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      La rue enrage, le gouvernement s’envole en Espagne

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 21 January, 2023 - 04:15 · 5 minutes

    Le président de la République , le ministre de l’Économie, le ministre de l’Éducation nationale, le ministre des Transports, le ministre de l’Intérieur et sept autres ministres ! Au moment où tout ce que la France compte de socialistes, de communistes, de trotskistes, de staliniens et d’anarchistes déferle sur paris au cri de « Ça va péter ! Ça va péter ! Ça va péter ! », le chef de l’État et onze des ses ministres – dont les plus essentiels à la résolution de cette crise – se lancent dans le tourisme technocratique à Barcelone.

    Le programme des festivités

    Mais que font-ils là-bas, si loin de leurs troupes, protégés de la fureur et du bruit ? Ils répondent à une invitation lancée par le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez en octobre dernier. Un sommet franco-espagnol. Comme à tous les jamborées élitaires du même genre, il ne va rien s’y passer d’important, ni même d’urgent et encore moins d’historique. Tout ce petit monde des hautes sphères va échanger des discours assommants pleins d’excellentes intentions, tel des chefs de tribus emplumés et peinturlurés troquant des coquillages contre des perles – à la différence près que lesdits colliers et perles ne coûtent rien au contribuable, eux.

    Impossible d’annuler une aussi belle occasion de ne rien faire ! Dans la mentalité des hauts fonctionnaires français, tout ce qui est parfaitement inutile est hautement indispensable et même incontournablement obligatoire. Les mannequins de grands magasins qui nous dirigent ont la vacuité chevillée au corps. Brasser de l’air à l’étranger est leur impérieuse mission. Ce qui constituerait des vacances de luxe tous frais payés pour le citoyen moyen représente pour eux une épopée herculéenne dont dépend l’avenir du continent. Monter dans une limousine entourée de motards, puis dans un jet privé, puis marcher sur un tapis rouge, puis serrer des mains avec un air complice, puis lire d’assommants éléments de langages bricolés par de jeunes zombies de l’ENA, puis goûter le meilleur champagne possible et se gaver de mignardises, quelle aventure, quel défi ! Hors de question de décommander pareil rendez-vous ! On ne pose pas un lapin au faste ! Et pourtant…

    La colère rouge

    Et pourtant, s’il y avait bien une journée où il fallait rester à Paris cette hiver, c’était bien celle-là, à l’instant où éclate une révolte de gauche massive, menaçante, et qui risque de dégénérer en grève générale, contre la réforme des retraites.

    Bruno Le Maire aurait dû rester pour justifier, sur les plateaux de télévision, les mécanismes économiques de la réforme. Pap Ndiaye aurait dû rester pour dialoguer avec les professeurs, les étudiants et les lycéens unis dans la volonté d’en découdre. Le ministre des Transports (personne ne sait comment il s’appelle) aurait dû rester pour coordonner le service minimum. Et surtout, surtout !, Gérald Darmanin aurait dû rester pour soutenir et organiser ses innombrables agents confrontés à la déferlante rouge. Quant à Emmanuel Macron, sa présence était requise pour aider l’État à gérer une situation qui, si elle est atrocement habituelle, n’en présente pas moins des risques pour le fonctionnement du pays entier à court terme. Il fallait rester et ils sont partis. Envolés. Ils ont laissé la nation se débrouiller. Que les souris dansent, qu’elles s’enivrent en l’absence du chat, qu’elles cassent ce que bon leur semble ! Le pouvoir central est absent, veuillez lui laisser un message après le bip, il vous rappellera dès que possible. L’Espagne d’abord ! La Catalogne avant tout !

    On ne peut s’empêcher de penser que Macron et ses boys se moquent éperdument de ce qui se passe dans le pays dont ils ont la charge. Et l’on ne peut s’interdire d’imaginer que, là-bas, où il fait quinze degrés de plus qu’ici au moment où j’écris ces lignes, ils se sentent bien, reposés de notre inquiétude et de notre souffrance. Tandis que Mélenchon et Le Pen s’accouplent dans un coït idéologique monstrueux, tandis que LR est aussi atone qu’un téléfilm de France3, tandis que les prix grimpent à la vitesse d’un missile sol-air, et tandis que la guerre la plus sanglante depuis bien longtemps gronde au loin, le cabaret élyséen est en tournée à l’étranger, au grand complet.

    Bien entendu, les libéraux que nous sommes ne demandent plus à la puissance publique de nous protéger de l’orage gauchiste : nous savons bien qu’elle n’en a ni l’intention, ni la capacité. Mais au moins, qu’elle fasse semblant, ne serait-ce que par élégance, par décence. Faute de héros, nous exigeons des figurants fidèles à leur postes. Haro sur les fuyards ! Face aux manifestants, de grâce, manifestez-vous ! On ne vous paye pas pour vous rendre à un cours d’aqua-poney au moment précis où la maison brûle. Montrez l’exemple aux rares fonctionnaires qui assurent tant bien que mal, les pauvres, la maintenance de l’évènement.

    Dans le privé

    Maintenant, imaginons que la même situation se produise dans le secteur privé. Une horde de clients mécontents se rue dans le hall d’entrée d’une grande entreprise avec banderoles vengeresses, trompes de brume, tambours et fumigènes. C’est le chaos. La standardiste est débordée, elle panique. Elle appelle le responsable de la sécurité. Il est sur répondeur. Elle appelle le directeur commercial. Pareil. Elle appelle le directeur des relations publiques. Même chose. Elle appelle le directeur général. Idem. Elle appelle le PDG. Ça sonne dans le vide. Et cette gabegie dure toute la journée. La standardise finit par s’effondrer en larmes. Plus rien n’est sous contrôle.

    Le lendemain, apprenant la catastrophe, que font les actionnaires ? Ils enquêtent. Où était les membres de la direction ? À Barcelone, pour un séminaire. Savaient-ils par avance que la clientèle furieuse allait envahir les locaux ? Oui. Depuis quand ? Plusieurs jours. Ont-ils essayé d’annuler le séminaire ? Non.

    Alors, les actionnaires se vengent, ô combien légitimement. Ils licencient la direction, tête après tête, sans pitié ni indemnités, pour faute grave – et ils offrent à la standardiste une prime, pour la consoler.

    Les actionnaires de cette histoire, cher lecteur, c’est nous, les citoyens. Mais nous n’avons aucunement la latitude de licencier Macron, ni Le Maire, ni Ndiaye, ni Darmanin, ni le ministre des Transports inconnu, avant mai 2027. Cette entreprise est maudite.