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      La France du « tout gratuit », quoi qu’il en coûte

      Didier Cozin · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 17 January, 2021 - 04:40 · 9 minutes

    rente

    Par Didier Cozin.

    Toujours en quête de gadgets sociaux, souhaitant baisser les charges tout en maintenant les coûts, les pouvoirs publics auraient trouvé la solution pour dégager un consensus en France : tout offrir, ne plus rien faire payer, subventionner tous les secteurs, toutes les entreprises, toutes les activités, quoi qu’il en coûte, en attendant de se refaire, que la reprise fasse le travail et rembourse.

    Payer pour des services devient en France incongru, grotesque souvent inaudible. La décence voudrait que tout devienne gratuit (le logement, la nourriture, les soins, l’éducation, les transports , les loisirs…)

    Les citoyens pourraient ainsi épargner leurs revenus quand ils en ont, et les tensions sociales disparaîtraient par enchantement ; pourquoi je travaillerais alors que l’autre ne fiche rien ?

    La rente devient la norme en France

    Tout fier de son capital historique, architectural, culturel, économique, financier accumulé au fil des siècles, le pays a décidé de vivre de ses rentes, de consommer progressivement et définitivement son capital et ses richesses passés.

    L’économie du gratuit

    Au-delà de ce mirage d’une gratuité généralisée et donc de l’absence de nécessité de travailler pour financer son existence ou celle de ses proches, cette absence de contrepartie économique présente de nombreux inconvénients que nous n’avons pas fini de payer.

    « Quand c’est gratuit c’est vous le produit » : rien n’est jamais offert sans contrepartie.

    La gratuité n’est jamais réelle et totale. Notre ancien président a eu beau déclarer « c’est gratuit, c’est l’État qui paie » la gratuité n’existe pas, comme le démontrent quotidiennement les services prétendument gratuits des géants américains du numérique.

    La gratuité entretient l’illusion que le travail se ferait seul, sans le concours de chacun. Les transports en commun que certains veulent rendre gratuits pourraient fonctionner sans coûts, ni investissements, ni consommation d’énergie…

    La gratuité dévalorise et dévalue les services soi disant offerts. On le constate depuis 50 ans avec l’école gratuite de 3 à 25 ou 30 ans, qui est largement devenue une planque pour la jeunesse , un asile ou une couverture.

    La gratuité entretient la défiance du citoyen. Sous le prétexte souvent vérifié qu’il faut bien un retour aux cadeaux reçus (on rend une invitation) sous une forme ou une autre (des impôts et taxes élevés, des contraintes règlementaires, des injonctions sanitaires…) les citoyens se méfient à la fois des institutions, de leur administration ou de la gratuité du vaccin contre la Covid-19 car si c’est gratuit c’est pour nous injecter du poison ou une puce pour nous contrôler.

    La gratuité serait la première marche du revenu universel ou d’ une dotation à la naissance (entre 30 et 100 000 euros pour chaque nouveau-né) qui serait la contrepartie à la disparition du travail (en fait des emplois salariés), un antidote à la pauvreté ou une substitution à la lourde et inefficace redistribution , laquelle depuis 50 ans ne crée plus ni richesses ni équité.

    Une illustration des méfaits de la gratuité : la formation des adultes

    Alors qu’un adulte doit apprendre tout au long de sa vie, qu’à la différence d’un enfant il dispose en principe des revenus de son travail, l’État et les partenaires sociaux ont décrété dès 1971 que les travailleurs, salariés notamment, ne paieraient jamais pour leur formation.

    Non seulement l’employeur devait financer la formation mais tous les frais annexes seraient à sa charge : le transport du stagiaire, sa restauration, son éventuel hébergement et surtout le temps de la formation, accordé forcément sur le temps travaillé alors que les 35 heures n’ont jamais été envisagées pour libérer du temps pour apprendre.

    L’absence de résultats de la formation gratuite est une évidence dans le monde du travail.

    • Seule une minorité de travailleurs se forme ou est formée, soit entre 5 et 10 % des salariés les plus qualifiés.
    • Le système qui se veut assurantiel (on cotise tous et on attend pour bénéficier d’une formation) vise à monter d’un seul niveau de qualification tout au long d’une vie professionnelle (une seule formation sur plus de quarante années).
    • Le système paritaire a conçu vers 2014 un second leurre social en plus de la mutualisation : le compte formation (CPF), calibré pour ne former qu’un million de bénéficiaires chaque année. Il organise donc la rareté sur une sorte de livret de caisse d’épargne où chacun pourrait puiser une seule fois (deux au maximum pour des formations longues) dans sa vie professionnelle.

    L’école laïque, gratuite et obligatoire jusqu’à 14 ans, puis 16 ans, et désormais quasiment 18 ans, a constitué une avancée sociale et a permis d’industrialiser le pays au prix de l’abandon des campagnes.

    Mais aujourd’hui la formation gratuite et prétendument universelle joue à contre-emploi et retient/empêche les Français d’apprendre, de changer, de s’adapter à un travail qui évolue plus vite qu’eux bien souvent.

    Nos rentes sociales, ou acquis sociaux

    Selon le dictionnaire Larousse, la rente se définit comme étant « l’assurance de percevoir un revenu régulier sans travail » . Elle s’oppose par là-même au travail qui est à la fois :

    • un risque (de perdre son travail, son entreprise, son activité)
    • un effort (se lever le matin, prendre des responsabilités, diriger ou être dirigé)
    • une mobilisation des ressources internes et externes pour produire des richesses
    • une collaboration et une interaction avec les autres (on perçoit individuellement dans son coin sa rente ou ses allocations alors qu’on travaille toujours avec et pour les autres).

    Cette rente qui entre en conflit avec le travail est installée partout en France

    Les retraités sont évidemment les premiers et les plus nombreux des rentiers. On peut estimer qu’ils perçoivent ce que l’assurance vieillesse leur assure en échange de leur travail passé.

    Mais c’est oublier que le travail salarié a tendance à disparaître au XXIe siècle car trop peu flexible, trop cher, trop compliqué et trop conflictuel.

    Confrontées à l’automatisation et à la concurrence mondialisée les entreprises sont très nombreuses à réduire leur masse salariale et donc leurs cotisations sociales. La méthode la plus simple étant les départs naturels et les pré-retraites.

    De nombreux jeunes n’ont ni l’envie ni souvent l’opportunité de travailler régulièrement et durablement, ce qui permettrait alors d’entretenir aujourd’hui 12 millions de retraités.

    Les salaires des jeunes sont souvent bien inférieurs aux pensions des retraités. Il sera bientôt impossible d’avoir autant de retraités que de salariés ou d’actifs. Après-guerre il y avait cinq actifs pour un retraité !

    Les retraites de la fonction publique pourraient nous ruiner car elles représentent un engagement financier supérieur au montant de la dette française. Elles ne sont pas provisionnées par l’État qui est son propre assureur. À part en baisser le niveau ou payer en monnaie de singe on ne voit pas comment elles pourront être maintenues à leur niveau élevé actuel, soit 75 % du dernier traitement.

    Le social représente une activité quasi industrielle en France

    15 % des dépenses sociales mondiales sont reversées aux Français qui représentent moins de 1 % de cette population mondiale. En 2020, la part des dépenses de protection sociale représentait 33 % du PIB, près de 700 milliards…

    Elles sont à la fois le principal poste de dépenses publiques en France (source vie publique) et le record du monde de la redistribution malgré les dénégations de ceux qui voient des ultra-libéraux à chaque coin de rue.

    La rente est une bulle

    La rente, dont nous avons fait une industrie, enferme les Français dans une bulle qui ne protègera que peu de temps encore nos concitoyens sur cette planète Terre qui comptera bientôt dix milliards d’habitants en compétition pour des ressources rares : travail, alimentation, eau potable, énergies fossiles…

    La rente est partout en France, à gauche comme à droite

    Nous avons vu qu’une rente est un revenu régulier obtenu sans travail. Elle n’est évidemment pas l’apanage de la gauche car à droite aussi on a ses rentes.

    L’immobilier

    Il permet de gagner virtuellement de l’argent en ne faisant rien car il suffit de s’endetter en achetant un bien dans une ville comme Paris. La conséquence de la hausse de l’immobilier dans les grandes villes est la paupérisation des jeunes, les loyers étant exorbitants, le sentiment factice d’enrichissement de tous ou presque, puisqu’il est possible de s’enrichir en dormant (pas d’impôts, de taxes ni même de CSG sur la revente de la résidence principale).

    Le commerce et l’activité économique en général

    En luttant contre la concurrence « libre et non faussée », droite et gauche se rejoignent pour empêcher l’arrivée de nouveaux compétiteurs, protéger pour les uns leurs marchés et pour les autres leurs acquis sociaux.

    L’exploitation du pays

    La plupart des héritiers ne savent pas faire fructifier le patrimoine ou le capital dont ils héritent. Nous pourrions ainsi rapidement dilapider le capital financier, culturel, environnemental accumulé par nos ancêtres au cours des siècles.

    Depuis la fin des Trente glorieuses nous vivons au-dessus de nos moyens grâce à des rentes et à notre endettement croissant.

    Ces vérités que les citoyens préfèrent ne pas entendre

    Tout l’art de chaque gouvernement a consisté depuis des décennies à cacher certains faits douloureux car remettant en cause les fondements de nos XIX et XXème siècles sociaux.

    La productivité de l’Occident s’affaisse depuis la première crise de l’énergie de 1973. Ce que nous produisons encore l’est grâce à des artifices financiers, comptables, monétaires (l’inflation jadis, puis les délocalisations et enfin l’endettement généralisé).

    Sans travail, aucun développement économique ni social ne nous sera plus permis dans un avenir proche. Mais le travail devenant trop cher, trop complexe, trop conflictuel nous l’avons laissé en grande partie quitter nos pays, l’activité est presque partout subventionnée, sinon devenue non rentable en France.

    Sans apprentissage, sans efforts éducatifs importants, sans formation tout au long de la vie, la France et l’Occident sont condamnés à régresser et à s’effondrer un jour comme la défunte URSS.

    La France ne doit pas devenir un pays de rentiers

    La gratuité partout, pour tous, les subventions et l’endettement généralisés n’éduquent ni ne forment personne. Pour apprendre il faut travailler, s’adapter, comprendre.

    Comme l’a récemment déclaré notre ministre du Travail « la France n’a pas un problème de demande mais d’offre » . C’est bien en augmentant la qualité et la quantité de travail que nous pourrons nous redresser, pas en augmentant sans fin le nombre d’ayants-droit du pays.

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      La grande illusion de la gratuité

      Olivier Maurice · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 10 May, 2020 - 03:15 · 7 minutes

    Par Olivier Maurice.

    67 millions de Français ont été sortis de leur train-train. Contraints et forcés, ils ont dû interrompre leur abrutissante routine métro-boulot-dodo. Et ils se sont mis à s’ennuyer. Et que fait donc un Français quand il s’ennuie ? Il gamberge. Il gamberge et il regarde le monde. Il regarde le monde et il s’énerve. Il s’énerve devant tant de bêtises et tant d’absurdités.

    Bon, cette transformation dans les habitudes n’est pas le cas de tous les Français. Il existe une catégorie de Français qui s’ennuient en permanence, une catégorie de Français qui ont toute l’année le loisir et le luxe de s’ennuyer en permanence. Ces derniers passent leur temps à sortir des bêtises et des absurdités, ils en ont fait leur métier, leur gagne-pain, en sont très fiers, au point de ne jamais rater une occasion d’étaler leur suffisance et leur arrogance à la moindre occasion.

    Ils s’ennuient et donc, ils ennuient les autres.

    Le haut de l’affiche

    Il n’est pas très difficile de repérer ces oisifs professionnels : ils vivent en totale contradiction avec ce qu’ils disent.

    Ils ont neuf automobiles, trois résidences et un portefeuille bien rempli et passent leur temps à accuser les autres de crimes de la surconsommation et du gaspillage. Ils passent leur temps à culpabiliser ceux qui n’arrivent pas à boucler le mois et pour lesquels la question de choisir entre acheter un paquet de gâteaux ou un paquet de bonbons pour leurs enfants est un véritable crève-cœur auquel ils doivent absolument se soumettre régulièrement. Qu’importe, ils continuent sans aucune pudeur à traiter ces derniers de sur-consommateurs criminels et à s’ériger en modèle vertueux.

    Mais de toute façon, la contradiction ne les gêne absolument pas : tant que ce qu’ils disent est larmoyant, condescendant et qu’ils peuvent utiliser leur texte pour faire briller leurs talents de comédiens en jouant leur rôle de révolté, d’indigné ou d’insoumis d’opérette, tant qu’ils peuvent se faire mousser et faire leur promo en se glorifiant de toutes les meilleures intentions du monde, tant qu’ils peuvent interpréter le rôle de leur vie, rien ne semble les arrêter.

    Tant que cela les maintient en haut des cotes de popularité

    Sauf que… depuis six semaines, ils ont de la concurrence, et une sévère : celle des 67 millions de Français « normaux » qui ont tout d’un coup découvert qu’eux aussi ils pouvaient avoir du succès sur Twitter et sur Facebook, en balançant en rafale des florilèges de #yakafokon et de #cestpasjuste. Il leur fallait impérativement réagir.

    60 millions d’indignés, et moi, et moi et moi ?

    Peur panique des professionnels de la pleurniche en strass et paillettes devant la concurrence et devant la plus que probable ruée vers la consommation qui viendrait éparpiller leurs adeptes une fois le confinement levé ?

    Il semble bien que oui, vu la tempête cacophonique de sophismes en tout genre qui a tout d’un coup envahi les colonnes des magazines, l’avalanche de tribunes, d’entretiens confidentiels et profonds, de confessions intimes, 100 % sincères et 100 % exclusives qui fleurissent un peu partout sur le « monde d’avant » et le « monde d’après ».

    Comme si la mise en détention forcée de la population du pays, pour cause d’incompétence, de mensonges et d’absence totale de courage et de leadership était un événement en soi. Comme si l’arrêt total de toute activité pouvait devenir, à grands renforts d’effets spéciaux et de baratin, la grande révolution tant attendue et tant espérée : le chapitre final qui viendrait conclure dans un gigantesque feu d’artifice la pitoyable bagarre de cours de récré initiée en mai 68 par des enfants gâtés nageant dans une abondance inédite et perclus de nombrilisme aigu et de narcissisme chronique.

    Et que retrouvons-nous au cœur de toute cette agitation du personnel de l’opéra ? Encore et toujours le même sujet qui aura décidément paralysé le pays plus que de raison : le prix. Le prix des choses, le prix de la vie, le prix de la qualité de vie, le prix d’une vie, le prix d’une baguette de pain, le prix de la tranquillité, le prix du beau, le prix de la santé, le prix du travail et le prix de la culture, le prix de la vérité et le prix du bonheur.

    Et voici qu’est de nouveau brandi l’étendard de la sainte gratuité !

    Simplisme, marxisme et manichéisme

    Depuis qu’un prophète barbu en a fait son premier chapitre, une génération entière de Français égocentrés a décidé que la seule, l’unique référence en matière d’honnêteté intellectuelle, de respectabilité sociale et d’intelligence était la déclaration totalement fantaisiste selon laquelle : « La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s’annonce comme une ‘immense accumulation de marchandises’ dont la marchandise individuelle serait la forme élémentaire.» (Karl Marx, Das Kapital , 1867) et a tout de suite vu l’opportunité de devenir le nouveau Moïse qui viendrait sauver le peuple élu égaré dans la nouvelle hérésie de la marchandisation qui détruirait les vraies valeurs pour les remplacer par un nouveau veau d’or : le prix , cette fameuse unité de marchandise individuelle capitaliste, symbole de la liberté de chacun et ennemie du collectivisme.

    Aux ténèbres du monde marchand, maladie galopante et vicieuse, il faut dresser la lumière, celle du service public et de la gratuité, qui sauvera l’humanité des démons de la concupiscence et de l’avarice.

    L’origine du monde

    Car pour ces nantis oisifs qui nous sermonnent depuis des années, il est absolument clair que tous les malheurs du monde viennent de quelques vils profiteurs et qu’en éliminant le prix, en éliminant la capacité de juger de la valeur des choses en lui attribuant des chiffres, qu’en comptant les marchandises non plus en or, mais en bon sentiments, on éliminerait alors tous les vices du monde.

    Qu’importe le prix du travail, qu’importe que le prix permette, certes à certains de prendre, mais surtout à la grande majorité de recevoir, un salaire, une commission, une rémunération, un bénéfice… cette partie de l’échange ne les intéresse pas. Sans doute parce qu’ils sont très loin de comprendre que le prix est d’abord un moyen de protéger ceux qui manquent, de leur donner accès à des choses qui sans prix seraient totalement laissées à l’arbitraire de ceux qui ont.

    Parce que sans prix public, tout devient privé, tout est laissé alors au bon vouloir et à la fantaisie de la minorité qui détient le pouvoir. Parce que percevoir une chose gratuite n’est alors plus une question d’échange, mais une décision politique et donc une histoire de pression, de violence et de petits arrangements.

    Gratuité, privilège, inégalité

    Parce qu’ils sont très loin de comprendre que si les gens reçoivent gratuitement, alors ils doivent également donner gratuitement, que sans prix pour ce qui est produit, il n’existe plus non plus de prix donné à l’effort nécessaire pour produire et que celui-ci perd alors toute valeur.

    Mais les nombrilistes ne voient pas plus loin que leur nombril et regarder au-delà de ce qui permet de les mettre en valeur est sans doute une requête impossible.

    Ce n’est pourtant pas peine de leur répéter depuis des années que le travail gratuit, cela s’appelle tout simplement l’esclavage et qu’une société n’attribuant aucun prix aux valeurs des choses et laissant l’attribution des biens à la discrétion d’une minorité, cela s’appelle tout simplement la barbarie et la tyrannie.