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      De Clovis à nos jours, le long combat de la laïcité

      The Conversation · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 21 October, 2020 - 03:00 · 9 minutes

    Par Alain Bauer.
    Un article de The Conversation

    Dans un ouvrage déjà ancien ( Les terroristes disent toujours ce qu’ils vont faire ), nous démontrions qu’il est très rare de se trouver confrontés à une « surprise » en matière de terrorisme.

    La révolution stratégique provoquée par l’apparition de l’État islamique a conforté et amplifié cette analyse, alors que l’organisation proclame régulièrement sur de nombreux supports médiatiques cibles et moyens à utiliser pour les atteindre…

    Un peu partout dans le monde, les enseignants sont victimes de mises en cause physiques ou morales.

    Il est toujours très difficile de parler de Darwin et des théories de l’évolution aux États-Unis. Il est presque impossible de sortir d’une école coranique dans de nombreuses régions du Pakistan. Et on assassine les enseignants ou les élèves, notamment les jeunes filles, qui osent enseigner ou venir à l’école en Afghanistan.

    Au Nigeria ou au nord Cameroun, l’organisation Boko Haram, qui s’appelle en réalité Book Haram (les livres sont impurs), se donne pour mission fondatrice de lutter contre l’école publique sécularisée.

    En fait, le combat laïque n’a jamais été aisé. Celles et ceux qui revivent aujourd’hui la lente transition française vers la liberté de conscience en ont hélas une faible mémoire historique.

    Le rôle de l’Église catholique

    Depuis le baptême de Clovis en 498, la culture du pouvoir en France improprement appelée gallicane – elle est franque en réalité car rattachée aux peuplades germaniques (les Francs) qui conquirent la Gaule aux Ve et VIe siècles – explique sans doute un irrédentisme national qui portait moins sur la nature de la foi que sur son expression politique.

    Ce compromis entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel va être renforcé par l’éclatement de l’Empire de Charlemagne et le maintien d’une seule colonne vertébrale pour la société féodale : l’Église catholique.

    Cette dernière devient une très importante opératrice des services publics locaux. Elle investit, ordonne, spécule, exploite. La monarchie en prendra ombrage et Philippe Le Bel y mettra bon ordre en installant le Pape à Avignon en 1309. La religion reste d’État, la France devient la fille aînée de l’Église. Elle a laissé détruire les Cathares, autant par détestation religieuse que pour contraindre le Comté de Toulouse. Mais tout est sous contrôle.

    Les 95 thèses martelées sur les portes de l’église de la Toussant à Wittenberg par Martin Luther en 1517 ouvrirent la porte à un schisme, la progression rapide du protestantisme, et un « génocide » oublié, la Saint-Barthélemy, le 24 août 1572. L’un des survivants de ce massacre, Henri IV, proclamera l’Édit de Nantes en 1598. Et pour le malheur du pays et le bonheur de ses voisins, il fut révoqué par un Louis XIV au soleil pâlissant, en 1685.

    Séparation de l’Église et de l’État

    La Révolution française imposera la première rupture avec l’Église catholique, en inscrivant dans la Déclaration des droits de l’Homme du 26 août 1789 : « Nul homme ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses… » . On notera le même arraché de haute lutte tant la rancœur contre le haut clergé était forte. Depuis les grandes jacqueries de 1348, on brûlait des châteaux, mais aussi beaucoup de presbytères et quelques autres résidences ecclésiastiques…

    L’Église est « nationalisée » à la fois dans ses biens mais aussi dans sa structure et sa culture. Blasphème, sorcellerie, hérésie, disparaissent du Code pénal. L’État civil, créé en 1539 par François I er , mais administré par le clergé, est civilisé. Le 21 février 1795, la première séparation de l’Église et de l’État est proclamée.

    La Convention nationale , après avoir entendu le rapport de ses comités de salut public, de sûreté générale et de législation, réunis, décrète notamment que « conformément à l’article VII de la Déclaration des droits de l’Homme, et à l’article CXXII de la Constitution, l’exercice d’aucun culte ne peut être troublé. II. La République n’en salarie aucun. III. Elle ne fournit aucun local, ni pour l’exercice du culte, ni pour le logement des ministres. IV. Les cérémonies de tout culte sont interdites hors de l’enceinte choisie pour leur exercice ».

    Le texte précise également que « tout rassemblement de citoyens pour l’exercice d’un culte quelconque est soumis à la surveillance des autorités constituées » et qu’ « aucun signe particulier à un culte ne peut être placé dans un lieu public, ni extérieurement, de quelque manière que ce soit ».

    Toute la loi de 1905 est déjà là.

    Laïcisation heurtée

    Bonaparte devenu Napoléon rétablira le dialogue avec l’Église de Rome en signant un Concordat en 1801 avec le pape. L’Église catholique n’est plus que l’ « Église de la grande majorité des Français ». Les prêtres sont salariés par l’État et soumis aux autorités françaises.

    La religion devient un service public qui s’étend au protestantisme puis au judaïsme. La Restauration (1814-1848) rétablira pour un temps le catholicisme comme religion de l’État. En 1850, la loi Falloux donne à l’Église un droit de direction dans les écoles primaires.

    Mais les républicains, les radicaux et les laïques attendent leur heure. La défaite de l’Empire en 1871 et la proclamation de la République en 1877 permettra une laïcisation heurtée grâce à l’action de Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique.

    Entre 1881 et 1886, l’école publique devient gratuite, l’instruction devient obligatoire de 6 à 13 ans, l’Église en est sortie. Les lycées et les collèges s’ouvrent aux jeunes filles, le personnel enseignant est laïcisé et l’enseignement religieux exclu des heures de cours. De plus, l’enseignement de la morale civique devient obligatoire.

    La loi de 1905

    C’est une laïcité dynamique et combattante qui s’affirme et par effet mécanique de conflit. Les relations diplomatiques sont rompues avec la Cité du Vatican en 1904.

    En 1905, malgré la pugnacité des radicaux, c’est une loi de compromis et de liberté d’exercice des cultes qui sera adoptée sous l’impulsion de Jean Jaurès dont la formule « La France n’est pas schismatique, elle doit être révolutionnaire » marquera la défaite des radicaux les plus déterminés et la victoire d’ Aristide Briand et de Ferdinand Buisson, les pacificateurs.

    On y trouvera notamment, pour celles et ceux qui commentent souvent ce texte sans l’avoir bien lu, un titre particulièrement précis sur la nature exacte de cette loi qui est moins un texte de séparation que de libre exercice sous contrôle.

    Dans le titre V, sous l’intitulé « Police des cultes », il est notamment précisé que « les réunions pour la célébration d’un culte… restent placées sous la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public » et que « si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile ».

    Voici ce qu’est donc cette laïcité sans adjectif, dont les défenseurs sont des laïques et qui est devenue un principe constitutionnel en 1958 dans l’article 1 er de la Constitution et en 2013 seulement quand le Conseil constitutionnel donnera à certaines dispositions de la loi de 1905 une « valeur constitutionnelle » .

    La question de l’Islam

    La question juive ou musulmane a fait l’objet d’évolutions controversées, parfois heureuses (émancipation sous la Révolution, grand sanhédrin sous Napoléon mais honteux statut sous la collaboration pour les israélites, indigénat et exploitation).

    Mais un accord unanime fut trouvé pour créer la société des Habous et Lieux saints de l’Islam (dite Grande Mosquée de Paris) en 1921 avec subvention publique et souscription nationale sous la conduite du Maréchal Lyautey afin de rendre hommage aux « soldats musulmans morts pour la France ».

    Les laïques de 1905, qui insistent sur la « rupture » avec les Églises font cependant un effort, au nom du sang versé, et grâce à Lyautey (qui lui-même souhaitait établir un Califat pro-français ) et aident à la création d’un Islam de France et pas seulement en France .

    La décolonisation poussera à une sous-traitance de l’Islam vers les nouveaux États devenus indépendants dans une « communauté » qui perdra peu à peu de sa réalité.

    Se mobiliser pour la laïcité

    Mais cette laïcité est-elle aussi neutre qu’on l’affirme haut et fort ? Peut-elle être plurielle ? Peut-elle résister aux assauts intégristes, communautaristes, djihadistes ?

    Toute son histoire prouve que la laïcité n’est pas un autre culte. Qu’elle n’est pas une excuse à l’ignorance. Qu’elle impose le respect des croyants et des non croyants. Qu’elle n’est pas l’ennemie de la foi ou de la spiritualité. Les Républicains atypiques du XIXe siècle l’avaient bien démontré. Et on oublie souvent que la Déclaration des Droits de l’Homme est placée « sous les auspices de l’Être Suprême ».

    En 2002, le rapport de Régis Debray expliquait déjà les risques, pressions et dangers qui menaçaient l’école publique, les valeurs républicaines et la société du vivre ensemble, qui semble devenir celle du côte à côte et du face à face.

    Cette laïcité mérite une mobilisation, un rassemblement et une action. Plus de neutralité molle. Une dynamique. De Chrétiens, de Juifs, de Musulmans, de Boudhistes, d’Orthodoxes, d’Agnostiques, d’Athées. De Laïques, de Républicain·e·s, de Citoyen·e·s.

    Il est plus que temps.

    Alain Bauer , Professeur de criminologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original .

    The Conversation

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      Racisme, esclavage, colonies : et si on revenait à la vérité historique ?

      Yves Montenay · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 3 July, 2020 - 03:40 · 18 minutes

    Racisme

    Par Yves Montenay.

    À partir du meurtre d’un Noir américain par un policier blanc aux États-Unis, une déferlante a gagné le monde entier. Or si le problème noir est très réel aux États-Unis, ce n’est pas une raison pour inventer une fausse histoire du monde.

    Certains utilisent ce problème américain pour semer la haine et détruire les relations entre l’Europe et l’Afrique, au détriment de cette dernière à qui l’on répète que ses problèmes de développement économique et humain sont dus à l’esclavage et à la colonisation .

    Allons bon, direz-vous, voilà un suprémaciste blanc qui veut nier l’évidence !

    Pas du tout. Un peu de chronologie paraît nécessaire pour revenir à la vérité historique.

    Race et esclavage, la chronologie

    Dans l’Antiquité, l’esclavage était général dans l’empire romain, chez les Grecs et ailleurs. Il ne concernait que les Blancs, seuls habitants de ces régions. Je mets de côté l’Égypte pharaonique puis grecque et romaine, qui était au contact des populations noires dans son extrême sud.

    Au Moyen Âge l’esclavage a disparu en Europe occidentale.

    En Afrique subsaharienne esclavagistes et esclaves étaient noirs, avant comme après l’arrivée des Européens dans les comptoirs africains, tout simplement parce qu’il n’y avait pas de population blanche.

    Dans l’empire ottoman, qui comprenait l’Algérie mais pas le Maroc, les esclaves étaient européens et subsahariens.

    De même au Maroc, dans la péninsule arabique, et j’en oublie.

    Les Blancs étaient des prisonniers de guerre (principalement pris par les Turcs en Europe orientale et dans le Caucase) ou des populations civiles razziées (principalement sur les côtes espagnoles, françaises et italiennes par les pirates barbaresques maghrébins).

    Les Noirs étaient dans un premier temps achetés par les marchands arabes aux Africains en échange des biens manufacturés. Puis, au fur et à mesure des progrès arabes en armement, ces échanges devinrent des razzias de populations entières et certaines populations africaines étaient en cours de disparition à l’arrivée des armées coloniales. À ce sujet vous pouvez vous reporter à l’étude d’Olivier Pétré-Grenouilleau : La traite oubliée des négriers musulmans .

    Plus tard, au XVIIIe et XIXe siècle les reculs des armées musulmanes, notamment turques, en Europe et en Asie occidentale et centrale tarirent la source d’esclaves blancs dans le monde musulman, où le mot arabe pour esclaves se confondit avec le mot noir , comme le rappelle Alban Dignat dans Des origines au XXe siècle L’esclavage en Afrique.

    Revenons chez les chrétiens

    Quand les Européens ont commencé à occuper les Amériques, ils ont entrepris une colonisation agricole et ont réduit les Indiens en esclavage. Mais Charles Quint en 1526, puis le pape en 1537, le leur a très vite interdit ( Controverse de Valladolid ).

    Les nouveaux propriétaires fonciers se sont alors tournés vers le marché aux esclaves existant en Afrique subsaharienne et en ont acheté aux autorités locales. Ces propriétaires des deux Amériques étaient en très grande majorité des Blancs, mais certains étaient Africains ou mulâtres.

    En Afrique, pour les Européens, cette époque était non pas celle de la colonisation, qui date de la fin du XIXe siècle, mais des comptoirs. Les premiers datent de la Renaissance et se sont installés avec l’accord de l’autorité africaine locale. C’étaient des lieux de commerce où étaient échangés les produits européens et les produits africains, dont les esclaves.

    Quand les Européens ont colonisé l’Afrique à la fin du XIXe siècle, ils avaient aboli l’esclavage dans leurs colonies américaines et l’ont donc aboli également en Afrique.

    Ainsi prirent fin la traite intérieure (entre Africains) et la traite génocidaire arabe , bien décrite par l’anthropologue sénégalais Tidiane N’Diaye.

    La traite arabe perdit aussi ses débouchés en Afrique du Nord avec l’arrivée des Français.

    C’est au Maroc que l’esclavage a disparu le plus tardivement (en 1922) puisque les Français n’ont vraiment administré le pays qu’à partir de 1919 du fait de la guerre, même si le début du protectorat date de 1911.

    Donc grâce à la colonisation européenne en Afrique et à la guerre civile américaine, qui se termine en 1865, l’histoire de l’esclavage se termine. À chacun d’apprécier si, cinq à sept générations plus tard, cela détermine encore les trajectoires professionnelles et familiales.

    De l’esclavage au racisme, un phénomène américain

    Il y eut toutefois une exception importante : le sud des États-Unis.

    À contre-courant de l’évolution intellectuelle en Europe, illustrée notamment par Montesquieu, les États-Unis institutionnalisent le racisme sur tout leur territoire, notamment avec la loi de « naturalisation » du 26 mars 1790, qui la réservait aux Blancs.

    C’est en 1861 que le gouvernement américain supprime l’esclavage. Le Sud fait sécession. Il est battu en 1865 et l’esclavage y est alors supprimé.

    Mais les États-Unis étant un pays très décentralisé (États, municipalités…) beaucoup d’autorités locales mirent en place des politiques racistes qui ont considérablement réduit les droits des Noirs, y compris sur le plan électoral.

    Ces politiques ségrégationnistes ont été démantelées depuis plus de 50 ans , mais leur souvenir est resté et certaines mentalités « blanches » en sont encore imprégnées. Remarquons qu’il ne s’agit plus de l’esclavage, même s’il existe une évidente continuité historique.

    C’est dans ce contexte que le déboulonnage des statues d’hommes politiques vivant à l’époque de l’esclavage se répand aux États-Unis, dont une statue de Louis XVI. Ce dernier est pourtant l’acteur principal de l’indépendance américaine avec la création d’une flotte qui a permis de neutraliser celle de la Grande-Bretagne, notamment à Chesapeake, permettant aux Américains et à Lafayette leur victoire sur terre.

    On se focalise aujourd’hui sur les différences sociales

    Les statistiques montrent en effet un très réel retard économique et scolaire de la population noire américaine.

    Une parenthèse pour dire que jusqu’à récemment, était considérée comme noire toute personne « ayant une goutte de sang noir » . La définition a changé et le président Obama a fait savoir qu’il avait coché la case du recensement « origine mixte ».

    Mais quel est le lien entre ce retard économique et scolaire et le racisme au sens courant du terme ?

    Une partie de la différence raciale ainsi statistiquement apparente s’explique par la proportion élevée des mères célibataires dans la population noire (55 %), avec leur conséquence sur les revenus et les difficultés d’éducation des enfants.

    On peut discuter à l’infini de l’origine esclavagiste de cette différence, et des mesures à prendre pour la faire disparaître, en gardant à l’esprit que des allocations préférentielles peuvent générer des effets pervers : par exemple, cela a eu pour conséquence imprévue de faire des mères célibataires la cible de séducteurs parasites, ce qui n’arrange pas leur situation.

    Et puis, une corrélation statistique ne dit rien de plus que ce qu’elle indique.

    Les mères célibataires blanches sont plus nombreuses que les noires (7, 5 millions contre 3,4), même si elles forment une partie plus faible de la population blanche (14,6 % contre 55,5 % chez les femmes noires). Voir à ce sujet l’étude sur les Familles monoparentales aux États-Unis de Sylviane Diouf-Kamara.

    Et leurs problèmes sont également graves bien que non raciaux, ce qui affaiblit le lien de cause à effet entre la race et leur situation.

    Enfin le phénomène n’est devenu massif que dans la deuxième moitié du XXe siècle, donc longtemps après la fin de l’esclavage.

    Cette histoire américaine est très loin des généralités sur l’esclavage ou le colonialisme, surtout quand elles visent la France ou la Grande-Bretagne pour leurs actions en Afrique.

    Police et racisme

    En France, comme aux États-Unis, la police est pluri-ethnique. C’est une promotion sociale d’y entrer. Dans les colonies anglaises et françaises, c’était également le cas, comme pour l’armée.

    Bien sûr, les policiers ne sont pas des anges, comme dans beaucoup d’autres professions. Leur métier comprend l’usage de la force, comme d’autres métiers comprennent l’usage de l’argent et il y a dans les deux cas des dérapages dont la justice est saisie. Là aussi on peut tirer des corrélations mais qui ne disent pas où est la cause et où est l’effet.

    Plusieurs solutions ont été envisagées. La plus simple est que toute interpellation soit automatiquement filmée. On a également envisagé de donner « un reçu » de contrôle policier des papiers pour éviter leur multiplication « au faciès »… mais qui suppose un nouveau contrôle pour être certain qu’il n’a pas été passé à un copain…

    Les manifestants voudraient peser pour cela sur le pouvoir politique. Mais dans un État de droit, ce n’est pas le politique qui rend la justice. C’est au juge de dire si tel policier est abusivement violent, ou raciste.

    N’oublions pas qu’en Afrique la brutalité policière est beaucoup plus répandue qu’en France, ainsi que la corruption et l’extorsion de fonds, notamment aux automobilistes. Donc, s’il y avait des statistiques locales et si on utilisait là aussi les corrélations, la police française croulerait sous les félicitations de la population africaine !

    Et la colonisation ?

    L’Afrique est en effet un continent où la violence dans certains États est infiniment plus grande qu’en Europe et en Amérique du Nord, alors que l’ordre public était bien plus calme à l’époque coloniale. Et ceux qui disent que c’était à cause d’une pression policière et militaire ne savent visiblement pas que la police et l’armée étaient alors largement indigènes.

    Un livre fondateur pour ceux qui s’intéressent aux grandes synthèses anglo-saxonnes est Civilization, the West and the Rest (La civilisation, l’Occident et le reste du monde) de Niall Ferguson. Auteur qui par ailleurs est marié avec Ayaan Hirsi Ali, réfugiée aux États-Unis après les menaces islamistes reçues aux Pays-Bas, où elle était députée.

    L’auteur raille la classe intellectuelle qui affirme que tous les malheurs du monde sont le fruit du colonialisme disparu depuis plus d’un demi-siècle, colonialisme devenu un alibi commode pour les pires dictateurs. Sa position rappelle celle de Raymond Aron pendant la guerre froide.

    Il estime que la civilisation occidentale a un bilan globalement très positif pour l’ensemble du monde. Notamment en ayant apporté, ou tenter d’apporter, « la propriété et l’État de droit » , donc la prospérité en économie (voir l’Asie de l’Est et du Sud-Est), et la médecine dans le domaine scientifique.

    Par ailleurs, les métropoles ex coloniales sont généreuses, ayant accueilli tous les réfugiés « indigènes » même ceux qui avait pris les armes contre elles avant d’être purgés par ceux qu’ils avaient aidés à prendre le pouvoir.

    Enfin, avant d’attaquer les sociétés occidentales, on pourrait, par exemple se souvenir de la mise en esclavage actuelle par les Libyens des migrants subsahariens ou moyen orientaux qui transitent par ce pays.

    La France contaminée par les États-Unis

    Comme souvent, les modes américaines sont saisies avec empressement par une partie des intellectuels français.

    On a exigé le déplacement d’ une statue de Colbert , notamment parce qu’il a été un des rédacteurs du « code noir » qui réglementait les rapport maître/esclave pour éviter les pires abus… ce qui illustre aux yeux des « décoloniaux » qu’il connaissait le système et ne s’y opposait pas.

    Devra-t-on aussi déboulonner les statues de Socrate ou de Cicéron qui, eux, avaient des esclaves chez eux et non dans des îles lointaines ?

    L’œuvre de Colbert, dont je ne suis pas un admirateur, a été par ailleurs très importante et il mérite amplement sa statue. Le problème pourrait se résumer à quelques lignes sur le socle de la statue décrivant les aspects positifs ou non de son œuvre.

    Mais les intellectuels arrivent parfois à influencer les gouvernants

    Ainsi, la loi Taubira du 10 mai 2001 a fait de la traite européenne, et elle seule, un crime contre l’humanité, et son anniversaire est devenu une « Journée de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions », réinjectant dans les esprits des drames qui ne correspondent plus aux situations sociales d’aujourd’hui, mais permettant à certains d’utiliser la corde sensible de la victimisation.

    Pourtant, la France n’a eu aucun rôle moteur dans cette histoire universelle.

    Depuis, se sont multipliées les manifestations d’une pensée « décoloniale » ou « indigéniste » au vocabulaire marxiste.

    On voit ressurgir le vocabulaire de la race dans le milieu universitaire et chez les jeunes.

    Le groupe le plus en vue dans ce domaine est le Parti des indigènes de la République (PIR) qui proclame « le racial d’abord ».

    En filigrane, il y a la conviction que la France a construit sa richesse sur son empire colonial et la division raciale. C’était la vieille conviction de Lénine, qui a poussé les partis communistes locaux à agir pour l’indépendance des colonies, pensant que la France et la Grande-Bretagne s’effondreraient. Ce qui n’est pas arrivé et montre l’incompréhension communiste du système de développement libéral.

    Combattre « le privilège blanc »

    Sans faire de Piketty un marxiste au sens précis du terme, remarquons cette obsession du colonialisme dans sa tribune dans Le Monde du 13 juin 2020 : « La vague de mobilisation contre le racisme pose une question cruciale : celle des réparations face à un passé colonial et esclavagiste qui décidément ne passe pas » .

    Même obsession chez Françoise Vergès qui, dans son ouvrage Un féminisme décolonial estime que les féministes occidentaux n’ont pas tenu compte du racisme dans l’oppression des femmes et cherchent à imposer aux femmes du Sud un mode de vie occidental.

    La confusion avec le problème américain est manifeste dans Le Monde de 12 juin : « Avec le mouvement Black Lives Matter, le Royaume-Uni et la Belgique s’interrogent sur leur passé colonial » .

    La synthèse de ces mouvements et analyses peut être résumée par la formule : « le privilège blanc », qu’il faut évidemment combattre.

    Bref, suivez la mode, repentez-vous, bien que vous-même et la quasi-totalité de vos ascendants lointains n’y soient pour rien.

    Pour Sartre, être anticommuniste c’était « être un salaud », aujourd’hui parler de l’époque coloniale comme étant un objet historique à étudier, c’est être « un réactionnaire blanc » à faire taire.

    Rien ne pourrait faire plus plaisir aux dictateurs africains pour faire oublier leur police politique, leur violence et les catastrophes économiques et sociales qu’ils ont suscitées !

    Le noyautage des universités françaises

    Aux États-Unis il y a maintenant quelques décennies que des groupes d’étudiants réussissent à faire renvoyer des enseignants pour avoir tenu des propos non acceptés par telle ou telle minorité raciale, sexuelle ou politique.

    Le mouvement gagne des universités françaises.

    En 2016 se lancèrent les groupes en « non-mixité racisée » de Paris VIII.

    En 2017 les ateliers de même étiquette ont été organisés par le syndicat d’enseignants Sud éducation 93, et dénoncés par Jean-Michel Blanquer, la Licra et SOS racisme.

    Et les universitaires prennent le train en marche, toujours en suivant les États-Unis.

    J’ai noté l’annonce suivante sur une « liste » internationale d’historiens : « Je suis en train de monter un projet décolonial sur le genre, la race et violence sexuelle dans la littérature française. Pour l’instant, j’ai une documentation sur Fanon, Camus, Sartre et Guyotat, mais je voudrais les contributions de femmes auteurs. Envoyer les suggestions à… »

    Nous sommes donc passés d’une conception d’un racisme qui serait le fait d’acteurs individuels déviants, et donc de groupuscules ou de partis secondaires, à la proclamation d’un racisme généralisé anti-Blanc en représailles à leur héritage colonial, qui n’a pourtant pas touché la masse des Français, et dont une partie des acteurs étaient des personnes dévouées aux populations locales.

    J’en connais qui sont morts bouleversés de se voir traiter de monstres sanguinaires par des ignorants de leur travail concret.

    Naturellement, ce « racisme par l’antiracisme » déclenche des réactions.

    La réaction des « vieux Blancs »

    Jean-François Revel avait écrit dès 1999 dans La fin du siècle des ombres : « l’antiracisme fabrique plus de racistes qu’il n’en guérit […] L’antiracisme idéologique, qu’il faut soigneusement distinguer de l’antiracisme effectif et sincère, attise les divisions entre les humains. »

    De même, Pascal Bruckner remarque les slogans lancés le 6 juin 2020 lors de la manifestation « antiraciste » à Paris : « Sibeth traître à sa race », « mort aux Blancs », et conclut : « On réinvente l’apartheid, on revient aux années 1930 tout en prétendant les combattre ».

    De même, dans L’Express du 18 juin Élisabeth Badinter note : « La race partout, c’est la naissance d’un nouveau racisme ».

    Enfin, je citerai deux références hors de France :

    L’une dans le domaine universitaire, celle d’Andrew Sobanet Generation Stalin: French Writers, the Fatherland, and the Cult of Personality (Génération Staline : les écrivains français, la patrie et le culte de la personnalité ).

    C’est la conversion à un stalinisme total et qui paraît aujourd’hui caricatural des plus grands écrivains français des années 1930 : le prix Goncourt Henri Barbusse, Romain Rolland, Paul Éluard et Aragon.

    L’autre d’un homme de terrain non universitaire, Kakou Ernest Tigori, dont les deux bisaïeules ont été vendues comme esclaves à d’autres africains. Cet écrivain ivoirien est l’auteur de L’Afrique à désintoxiquer : sortir l’Europe de la repentance et l’Afrique de l’infantilisme (2018).

    Mon avis personnel

    Et maintenant je vais aggraver mon cas en persistant et signant.

    D’abord, je suis « a-raciste » par éducation, et ce n’est que peu à peu que j’ai constaté, à ma surprise, que le monde entier était raciste : j’ai entendu les Asiatiques et les Maghrébins traiter les Noirs de (censuré) et des Noirs faire de même en visant leurs voisins. Dire que c’est du tribalisme ou de la xénophobie ne change pas le résultat : des remarques désobligeantes d’abord, puis la répression et les massacres. C’est une première raison de trouver le débat actuel ignorant, voire hypocrite.

    Ensuite avec mes bientôt 80 ans et ayant été plongé très jeune dans la vie historique et politique, j’ai rencontré des témoins dont certains avaient vécu la fin du XIXe siècle. Ils étaient de toutes origines ethniques et politiques dans ce qui était alors l’empire français.

    Par exemple mon grand-père était communiste au Vietnam.

    J’ai également vécu la guerre froide, et le débat actuel me rappelle dramatiquement cette époque où beaucoup d’historiens et d’intellectuels francophones, français ou non, ont trahi leur mission en suivant, après les célèbres exemples ci-dessus, la mode soviétophile de l’époque.

    Certains se sont rendu compte qu’ils avaient été manipulés et ont changé de cap quelques années plus tard, à commencer par le président Senghor avec qui j’ai beaucoup discuté.

    Comme aujourd’hui, les universitaires des années de l’après Deuxième Guerre mondiale brandissaient l’argument d’autorité en citant tel livre et plus généralement « le dernier état de la recherche » pour s’opposer au système politico-économique français et orienter les esprits vers « la grande lueur qui se lève à l’Est ». Qui s’exprimait autrement n’était qu’un réactionnaire qui serait bientôt ridiculisé.

    Sartre, Simone de Beauvoir et Philippe Sollers sont ainsi allés en Chine sans s’apercevoir que les gens y mouraient de famine et de persécution. Mais c’était la « mode Mao ».

    François Furet, Edgar Morin, Régis Debray, Annie Kriegel, Michel Foucault, Jean-François Desenti, Alain Besançon, Étiemble et bien d’autres ont suivi la mode marxiste, voire soviétophile de leur temps et s’en sont repentis ensuite dans des livres à succès, dont je vous recommande vivement l’instructive lecture.

    D’où ma grande réserve envers ceux qui suivent une mode intellectuelle, actuellement décoloniale, et mon message : « ne recommencez pas, ne suivez pas les modes, l’histoire se décante petit à petit au fil des discussions contradictoires et non des condamnations du passé ».

    N’allez pas maintenant suivre aveuglément la mode décoloniale !

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