats catastrophiques, des dettes à gogo, un système de santé ou d’éducation en déroute complète, une insécurité galopante et un régalien qui ne sert même plus de faire-valoir.

    Il faut se résoudre à l’évidence : la gestion par la dette, la multiplication des cadeaux électoraux facturés aux générations futures, ça ne marche jamais. Le socialisme, qu’il soit appliqué au niveau d’une ville ou au niveau d’un pays, aboutit toujours à la faillite.

    D’ailleurs, les prochains mois pourraient être amusants et le sort ironique : alors que Paris sera peut-être mis sous tutelle par l’État français, ce même État français pourrait être à son tour mis sous tutelle par le FMI .

    Sur le web

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      Et si notre modèle social adoré était en fait l’artisan de nos difficultés ?

      Nathalie MP Meyer · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 24 November, 2022 - 05:00 · 5 minutes

    Les rapports de notre propre Cour des comptes comme ceux des grands organismes économiques internationaux se suivent et se ressemblent : la France doit impérativement mettre un terme à sa fuite en avant dans la dépense publique, les déficits et la dette.

    Qu’on s’illusionne tous collectivement au point de voir dans cette folle cavalcade de notre modèle économique et social l’aboutissement sublime de la solidarité , de l’égalité et du « quoi qu’il en coûte » propre à une France supérieurement juste et généreuse ne change rien à l’affaire. Faute de procéder enfin et en profondeur à de vraies réformes structurelles, le pays manquera de marges de manœuvre budgétaires pour encaisser les chocs à venir ; il verra ses services publics se dégrader encore plus et il s’enfoncera pour longtemps dans une atonie économique désastreuse pour la prospérité de ses habitants.

    Aujourd’hui, c’est le FMI qui nous le dit. Dans un rapport publié lundi dernier (21 novembre 2022), il suggère à la France de mettre un frein au « quoi qu’il en coûte » tous azimuts, de mieux cibler ses aides et de faire baisser son déficit dès l’an prochain afin de commencer à stabiliser la dette et non pas attendre 2024 comme prévu par le gouvernement (le déficit resterait plongé à 5 % du PIB en 2023 comme en 2022).

    Si rien n’est fait, le FMI prévoit que la France se retrouverait avec un déficit de 5 % toujours en 2027 (et non 3 % comme espéré par Bercy) et donc avec une dette désespérément calée sur une trajectoire de hausse, tandis que dans le même temps la zone euro reviendrait en moyenne à 2,5 % de déficit et l’Allemagne à 0,5 % (voir graphe extrait du site Les Échos ).

    Quelles actions prendre pour contrecarrer cette évolution déprimante et appauvrissante ? Toujours les mêmes, ressassées depuis des années par l’Union européenne , l’OCDE ou la Cour des comptes , mais perpétuellement oubliées, reportées ou négligées.

    Compte tenu de la « pression fiscale déjà élevée » qui prévaut en France, ce sont les dépenses qu’il faut absolument réduire, les courantes, les exceptionnelles et les structurelles. Et cela passe inéluctablement par une réforme des retraites, une réforme de l’assurance chômage, une « rationalisation » des aides fiscales et sociales, une« rationalisation » des effectifs de la fonction publique et une « rationalisation » de l’organisation de nos nombreuses administrations. Ajoutons les lourdeurs persistantes de notre marché du travail qu’il conviendrait de lever ainsi que les faiblesses scolaires criantes de nos élèves qu’il faudrait réparer de toute urgence.

    À utiliser ainsi à plusieurs reprises le terme de « rationalisation », ne dirait-on pas que le FMI suggère sans le dire que la France évolue dans un système parfaitement irrationnel ? Probablement pas. Même les acteurs publics ne parlent que de rationaliser leurs actions et d’introduire de l’efficience dans le service public. Même notre Cour des comptes n’envisage nullement de remettre en cause notre modèle économique et social. Ses remontrances récurrentes n’ont d’autre objectif que de l’amender afin d’en assurer la pérennité.

    C’est pourtant exactement ce que je pense ; nous vivons, la France vit dans l’irrationalité la plus totale.

    Rappelons à toutes fins utiles qu’en 2021, la France a terminé l’année avec un taux de dépenses publiques sur PIB de 59 % , un taux de prélèvements obligatoires de 44,3 % , un taux de déficit public de 6,5 % et un taux de dette publique de 113 % , soit un niveau particulièrement élevé, parfois le plus élevé du monde développé pour toutes ces grandeurs ( ici comparaison OCDE sur les dépenses publiques en 2020). Ce n’est pas pour rien que la France est connue pour être la championne du monde des taxes et des dépenses. Ce n’est pas pour rien qu’on a vu surgir la colère des premiers Gilets jaunes .

    Rappelons que son taux de chômage, le plus bas depuis longtemps, mais néanmoins le double de celui de ses grands voisins, se situe aux alentours de 7,4 % contre 3 à 3,5 % pour l’Allemagne et les Pays-Bas.

    Rappelons que tous les tests internationaux sans exception placent la France à la traîne de ses pairs quant au niveau éducatif des élèves. Rappelons en outre que la dégringolade des connaissances et des compétences observée dans nos écoles depuis plus de 30 ans affecte les enfants de tous les milieux socioprofessionnels dans un nivellement par le bas des plus trompeurs.

    Rappelons enfin que notre système de santé, quoique allant de plan de sauvetage en plan de sauvetage qui se comptent en centaines de millions d’euros, est perpétuellement en crise et de moins en moins attractif pour les soignants. Les pénuries de médicaments ne sont pas rares et les délais pour obtenir des rendez-vous chez les spécialistes s’allongent.

    Et bien sûr, pas question, ou si peu, d’aller chercher de l’éducation, de la santé ou des formules de retraite en dehors de nos monopoles étatiques, au nom de cet état d’esprit « collectif » issu du Conseil national de la Résistance qui serait moralement si supérieur à l’initiative privée et à la prise de responsabilité individuelle.

    Résultat des courses, plus la France dépense, plus elle s’enfonce. Plus elle porte haut les valeurs de solidarité et de justice sociale, plus elle est injuste . Plus elle redistribue, plus elle est en réalité inégalitaire. Plus elle est stratège, plus les ratés industriels s’accumulent. Plus elle veut protéger les citoyens, plus elle les infantilise . Tel est le douloureux paradoxe français.

    D’où la question : et si notre modèle économique et social adoré était en fait le principal artisan de nos difficultés ? Voici le débat qui aurait dû prendre la première place lors de la campagne pour la dernière élection présidentielle. Voici le débat que je n’hésite pas à qualifier de civilisationnel et qu’il faudra bien lancer un jour. Mais aujourd’hui, à l’Assemblée nationale, on préfère examiner le cas crucial de l’abolition de la corrida . Vous parlez d’une révolution ! Ça promet.

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      G7: De Paris à Berlin, des manifestations coup de poing pour alerter sur la dette des pays du Sud

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Monday, 27 June, 2022 - 14:28 · 2 minutes

    ENVIRONNEMENT -“G7 responsable, FMI coupable, annulons la dette pour une planète vivable.” Ce lundi 27 juin, des militants pour le climat ont manifesté devant le siège du Fonds monétaire international (FMI) à Paris, comme vous pouvez le voir dans le vidéo en haut de l’article .

    Quelques dizaines d’activistes d’ Extinction Rebellion , de Youth for Climate ou de 350.org ont ciblé ce bâtiment du FMI dans une campagne mondiale baptisée “Debt for climate”, organisée à l’occasion du sommet du G7 en Allemagne, pour réclamer l’annulation de la dette des pays les plus pauvres afin qu’ils puissent financer des investissements contre la crise climatique .

    Les mains littéralement collées aux portes vitrées, les manifestants bloquaient l’entrée du bâtiment, pendant que d’autres, assis par terre, s’accrochaient les uns aux autres, les bras à l’intérieur de longs tuyaux, pour être plus difficiles à déloger.

    “Premières victimes de la crise climatiques”

    “Nous devons donner à ces pays les moyens de lutter contre la crise climatique, ce sont les premières victimes et les derniers responsables”, a lancé “Chalou”, une militante d’Extinction Rebellion, tandis que ses camarades jetaient des faux billets marqués “Stop fossil fuels” (Stop aux énergies fossiles).

    “La crise de la dette est d’abord la résultante d’un système financier injuste dominé par les pays les plus riches. Le G7, le FMI et la Banque mondiale ont des responsabilités historiques dans le développement de ce cercle vicieux dettes/surexploitation des ressources”, ont dénoncé dans un communiqué Extinction Rebellion, Attac-France et Youth for Climate France, qui organisaient l’action parisienne.

    “La reconnaissance d’une dette écologique par les pays les plus riches est une exigence fondamentale. Cette dette écologique provient de la responsabilité des pays les plus riches dans le changement climatique: ce sont eux qui sont les premiers responsables de la destruction de la biodiversité et du pillage des ressources au sein de pays qui sont les moins responsables et les plus impactés par les crises environnementales en cours et à venir”, ont-ils ajouté.

    Une campagne mondiale

    D’autres manifestations ont été organisées dans le cadre de la campagne mondiale “Debt for climate” comme à Washington DC aux États-Unis, à Garmisch-Partenkirchen en Allemagne, près de lieu de réunion du G7 ou encore à Berlin, ce lundi matin, où des militants ont bloqué l’entrée du ministère des Finances.

    Le sommet du G7 s’est ouvert dimanche 26 juin en Bavière et doit se tenir jusqu’à mardi 28 juin. Il réunit les dirigeants de l’Allemagne, des États-Unis, de la France, du Canada, de l’Italie, du Japon et du Royaume-Uni. Au programme durant ces trois jours: la guerre en Ukraine , les menaces sur la sécurité alimentaire et énergétique et l’urgence climatique.

    À voir également sur Le HuffPost: La formation des députés sur le climat, autant suivie à gauche qu’à droite?

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      Vers la fin de l’hégémonie du dollar ?

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Thursday, 2 June, 2022 - 16:51 · 18 minutes

    Depuis plus d’un demi-siècle, le dollar américain domine en tant que monnaie de réserve internationale. Cette hégémonie vigoureusement protégée permet aux États-Unis de soumettre nombre de pays à leur politique et à celle de leur Banque centrale. Mais plusieurs événements récents ont donné naissance à un mouvement de dédollarisation qui ne cesse de grandir, notamment depuis le conflit ukrainien. Vers quel nouveau système monétaire se dirige-t-on ? Si l’hégémonie du dollar n’est pas menacée à court terme, deux blocs distincts, celui de l’Occident et celui des partisans d’un autre système monétaire international, semblent en train d’émerger. Dans cet article, Julien Chevalier revient sur le rôle de la monnaie américaine et la stratégie de dédollarisation de nombreux pays .

    Lors de la conférence de Bretton Woods aux États-Unis, en juillet 1944, les deux protagonistes John Maynard Keynes et Harry Dexter White, l’un britannique, l’autre américain, préparent la construction du système monétaire international. Alors que Keynes plaide pour la création d’une monnaie international – le bancor -, White défend lui l’idée d’un système étalon-or où toutes les monnaies sont indexées sur le dollar. Comme les États-Unis possèdent l’essentiel des réserves de métal jaune, ce système permet à l’Oncle Sam d’imposer la monnaie américaine comme monnaie de référence dans le monde. À l’issue de ce sommet, la proposition de White est retenue.

    La toute-puissance de la monnaie américaine

    En réussissant à imposer le dollar en tant que monnaie de réserve internationale, les États-Unis sont parvenus à astreindre une hégémonie monétaire et ainsi à s’endetter massivement, grâce au privilège d’avoir cette dette toujours rachetée par des investisseurs étrangers. En agissant ainsi, le pays peut donc se permettre de creuser son déficit continuellement, sans que sa monnaie ne se déprécie. Un avantage considérable qui contribue grandement à faire des États-Unis la première puissance économique mondiale.

    Ce privilège fut difficile à maintenir dans le système étalon-or (1), car les États-Unis devaient augmenter sans cesse leur stock de métal jaune pour pouvoir s’endetter et ainsi financer entre autres le projet de « Grande Société » et la guerre du Vietnam. La fin des Accords de Bretton Woods en 1971, puis les Accords de la Jamaïque en 1976, leur permirent d’entretenir cette suprématie. Grâce à la suppression des limites à la création monétaire et l’élaboration des taux de changes flottants, les États-Unis peuvent poursuivre leur politique menée depuis 1945 et même l’intensifier. John Connally – alors secrétaire américain au Trésor sous l’administration Nixon – déclare ainsi : « Le dollar est notre monnaie, mais votre problème. » Depuis plus de 40 ans, malgré les plafonds établis par le Congrès, la dette américaine ne cesse d’augmenter. En 1971, elle était d’environ 450 milliards de dollars. De nos jours, elle atteint 30 trillions de dollars.

    Il est devenu indispensable de disposer de dollars – donc de financer l’endettement américain – pour acquérir des ressources vitales telles que le pétrole.

    Si le règne du dollar perdure, c’est aussi grâce à ce que l’on appelle le « pétrodollar. » Du fait de l’ignorance des Britanniques quant à la présence de pétrole dans les sous-sols arabes, mais aussi de la réticence des pays du golfe Persique face à l’ingérence du Royaume-Uni dans la région suite à la chute de l’Empire ottoman en 1922, les États-Unis réussissent à se rapprocher des pays du Golfe en signant notamment un accord stratégique avec l’Arabie Saoudite lors du pacte du Quincy le 14 février 1945. Le roi saoudien Ibn Saoud et le président américain Franklin D.Roosevelt s’entendent autour d’une alliance visant à ce que les États-Unis accèdent aux gisements pétroliers saoudiens en échange d’une protection militaire dans la région.

    Mais en 1973 naît le premier choc pétrolier. Du fait du pic de production de pétrole aux États-Unis et de la dépréciation du dollar – sur lequel les prix du pétrole sont fixés –, les prix de l’or noir s’écroulent. Pour combler les pertes accumulées, les membres de l’OPEP s’accordent alors pour augmenter de 70% le prix du baril. En comprenant l’importance du pétrole comme première source d’énergie du monde dans une période où le déclin de production sur le territoire américain ne fit que commencer, le grand négociateur américain Henry Kessinger – alors secrétaire d’État sous la présidence Nixon – conclut avec l’Arabie Saoudite un nouvel accord s’appuyant sur les bases du Pacte de Quincy. Grâce à la promesse d’un dollar fort, d’une commercialisation permanente d’armes, et d’un soutien militaire renforcé dans la région du Golfe Persique, les États-Unis parviennent à ce que chaque baril de pétrole soit désormais échangé en dollars. Suite à cela, la majorité des échanges de matières premières se sont faits en devise américaine. Autrement dit, il est devenu indispensable de disposer de dollars – donc de financer l’endettement américain – pour acquérir ces ressources vitales.

    Après plusieurs erreurs stratégiques, le vent tourne

    L’intensification de l’utilisation de l’extraterritorialité du droit américain – notamment de la loi FCPA (Foreign Corrupt Practices Act) de 1977 – a inévitablement accru la réticence des pays étrangers envers les États-Unis. Le fait que la possession de dollar par une entreprise étrangère rende cette dernière immédiatement passible d’enquêtes lorsqu’elle enfreint le droit américain, a contribué à ce que la monnaie américaine ne soit plus uniquement un outil de domination monétaire, mais aussi un levier juridique de coercition mettant en danger la souveraineté de l’ensemble des agents économiques. De nombreuses entreprises françaises, chinoises, iraniennes… en ont payé le prix.

    Est venu s’ajouter à cela la mise en place de nombreux embargos (Iran, Venezuela, Afghanistan…), mais aussi la menace d’une exclusion de certains pays du système de messagerie interbancaire SWIFT, outil géopolitique occidental désormais dominé par les Américains. En isolant une banque de ce réseau, le transfert d’ordres de paiement s’arrête, ce qui revient à rendre l’institution financière quasi-inerte. Les banques iraniennes en sont notamment exclues en 2012 au moment où le pays accélère le développement de son programme nucléaire. Deux ans plus tard, les États-Unis émettent la possibilité de suspendre les banques russes du réseau suite à l’annexion de la Crimée. Saisissant le danger d’une dépendance au système occidental, la Russie crée dans la foulée sa propre structure de messagerie bancaire russe nommée SPFS.

    De son côté, la Chine établit, en 2015, un réseau local : le programme CIPS. Ce système offre des services de compensation et de règlement pour les échanges transfrontaliers en yuan. Quatre ans plus tard, les pays européens font de même grâce en instaurant le réseau INSTEX suite au retrait unilatéral des États-Unis de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Mais très vite, le président Trump les rappelle à l’ordre et menace ceux qui l’utiliseraient de ne plus pouvoir commercer sur le sol américain.

    Si le système européen n’est que très peu utilisé, les systèmes russes et chinois sont en plein essor. Au-delà d’attirer de nombreux partenaires comme l’Iran, l’Inde et la Turquie, ils réussissent surtout à entraîner une accélération du mouvement de dédollarisation qui se traduit notamment par une diminution des réserves de dollars dans le monde. Ainsi, alors que le dollar représentait 66% des réserves mondiales en 2014, il ne représente désormais plus que 58,8% des réserves, au profit de l’euro, du yuan et de l’or.

    Si la guerre en Ukraine peut s’expliquer par de multiples raisons géopolitiques (énergie, élargissement de l’OTAN, conflits internes …), la longue stratégie de dédollarisation de la Russie reste une source importante de tensions entre les États-Unis et le Kremlin.

    Bien que les leaders de ce mouvement restent les « rivaux stratégiques » des américains – c’est-à-dire la Chine et la Russie – plusieurs pays commencent à tourner le dos aux États-Unis et au dollar pour se rapprocher de la Chine et du yuan. C’est notamment le cas d’Israël, qui a récemment annoncé diminuer ses réserves en dollar (baisse de plus de 5%) pour y ajouter pour la première fois du yuan (dans une quantité encore très faible). C’est aussi le cas du Brésil qui a choisi de réduire ses réserves en dollars en 2021 (de 86,03% à 80,34%), au profit du yuan (part évoluant de 1,21% à 4,99%). D’autres pays comme le Nigéria, l’Iran, ont fait de même quelques années plus tôt.

    Dans ce contexte, si la guerre en Ukraine peut s’expliquer par de multiples raisons géopolitiques (énergie, élargissement de l’OTAN, conflits internes …), la longue stratégie de dédollarisation de la Russie reste une source importante de tensions entre les États-Unis et le Kremlin. En 2013, 95% des ventes d’hydrocarbures de la Russie vers les BRICS s’échangeaient en monnaie américaine. En 2021, c’est moins de 10%. Un changement radical quand l’on sait que la Russie est un des principaux producteurs de pétrole dans le monde, que les matières premières contribuent à plus de la moitié des exportations du pays, mais qu’elles restent surtout pour les États-Unis le moyen d’entretenir leur suprématie monétaire.

    Par ailleurs la banque centrale russe ne cesse de diminuer ses réserves en dollars depuis 2014. Aujourd’hui, la monnaie américaine représente seulement 16,4% de ses réserves. L’euro quant à lui constitue 32,3% des réserves, l’or 21,7% (porté notamment par l’achat de 40 milliards de dollars d’or ces 5 dernières années) et le yuan 13,1%. Une stratégie qui permet aujourd’hui de restreindre les effets des récentes sanctions économiques prises par l’Occident à l’égard de la Russie.

    Si l’exclusion des banques russes du système SWIFT suite à l’invasion de la Russie en Ukraine était prévisible, le gel des avoirs de la banque centrale l’était beaucoup moins. Cette décision risque d’accroître la défiance des pays étrangers vis-à-vis de Washington, bien plus que de l’Europe qui ne dispose pas de l’hégémonie monétaire, mais qui n’a surtout pas pour coutume d’utiliser ce type de mesure. Selon Gita Gopinath , directrice générale du FMI – ces sanctions pourraient « venir compromettre la domination du dollar à l’avenir » et engendrer une « fragmentation plus forte du système monétaire international. » Elle explique notamment que cela se traduira par « des tendances à la baisse vers d’autres monnaies jouant un rôle plus important. »

    Le dollar dans cette période contrastée

    Malgré les conflits sino-indiens aux frontières, l’alliance Russie-Chine-Inde, peuplé de 2,8 milliards d’habitants – soit plus d’un tiers de la population mondiale -, se renforce avec le conflit en Ukraine. Au-delà de l’intensification de leurs échanges depuis le début de la guerre, ces pays commencent à commercer certaines de leurs matières premières dans leur monnaie nationale. À l’idée de voir le yuan s’internationaliser, et dans une volonté d’affaiblir le dollar, la Chine a payé ses récentes livraisons de charbon à la Russie en yuan . Les vendeurs de pétroles russes proposent de faire de même. De son côté, l’Inde explore la possibilité de régler ses échanges avec la Russie en roupies.

    En parallèle, certains pays profitent de cette situation pour faire du chantage aux américains. Suite aux récentes négociations avec l’Iran et les multiples déclarations du président Biden visant à mettre fin au soutien des États-Unis dans la guerre au Yémen, l’Arabie saoudite déclare qu’elle réfléchit à l’idée d’échanger avec la Chine son pétrole en yuan plutôt qu’en dollar. Comme Riyad joue un rôle majeur dans la puissance et la pérennité de la monnaie américaine, cette menace pourrait faire l’effet d’une bombe en cas d’adoption. Mais le prince saoudien n’est pas le seul à vouloir agir de la sorte. Le candidat et ex-président brésilien Lula da Silva, a récemment révélé qu’il instaurerait , s’il était élu en octobre prochain, une monnaie unique en Amérique latine dans le but d’être « libéré de la dépendance du dollar. »

    Le fait de voir de nombreux pays et de grandes puissances comme l’Inde et la Chine accentuer leurs échanges avec la Russie – responsable de la guerre en Ukraine – dans leur monnaie nationale, témoigne non seulement d’une volonté marquée de ces pays à mettre fin à l’hégémonie du dollar, mais aussi et surtout de l’impuissance des États-Unis face à un mouvement désormais unifié. À cet égard, les récentes déclarations publiques de politiciens et de grandes banques marquent un changement de communication notable. S’il était rare d’en entendre parler auparavant, le sujet est de plus en plus abordé de nos jours. Alors que la démocratie et le système financier américain semblent être menacés, l’acquiescence des États-Unis face à cette situation nous invite donc à réfléchir aux perspectives qu’induirait la croissance continue de ce mouvement anti-dollar.

    Vers l’émergence d’un nouveau système monétaire ?

    Dans un travail de recherche produit par Goldman Sachs , des analystes mettent en avant le fait que la devise américaine est actuellement confrontée à bon nombre de défis auxquels était la livre sterling au début du 20ème siècle, lorsqu’elle occupait le statut de monnaie de réserve internationale. En effet, la détérioration de la position nette des actifs étrangers, le développement de conflits géopolitiques potentiellement défavorables, et la faible part des volumes d’échanges mondiaux par rapport à la domination de la monnaie dans les paiements internationaux, sont des défis semblables à ceux du Royaume-Uni et de la livre sterling avant la crise de 1929. Si les années qui suivirent rebattirent les cartes d’un nouveau système monétaire international, tout laisse à croire que la décennie qui s’annonce pourrait être assez identique.

    Bien que la devise américaine reste pour l’heure prédominante, son hégémonie est de plus en plus attaquée et le pouvoir de certains modes de paiements s’accentue. En plus de l’essor des crypto-monnaies donnant naissance aux monnaies numériques de banques centrales (Central Bank Digital Currency) – projets sérieusement étudiés par les institutions monétaires -, l’internationalisation du yuan et l’augmentation des réserves en or dans le monde sont le signe que plusieurs devises pourraient, à terme, concurrencer la place du dollar.

    Au regard de la politique économique du pays ces dernières années, le développement du yuan suppose donc la mise en place de réformes structurelles.

    Si la Chine a longtemps eu recours à la dévaluation monétaire pour soutenir ses exportations et poursuivre son expansion économique, l’augmentation de la part de la Chine dans le PIB mondial, son fort développement technologique, la puissance régionale du pays, la libéralisation de son régime de change, la mise en place du yuan numérique, le développement de son propre système de messagerie bancaire, l’augmentation de la part de la monnaie chinoise dans les DTS (2), et la création d’une instance de régulation financière unique, sont autant de facteurs qui permettent l’internationalisation du yuan. Toutefois, le prolongement de cette stratégie de long-terme implique certains sacrifices. La Chine doit investir massivement et devenir un exportateur net d’actifs ou un pays à déficit commercial. Les contrôles de capitaux doivent être abandonnés et l’accès au yuan dans le monde doit se faire en quantité illimitée. Au regard de la politique économique du pays ces dernières années, le développement du yuan suppose donc la mise en place de réformes structurelles.

    De son côté, l’or reste un concurrrent de taille. Le métal jaune est notamment très apprécié des pays qui souhaitent se dédollariser. Les banques centrales qui contournent le système de financement en dollars sont celles qui ont acheté le plus d’or au cours des vingt dernières années. La Chine et la Russie ont massivement investi dans l’or, tout comme la Turquie, l’Inde et le Kazakhstan. L’or constitue aujourd’hui un sixième des réserves mondiales des banques centrales, ce qui équivaut à près de 2000 milliards de dollars. L’accélération de la dédollarisation va donc inévitablement entraîner une augmentation de la demande en or.

    Mais l’hypothèse d’un système monétaire multipolaire implique alors la diminution continue de la place du dollar et la montée en puissance de ces devises concurrentes. En admettant qu’un tel scénario advienne – ce qui nécessite plusieurs années ainsi que de nombreux changements – la situation financière américaine sera transformée. La réduction d’achats d’obligations américaines dans le monde entraînera inévitablement une dépréciation du dollar. Pour combler cette chute, les États-Unis n’auront d’autres solutions que d’augmenter leurs taux d’intérêts réels à des niveaux suffisamment élevés. Ce qui pourrait engendrer d’importants effets sur la consommation et la croissance du pays.

    Si cette stratégie de dédollarisation se fait progressivement, c’est aussi et surtout car une dépréciation brutale de la monnaie américaine aurait des conséquences dévastatrices pour certains pays, notamment les principaux partenaires commerciaux des États-Unis. Dans le cadre de sa politique protectionniste, la Chine a massivement acheté du dollar ses dernières années. Le pays possède environ 1000 milliards de dollars d’obligations américaines et plus de 3000 milliards de dollars dans ses réserves. Une chute soudaine de la devise américaine entraînerait des pertes colossales pour l’Empire du Milieu. La Chine réduit donc graduellement ses achats de treasuries depuis 2014.

    L’Europe quant à elle, et notamment l’Allemagne, poursuit ses achats de bons du Trésor américain et finance ainsi le déficit du pays. L’accélération de la dédollarisation pourrait donc fortement affecter la valeur des avoirs détenus par les pays européens. Un scénario qui produirait aussi de sérieuses conséquences chez certains pays émergents car ces derniers continuent d’être acheteur net d’obligations américaines en raison de leur vulnérabilité financière.

    Si l’hégémonie du dollar perdure, l’accélération de la dédollarisation vient donc ajouter un nouveau défi à la banque centrale américaine, dans un contexte de forte inflation et de baisse des marchés financiers dans le pays. En parallèle, le ralentissement de la globalisation et la multiplication des rivalités économiques et géopolitiques témoignent d’une volonté – de nombreux pays – de changer de paradigme. Le souhait grandissant d’un recours à la souveraineté monétaire se manifeste alors par une libération progressive de l’utilisation du dollar au profit d’autres devises. À cet égard, et pour d’autres raisons, la guerre en Ukraine risque de créer une bipolarisation du monde qui s’additionne à nombre d’éléments de ruptures. Mais sous quelles conditions les États-Unis accepteraient-ils de voir la place du dollar s’éroder jusqu’à perdre leur domination et vivre en dessous de leurs moyens après plus d’un demi-siècle de privilège ? Au-delà de réfléchir à l’avenir du système monétaire international, ce changement d’ère pourrait être l’occasion de penser une nouvelle forme de création monétaire qui favoriserait la stabilité mondiale.

    Notes :

    [1] : L’étalon-or est un système monétaire dans lequel l’unité monétaire est définie en référence à un poids fixe d’or. La quantité de monnaie émise par la banque centrale est strictement limitée par ses réserves d’or. Étant donné que les réserves d’or ne sont pas infinies, les pays ne pouvaient, par le biais de leur banque centrale, se permettre de créer de la monnaie comme ils le souhaitaient.

    [2] : Les DTS (droits de tirage spéciaux) représentent la monnaie que peut émettre le FMI. Ils répondent généralement à des besoins de liquidités dans le cas où un pays subirait une crise financière. Les DTS s’appuient sur cinq grandes monnaies internationales : le dollar, l’euro, le yen, la livre britannique et le yuan depuis 2016. Le Fonds Monétaire International « crée de la monnaie » en s’appuyant sur les banques centrales des pays émetteurs. Lorsqu’un pays décide d’emprunter au FMI des DTS, il obtient le moyen de convertir ses DTS dans une des monnaies acceptées par le FMI.

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      « Great Reset », « grande réinitialisation », « nouveau Bretton Woods » : cela vous concerne

      Simone Wapler · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 14 November, 2020 - 04:30 · 8 minutes

    bretton woods

    Par Simone Wapler.

    « Great Reset » , « grande réinitialisation », « nouveau Bretton Woods » : autant d’expressions pour désigner la prochaine remise à plat du système monétaire mondial.

    Great Reset expression de Christine Lagarde du temps où elle présidait le Fonds monétaire international et retenue par le forum économique mondial qui se tiendra non plus à Davos mais à Genève en 2021.

    Nouveau Bretton Woods pour le Fonds monétaire international désormais présidé par la bulgare Kristalena Georgieva.

    La plupart des gens sont plus intéressés par la politique que par la politique monétaire qui vise à financer la première. Aujourd’hui la politique se finance de trois façons : par les impôts, par l’emprunt (la dette publique) et par la planche à billets (ou en version moderne, création de crédit à taux zéro).

    Dans les trois cas, il s’agit de notre argent. Avec les impôts, il nous est pris immédiatement sur nos revenus et nos dépenses. Avec la dette publique, il nous sera pris en différé. Avec l’inflation, l’argent nous est pris à la fois en différé et sur notre épargne. La dette publique et l’inflation font partie de ce qu’il est convenu d’appeler politique monétaire.

    Le nouvel ordre monétaire sera politique, dirigiste et supranational, comme l’ancien ; il laminera les perdants de l’ancien ordre monétaire dont nous, Français, faisons partie. Il purgera partiellement les dettes, tout comme après la Seconde Guerre mondiale.

    Bretton Woods ou l’ordre monétaire d’après la Seconde Guerre mondiale

    Après la Seconde Guerre mondiale, les combattants européens sont ruinés et lourdement endettés. Seuls debout et prospères, les États-Unis. Ils ne sont pas seulement une puissance militaire mais une super puissance commerciale, le pays étant le plus gros exportateur mondial 1 .

    Les accords de Bretton Woods, signés en 1944, entérinent un nouveau système monétaire dont les États-Unis sont le pivot. Le dollar reste la seule monnaie au monde convertible en or, au tarif fixé à l’avance de 35 dollars l’once. Accessoirement, le FMI et la Banque mondiale sont créés comme instances de régulation. Les autres monnaies sont flottantes et ne sont plus adossées à de l’or.

    Il résulte de ces accords que pour payer leurs importations, la plupart des pays ont besoin non plus d’or mais de dollars. Les banques centrales des pays excédentaires stockent des dollars réputés as good as gold , aussi bons que de l’or. Certains pays émettent leur propre monnaie adossée à leurs réserves de dollars comme ils en émettaient autrefois en fonction de leurs réserves d’or.

    D’une façon générale, les fonctionnaires des instances de régulation ne régulent pas grand-chose et sont moins efficaces que la foule des intervenants d’un marché. Sans surprise, l’organisation monétaire de Bretton Woods déboucha donc assez rapidement sur des désordres monétaires.

    Par le passé, un pays qui exportait trop voyait son stock d’or partir à l’étranger. Ses fournisseurs ne tardaient pas à le savoir et à se méfier. Ce pays avait du mal à emprunter. Les balances commerciales se régulaient ainsi avant que quiconque ne puisse devenir « trop gros pour faire faillite ».

    La guerre de Corée, puis la guerre du Vietnam et enfin la course à l’espace poussent les États-Unis à la dépense. Trop de dollars sont émis et le doute commence à s’instiller concernant le dollar as good as gold .

    L’Allemagne remonte la pente économiquement. Échaudée par son récent épisode hyper inflationniste elle demande la convertibilité de ses dollars en or. Le 15 août 1971, les États-Unis sont contraints de fermer le guichet de l’or et suspendent la convertibilité du dollar au prix de 35 dollars l’once. Il s’agit en réalité d’un défaut qui ne dit pas son nom et d’une dévaluation du dollar face à l’or.

    Les pays producteurs de pétrole augmentent violemment leurs prix en dollar. Il en résulte un violent épisode inflationniste mondial.

    L’après Bretton Woods : des monnaies flottantes à la dérive

    Début 1976, les accords de la Jamaïque confirment l’abandon de l’or dans le système monétaire. Toutes les monnaies sont dites flottantes, c’est-à-dire que les marchés définissent le taux de change entre monnaies.

    Toutefois, les matières premières, pétrole en tête, se négocient en dollars. Le besoin de dollars n’a donc pas disparu et les pays exportateurs de pétrole sont ensevelis sous les dollars. Les États-Unis vivent désormais en déficit commercial et budgétaire permanent, exportant de la dette libellée en dollars.

    Par ailleurs, le risque de change devient une nouveauté qui conduit au développement de produits financiers sophistiqués 2 . Les fonds spéculatifs fleurissent tandis que les flux financiers se multiplient perdant toute attache avec les flux de marchandises (biens ou services échangés).

    L’ère de l’économie de la dette

    Bien entendu, les pays n’échangent pas des marchandises -biens ou services – contre de la monnaie papier. Ils les échangent contre de la dette. Les réserves de change des banquiers centraux ne sont pas des liasses de billets mais des obligations souveraines émises avec un certain taux d’intérêt.

    C’est ainsi que les pays exportateurs entassent de la dette souveraine libellée en dollar surtout, en euro ensuite et accessoirement en livre, franc suisse, yen,… tandis que les pays déficitaires exportent des promesses de payer un jour peut-être, si tout va bien et quand ils auront le temps. C’est ainsi que l’industrie financière flotte en apesanteur dans le vide.

    Aujourd’hui, la Chine se trouve avec les États-Unis dans le même dilemme que le chef d’entreprise face à son plus gros client qui a une grosse ardoise. Le contraindre à payer c’est le perdre et le perdre, c’est la faillite. Il faut donc composer, gagner du temps.

    La fin de l’économie de la dette en vue ?

    Dans une économie normale et équilibrée, on échange quelque chose contre autre chose. Échanger quelque chose contre rien est soit du ressort de la charité, soit du ressort du vol. La dette n’est pas quelque chose de tangible. Sa valeur ne dépend que de la volonté du débiteur d’acquitter sa dette.

    Lorsque la dette dépasse les capacités d’endettement d’une génération, la génération suivante la répudie. C’est normal, même dans la sphère familiale, un héritage s’accepte « sous bénéfice d’inventaire ».

    Autrement dit, jamais une génération n’a accepté de payer les dettes de la génération suivante. Au pire, cela se termine par une guerre, au mieux cela se termine par un défaut.

    Il est désormais notoire que les déficits des pays développés dépassent les capacités de remboursement d’une génération. Inutile de vous noyer dans des ratios de dettes sur PIB ou autres.

    En France, nous sommes le champion du monde de la pression fiscale. En temps normal, vos impôts sont cependant insuffisants pour financer le train de vie de notre pays qui enchaîne déficit sur déficit (c’est ainsi que le dette grossit inexorablement).

    La crise sanitaire ne sert que de révélateur à une situation dégradée depuis 2008 dans beaucoup de pays passant pour riches, y compris les États-Unis. C’est pourquoi le FMI en appelle maintenant à un nouveau Bretton Woods.

    Il faut être bien naïf pour croire que ce nouvel ordre monétaire mondial consistera à paisiblement déchirer des montagnes de créances douteuses au motif que ce n’est pas grave puisque « tout le monde doit quelque chose à tout le monde » ou autres balivernes du même acabit.

    Tout le monde ne doit pas la même chose à tout le monde et il existe des pays bien gérés dont la balance commerciale est équilibrée et d’autres, dont la France fait partie.

    Il y aura des défauts, des faillites et votre argent sera pris en otage dans ce processus. N’oublions pas qu’un solde créditeur de compte en banque n’est qu’une créance que la banque reconnaît vous devoir, une assurance-vie en euro repose sur de la dette libellée en euros et un billet de banque n’a cours que si la Banque centrale émettrice le tolère.

    Lorsque l’épargne privée sera sacrifiée sur l’autel du nouvel ordre monétaire, il restera encore une partie de la dette à payer.

    À quoi ressemblera le nouvel ordre monétaire et quels sont les risques pour notre argent ? L’histoire nous donne des indications que nous verrons prochainement.

    1. Au niveau mondial, les États-Unis produisent la moitié du charbon, les deux-tiers du pétrole, détiennent plus des deux- tiers des réserves d’or et exportent de nombreux produits manufacturés.
    2. Notamment les produits dérivés. Le prix Nobel français Maurice Allais prévoyait d’ailleurs une crise financière mondiale dès 1999.