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Bilan économique : la France est sur une mauvaise pente
ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 31 January, 2023 - 04:00 · 9 minutes
On se souvient de la grave crise grecque en 2009. L’endettement du pays était devenu considérable et l’agence de notation Fitch avait abaissé sa note en dessous de A. C’était la première fois qu’une telle dégradation survenait dans un pays européen.
Il s’ensuivit une panique en Europe. La zone euro fut jetée dans la tourmente et le FMI, la BCE et la Commission européenne durent intervenir à trois reprises. On imposa à la Grèce des mesures drastiques qui conduisirent au pouvoir en 2015 le parti anti austérité d’Alexis Tsipras . Après six années de crise le PIB se trouva réduit d’un quart et le taux de chômage monta jusqu’à 25 %. La Grèce se remit très difficilement de cette crise : il y eut plusieurs plans de sauvetage et le bilan social fut catastrophique.
Il semble que la France se trouve sur la même pente que celle qui a conduit la Grèce à la faillite , avec une crise ayant duré de 2010 à 2015. Il avait même été envisagé sa sortie de l’Europe et de la zone euro.
Pour l’instant la notation de l’agence Fitch classe la France en AA , ce qui est tout à fait honorable, mais avec la mention « perspective négative » ; sachant que la première catégorie comprend AAA, puis AA, et ensuite A, la France a tout simplement reculé d’un cran. Vient ensuite la catégorie des B avec à nouveau trois degrés différents ; puis enfin la catégorie F.
Pourquoi craindre que le pays se trouve engagé sur la même pente dangereuse que la Grèce ?
Il convient de distinguer d’un côté les éléments qui ont un caractère causal, c’est-à-dire de nature à expliquer la dégradation de l’économie du pays, et de l’autre ceux qui en sont la conséquence mais ne constituent pas moins des freins au redressement d’une économie mal engagée.
Pour marquer les étapes de la dégradation de l’économie française, les points de repère seront la Suisse, un pays exemplaire à l’économie très dynamique et parfaitement équilibrée, ainsi que la moyenne de l’OCDE. Les données statistiques seront celles fournies par la Banque mondiale, pour l’année 2021, afin d’avoir des séries homogènes.
Les éléments à caractère causal
Nous retiendrons essentiellement les critères suivants :
- Les dépenses en Recherche et Développement
- Les taux d’industrialisation
- Les taux de population active
- Le solde de la balance commerciale
- La durée de la vie active
Les taux de R&D des pays
Des dépenses de Recherche et Développement importantes caractérisent les pays développés qui investissent pour préparer leur avenir. Elles permettent de rester dans le peloton de tête grâce à l’innovation.
Dépenses de R&D en pourcentage du PIB
- Suisse….. 3,15 %
- OCDE….. 2,96 %
- France…. 2,35 %
- Grèce…… 1,50 %
Le taux d’industrialisation
L’industrie est un élément clé pour créer de la richesse dans un pays depuis la première révolution industrielle. Des trois secteurs de l’économie , à savoir l’agriculture, l’industrie et les services (selon la classification de Colin Clark) c’est celui où le progrès technique augmente le plus vite. Le secteur secondaire est un secteur à forte valeur ajoutée et fournit aux pays l’essentiel de leurs exportations. Les taux d’industrialisation de la France et de la Grèce sont très faibles, ces deux pays sont les plus désindustrialisés de tous les pays européens.
Taux d’industrialisation en pourcentage du PIB, y compris la construction
- Suisse….. 24,6 %
- OCDE….. 22,3 %
- France…. 16,7 %
- Grèce…… 15,3 %
Le taux de population active
On entend par taux de population active la proportion entre les personnes en emploi ainsi que les chômeurs, et la population totale.
Taux de population active en pourcentage de la population
- Suisse…… 57,0 %
- OCDE…… 49,2 %
- France….. 46,1 %
- Grèce……. 43,5 %
Le solde de la balance commerciale
Les exportations réalisées par un pays présentent un double avantage : elles accroissent les marchés des entreprises locales et fournissent les devises permettant de financer les importations. Leur volume dépend de la nature et de la qualité de la production du pays et du dynamisme de ses entreprises.
Solde de la balance commerciale en pourcentage du PIB
- Suisse…………………… 119 %
- Union européenne…. 0 %
- France…………………… – 1,9 %
- Grèce…………………….. – 7,7 %
Durée de la vie active
La durée de la vie active dépend de l’âge d’entrée dans la vie professionnelle et de l’âge de cessation d’activité professionnelle déterminé en fonction de l’âge légal de départ à la retraite.
Durée de la vie active
- Suisse………………….. 42,6 ans
- Union européenne… 35,6 ans
- France………………….. 35,0 ans
- Grèce……………………. 33,2 ans
Tous les graphiques ci-dessus montrent que la France se situe systématiquement à mi-chemin entre les moyennes OCDE et la Grèce. On aurait préféré qu’elle se place à gauche, entre les moyennes OCDE et la Suisse.
Les éléments induits à caractère aggravant
Les dépenses publiques
On constate toujours dans les pays à l’économie en difficulté que les dépenses publiques sont importantes en regard du PIB. Les besoins de la population sont là et il faut les satisfaire : éducation, santé, appareil judiciaire, entretien et création des infrastructures, sécurité… et les PIB n’étant pas à la hauteur de toutes ces exigences, le taux des dépenses publiques est élevé.
Dépenses publiques en pourcentage du PIB
- Suisse…… 20,1 %
- OCDE…… 34,9 %
- France….. 51,9 %
- Grèce……. 58,5 %
Les prélèvements obligatoires
Pour couvrir ses dépenses l’État procède à ce que les économistes appellent des « prélèvements obligatoires ». Ceux-ci sont de plus en plus importants à mesure qu’augmentent les dépenses publiques.
Prélèvements obligatoires en pourcentage du PIB
- Suisse…… 28,5 %
- OCDE…… 34,2 %
- France….. 47,6 %
- Grèce……. 42,3 %
La France se situe donc déjà au-dessus du niveau de la Grèce.
Taux de chômage
La conséquence d’une économie qui fonctionne mal est une proportion élevée de la population au chômage : la France est bien dans ce cas. Selon les estimations du BIT le pays compte 2 252 000 chômeurs ; les catégories A, B et C de Pôle emploi en totalisent un nombre bien plus élevé soit 5 163 000 chômeurs sensés être en recherche active d’emploi. Le taux est bien plus élevé que celui calculé par le BIT.
Taux de chômage (BIT)
- Suisse….. 5,3 %
- OCDE….. 6,3 %
- France…. 8,1 %
- Grèce…… 14,8 %
Endettement du pays
Dans une économie dysfonctionnelle et donc à la création de richesse insuffisante, les États s’endettent pour boucler leurs budgets annuels. Le coût de la dette les alourdit chaque année un peu plus.
Endettement du pays en pourcentage du PIB
- Suisse…… 20,9 %
- France….. 113,0 %
- OCDE…… 129,3 %
- Grèce……. 197,1 %
Le cas de la France : attention danger !
Le problème est que lorsqu’un processus de détérioration de l’économie s’installe il s’entretient de lui-même et le pays entre dans un cycle pernicieux. C’est précisément ce qui se produit en France depuis une vingtaine d’années. Tous les ratios se dégradent d’année en année. Les dépenses sociales ne cessent de croître régulièrement, d’où une augmentation constante des dépenses publiques et pour y faire face un accroissement constant des prélèvements obligatoires ; ceux-ci n’étant jamais suffisants, le recours régulier à de l’endettement est nécessaire et ne cesse d’augmenter.
Les pouvoirs publics sont incapables de rompre ce cercle vicieux. Nous en arrivons au point où ce processus a atteint ses propres limites. Les prélèvements obligatoires étant parvenus à des niveaux insupportables il n’y a plus d’autre solution pour les pouvoirs publics que d’augmenter encore davantage la dette. C’est ce qui se produit dans notre pays : elle est passée de 2380 milliards d’euros à la fin de 2019 à 2916 milliards à la fin de 2022, soit un accroissement de 536 milliards en trois ans.
Il faut comprendre quelle est l’origine du phénomène, ce que les pouvoirs publics ont été très longs à saisir et sans être certain qu’ils aient véritablement pris conscience du cercle vicieux dans lequel ils se trouvent enfermés.
L’origine du problème est la grave dégradation du secteur secondaire, le secteur industriel . Les effectifs de l’industrie sont passés de 6,5 millions de personnes à la fin des Trente glorieuses à 2,7 millions aujourd’hui. Le secteur industriel français ne concourt plus que pour 10 % à la formation du PIB (chiffre hors construction), alors que ce taux devrait se situer à 18 % environ. En incluant la construction dans le secteur secondaire, il faut ajouter 5 à 6 points aux précédents ratios.
Les pouvoirs publics se sont laissés piéger par la thèse d’évolution des trois secteurs de l’économie développée par Jean Fourastié dans son livre Le grand espoir du XX e siècle paru en 1949. Cet économiste a travaillé sur des séries longues et a raisonné nécessairement en termes d’emplois et non de valeur ajoutée. Certes, les effectifs du secteur industriel se réduisent mais en termes de valeur ajoutée il est toujours présent du fait que la valeur ajoutée par employé a fortement progressé. Cela a été mal compris et dans les universités a très vite enseigné qu’une économie moderne n’est plus constituée que par les activités de services. Les sociologues qui ont mal compris Jean Fourastié ont diffusé très vite le concept de « société postindustrielle », lequel s’est installé solidement dans les esprits, jusque chez les dirigeants du pays.
Pour redresser la situation, il n’y a pas d’autre solution que de procéder au redressement du secteur industriel mais l’environnement n’est guère favorable : guerre en Ukraine, coût très élevé de l’énergie en Europe.
De plus, en initiant l’ Inflation Reduction Ac t (IRA), le gouvernement de Joe Biden va subventionner les entreprises américaines en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans ce cadre, un budget de 369 milliards de dollars est prévu pour les épauler.
À Bruxelles, Thierry Breton prépare une riposte : il évoque un plan à hauteur de 2,5 % ou 3 % du PIB de l’Europe des 27.
Nous n’en sommes pas là : pour l’instant, les entreprises industrielles quittent l’Europe et la France est particulièrement affectée par ce mouvement.
L’entreprise singapourienne REC Solar qui devait fabriquer en Moselle des panneaux photovoltaïques renonce à son projet pour se tourner vers les États-Unis.
Le Chinois Quechen qui devait installer une usine à Marseille pour produire de la silice pour les fabricants européens de pneumatiques jette l’éponge .
Le groupe industriel Safran qui devait créer un nouveau site de production près de Lyon pour les freins carbone destinés à l’aéronautique suspend son projet d’investissement.
Le secteur industriel français est loin de se redresser et le plan « France 2030 » lancé en octobre 2021 par Emmanuel Macron « pour répondre aux grands défis de notre temps » est un dispositif complètement sous-dimensionné.
Il serait souhaitable de ne pas en arriver à une situation à la grecque.
Nombreux sont ceux qui n’ont plus les moyens d’accéder aux soins, des hôpitaux ont dû interrompre momentanément leur activité, les cas d’ infections au virus HIV ont augmenté de 50 % et le paludisme est réapparu en Grèce . Le port du Pirée a été vendu aux Chinois et celui de Thessalonique a été cédé à un consortium. Quatorze aéroports régionaux ont été repris par un groupe allemand. Et selon une étude britannique, depuis le début de la crise le nombre des suicides a doublé .