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      Bien commun: la trahison des élites

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Tuesday, 7 June, 2022 - 08:54 · 5 minutes

    Le départ de Jean-Baptiste Djebbari du gouvernement pour aller dans une société privée, du domaine des Transports a provoqué l'indignation. Mais le l'ancien ministre assume, avec le soutien de ses ex-collègues. Le départ de Jean-Baptiste Djebbari du gouvernement pour aller dans une société privée, du domaine des Transports a provoqué l'indignation. Mais le l'ancien ministre assume, avec le soutien de ses ex-collègues.

    POLITIQUE - L’opinion publique s’est émue de la “reconversion professionnelle” de Monsieur Djebbari, ancien ministre délégué, chargé des transports. Le ministre saisit d’abord la Haute autorité de transparence de la vie publique (HATVP) d’un projet de création d’une société de conseil. La HATVP l’autorise avec des réserves. Il demande ensuite à rejoindre le conseil d’administration de la société Hopium , constructeur de berlines à hydrogène . La HATVP l’autorise également, considérant que l’ancien ministre n’avait pas eu de rapport d’intérêts avec cette société. Enfin, le ministre souhaite devenir vice-président du pôle spatial de la société CMA-CGM, armateur spécialisé dans le transport maritime. La HATVP refuse , car le ministre avait rencontré à au moins huit reprises les dirigeants du groupe: la fréquence de ces rencontres et le positionnement du groupe dans le secteur des transports justifient un “doute légitime” au regard de l’obligation de prévenir les conflits d’intérêts.

    En 1992, Yves Mény parlait dans son ouvrage La corruption de la République (Fayard) des conflits d’intérêts et l’art de les contourner. Il décrivait une tentation structurelle et permanente, créant un climat favorable aux dérives. À l’origine, le mot “pantoufle” désignait, dans l’argot de l’École polytechnique, le renoncement à toute carrière dans l’État à la fin des études. Ceux qui “entraient dans la pantoufle”, les “pantouflards”, avaient le titre d’“ancien élève de l’École Polytechnique” mais renonçaient à celui de “diplômé de l’École Polytechnique”. Plus tard, le terme a aussi désigné le montant à rembourser en cas de non-respect de l’engagement de servir l’État pendant dix ans.

    La loi française réprime la prise illégale d’intérêt de cinq ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende. Mais si la loi est dure, la pratique est molle. Éric Alt, vice-président d'Anticor

    Le risque de dérive est identifié de très longue date. Le droit romain interdisait aux gouverneurs d’acquérir des biens dans la province qu’ils administraient. Une ordonnance de Saint-Louis de 1254 interdisait aux baillis d’emprunter ou d’acquérir dans l’étendue de leur province. En 1810, le Code pénal réprimait l’ingérence, c’est-à-dire la prise illégale d’intérêts par un fonctionnaire en activité. L’incrimination a été complétée en 1919 afin de réprimer la prise illégale d’intérêts par un fonctionnaire après la cessation de son service. Il s’agissait déjà d’empêcher certains groupes industriels de débaucher des fonctionnaires. Aujourd’hui, la loi française réprime la prise illégale d’intérêt de cinq ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende. Elle est relativement plus sévère que celle de nos voisins. Mais si la loi est dure, la pratique est molle.

    Ainsi, des agents publics peuvent rejoindre l’entreprise ou le secteur sur lequel ils exerçaient, directement ou indirectement, un pouvoir. Ainsi, de hauts fonctionnaires rejoignent les cabinets de conseil pour faire, en qualité de consultants, un travail qu’ils auraient pu faire en qualité d’agents de l’État, avec un salaire bien supérieur toutefois. Par ailleurs, d’autres agents sont recrutés dans le privé pour faire du lobbyisme auprès de leur administration d’origine, c’est-à-dire pour faire, dans le privé, le contraire de ce pour quoi ils étaient rémunérés dans le public.

    La HATVP joue un rôle important, mais ses pouvoirs sont limités. Par exemple, Fleur Pellerin, ancienne ministre du numérique, a rejoint un géant de l’internet sud-coréen contre l’avis de la HATVP , qui a saisi le procureur de la République. Le dossier a depuis été classé sans suite. La justice enquête encore sur le cas d’Hugh Bailey, ancien conseiller de M. Macron à Bercy et sur le rôle qu’il aurait joué en faveur de General Electric Energy Products, avant de devenir directeur général de General Electric France suite à une plainte d’Anticor. Elle enquête aussi sur le cas d’ Alexis Kohler , secrétaire général de l’Élysée, et les possibles interférences entre ses fonctions d’agent de l’État et son pantouflage chez le croisiériste MSC, suite à une plainte d’Anticor.

    Un petit monde se constitue, dans l’entre-soi des cabinets et des conseils d’administration des grandes entreprises, propices au brouillage entre intérêt général et intérêts privés. Éric Alt, vice-président d'Anticorp

    Les sociologues parlent d’hybridation des élites, là où d’autres comme les journalistes spécialisés Laurent Mauduit (Mediapart) ou Vincent Jauvert (L’Obs) dénoncent la constitution d’une “Caste” ou d’une “mafia d’État”. Un petit monde se constitue, dans l’entre-soi des cabinets et des conseils d’administration des grandes entreprises, propices au brouillage entre intérêt général et intérêts privés.

    Il serait sans doute souhaitable d’appliquer effectivement l’obligation pour les hauts fonctionnaires de servir l’État pendant au moins dix ans. Ce serait aussi une bonne chose de rétablir le délai de cinq ans entre la possibilité pour un agent public d’exercer dans le privé une activité se rapportant, même indirectement, aux fonctions exercées dans le public. Mais l’essentiel est de restituer au service de l’État un prestige aujourd’hui terni. Le problème n’est pas celui des grandes écoles ou des grands corps. La suppression de l’ENA et du corps diplomatique sont démagogiques.

    Le problème est la perte de l’idéal qui avait conduit à fonder ces institutions: donner à l’État un personnel bien formé et attaché au bien commun. Pour y remédier, l’exemple devrait venir du sommet....

    À voir également sur Le HuffPost: Abad, Darmanin… La colère féministe contre le “gouvernement de la honte”

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      Jean-Baptiste Djebbari voulait aussi rejoindre CGA CGM, la HATVP refuse

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Tuesday, 24 May, 2022 - 15:07 · 3 minutes

    Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre des Transports, photographié au mois de février (illustration)  Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre des Transports, photographié au mois de février (illustration)

    POLITIQUE - Cette fois c’est non. L’ancien ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebbari , qui a déjà mis un pied dans le privé via son entrée annoncée au Conseil d’administration d’Hopium (un constructeur de voitures à hydrogène), ne pourra pas rejoindre le géant du secteur logistique CGA CGM, en qualité de vice-président exécutif en charge du pôle spatial, comme il le souhaitait.

    Ce mardi 24 mai, la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) a rendu publique sa délibération “relative au projet de reconversion professionnelle” de l’ancien ministre au sein de ce géant de la logistique. Une activité qui aurait fait de l’intéressé un “membre du comité exécutif du groupe”, note l’autorité présidée par Didier Migaud. Après étude de la saisine transmise par Jean-Baptiste Djebbari, la HATVP s’oppose à cette prise de poste.

    “Conflits d’intérêts”

    “Au regard des attributions ainsi confiées au ministre délégué chargé des Transports, qui sont en lien direct avec les activités du groupe CMA CGM, et compte tenu de l’importance de celui-ci, opérateur de premier plan dans le domaine du transport maritime, le risque de mise en cause du fonctionnement indépendant et impartial de l’administration serait substantiel si monsieur Djebbari rejoignait ce groupe”, note la haute autorité, qui souligne que le ministre a plusieurs fois rencontré le PDG “ou d’autres cadres dirigeants du groupe” du temps où il était au gouvernement.

    “La fréquence de ces rencontres, de même que le positionnement du groupe dans le secteur du transport, seraient de nature (...) à créer un doute légitime quant aux conditions dans lesquelles le ministre a exercé ses fonctions gouvernementales, au regard des principes déontologiques et de l’obligation de prévention des conflits d’intérêts qui s’imposent à lui”, poursuit la HATVP. Raison pour laquelle elle émet un avis défavorable.

    Le oui, mais... à sa société de conseil

    Outre ce poste (et le siège d’administrateur qui l’attend chez Hopium), la HATVP s’est également prononcée sur d’autres activités convoitées par Jean-Baptiste Djebbari. L’ancien ministre souhaite en effet créer une société pour faire du conseil à des entreprises privées. Des activités que la haute autorité juge “compatibles” avec ses anciennes fonctions, tout en émettant des “réserves”.

    Parmi elles, l’impossibilité de délivrer des prestations à des entreprises avec lesquelles il aurait eu à traiter au gouvernement. Autre interdiction, réaliser (d’ici trois ans) des prestations pour les ministères chargés de l’Écologie et des Transports. Enfin, l’impossibilité d’utiliser cette société pour faire du lobbying auprès d’actuels membres du gouvernement ou d’anciens membres de son cabinet, et ce, encore, pour une durée de trois ans.

    “La Haute Autorité suggère à monsieur Djebbari de la saisir avant de prendre pour client tout organisme appartenant au secteur des transports pendant une durée de trois ans suivant la cessation de ses fonctions”, note encore la HATVP, précisant que les réserves citées plus haut “feront l’objet d’un suivi régulier”.

    Mardi 17 mai, l’intéressé affirmait n’avoir “aucun état d’âme” à partir dans le privé après son passage au gouvernement. “C’est normal de retrouver une activité normale après la politique, il y a des règles, il faut les respecter”, s’était-il défendu sur RMC. Des règles que la HATVP vient de rappeler.

    À voir également sur Le HuffPost: Jean-Baptiste Djebbari ironise sur l’attente interminable du nouveau gouvernement