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      Des limites du droit de grève, une perspective historique

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 8 March, 2023 - 04:20 · 19 minutes

    Après une première discussion de la question en mai 1909, la Société d’économie politique réexamine le 4 juin 1910 le problème des grèves.

    Depuis plusieurs années, des grèves paralysaient l’activité économique, elles étaient accompagnées de violences graves, quoique rarement sanctionnées, et touchaient même des services publics ou des entreprises d’utilité publique. Ces développements récents nécessitaient l’attention des économistes et des pouvoirs publics.

    Des limites du droit de grève

    Réunion de la Société d’économie politique, 4 juin 1910.

    Le sujet inscrit à l’ordre du jour est adopté, et M. Leroy-Beaulieu donne la parole à M. Villey, doyen de la Faculté de droit de Caen.

    M. Villey fait tout d’abord remarquer que les grèves ont pris ces derniers temps un caractère alarmant, non pas seulement par les violences et les actes de sauvagerie dont elles ont été marquées, mais par l’envahissement par la grève d’un domaine qui jusqu’ici lui avait été fermé, le domaine des services publics et d’intérêt public.

    L’orateur rappelle les principaux faits de grève survenus dans des services publics ou d’intérêt public et notamment la grève des électriciens de Paris qui, en 1907, a plongé la capitale dans l’obscurité, au risque de compromettre la sécurité, entre autres dans les gares. Peu après survint la grève des Postes ; actuellement c’est la grève des chemins de fer du Sud et à propos de celle-ci on a pu lire une lettre du secrétaire du Syndicat national des chemins de fer protestant contre l’envoi de soldats du génie et demandant au président du Conseil de laisser les grévistes et la Compagnie lutter à armes égales. Il n’est point question du public qui souffre pourtant de la grève. Ce sont là des faits indignes d’un pays civilisé.

    M. Villey observe qu’il n’y a pas de droit de grève institué par la loi.

    La loi du 25 mai 1864 s’est bornée à supprimer les articles du Code pénal qui prohibaient le droit de coalition et les grévistes n’ont pas du chef de cette suppression le droit de méconnaître les autres prescriptions légales ; c’est ainsi qu’ils sont dans l’obligation de respecter le délai de préavis consacré par des usages ayant force de loi. Un patron n’aurait pas le droit de renvoyer un ouvrier sans respecter le délai de préavis, l’ouvrier ne doit pas pouvoir agir autrement que lui. Le Conseil supérieur du travail a bien dit que la grève n’étant qu’une suspension de travail, le délai de préavis n’était pas nécessaire. Il a eu tort et le simple bon sens suffit pour juger qu’il a eu tort. Quand un ouvrier fait grève pour obtenir de nouvelles conditions de travail, il rentre avec un nouveau contrat, c’est de toute évidence.

    Même dans les autres hypothèses, dans le cas d’une grève faite pour obtenir le renvoi d’un contremaître, par exemple, il y a rupture du contrat et non pas suspension. La thèse de la suspension conduit à des conséquences absurdes. S’il n’y avait que suspension du contrat, le patron n’aurait pas le droit de renvoyer l’ouvrier gréviste, ce qui est inadmissible. Lors d’une grève d’ouvriers boulangers qui avait éclaté à Paris, certains patrons ont remplacé les grévistes, et la grève finie, n’ont pas cru devoir renvoyer les ouvriers embauchés, à l’égard desquels ils eussent d’ailleurs rompu le contrat de travail. 150 ouvriers non repris ont alors intenté une action devant le Conseil de prudhommes qui s’est divisé en parties égales. Le juge de paix départiteur leur a donné tort en décidant, avec raison, qu’il y avait eu rupture de contrat.

    La loi anglaise exige un préavis de quinze jours pour la rupture du contrat de travail et l’orateur ne croit pas que la nouvelle loi sur les grèves ait changé cette disposition. Cette loi du 21 décembre 1906 a été provoquée par une décision de la plus haute cour de justice anglaise, déclarant les trade-unions responsables des dommages causés à leur instigation. Cette décision était contraire à la jurisprudence antérieure, et la loi de 1906 a été inspirée par des raisons politiques, La vérité était du côté de la décision judiciaire.

    La grève ne met pas au-dessus des lois.

    Il serait désirable que les syndicats eussent en France une responsabilité effective ; aussi faudrait-il leur donner un plus large droit de posséder. Qu’on ne dise pas que la grève ne pouvant plus être spontanée perdra de son efficacité. Ce n’est vrai ni en fait, ni en droit. La menace de grève acquerra à ce délai de la force ; elle préviendra ces blessures d’amour propre qui sont si souvent un obstacle à l’entente. En tous cas, ce dont il faudrait bien persuader les ouvriers c’est que la grève ne met pas au-dessus des lois et ne justifie pas les violences dont elle est aujourd’hui trop souvent accompagnée.

    La pratique de la grève s’est introduite dans des services où elle est intolérable, dans des services publics et d’intérêt public. Pour les employés des services publics, le droit de grève n’existe pas. C’est ici un véritable crime. Il y a une quinzaine d’années, l’idée qu’une grève des Postes fût possible ne fut venue à personne. De tels faits prouvent un affaissement de l’idée du devoir. Pas un agent ne s’est dit : je n’ai pas le droit de faire ça ; d’arrêter tout le commerce de mon pays ; de jeter dans l’inquiétude des parents de malades, etc. Il y a là un crime que punit l’article 126 du Code pénal. On objectera que les postiers n’avaient pas l’intention de démissionner, mais leur geste équivalait à une démission et c’en était une légalement parlant. Si ce texte n’était pas applicable il faudrait en faire un. Le Conseil d’État, dans un arrêt du 7 août 1909, a posé le principe d’une façon irréprochable. Cet arrêt clôt la question. La peine de l’article 126 n’est pas appropriée, mais le principe est incontestable.

    À côté des services publics gérés par l’État, il y en a qui intéressent toute la société. Les uns intéressent la défense nationale (guerre, chemins de fer). Les autres intéressent la sécurité publique (éclairage, eau et même boulangerie). La grève ne devrait pas être possible dans ces services. Pour les chemins de fer, il y a un précédent. Le 4 février 1896, le Sénat, sur l’initiative d’un assez grand nombre de ses membres, a voté une proposition punissant de prison les coalitions dans les établissements de la guerre, de la marine et des chemins de fer. Une mobilisation s’imposant en temps de grève, serait, en effet, fort compromise et avec elle la sécurité nationale. Le projet ne fut pas transmis à la Chambre.

    Les services qui intéressent la sécurité publique ne doivent pas être suspendus et les législations de presque tous les pays ont prévu le cas. On a des garanties ou on les cherche contre des excès aussi graves. Il faut provoquer un mouvement d’opinion en faveur de la réglementation des grèves. En un temps où on parle tant de solidarité, il est étonnant qu’on ne comprenne pas que c’est manquer à la solidarité que cesser un service public ou d’intérêt public.

    En terminant l’orateur déclare qu’il n’est point l’adversaire de l’organisation ouvrière, qu’il considère même celle-ci comme une nécessité absolue, mais qu’une sage réglementation des grèves servirait à la fois l’intérêt public et l’intérêt syndicaliste, car ce dernier verra l’opinion se rebeller contre lui si on laisse se développer les errements actuels.

    M. Novicow rappelle ce qui se passe en Russie où la grève est à l’état épidémique. Il y a des grèves, du reste, tout à fait absurdes. Quand la révolution est venue, les commandes ont manqué et des industriels ont dû travailler trois jours au lieu de six. Des ouvriers sont venus trouver ces patrons et leur ont dit : si vous ne rétablissez pas le travail pendant six jours, nous nous mettons en grève ; et ils se sont mis en grève ; ce qui a été excellent pour les patrons. Il arrive que certaines catégories d’ouvriers, en se mettant en grève, spolient d’autres ouvriers. La grève des ouvriers du pétrole de Bakou a privé de travail nombre d’autres ouvriers notamment ceux des chemins de fer dont les machines sont chauffées au pétrole.

    Quand les grèves n’auront plus l’opinion pour elles, elles disparaîtront comme les autres épidémies.

    Il est juste de vouloir améliorer sa situation, mais il ne faut pas que ce soit par des moyens qui portent préjudice à autrui. Suivant l’orateur, la bourgeoisie est responsable de cette épidémie de grèves. Il faudrait faire comprendre aux masses que la grève entraîne une perte, qu’elle empêche une production plus considérable et amène de la misère. Les ouvriers ont un horizon un peu restreint, il faut faire leur éducation sur ce point.

    Quand les grèves n’auront plus l’opinion pour elles, elles disparaîtront comme les autres épidémies, le choléra, la peste. Le jour, conclut M. Novicow, où on aura une juste notion de la richesse qui est l’adaptation des choses de la nature aux besoins de l’homme, les grèves ne seront plus aussi populaires et aussi fréquentes.

    M. Levasseur ne pouvant assister à la séance a adressé au secrétaire perpétuel la lettre suivante dont celui-ci a donné lecture :

    « Mon cher secrétaire perpétuel,

    Je regrette de ne pas être à la séance de samedi. La question m’intéresse beaucoup.

    J’ai toujours pensé et écrit — récemment encore dans Salariat et salaires — qu’il n’y avait pas à proprement parler de droit de grève.

    La grève a été autrefois en France, comme dans beaucoup d’autres pays, un délit. Elle ne l’est plus, c’est un acte libre, comme beaucoup d’actes de la vie civile. L’ouvrier donne moyennant salaire ou cesse de donner son travail et il le peut quand il a rempli ses engagements sans que personne ait le droit de l’en empêcher. Il peut le faire de concert avec d’autres ouvriers et former pour cela des coalitions : l’association aujourd’hui est libre. Tout cela relève du droit commun.

    Si des ouvriers en grève attentent par des violences et des menaces à la liberté d’autres ouvriers, il y a oppression de la liberté et délit prévu par des articles spéciaux du Code pénal. Mais cela ne constitue pas un droit de grève, non plus que les articles de ce code qui punissent les délits, ne constituent un droit au vol.

    Il en est de même des violations de la propriété des patrons. Ce sont des délits de droit commun.

    « Il y a, suivant moi, un grave inconvénient à parler de droit de grève. Il semble qu’on autorise par là des actes que le droit commun réprouve et punit. Il n’y a pas de droit à la brimade, à l’intimidation, à la violence.

    Votre affectionné collègue.

    E. Levasseur. »

    M. Souchon déclare ne pouvoir qu’appuyer les remarques faites par le doyen de la Faculté de Caen ; mais il insiste sur la difficulté de trouver une sanction à l’obligation de respecter le délai de préavis comme à l’interdiction de la grève dans les services publics. Le gouvernement n’aurait qu’à révoquer le fonctionnaire, mais cette sanction n’est pas faite pour beaucoup émouvoir, quand, comme cela s’est produit dans une grève récente, un des meneurs déclare avoir été cinq fois révoqué. Le remède n’est pas tant dans une formule de droit que dans la mentalité du gouvernement. On pourrait, il est vrai, décharger le gouvernement de ce devoir et faire de la grève un délit pénal. Les parquets poursuivraient peut-être.

    Quand il s’agit de grèves dans des services d’intérêt public, la question est très complexe. Il n’est pas douteux que la grève doit être interdite dans les services du gaz, de l’électricité, de l’eau ; mais pour les boulangers, la question est plus délicate. Si dans cette hypothèse on dit que c’est une grève d’un service d’intérêt public, toutes les grèves vont être des grèves de services d’intérêt public.

    Cette recherche de la grève punissable peut, dit l’orateur, nous conduire à une autre idée. Prenant la catégorie des grèves agricoles, M. Souchon montre qu’il y a ici non seulement une grève, mais une destruction de récolte. Le fait que les ouvriers renoncent à travailler au moment où il faut rentrer le blé, faire la vendange, etc., peut entraîner la perte de la récolte, mettre en péril ce qu’on a mis toute une année à préparer. On pourrait, semble-t-il, assimiler ces destructions négatives à des destructions positives, la récolte perdue ainsi à la récolte incendiée et punir aussi cette destruction négative.

    Le mal que se font à eux-mêmes les ouvriers.

    M. Courcelle-Seneuil montre le mal que se font à eux-mêmes les ouvriers par les procédés qu’ils emploient maintenant dans les grèves et il insiste sur l’avènement de cette nouvelle féodalité qui détruit toute sécurité.

    La question se pose, dit-il, de savoir comment amener à soi les masses. Il faut aller à elles et par des exemples pris dans des grèves du sud-ouest, l’orateur fait sentir comment on peut faire cette éducation. Ce n’est pas d’ailleurs des masses seules qu’il faut se préoccuper, mais aussi des dirigeants et l’opinion qui a été complice des méfaits récents peut faire beaucoup pour éviter le retour de pareils faits dans l’avenir.

    M. Yves Guyot dit que si le droit de grève n’a pas été proclamé par la loi de 1864, elle a reconnu le droit de suspendre le travail collectivement ; mais elle n’a pas supprimé les garanties de droit commun, telles que celle du préavis dont M. Souchon lui paraît faire trop bon marché. Les industriels doivent se servir de la plénitude de leur droit et chacun ne doit pas se dire : « Je me tirerai toujours d’affaire. Tant pis pour les autres. » Sans doute, ils ne sont pas certains que les juges appliqueront la loi. Cela tient à ce que les magistrats ne se sentent pas soutenus par la Place Vendôme qui a peur des membres du Parlement qui ont peur des socialistes.

    Mais ce n’est pas d’hier qu’on s’est préoccupé de l’interdiction de la grève dans certains cas. Le conspiracy act anglais de 1874, cité par M. Villey, en est une preuve. M. Souchon admettait qu’elle ne faisait pas de doute pour les services publics, mais il demandait comment reconnaître parmi les services d’intérêt public ceux dans lesquels le droit de grève devrait être prohibé.

    M. Yves Guyot rappelle qu’en 1892, au moment de la chute du ministère dont il faisait partie, il venait de recevoir l’autorisation de déposer un projet de loi portant interdiction de la grève pour les salariés de certaines professions : pour reconnaître ces professions, il y a un criterium très précis. Là où le salariant est chargé d’un service qu’il ne peut pas interrompre, les salariés ne peuvent avoir le droit de le suspendre : tels sont les transports en commun dans une ville, les chemins de fer, les services maritimes postaux, les services d’eau, de gaz, d’électricité, etc.

    M. Yves Guyot publiera dans le Journal des Économistes , du 15 juillet, un article de M. J.-J. Feely, paru dans la North american review , sur la jurisprudence de la Cour suprême du Massachusetts au point de vue de la limitation du droit de grève.

    Il considère qu’il est limité :

    1. Par le droit du corps politique d’assurer sa sécurité
    2. Par les droits égaux des autres individus

    La Cour suprême du Massachusetts se demande :

    1. Si le but de l’Union est illégal. Elle n’admettrait pas l’existence de la Confédération générale du travail
    2. Si le but étant légal, les moyens le sont

    Ont été jugées comme ayant un objet illégal les grèves se proposant :

    1. D’obtenir le monopole dans un métier
    2. De créer ou de maintenir un marché fermé
    3. De soutenir une autre grève par sympathie
    4. De provoquer le renvoi d’un ouvrier sous prétexte qu’il n’appartient pas à une union
    5. De forcer un tiers à violer un contrat
    6. De violer un contrat obligeant le gréviste
    7. D’obtenir la perception d’une amende imposée à un employé dans le but de le forcer de prendre part à la grève
    8. De forcer l’employeur à accepter les règles d’arbitrage faites exclusivement par l’Union
    9. D’intervenir illégalement pour empêcher les employeurs d’accéder librement au marché du travail libre.

    C’est un préjugé français de croire que les grévistes sont au-dessus de toutes les lois, et M. Villey a raison de le combattre.

    M. Watelet regrette de ne pas partager l’avis de M. Yves Guyot sur l’individualisme outré qu’il prête aux chefs d’industrie.

    Ils s’entendraient volontiers pour faire entrer le droit de grève dans son juste exercice ; ce qui leur manque, c’est la confiance dans l’efficacité des protestations. C’est au juge de paix qu’ils les devront porter la plupart du temps. Mais lorsqu’on voit l’autorité impassible devant les abus et même les attentats qui se pratiquent à la liberté du travail, sans cesse et partout, peut-on espérer d’un juge amovible et modeste qu’il en contrecarre la tendance ?

    La crainte du député et d’autres influences secondaires est assez justifiée pour leur faire craindre un déplacement. Cet état de dépendance s’accuse dans les questions d’accidents ou de contraventions relatives au travail. D’autres régions sont pourvues de conseils de prudhommes, composés pour moitié, on le sait, d’éléments ouvriers et patronaux. L’opinion des premiers se manifeste invariablement dans les solutions où doit primer l’intérêt de leurs camarades ; les seconds n’y trouveront donc pas plus de sécurité. En cas de partage, c’est le juge de paix qui y mettra fin ; mais là encore, son indépendance se trouve mise en échec. Aussi la responsabilité effective qu’on attend du contrat collectif et de toutes autres mesures seront-elles vaines si une sanction judiciaire fait défaut.

    Une caisse pour lutter contre les grèves.

    M. Renaud rappelle la création par l’Union des industries métallurgiques d’une caisse pour lutter contre les grèves.

    Quand une grève éclate dans l’un des établissements affiliés, la caisse paie à cet établissement ses frais généraux et on peut remarquer que les grèves ont diminué dans cette industrie. Une organisation analogue existe entre les sociétés de taxi-autos de Paris. Un jour les chauffeurs d’une société se mettent en grève ; cette société ayant ses frais généraux payés par la caisse a annoncé qu’elle ne confierait de voitures à ses chauffeurs qu’au bout d’un certain délai ; elle était maîtresse de la situation.

    M. Paul Leroy-Beaulieu remercie les orateurs qui ont pris part à la discussion et ont contribué à la rendre si brillante. Ce qui paraît ressortir du débat, dit-il, c’est qu’il n’y a pas de droit de grève et qu’il est difficile de trouver des sanctions aux excès des grèves. Cependant, il n’est pas indifférent de proclamer que tel fait est défendu.

    Dans une grève, fait remarquer l’orateur, les intéressés ne sont pas seulement les ouvriers et les employeurs, il y a aussi le public. Il est vrai qu’il y a un écran, le patron, qui fait qu’on ne voit pas le public. Or, c’est lui qui le plus souvent pâtit des grèves, et ce public semble aujourd’hui s’en rendre compte. Du reste, dans un pays comme la France, les ouvriers ne sont pas la majorité et les non-ouvriers s’aperçoivent qu’on les abandonne et la bourgeoisie qui était favorable aux grévistes, il y a une vingtaine d’années, ne professe plus maintenant les mêmes sentiments.

    La grève de l’électricité, qui s’est produite à Paris, a beaucoup contribué à soulever l’opinion publique contre les grévistes et cette orientation nouvelle de l’opinion peut avoir une grande importance pour enrayer les errements actuels qui sont des plus fâcheux. Tout récemment il a été rappelé que trente grévistes poursuivis devant la Cour d’assises de la Somme pour avoir incendié l’usine et la demeure de leur patron, à Fressenneville, avaient échappé à toute répression, une loi d’amnistie étant intervenue qui arrêta les poursuites.

    « Restaurer les droits individuels »

    M. Leroy-Beaulieu pense que dans le cours du XX e siècle, il sera peut-être nécessaire de faire une nouvelle révolution, — il faut l’espérer pacifique — pour restaurer les droits individuels. En ce moment, voici que les syndicats s’opposent les uns aux autres. Les syndicats ne sont pas sans présenter des inconvénients, mais puisque syndicats il y a, il est bon qu’il y en ait qui s’opposent.

    Il est probable que les 200 députés nouveaux que les dernières élections ont envoyés au Palais-Bourbon ne se mettront pas de si tôt à faire des lois d’amnistie comme celles qu’on a eu l’imprudence d’accumuler au cours de la dernière législature et dont l’effet a été déplorable. Il y a quelque chance d’avoir de ce côté une certaine amélioration, précisément parce qu’il y a maintenant un teritus dolens , le public, qui s’aperçoit qu’il est lésé.

    La séance est levée à 11 heures.

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      Ce que Thomas Jefferson entendait par « la recherche du bonheur »

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 6 March, 2023 - 03:30 · 7 minutes

    Par Barry Brownstein.

    L’idée de la « poursuite du bonheur » est dans l’ADN de notre société. Pourtant, ce « droit inaliénable », immortalisé dans la Déclaration d’indépendance a souvent laissé perplexe. Que voulait dire exactement Jefferson ?

    La plupart des gens pensent que le bonheur consiste à se sentir bien mais ce n’est pas ce que Jefferson voulait dire. Plaisir et bonheur ne sont pas synonymes. Notre bonheur ne dépend pas du fait que tout se passe bien dans notre vie ou que nous obtenions ce que nous voulons.

    Dans son article intitulé « The Origins of the Pursuit of Happiness » (Les origines de la poursuite du bonheur), Carli Conklin observe l’incompréhension générale de la société quant à la nature du bonheur. Pour Jefferson « le droit inaliénable à la poursuite du bonheur » ne confère pas un « droit absolu de poursuivre ce qui nous fait du bien ».

    Conklin décrit Jefferson comme un « écrivain méticuleux et réfléchi et un défenseur des droits et des devoirs de l’homme » qui n’aurait pas inclus une phrase approximative dans une « déclaration tout à fait particulière des droits naturels et politiques de l’Homme. »

    Jefferson a été influencé par les Commentaries on the Laws of England de William Blackstone.

    Conklin écrit à propos de l’argument de Blackstone :

    « La poursuite du bonheur est la principale voie par laquelle les hommes peuvent connaître et ensuite appliquer la loi de la nature telle qu’elle se rapporte aux humains. » Blackstone lui-même a écrit que les individus peuvent « découvrir […] ce que la loi de la nature dirige dans chaque circonstance de la vie ; en considérant quelle méthode tendra le plus efficacement à notre propre bonheur substantiel ».

    Conklin a clarifié les implications de l’argument de Blackstone :

    « En ce sens le bonheur est synonyme du concept grec d’ eudaimonia ; il évoque un sentiment de bien-être ou un état d’épanouissement qui est le résultat d’une vie convenable ou vertueuse. »

    Jefferson a fait sienne cette signification du bonheur. Dans une lettre adressée à sa fille aînée Martha (Patsy), il lui conseille de mener une vie vertueuse, qui est la clé du bonheur.

    Il lui écrit : « L’ennui est le poison le plus dangereux de la vie ». Selon lui, l’antidote consiste à « développer quotidiennement ces principes de vertu et de bonté qui vous rendront précieux pour les autres et heureux en vous-mêmes. » Jefferson ne laisse aucune place au doute quant aux moyens de parvenir au bonheur : « La santé, le savoir et la vertu assureront votre bonheur ; ils vous donneront une conscience tranquille, l’estime privée et l’honneur public. »

    En nous renvoyant à Blackstone, Conklin s’exprime ainsi :

    « Plutôt que d’être fugace ou temporel, ce bonheur est réel et substantiel. Il est réel en ce sens qu’il n’est pas fictif ; pas imaginaire ; [mais] vrai ; authentique. Il est substantiel en ce qu’il se rapporte à la substance ou à l’essence de ce que signifie être pleinement humain. Ainsi, pour Blackstone, rechercher le bonheur, c’est rechercher une vie convenable ou bien ordonnée, en harmonie avec la loi de la nature telle qu’elle s’applique à l’homme. »

    La sagesse de Blackstone et de Jefferson est conforme aux dernières recherches universitaires sur le bonheur. Une fois que nous avons dépassé les nécessités de la vie – et non, ces nécessités n’incluent pas les voitures électriques – les changements hédoniques ou autres dans les circonstances de la vie ont peu d’impact sur le bonheur. Une chercheuse, Sonja Lyubomirsky, a expliqué que « le bonheur, plus que toute autre chose, est un état d’esprit, une façon de se percevoir et de s’approcher de soi-même et du monde dans lequel nous résidons ».

    Leonard Read pensait que la poursuite du bonheur était un processus spirituel.

    Dans son livre Elements of Libertarian Leadership , il écrit :

    « Nous ne sommes vraiment heureux que lorsque nous sommes dans un état perpétuel d’éclosion, notre propre conscience s’ouvrant à la Conscience Infinie. »

    Par éclosion , Read fait référence aux idées du philosophe grec Héraclite qui croyait, selon les mots de Read, que « nous sommes des créatures en transit. Nous ne pouvons pas dériver tels que nous sommes en étant de petits êtres joyeux ; nous devons grandir et si nous ne le faisons pas nous nous décomposons ».

    Le célèbre auteur de Man’s Search for Meaning , Viktor Frankl, a souligné que le bonheur doit être obtenu indirectement en menant une vie qui a du sens. Dans son livre Yes to Life : In Spite of Everything , il explique que la vie ne consiste pas à obtenir ce que nous voulons : « Le plaisir en lui-même ne peut pas donner un sens à notre existence ; ainsi, l’absence de plaisir ne peut pas enlever un sens à la vie. »

    Frankl soutient que « le bonheur ne devrait pas, ne doit pas et ne pourra jamais être un but mais seulement un résultat, le résultat de l’accomplissement du devoir. »

    Dans la lignée de Blackstone et de Jefferson, Frankl nous conseille d’« effectuer une révolution copernicienne », un virage conceptuel à 180 degrés, après lequel la question ne peut plus être « Que puis-je attendre de la vie ? » mais seulement « Qu’est-ce que la vie attend de moi ? Quelle tâche dans la vie m’attend ? »

    Dans Anna Karénine, le Vronsky de Léon Tolstoï fait l’expérience de l’ennui contre lequel Jefferson met en garde. Après avoir obtenu l’amour d’Anna Karénine, Vronsky « sentit bientôt que la réalisation de ses désirs ne lui donnait qu’un grain de la montagne de bonheur à laquelle il s’attendait… Il fut bientôt conscient qu’il y avait dans son cœur un désir de désirs – l’ennui. Sans intention consciente, il commença à s’accrocher à chaque caprice qui passait, le prenant pour un désir et un objet. »

    Tolstoï a mis en lumière la leçon selon laquelle une vie qui tourne autour de la satisfaction de soi ne fonctionne pas : l’accomplissement de Vronsky « lui a montré l’erreur éternelle que commettent les hommes en s’imaginant que leur bonheur dépend de la réalisation de leurs désirs ».

    Pourquoi est-il important que la « poursuite du bonheur » soit si souvent mal comprise ?

    Il n’existe aucun droit au bonheur ; en tout cas, les autres ne sont pas obligés de vous rendre heureux. Vous êtes libre de poursuivre le bonheur si vous ne piétinez pas les droits des autres à poursuivre leur bonheur.

    Le regretté pasteur et auteur Hugh Prather avait prévenu :

    « Le malheur, c’est le manque de concentration, l’agitation et surtout la peur. N’ayant aucune intégrité, aucune direction intérieure calme, il prend ses repères à partir de n’importe quel problème perçu comme étant devant lui maintenant. »

    Lorsque nous recherchons le bonheur, nous avons la responsabilité d’éliminer les obstacles au bonheur que nous nous sommes créés. Pointer du doigt les autres tout en « restant inconscient de nos schémas de pensée les plus sombres » est un obstacle au bonheur. Au contraire, Prather nous encourage à prendre conscience de nos « pensées mesquines, malveillantes et embarrassantes ».

    Prather nous conseille d’examiner comment nous utilisons le temps. Avons-nous un but utile ? Si ce n’est pas le cas, nous « tournons en rond […] et rebondissons de façon désordonnée et sans espoir sur tous les changements que le temps apporte ». Ce faisant, la preuve de notre « insignifiance et de notre inefficacité » s’accumule. Le mécontentement grandit.

    Se sentant malheureux, on peut penser que quelqu’un ou quelque chose d’autre doit être responsable. Ce sont eux, et non moi, qui sont dénués de vertu. Ne pas comprendre la véritable nature du bonheur favorise l’irresponsabilité et menace la liberté .

    Une société dont la population est moins disposée à rechercher le bonheur, au sens où Jefferson, Blackstone et Frankl l’ont conseillé, est une société dans laquelle les autoritaires populistes se multiplient pour exploiter le vide. Les autoritaires et les collectivistes vont pointer du doigt une myriade de « problèmes » faisant obstacle au bonheur et nous assurer qu’ils ont des solutions.

    Le bonheur est un travail interne, et ceux qui en comprennent la nature cultivent des vertus intemporelles qui mènent à une vie pleine de sens et d’objectifs. Aujourd’hui, plus que jamais, la poursuite du bonheur est essentielle à la préservation de la liberté.

    Sur le web

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      Les corsaires et les Pays-Bas bourguignons : incubateur de la liberté ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 5 March, 2023 - 03:40 · 3 minutes

    La liberté des mers ( Mare Liberum ) est née dans la lointaine Europe lorsque Grotius , père du droit  international, a préconisé ce concept pour libérer la domination de l’Empire de Philippe II d’Espagne  sur les villes commerçantes péninsulaires de la mer du Nord et leur accès aux marchés en expansion  des Indes orientales.

    Le processus d’émergence des Provinces Unies, État prédécesseur de l’actuel Royaume des Pays-Bas et le premier État-nation néerlandais entièrement souverain relève d’une histoire maritime très  complexe qui a façonné tant la mer du Nord que l’océan Indien.

    Rappelons que les Pays-Bas bourguignons sont le nom donné, a posteriori, aux provinces des Pays-Bas  historiques acquises par les ducs de Bourgogne de la maison de Valois-Bourgogne puis par les Habsbourg , entre les XIV e et XVI e siècle. Leur territoire couvrait la majeure partie des Pays-Bas, de la  Belgique, du Luxembourg et des Hauts-de-France. Ce vaste espace maritime était relié par des jeux  d’alliance à des territoires qualifiés de « pays de par-deçà » : des possessions plus méridionales de  Bourgogne et Franche-Comté. Ces derniers seront officiellement unis par la Pragmatique Sanction que  leur confère Charles Quint en 1549. En 1555, ils seront légués à Philippe, roi des Espagnes à partir de  1556, et formeront les Pays-Bas espagnols.

    Dotée d’une lanterne de phare, la Tour octogonale du Leughenaer (ancienne graphie néerlandaise)  rappelle une autre ère de changements et de retournement favorable à Dunkerque comme à d’autres  villes de Flandres.

    Jan Bart, corsaire des Pays-Bas bourgignons

    « C’est du pied de ces remparts bourguignons de 1405 que de nombreux corsaires  cinglèrent vers des combats héroïques où ils portèrent très haut le renom de la France et de leur cité  natale. » peut-on ainsi lire en contemplant le monument le plus ancien de la ville natale de Jean Bart, en flamand Jan Bart ou Jan Baert, né le 21 octobre 1650, descendant d’une famille d’armateurs à la course.

    La jeunesse de ce corsaire hors du- commun ayant appris le métier à 12 ans est exceptionnelle. À 16  ans, il s’engage chez les Hollandais, alliés à la France à cette époque, sur « le plus beau bâtiment de la  marine hollandaise », Les Sept Provinces . Sa grande habileté résume peut-être aussi l’influence  interculturelle qui jouera en faveur de la suprématie hollandaise sur l’océan Indien (XVII e siècle). Née  d’une lutte contre l’Espagne, la vocation maritime et commerciale des Provinces-Unies s’est ouverte  sur l’océan Indien via la route des épices, sur le chemin exploratoire des Portugais et avec l’aide  involontaire des Anglais qui avaient anéanti l’Invincible Armada espagnole en 1588.

    Un élément de cet essor reste largement négligé. Les avancées horlogères et la marine sont liées.  L’apparition des premières horloges maritimes qui conservaient la mesure du temps même sur un  navire en mouvement fut une révolution. Elles permirent aux marins de se positionner en mer avec  une très grande précision. Le métier d’orloger (sans H) remonte à l’époque de Charles Quint qui va  recruter des orlogeurs pour le réglage des canons. Des horlogers maîtrisant la gravure des platines en  laiton ont pu être chargés de la fabrication d’instruments de pointage ou de calcul, comme les équerres  à fil à plomb ou les compas de proportion « de Galilée » permettant toute sorte de calculs et qui  comportaient souvent des échelles destinées à un usage en artillerie.

    En somme, dès la fin du Moyen Âge, les aventures vers l’océan Indien ont connu leur première incubation technique et culturelle dans les Pays-Bas bourguignons et ses ports stratégiques comme Dunkerque en particulier, qui faisaient partie de la Bourgogne de Charles le Téméraire qui s’étendait jusqu’en Franche-Comté. Au XVI e siècle, sa lointaine héritière était l’Espagne.

    Entre mer du Nord et océan Indien, voyager dans le temps et les archives nous permet de faire un pont entre les continents. Les enjeux ont-ils changé ? À nous de le découvrir !

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      Comment Margaret Thatcher a vaincu la syndicratie

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 14 February, 2023 - 04:15 · 10 minutes

    À l’heure où le gouvernement britannique se trouve confronté à un vaste mouvement social sur fond d’inflation et de stagnation, de nombreux commentateurs évoquent les combats de Margaret Thatcher . Le Premier ministre actuel, Rishi Sunak, a lui-même invité la comparaison en déclarant l’été dernier : « Je me présente en thatchérien et je gouvernerai en thatchérien. »

    Dans la crise actuelle, quelles leçons peut-on tirer du bras de fer qui opposa le gouvernement de Thatcher aux syndicats il y a quarante ans et plus ?

    Il convient tout d’abord de relativiser le parallèle. Les problèmes du Royaume-Uni en 2023 n’ont pas la profondeur de ceux des années 1970. L’inflation d’aujourd’hui résulte de chocs ponctuels et non de facteurs structurels internes : on peut espérer une stabilisation des prix une fois la crise énergétique et la guerre en Ukraine passées. Les grandes entreprises britanniques d’aujourd’hui ne sont ni sclérosées par les rentes ni plombées par les grèves. Les syndicats n’ont pas la force de frappe qu’ils avaient à une époque où ils faisaient chuter les gouvernements.

    Cette position relativement favorable – si on la compare à celle où se trouvait Margaret Thatcher lors de son arrivée au pouvoir – est précisément la conséquence de son action. Sa victoire durable sur la syndicratie s’est accomplie en trois temps.

    Une victoire en trois temps

    Le premier moment fut celui du carcan législatif. Les gouvernements des années 1970 s’étaient montrés impuissants à enrayer une spirale inflationniste dont ils étaient conscients. Durant le fameux « Hiver du Mécontentement » de 1978-79 le Trade Union Congress (TUC) avait paralysé le pays pour obtenir des hausses de salaires de 10 % alors que Premier ministre travailliste James Callaghan voulait s’en tenir à 5 %.

    Pour défendre l’État et le citoyen face au chantage syndical, le gouvernement Thatcher a entrepris d’encadrer le droit de grève par la loi. Les réformes du début des années 1980 ont interdit des pratiques telles que le secondary picketing : sous prétexte de « solidarité », les centrales avaient recours à des troupes de choc – les flying pickets – intervenant d’usine en usine pour empêcher toute reprise du travail. Désormais, chacun était en droit d’agir contre son employeur, mais pas celui des autres.

    Par ailleurs, la réforme instaurait le bulletin secret dans l’élection des dirigeants syndicaux comme pour les grèves : la pratique trotskiste de la main levée disparaissait. Enfin, le législateur s’attaquait au dispositif du closed shop par lequel, dans des pans entiers de l’industrie, tout travailleur était tenu d’être syndiqué. Cette mainmise sur l’embauche constituait non seulement une source de revenu garantie pour les syndicats mais surtout un formidable moyen de pression : en se désolidarisant d’un mouvement social, un employé risquait l’expulsion, donc la perte de son emploi.

    Thatcher se défendait de vouloir détruire le syndicalisme. Elle partait de l’idée que la majorité des adhérents n’était pas des extrémistes : pour rompre l’emprise des intégristes du TUC, il fallait donner la parole à la base.

    Notons que ces mesures qui se résument au remplacement de la stratégie des gros bras par la démocratie interne, n’avaient rien de radical. Les gouvernements antérieurs de droite comme de gauche avaient esquissé des initiatives dans ce sens. Même sur le closed shop, la nouvelle législation se limitait à instaurer des dédommagements pour les travailleurs exclus d’un syndicat. Le monopole d’une union sur la main-d’œuvre d’une entreprise ne sera aboli que sous John Major, le successeur de Margaret Thatcher.

    La volonté d’agir

    Ce qui distingue la Dame de fer de ses prédécesseurs n’est donc pas l’hostilité à l’hyperpuissance syndicale mais la volonté d’agir. Nous touchons là au deuxième volet de son action contre les grévistes : la fermeté. Une fois le cadre légal posé, elle était résolue à triompher de ceux qui cherchaient à s’en affranchir.

    Elle en donna la preuve éclatante lors du conflit avec des mineurs de 1984-85. On a souvent reproché à Thatcher d’avoir cherché l’épreuve de force. Elle s’y était assurément préparée, mais l’initiative en revient d’abord à Arthur Scargill, chef du syndicat de mineurs, la National Union of Mineworkers (NUM). Ce marxiste de stricte observance était convaincu d’incarner le pays réel face à un capitalisme corrompu. Après la réélection de Thatcher en 1983, il se pose en fer de lance de la résistance à des institutions jugées illégitimes. « L’action extraparlementaire, déclare-t-il, est la seule voie ouverte à la classe ouvrière et au mouvement travailliste. »

    Un an plus tard, lorsqu’il s’insurge contre la fermeture des mines de charbon déficitaires, Scargill ne cache pas le caractère politique du mouvement : « C’est le coup d’envoi d’une campagne pour changer de direction et se débarrasser du gouvernement conservateur. »

    Scargill fut l’adversaire rêvé pour Thatcher. Extrême en paroles, il l’était aussi dans ses buts et ses méthodes. Il exigeait le maintien des puits quelle que soit leur rentabilité, jusqu’à l’épuisement des gisements, voire au-delà. La grève fut déclarée par la NUM sans consultation en bonne et due forme. Cela renforça le gouvernement dans sa fermeté : il était clair que beaucoup de mineurs ne partageaient pas la ligne dure de Scargill et qu’il craignait de se voir désavouer par sa base.

    Les divisions au sein du mouvement éclatèrent dès le début, en mars 1984, lorsque les mineurs du Nottinghamshire votèrent à une large majorité pour la poursuite du travail. Dans une manœuvre encore une fois illégale, Scargill dépêcha ses commandos de flying pickets pour en découdre avec les « jaunes » et la police. Thatcher qualifiera ces incidents de « tentative de substituer la loi de la populace à la règle de droit ».

    On peut qualifier d’intransigeante sa position tout au long de la crise. Il est également vrai que les forces de l’ordre ont commis des brutalités contre les grévistes. Mais en fin de compte, Thatcher fit plier Scargill en démontrant que c’était bien elle, et non lui, qui représentait le pays, notamment les classes populaires. Son autorité tirait sa force de sa légitimité.

    La voie de la privatisation

    Le troisième temps fort de sa lutte contre les syndicats fut à long terme le plus efficace : il s’agit des privatisations. Notons que le programme conservateur de 1979, axé sur la rigueur budgétaire et monétaire, n’en parle pratiquement pas. Ce n’est qu’au cours des années 1980 que prend corps l’idée de vendre les industries nationalisées durant l’après-guerre.

    Il faut souligner ce que ces mesures ont de révolutionnaire : aucun pays n’avait jusque-là envisagé et encore moins tenté l’expérience. De plus, Thatcher s’y est attachée à une période où sa politique n’avait pas encore porté ses fruits. Il fallait avoir les reins solides pour lancer ces privatisations en 1981, au milieu d’une récession qui provoquait des émeutes dans tout le pays. Et il fallait une foi indestructible pour accélérer le mouvement en 1985-86, alors que le chômage dépassait 12 %, que la popularité du Premier ministre était au plus bas et qu’elle était contestée au sein même de son cabinet.

    Malgré ce contexte peu propice, la révolution a bien eu lieu. L’aérospatiale, la construction automobile, les transports aériens, les télécoms, l’acier, le gaz, l’eau : au total une quarantaine de grandes entreprises sont passées au privé sous Thatcher. Le secteur nationalisé qui représentait 10 % du PIB britannique en 1980 ne pesait que 3 % dix ans plus tard.

    Libérés du cocon étatique, des entreprises en faillite ont appris à voler de leur propre ailes. Le sidérurgiste British Steel, le transporteur British Airways, pour ne prendre que deux gouffres à subventions des années 1970, ont fini par contribuer au redressement des comptes publics plutôt que de les plomber. Dans les secteurs non-compétitifs – comme les chantiers navals – les privatisations ont accéléré des fermetures (en cours de longue date), libérant les capitaux et l’emploi vers des usages productifs.

    Les ventes d’actions aux citoyens à prix avantageux ont par ailleurs institué un véritable capitalisme populaire : en quatre décennies le nombre d’actionnaires au Royaume-Uni est passé de trois millions à douze millions. Le succès des privatisations à la britannique en fera un modèle copié de par le monde.

    Outre l’impact purement économique, le retrait de l’État de l’appareil productif constitue un changement de paradigme qui a cassé l’absolutisme syndical. Soumise à la discipline du marché, une entreprise n’a ni la marge de manœuvre ni le pouvoir de nuisance nécessaires au maintien de mesures restrictives.

    La Grande-Bretagne compte aujourd’hui 6,5 millions de syndiqués – moitié moins qu’en 1980. En termes de journées perdues pour cause de grève, la chute est encore plus spectaculaire : d’une moyenne de 13 millions par an dans les années 1970, on est passé à quelques centaines de milliers, tout au plus, depuis 30 ans.

    Aujourd’hui, seul le secteur public affiche un taux de syndicalisation important (50 %). Les grèves actuelles sont particulièrement suivies dans l’enseignement, la santé, les secours d’urgence et la fonction publique. La mobilisation est également notable dans les transports où de nombreux acteurs sont privés. Mais ce secteur est loin d’être concurrentiel : dans les chemins de fer, l’infrastructure est aux mains de l’État qui accorde des monopoles sur le long terme à des opérateurs qu’il subventionne.

    Rishi Sunak peut-il s’inspirer de Margaret Thatcher dans l’affrontement avec les grévistes ?

    Pour ce qui est du cadre législatif, la marge est limitée. Déjà en 1997, Tony Blair se vantait d’avoir mis en place « les lois sur les syndicats les plus restrictives du monde occidental « . On voit mal comment le gouvernement conservateur peut les restreindre davantage – d’autant moins que les grèves relèvent de conflits classiques (salaires, conditions…) et non de l’insurrection. Tout au plus Sunak prévoit-il d’instaurer un niveau de service minimum dans certains secteurs publics, à l’instar de la France et d’autres pays du continent.

    En matière de recours au privé, les possibilités d’action sont en principe plus amples. Malgré les réalisations de l’ère Thatcher, la Grande-Bretagne n’est pas le paradis – ou l’enfer – néolibéral que beaucoup imaginent. Ainsi en matière d’enseignement, il n’y a pas d’équivalent aux écoles sous contrat à la française : une independent school ne saurait bénéficier d’aide de l’État. Pas étonnant que ces établissements privés accueillent trois fois moins d’élèves que leurs homologues français. Le monopole de l’école publique sur des deniers publics accroît naturellement le pouvoir des syndicats d’enseignants britanniques.

    La France est également plus libérale que le Royaume-Uni dans le domaine des ambulances. Près de 80 % de nos ambulanciers dépendent du privé avec un taux de syndicalisation très faible. Même dans les urgences, affirme Bruno Basset de la Fédération Nationale des Ambulanciers Privés, la moitié des transports sont assurés par de petits opérateurs. En Grande-Bretagne, où règne le culte du National Health Service , le secteur public est largement majoritaire. Selon Alan Howson, patron de l’ Independent Ambulance Association , à peine 10-15 % des urgences en Angleterre sont sous-traitées au privé. Résultat : depuis six mois, les services ambulanciers sont touchés par des grèves à répétition qui n’ont pas d’équivalent en France.

    Toutefois, il n’est pas question pour le gouvernement de s’attaquer aux monopoles du secteur public, que ce soit dans l’enseignement ou la santé. Rishi Sunak n’est pas l’homme de la rupture. Technocrate compétent, il n’est ni animé par la foi qu’exige le changement de paradigme, ni auréolé par le suffrage populaire. Il gère les affaires au nom d’un parti conservateur usé par 13 ans de pouvoir.

    On peut néanmoins espérer qu’il montre assez de fermeté pour faire face à des défis sociaux mineurs par rapport à ceux qu’a connus le pays dans les années 1970 et 1980. Sunak saura peut-être su diriger le pays « en thatchérien », mais il n’aura pas gouverné en Thatcher.

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      RIP, Yuri Maltsev

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 2 February, 2023 - 03:40 · 2 minutes

    Par David Gordon.

    Je suis désolé de devoir annoncer le décès de Yuri Maltsev. Il était professeur d’économie au Carthage College dans le Wisconsin. Il a occupé divers postes au gouvernement et dans la recherche à Moscou, en Russie. Avant de faire défection aux États-Unis en 1989, il était membre d’une équipe économique de haut niveau qui a travaillé sur le paquet de réformes du président Mikhail Gorbachev , la perestroïka. Avant de s’installer dans le Midwest, il a été chercheur principal à l’Institut de la paix des États-Unis à Washington, DC, une agence de recherche fédérale américaine.

    Son travail consistait à informer les membres du Congrès et les hauts fonctionnaires de l’exécutif sur des questions de sécurité nationale et d’évaluation économique et militaire étrangère. Il a également témoigné devant le Congrès américain et est apparu sur CNN, PBS NewsHour, C-SPAN, CBC et d’autres programmes de télévision et de radio américains, canadiens, espagnols, sud-africains et finlandais. Il a écrit et coécrit quinze livres et plus d’une centaine d’articles. Il a reçu le Luminary Award de la Free Market Foundation et a été Senior Fellow du Mises Institute.

    J’ai rencontré Yuri pour la première fois lors d’une conférence Mises au début des années 1990 et j’ai été immédiatement frappé par sa chaleur et sa bonne humeur. Lors de ses fréquentes interventions lors des événements Mises, il offrait un regard de l’intérieur sur les échecs de la planification socialiste, présentant de manière vivante l’argument du calcul de Ludwig von Mises devant son public, et pour cela il était très apprécié par Murray Rothbard . Maltsev a enseigné pendant de nombreuses années à l’université Mises, où il était très populaire auprès des étudiants et a noué des amitiés durables avec un certain nombre d’entre eux.

    Yuri aimait la vie et avait toujours des histoires drôles à raconter sur les nombreuses aventures de sa vie et sur les personnes qu’il avait connues, comme l’économiste russe Yegor Gaidar, qu’il appelait l’économiste le plus gros du monde. Il a un jour sorti de son manteau les six ou sept passeports qu’il utilisait, dont beaucoup portaient des noms différents. Mais derrière son humour se cachait une dévotion constante pour le marché libre et la liberté individuelle.

    Ces dernières années, il a dû faire face à de graves problèmes de santé mais il a toujours réussi à les surmonter, et ses amis pensaient qu’il était indestructible. Il va me manquer.

    Sur le web

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      Zinoviev : un logicien contre le communisme

      Pascal Avot · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 17 January, 2023 - 03:50 · 10 minutes

    Spoiler alert : Alexandre Zinoviev a fini fou à lier. Mais cette triste conclusion éclaire sur le parcours extraordinaire de cet écrivain à nul autre pareil, un des plus grands dissidents du XX e siècle, certainement le plus drôle et le plus étrange. Elle guidera notre visite de sa grande aventure intérieure, politique et idéologique.

    Si l’on considère que la tragédie se définit par une belle intention qui dégénère en catastrophe, Alexandre Alexandrovitch Zinoviev en est l’incarnation dans la sphère intellectuelle. Il est un héros et un monstre. On sent en lui un genre de pureté empoisonnée. Sa prodigieuse intelligence est un piège où il est tombé tout entier. Et sa mégalomanie galopante signale une âme terriblement torturée. Plus on l’aime, plus on le craint. Plus on s’en méfie, plus on le lit. Son cerveau est fascinant.

    Bienvenue dans le plus génial des very bad trips de l’histoire de l’anticommunisme.

    Une jeunesse en milieu totalitaire

    Zinoviev naît en 1922 à Pakhtino, en Russie. Son père est peintre en bâtiment, sa mère travaille aux champs. Dès son entrée à l’école, il fait preuve de capacités hors normes. Très tôt, il prend le communisme en détestation et se lance dans la dissidence. À 17 ans, il intègre l’Université de Moscou, en philosophie, mais en est rapidement exclu : le jeune homme au visage d’acteur et eux neurones de champion d’échecs se montre trop critique vis-à-vis du pouvoir soviétique. Il est arrêté, emmené au quartier général du KGB dont il s’évade. Un héros est né. Il erre d’abord dans l’immensité russe sous de fausses identités, puis se porte volontaire pour combattre sur le front de l’Est. Il est successivement fantassin tankiste, aviateur, décoré de l’Ordre de l’Étoile Rouge.

    Quand la guerre se termine, il reprend ses études de philosophie à Moscou. Son intellect d’élite fonctionne à plein régime. Diplômé, il crée un cercle de logiciens. En 1960, il est nommé directeur de la chaire de logique à l’Université d’État de Moscou. Il devient un des plus grands logiciens de sa génération, à la réputation internationale. Mais son opposition au communisme perdure. Il se fait remarquer pour son indiscipline politique. Zinoviev est unanimement respecté, mais il est en danger, surveillé. En 1976, coup de tonnerre : il publie Les Hauteurs Béantes , un énorme roman qui se moque de l’URSS comme aucun autre n’avait osé le faire avant lui. Son succès planétaire exaspère le Kremlin. Zinoviev est forcé de quitter la Russie. Il n’y reviendra qu’en 1999.

    L’œuvre-gouffre

    Les Hauteurs Béantes est un des livres politiques les plus puissants du XX e siècle. On ne peut le comparer qu’à L’Archipel du Goulag et à 1984 . Si le chef-d’œuvre de Soljenitsyne est une gigantesque dénonciation des crimes du bolchévisme, et celui d’Orwell une fiction dystopique dénonçant la perversité du totalitarisme, celui de Zinoviev est une révolution à la fois dans la forme et dans le fond.

    Les Hauteurs Béantes décrit la vie quotidienne dans un univers fermé : le Socisme, métaphore du régime soviétique. Cette vie est absurde, grise, désespérante et grotesque. Les personnages que met en scène Zinoviev sont des ratés : scientifiques inutiles, artistes sans talent, politiciens impersonnels, ils palabrent interminablement en buvant de la vodka. De quoi discutent-ils ? De la vacuité de leurs existences, de la nullité de leurs carrières et de la bêtise crasse du monde où ils évoluent. L’État gère leur réel avec une arrogance sans bornes, rate systématiquement ce qu’il entreprend, détruit tout ce qu’il tente de réparer. Rien ne fonctionne, rien n’a de valeur, rien n’a de sens. Le Socisme est le socialisme porté à son point de perfection : le néant.

    Rassurons tout de suite  nos lecteurs : Les Hauteurs Béantes est hilarant. Le goût de la littérature russe pour la satire, la caricature, le burlesque, éclate dix fois par page. Zinoviev dévoile sans pitié, jusque dans les moindres détails, tout ce que le communisme a d’involontairement comique. Il use et abuse d’une arme dont 1984 est légitimement dénué : un humour permanent et ravageur. Et c’est tant mieux, sans quoi ce récit très sombre, où les héros sont tous plus ou moins alcooliques et dépressifs et où les événements narrés sont invariablement catastrophiques, serait illisible. Décrivons maintenant ce qui le sous-tend.

    La logique contre l’idéologie

    La logique est la grande passion de Zinoviev. Et l’idéologie soviétique est son ennemie jurée. Logique scientifique contre mensonge idéologique : voilà les termes du duel qu’il met en place.

    Zinoviev comprend mieux que personne que l’idéologie est une logique fausse de bout en bout mais qu’elle se comporte tout de même comme une logique : elle a ses règles, ses rouages, son organicité, sa métronomie. Il s’intéresse à la manière dont ce vaste mécanisme d’horlogerie qui ne donne jamais l’heure – et qui prétend pourtant dominer l’activité humaine et nous guider vers un avenir radieux – parvient à annuler la liberté et à la remplacer par une farce pitoyable, sinistre et fatale.

    Zinoviev ne se contente pas d’étudier l’idéologie de l’extérieur. Il s’infiltre dans les méandres de la langue de bois avec le trousseau de clés de la logique, il fait son nid dans les abstractions délirantes, il apprend à penser comme le communisme, à la place du communisme, de manière aussi aberrante que lui. Il y parvient à merveille.

    Voyons le premier paragraphe des Hauteurs Béantes :

    « Ce livre est constitué des bribes d’un manuscrit découvertes par hasard, c’est-à-dire à l’insu des autorités, dans un dépotoir récemment inauguré et très vite abandonné. Le Numéro Un et ses adjoints, rangés par ordre alphabétique, assistèrent à l’inauguration officielle du dépotoir. Le Numéro Un donna lecture d’un discours historique, où il annonça que le rêve séculaire de l’humanité était à deux doigts d’être réalisé, car on percevait déjà la venue des lendemains qui sentent, c’est-à-dire du Socisme. »

    On dirait un texte écrit par un dément, ou un toxicomane sous LSD. Tout au contraire ! À bien y réfléchir, c’est une représentation minutieuse, et même paradoxalement lumineuse, de l’emprise écrasante du totalitarisme sur les individus, dans la médiocrité du contexte soviétique. D’emblée, le lecteur est déstabilisé par l’incohérence du récit, mais c’est bien l’intention de Zinoviev : nous faire entrer en contact direct, sans sas de décompression, avec l’irrationalité de l’idéologie et de la bureaucratie. Chaque détail est réfléchi.

    C’est pourquoi le Français qui a lu ce livre, ou ne seraient-ce que quelques dizaines de pages, s’exclamera souvent, toute sa vie durant, devant les inepties de notre administration, d’un courrier du Fisc ou d’un formulaire Cerfa : « Mais c’est du Zinoviev ! » Les Hauteurs Béantes change votre regard sur l’étatisme : vous tenez enfin une référence culturelle implacable pour qualifier l’imbécilité de l’adversaire. Zinoviev est le compagnon idéal pour un esprit libéral errant au pays de Bruno Le Maire.

    Le romancier-kamikaze

    Alain Besançon raconte que, lorsqu’il s’est astreint à lire la totalité des écrits de Lénine, il a été pris de migraines et de nausées. Quiconque a étudié au long cours les textes communistes est passé par là. À petites doses, ce peut amusant, certes. Mais en flux tendu, la nullité du style et l’absence complète de bon sens du propos finissent par attaquer votre intériorité. Au bout de cent pages de langue de bois, votre cerveau disjoncte et votre corps se rebelle. C’est que ce matériau intellectuel froid, dur, mat, répétitif, sans aucun rapport avec la vérité, est anti-humain. Vos pensées rejettent la greffe. Un soviétologue est quelqu’un qui, au lieu d’écouter son dégoût et de jeter par la fenêtre cette maudite lecture, a serré les dents et continué tout droit. Il s’est endurci. Il parvient à lire Staline comme d’autres Marc Lévy.

    Le problème de Zinoviev est qu’il est allé encore beaucoup plus loin que les soviétologues les plus aguerris : il est devenu idéologique. Il a été possédé par le démon qu’il voulait exorciser. À force de faire chauffer les virus communistes dans ses alambics pour en faire des romans, il a été contaminé. Les Hauteurs Béantes, son tout premier livre, est son sommet. Par la suite, insensiblement, son talent périclite jusqu’à sombrer définitivement.

    Petit à petit, Zinoviev devient de plus en plus bizarre, confus et d’une mégalomanie assumée, dérangeante. Et ce qui devait arriver arrive : il réhabilite l’ère stalinienne et insulte la liberté. Il annonce que le communisme vaincra parce que lui seul est adapté au cours de l’Histoire. Il explique que la pente naturelle de la société humaine est de devenir une meute de rats et que rien ne pourra l’en empêcher. Il hait l’Occident. À la fin de sa vie, il soutient officiellement le Parti communiste russe et rejoint le mouvement « récentiste », qui estime que l’Histoire n’a pas existé. Le jeune génie de la logique est devenu un prophète de l’illogisme, vieillard paranoïaque, amer, au regard d’acier. La maladie mentale totalitaire a brisé le chercheur. Alexandre Zinoviev meurt en 2006. Celui qui déclarait avec superbe « Je suis mon propre État » a perdu sa guerre contre la déraison.

    La grande évasion neuronale

    Disons-le : quand on est libéral, il est impératif de posséder un exemplaire des Hauteurs Béantes. Unanimement salué à sa sortie comme un tour de force, il n’a rien perdu de son énergie, ni de son originalité. Inimitable, il procure des plaisirs étonnants et inspire mille méditations. Il peut être lu dans le désordre : ses chapitres sont courts et autonomes. Si je ne devais conserver que dix ouvrages politiques, toutes catégories et toutes époques confondues, il en ferait partie : m’esclaffer au sujet du socialisme est une de mes activités favorites.

    Poutine dans l’étau

    Pour conclure, deux mots sur Poutine.

    Il est le pur produit du monde que décrit Zinoviev. Il n’est pas communiste mais il est né soviétique et, incapable de dissidence, l’est resté. Vladimir Vladimirovitch est donc rationnel de manière déréglée, pervertie. Pourvu que l’on veuille bien ne pas tenir compte de son image publique, véhiculée par une propagande effrénée, il apparaît non seulement cynique et cruel, mais ridicule et risible. L’observer à travers les lunettes grossissantes des Hauteurs Béantes permet de constater que cet homme, très méthodique dans sa conquête du pouvoir et de l’argent, est philosophiquement, culturellement et spirituellement désarticulé. Son ascension n’enlève rien à sa nullité. Depuis 22 ans, le numéro Un russe inaugure un dépotoir, qui déborde maintenant sur l’Ukraine.

    Citations

    « La tragédie russe a ceci de spécifique que d’abord elle suscite le rire, ensuite l’horreur, et enfin une indifférence obtuse. »

    « De nos jours, la peur de la vérité n’est pas une peur de l’inconnu, mais une peur de quelque chose que l’on connaît très bien. Les gens ont peur d’eux-mêmes parce qu’ils savent qui ils sont. »

    « Ayez peur de ceux qui vous séduisent ! Les séducteurs trompent toujours. »

    « Il est impossible de réfuter un argument idéologique avec un argument rationnel. »

    «  – Les miracles n’existent pas, dit le petit-fils.

    – Comment cela ? s’indigne le grand-père. Si je saute du clocher et que je me retrouve indemne, tu appelles cela comment ?

    – Un hasard, répond tranquillement le petit-fils.

    – Et si je saute une deuxième fois sans me fracasser en bas ?

    – C’est la chance.

    – Et une troisième fois ?

    – L’habitude. »

    « Il est aussi absurde de parler de démocratie ou d’efficacité économique dans une société communiste que d’évoquer un capitalisme sans argent. »
    « Il me semble que, dans le système de séparation des pouvoirs, il faudrait ajouter à ses trois composantes traditionnelles, le législatif, l’exécutif et le judiciaire, une quatrième : le pouvoir monétaire. »
    « La société communiste est un véritable paradis pour les parasites. »
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      20 citations de Margaret Thatcher sur le socialisme

      Foundation for Economic Education · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 15 January, 2023 - 03:30 · 18 minutes

    Par Lawrence Reed.
    Un article de The Foundation for Economic Education

    Cet automne marquera le trentième anniversaire du départ du 10 Downing Street de Margaret Thatcher , première femme à la tête du gouvernement britannique et Premier ministre qui sera resté le plus longtemps à ce poste au XX e siècle. Quels mandats stupéfiants !

    De la dépendance à l’autonomie

    En 1979, la Dame de fer est devenue Premier ministre d’un pays tourmenté par des conflits sociaux, bloqué par la stagflation et ruiné par des décennies d’État-nounou. La Grande-Bretagne se débattait sur tous les fronts et était l’homme malade de l’Europe.

    Pour l’essentiel, Thatcher n’a pas proposé de résoudre les grands problèmes par de petits ajustements comme le suggéraient certains politiciens peureux ou manquant de conviction. Elle s’est mise en campagne, selon ses propres mots, pour faire « reculer les frontières de l’État ». Elle voulait relancer le pays en rétablissant une culture d’entrepreneuriat et de respect de la propriété privée. Elle a rappelé ces objectifs à la nation au cours du deuxième de ses trois mandats, lorsqu’elle a déclaré :

    Je suis arrivée au pouvoir avec une intention délibérée : faire passer la société britannique de la dépendance à l’autonomie – d’une nation de quémandeurs à une nation d’entrepreneurs. Une Angleterre qui se lève et agit, plutôt que se rasseoir en attendant que d’autres agissent.

    Femme de convictions, elle pensait que des dirigeants sans principes méritaient de tomber car ils étaient trop peureux pour défendre leurs idées. Elle préférait faire ce qu’elle pensait être juste plutôt que ce qui était politiquement acceptable, comme elle l’a montré dans cette réflexion bien connue :

    Pour moi, le consensus semble être la voie de l’abandon de toutes les convictions, principes, valeurs et politiques et la poursuite de quelque chose en quoi personne ne croit, mais auquel personne ne s’oppose.

    Lors d’une réunion politique mémorable, elle a sorti de son sac un exemplaire de L a constitution de la liberté de F.A. Hayek et l’a jeté sur la table en déclarant : « Voilà ce en quoi nous croyons ! ». Une autre fois elle fait remarquer que « les marxistes se lèvent tôt le matin pour faire avancer leur cause. Nous devons nous lever encore plus tôt pour défendre notre liberté. »

    Elle a défié les idées reçues au sujet du plafond de verre auquel les femmes étaient confrontées dans le monde politique britannique. Et elle comprenait les difficultés rencontrées par les gens ordinaires, expliquant lors d’une interview :

    J’ai débuté dans la vie avec deux grands avantages : pas d’argent et de bons parents.

    Avec Margaret Thatcher : déréglementation et progrès

    En commençant dans la douleur, sa politique a arraché le pays à son apathie pour l’amener dans une nouvelle ère de progrès et de confiance. Ses onze années à la tête du pays ont prouvé qu’un programme énergique de privatisation, de déréglementation et de réduction d’impôts est un antidote efficace au collectivisme désastreux.

    Elle était de plus en plus sceptique envers l’Union européenne, en partie à cause des penchants de celle-ci pour la bureaucratie et la réglementation, en partie à cause des tentatives de gommer les particularités de chacun des pays.

    Thatcher est décédée en 2013 mais si elle avait vécu sept ans de plus elle aurait probablement applaudi le Brexit qui a finalement eu lieu le mois dernier. Elle a déclaré à la Chambre des communes en 1991 :

    Notre souveraineté ne vient pas de Bruxelles – elle nous appartient de plein droit et nous en sommes les héritiers.

    Dans son livre de 2002, Statecraft: Strategies for a Changing World , elle déclare :

    L’Europe, hormis au sens géographique, est une construction totalement artificielle. Cela n’a aucun sens d’agglomérer Beethoven et Debussy, Voltaire et Burke, Vermeer et Picasso, Notre Dame et St Paul, le bœuf bouilli et la bouillabaisse, et de les dépeindre comme les éléments d’une réalité musicale, philosophique, artistique, architecturale ou gastronomique européenne. Si l’Europe nous enchante, comme elle m’a si souvent enchantée, c’est précisément par ses contrastes et ses contradictions, et non par sa cohérence et sa continuité.

    Elle n’était bien entendu pas parfaite et elle a fait des compromis lorsqu’elle a senti qu’il le fallait. Mais elle avait raison concernant une vision d’ensemble, en particulier à propos des vices du socialisme et des vertus de la liberté. Comme je l’ai écrit en 2013 lors de son décès dans l’hommage intitulé « Le mal des idées malsaines » :

    Les socialistes l’ont détestée parce qu’elle les a affrontés, qu’elle a mis en doute leur compassion feinte, qu’elle a osé montrer l’étatisme comme la secte absurde et déshumanisante qu’elle est.

    Elle a symboliquement arraché le gant de velours de la main de fer et elle a parlé du socialisme de l’État-providence comme d’un loup déguisé en agneau. Toutes choses que les adorateurs de l’État ne peuvent supporter.

    Alors que se déroule cette année l’élection présidentielle en Amérique, je ne peux pas m’empêcher de me demander ce que Margaret Thatcher penserait de nos politiciens et de leurs promesses. Nul doute qu’elle critiquerait les mauvaises habitudes bipartisanes de Washington de dépense et d’endettement.

    Je pense toutefois qu’elle conserverait un mépris particulier pour ces démagogues qui achètent des votes et se complaisent dans la lutte des classes et toutes les nuances de socialisme. Je la vois bien gronder Bernie Sanders en des termes comme : « Nous avons déjà essayé ce que vous prônez et cela a lamentablement échoué. Devenez adulte, trouvez-vous un vrai boulot pour changer et retenez les leçons de l’histoire et de l’économie ! »

    Sa vision du socialisme

    Vous n’avez pas besoin de me croire sur parole. Je vous propose ici certaines des citations les plus incisives de Margaret Thatcher au sujet du socialisme qui semble séduire tant d’Américains ces temps-ci. Elles s’étalent sur plusieurs décennies de sa vie publique.

    1. « Il est bon de se souvenir comment nous avons conquis notre liberté dans ce pays – pas par de grandes campagnes abstraites, mais par le refus d’hommes et de femmes ordinaires de se faire prendre leur argent par l’État. Au début, des gens se sont alliés pour dire au gouvernement de l’époque : vous ne prendrez pas notre argent avant d’avoir réparé les préjudices qui nous sont faits . C’était leur argent, leur bien, qui était la source de leur indépendance vis-à-vis de l’administration. »

    2. « La raison philosophique pour laquelle nous sommes contre les nationalisations et pour l’entreprise privée, c’est que nous croyons que le progrès économique vient de l’inventivité, des compétences, de la détermination et de l’esprit pionnier d’hommes et de femmes extraordinaires. S’ils ne peuvent pas mettre en pratique cet esprit ici, ils iront ailleurs dans un autre pays de libre entreprise qui progressera alors plus que nous sur le plan économique. Nous devrions plutôt encourager les petites entreprises et les petites sociétés parce que le degré d’innovation issue de ces entreprises est fantastique. »

    3. « On m’a attaquée pour avoir mené un combat d’arrière-garde en défendant les intérêts de la classe moyenne… Eh bien si les valeurs de la classe moyenne sont d’encourager la diversité et le libre-arbitre, de mettre en place des incitations et de justes récompenses pour les compétences et le travail, de maintenir des barrières efficaces contre l’abus de pouvoir de l’État et de croire à l’accès le plus large à la propriété privée, alors ces valeurs sont bien celles que je tente de défendre. Ce n’est pas une lutte pour des privilèges, c’est une lutte pour la liberté – la liberté pour chaque citoyen ».

    4. « Notre défi consiste à créer le contexte économique qui permet à l’initiative privée et à l’entreprise privée de s’épanouir au bénéfice du consommateur, du salarié, du retraité et de la société dans son ensemble… Je crois que nous devrions juger les individus selon leur mérite et non selon leur profil. Je crois que la personne prête à travailler le plus dur devrait en retirer les plus grands bénéfices et les conserver après impôt. Que nous devrions soutenir les travailleurs et pas les tire-au-flanc ; qu’il est non seulement permis mais louable de vouloir faire profiter votre propre famille de vos propres efforts. »

    5. « Je crois profondément – vraiment avec une foi fervente – aux vertus de l’autonomie et de l’indépendance de l’individu. C’est sur elles que se fonde la défense d’une société libre, par l’affirmation que le progrès humain s’obtient bien mieux en offrant l’espace le plus libre possible aux développements des talents individuels, ce qui est conditionné uniquement par le respect des qualités et de la liberté des autres… Pendant de nombreuses années il y a eu une érosion subtile des vertus essentielles de la société libre. L’autonomie a été moquée comme si c’était une prétention absurde de banlieusards. Économiser a été assimilé à de l’avarice. Le désir des parents de choisir et de se battre pour ce qu’ils considèrent eux-mêmes comme la meilleure éducation pour leur enfant a été méprisé. »

    6. « Je ne crois pas, malgré tout cela, que les gens de ce pays ont abandonné toute foi dans les qualités et les caractéristiques qui ont fait d’eux un grand peuple. Pas une seconde. Nous sommes toujours le même peuple. Tout ce qui s’est passé c’est que nous avons temporairement perdu confiance en nos propres forces. Nous avons perdu de vue les étendards. Les clairons ont sonné avec hésitation. Il est de notre devoir, de notre raison d’être, de brandir ces étendards, afin que tous puissent les voir, et de faire sonner les clairons fort et clair, afin que tous puissent les entendre. Ils rallieront tout simplement ceux qui s’y reconnaissent vraiment. »

    7. « Je ne cesserai jamais de combattre. Je veux que ce pays survive, prospère et soit libre… Je n’ai pas combattu les forces destructrices du socialisme pendant plus de vingt ans pour m’arrêter maintenant, alors que la phase critique du combat nous arrive dessus. »

    8. « Quelles sont donc les leçons que nous avons tirées des trente dernières années ? D’abord, que la poursuite de l’égalité en elle-même est un mirage. Ce qui est plus souhaitable et plus facile que la poursuite de l’égalité c’est la poursuite de l’égalité des chances. Et la chance ne veut rien dire sauf si elle inclut le droit d’être inégaux et la liberté d’être différents. Une des raisons pour lesquelles nous valorisons les individus c’est non parce qu’ils sont identiques, mais parce qu’ils sont tous différents. Je crois qu’il y a un dicton dans le Middle West : Ne coupez pas les coquelicots les plus hauts. Laissez-les grandir. Je dirais : laissez les enfants grandir et certains seront plus grands que les autres s’ils ont en eux-mêmes la capacité de le devenir. Car nous devons construire une société dans laquelle chaque citoyen peut développer tout son potentiel, à la fois pour son propre bénéfice et pour la société dans son ensemble, une société dans laquelle l’originalité, la compétence, l’énergie et l’économie sont récompensées, dans laquelle nous encourageons plutôt que nous ne  restreignons la variété et la richesse de la nature humaine. »

    9. « Permettez-moi de vous donner ma vision. Le droit pour un homme de travailler comme il le veut, de dépenser ce qu’il gagne, de posséder des biens, d’avoir l’État à son service et non pas comme maître, telle est la tradition britannique. C’est l’essence d’une économie libre. Et de celle-ci dépendent tous nos autres libertés. »

    10. « Certains socialistes semblent croire que les gens devraient être des numéros dans un ordinateur de l’administration. Nous croyons qu’ils devraient être des personnes. Nous sommes tous inégaux. Personne, grâce au ciel, n’est pareil à un autre, contrairement à ce que peuvent prétendre la plupart des socialistes. Nous croyons que chacun a le droit d’être différent mais pour nous chaque être humain est d’une importance égale. »

    11. « Les socialistes nous disent que telle industrie génère des profits énormes et qu’ils ne devraient pas aller aux actionnaires – mais que le public devrait engranger les bénéfices. Des bénéfices ? Quels bénéfices ? Lorsque vous faites entrer dans le giron de l’État une industrie rentable, les bénéfices ont tôt fait de disparaitre. La poule aux œufs d’or fait la tête. Les poules d’État ne sont pas de grandes pondeuses. L’industrie de l’acier a été nationalisée il y a quelques années dans l’intérêt public – et pourtant le seul intérêt qui reste aux gens est d’assister au spectacle déprimant de leur argent jeté par les fenêtres au rythme de millions de livres par jour. »

    12. « Il en est qui nous alertent non seulement au sujet de la menace venue de l’extérieur, mais aussi au sujet de quelque chose de plus insidieux, qu’on ne perçoit pas immédiatement, quelque chose qui n’est pas toujours intentionnel, qui se produit ici chez nous. Que nous montrent-ils ? Ils nous montrent l’expansion régulière et sans scrupule de l’État socialiste. Mais personne ne prétend que la majorité des socialistes est inspirée par autre chose que des idéaux humanitaires et de bonnes intentions. En même temps je pense que bien peu nieraient à présent qu’ils ont créé un monstre qu’ils ne peuvent contrôler. Inexorablement, l’État que les socialistes ont créé devient de plus en plus hasardeux quand il tente de dispenser une justice économique et sociale qu’il tente de dispenser, de plus en plus étouffant par ses effets sur les aspirations humaines et l’initiative, de plus en plus politiquement sélectif dans sa défense des droits des citoyens, de plus en plus gargantuesque dans son appétit – et de plus en plus désastreusement incompétent dans ses résultats.  Par-dessus tout, il représente une grave menace, quoique non intentionnelle, envers la liberté de ce pays, car il n’y pas de liberté lorsque l’État contrôle totalement l’économie. La liberté individuelle et la liberté économique sont inséparables. On ne peut pas avoir l’une sans l’autre. On ne peut pas perdre l’une sans perdre l’autre. »

    13. « Une de nos principales et constantes priorités, lorsque nous serons revenus au pouvoir, sera de rétablir les libertés que les socialistes ont usurpées. Qu’ils sachent que ce n’est pas le rôle de l’État de posséder le plus possible de biens. Ce n’est pas le rôle de l’État de saisir tout ce qu’on lui laisse prendre. Ce n’est pas le rôle de l’État d’agir en dompteur, de faire claquer le fouet, de dicter le fardeau que nous devons tous porter ou de dire jusqu’où nous devons monter. Tout cela c’est la philosophie du socialisme. Nous la rejetons totalement car, même avec de bonnes intentions, elle mène dans une seule direction : l’érosion et finalement la destruction du mode de vie démocratique. »

    14. « Il n’existe pas de socialisme sans danger . Si c’est sans danger ce n’est pas du socialisme. Et si c’est du socialisme ce n’est pas sans danger. Le chemin du socialisme nous entraîne vers le bas, vers moins de liberté, moins de prospérité, nous abaisse vers plus de confusion, plus d’échec. Si nous le suivons à destination, nous mènerons ce pays à la ruine. »

    15. « La réussite économique du monde occidental est le produit de sa philosophie morale et de sa pratique. Les résultats économiques sont meilleurs car sa philosophie morale est supérieure. Elle est supérieure car elle part de la personne, avec sa singularité, sa responsabilité et sa capacité à choisir. C’est à coup sûr infiniment préférable à la philosophie socialiste-étatiste qui met en place un système économique centralisé auquel l’individu doit se conformer, qui le domine, qui le dirige et qui lui dénie le droit de choisir librement. Le choix est l’essence de l’éthique : s’il n’y avait pas de choix il n’y aurait pas d’éthique, pas de bien, pas de mal ; le bien et le mal n’ont de sens que dans la mesure où l’homme est libre de choisir. »

    16. « Dans notre philosophie le sens de la vie de l’individu n’est pas d’être le serviteur de l’État et de ses objectifs, mais de tirer le meilleur parti de ses talents et de ses qualités. Le sentiment d’être autonome, de jouer un rôle dans la famille, de posséder des biens en propre, de tracer son propre chemin, font tous partie du bagage spirituel qui stabilise le citoyen responsable et qui fournit les assises solides depuis lesquelles les gens regardent autour d’eux pour voir ce qu’ils pourraient faire de plus, pour les autres et pour eux-mêmes. Voilà ce que nous appelons une société morale ; pas une société dans laquelle l’État est responsable de tout et personne n’est responsable de l’État. »

    17. « Une fois que vous avez mis dans la tête des gens que tout peut être fait par l’État, et que c’est d’une certaine manière un pis-aller ou même dégradant de le laisser faire à des personnes privées, alors vous commencez à priver les êtres humains d’une des composantes essentielles de l’humanité – la responsabilité morale individuelle. Vous allez, de fait, tarir en eux la source de la gentillesse humaine. Si vous permettez aux gens de transférer toute leur responsabilité personnelle à l’État, le moment viendra – et c’est vraiment pour bientôt – où ce que le contribuable sera disposé à fournir pour le bien de l’humanité s’avèrera être beaucoup moins que ce que l’individu était disposé à donner par amour pour son prochain. Alors ne soyez pas tentés de confondre la vertu avec le collectivisme. Je me demande si les services de l’État auraient fait autant pour l’homme tombé dans le fossé que ce que le bon samaritain a fait pour lui ? »

    18. « Le capitalisme populaire, qui est l’expression économique de la liberté, se révèle être un moyen bien plus séduisant pour diffuser le pouvoir dans notre société.  Les socialistes crient « le pouvoir au peuple » et lèvent le poing serré en disant cela.  Nous savons tous ce que cela signifie vraiment – le pouvoir sur le peuple, le pouvoir à l’État. Pour nous les conservateurs, le capitalisme populaire ne ment pas : le pouvoir par la propriété à l’homme et la femme de la rue, donné avec confiance et la main ouverte. »

    19. « Je pense que nous avons traversé une période où trop d’enfants et d’adultes  ont été bercé de « j’ai un problème, c’est le boulot de l’administration de s’en occuper ! » ou encore « j’ai un problème, je vais demander une aide pour y faire face ! Je suis à la rue, l’administration doit me loger ! » Et donc ils se déchargent de leur problème sur la société et c’est qui, la société ? Cela n’existe pas ! Il n’y a que des individus hommes et femmes et des familles, l’État ne peut rien faire sans les gens et les gens s’occupent en priorité d’eux-mêmes. Il est de notre devoir de prendre soin de nous-mêmes et ensuite d’aider à prendre soin de notre voisin ; la vie est une affaire de réciprocité et les gens pensent beaucoup trop à leurs droits sans penser à leurs devoirs. La société, cela n’existe pas. Il existe une mosaïque vivante d’hommes et de femmes et de gens, et la beauté de cette mosaïque et la qualité de nos vies dépendent de combien chacun de nous est prêt à se prendre en charge, combien chacun de nous est prêt à regarder autour de lui pour aider par ses propres forces ceux qui sont dans le malheur. »

    20. « Je suis partie en campagne pour détruire le socialisme parce que je sentais qu’il était en opposition avec le caractère du peuple. Nous avons été le premier pays au monde à faire reculer les frontières du socialisme, et ensuite à faire avancer les frontières de la liberté. Nous avons récupéré notre héritage ; nous le renouvelons et nous le prolongeons. »

    Traduction par Contrepoints de Margaret Thatcher on Socialism: 20 of Her Best Quotes

    Publié initialement le 17 février 2020.

    Margaret Thatcher at Chequers 1993 by BBC Radio 4(CC BY-NC 2.0)

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      Le libéralisme n’est pas un matérialisme

      Florent Ly-Machabert · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 31 December, 2022 - 03:40 · 9 minutes

    Par Florent Ly-Machabert .

    Le bon sens, loin d’être comme le pensait René Descartes la chose la mieux partagée au monde, semble avoir déserté le débat public : sur le plan sanitaire, peu de voix se sont fait entendre pour dénoncer, entre autres, qu’on n’impose pas le port du masque au plus fort de l’épidémie ; sur le plan économique, où l’on ne s’étonne même plus que la relance quasi ininterrompue depuis la fin des Trente Glorieuses n’ait toujours pas tiré notre beau pays de l’ornière dans laquelle il n’a en réalité cessé de s’enfoncer.

    Il devient urgent de restaurer le libéralisme , non comme système politique, encore moins économique, mais comme philosophie du droit. Dans cette entreprise, un courant de pensée, d’abord économique, auquel mon indéfectible attachement n’a plus de secret pour le lecteur, y a singulièrement contribué depuis la fin du XIX e siècle : l’École autrichienne .

    Connue surtout pour sa condamnation – de facto libérale – de toute forme d’interventionnisme étatique dans la sphère économique, la tradition autrichienne s’est en réalité imposée dans le champ des idées par ses positions épistémologiques et méthodologiques, d’abord en matière économique, cela est vrai, mais en embrassant plus largement la question de l’action des êtres humains 1 , ou praxéologie , dans laquelle elle voit à l’œuvre des moyens pour atteindre des fins.

    Cette tradition postule néanmoins immédiatement que les relations entre moyens et fins ne reposent que sur la raison et le libre arbitre (de la volonté) de chaque individu. Il n’y a là d’ailleurs rien de surprenant pour qui fait l’effort de découvrir que cette école dite de Vienne, encore nommée école psychologique, puise une grande partie de ses sources dans la tradition scolastique luso-espagnole du XVIe siècle qu’un Joseph Schumpeter , entre autres économistes du XXe siècle, baptisera du nom d’ École de Salamanque 2 .

    Celle-ci, sous la férule du théologien dominicain Francisco de Vitoria, également philosophe et juriste, tente en effet de réinterpréter la pensée du maître Thomas d’Aquin en postulant que les concepts de justice, de droit et de morale s’examinent désormais selon « l’ordre naturel à la lumière de la raison » .

    Dans ce contexte l’École élaborera de nombreuses théories envisageant pour la première fois l’économie d’un point de vue moral, prenant ainsi le contrepied de la doctrine catholique de l’époque qui condamnait le désir d’enrichissement de ces négociants venus justement adresser leurs scrupules de conscience à Vitoria.

    Ce dernier, considérant la liberté de circulation des idées, des biens et des personnes comme conforme à « l’ordre naturel à la lumière de la raison » au motif qu’elle accroît le sentiment de mutuelle fraternité, conclura que lesdits négociants contribuent au bien-être général.

    Loin de ne voir que la valeur matérielle, le libéral autrichien ne conçoit en réalité de valeur qu’immatérielle et subjective, comme jugement qu’un être pensant porte sur la capacité que tel bien a de servir ses projets. Encore faut-il que l’individu soit authentiquement pensant, c’est-à-dire qu’il soit réellement rationnel et libre.

    À ce stade de notre réflexion, il nous est donc loisible de soutenir que le libéralisme n’est pas une approche déterministe , puisqu’il ne postule en rien que le monde est prédictible ; ni constructiviste , puisqu’il défend l’ordre naturel ou spontané qui repose sur des logiques fondamentalement décentralisées qu’Hayek nommera la « catallaxie » 3 ; ni réductionniste , puisque, s’appuyant sur une doctrine juridique qui a sonné la fin des concepts médiévaux du droit, il adopte la description d’un monde fait d’interactions multiples, valorise les échanges entre individus et revendique un nouveau centre d’intérêt, « antérieur et supérieur à toute législation humaine » dira Frédéric Bastiat , qu’il érige en obligation morale faite au Souverain (qu’il s’agisse du peuple en démocratie ou du roi en monarchie) : le respect des droits naturels de l’individu, c’est-à-dire de ses droits fondamentaux en tant que créature de Dieu, tant relatifs au corps (droit à la vie 4 , droit de propriété) qu’à l’esprit (liberté de pensée, dignité).

    Aussi, pour prouver que, contrairement à la pensée dominante 5 , le libéralisme n’est pas un matérialisme , nous reste-t-il à démontrer qu’il adopte une approche fondamentalement ouverte au champ de la spiritualité, c’est-à-dire transcendantale, comme semblent le suggérer ses références répétées à la doctrine scolastique 6 .

    Pour ce faire, à présent, explorons plus avant le concept augustinien de libre arbitre ( liberum arbitrium ) de la volonté humaine, dont le professeur Marian Eabrasu rappelle dans Moral disagreements in business (2019) qu’associé à une conception restreinte de la violence, il est l’apanage des libéraux, ce qui conduit ces derniers à considérer le travail comme l’expression de la créativité humaine et la violence physique comme la seule forme de contrainte capable d’entraver la liberté de l’Homme et de le mettre en esclavage 7 .

    Par libre arbitre ( free will dans le monde anglo-saxon), saint Augustin désigne d’abord une « volonté libre » qui fonde la dignité humaine 8 :

    La volonté libre sans laquelle personne ne peut bien vivre, tu dois reconnaître et qu’elle est un bien, et qu’elle est un don de Dieu, et qu’il faut condamner ceux qui mésusent de ce bien plutôt que de dire de celui qui l’a donné qu’il n’aurait pas dû le donner.

    En tant que don de Dieu, le libre arbitre augustinien qui rend l’Homme capable du bien comme du mal invalide donc l’hérésie manichéenne qui attribue au divin la responsabilité du mal ; mais, dans le même temps, comme faculté perdue à cause du péché originel, le libre arbitre augustinien s’oppose aussi à l’hérésie pélagienne qui exagère la responsabilité de l’Homme et sa liberté dans ses rapports avec Dieu, niant donc la principale conséquence de la transgression d’Adam : l’Homme ne peut être restauré dans le libre arbitre dont l’a doué Dieu que par Dieu, c’est-à-dire par la Grâce 9 .

    S’il semble donc impossible d’appréhender la notion de libre arbitre si centrale dans le libéralisme sans recourir aux doctrines du péché originel et de la grâce salvifique affirmées par le seizième concile de Carthage (418) et approuvées par le pape Zosime, il n’en demeure pas moins que la scolastique réinterprètera le libre arbitre, neuf siècles après Augustin, comme une faculté de la volonté et de la raison ( facultas voluntatis et rationis 10 ), c’est-à-dire, pour reprendre cette fois les attributs qu’ Aristote lui reconnaît dans son Éthique à Nicomaque , comme la double capacité d’un individu à agir spontanément (donc à suivre volontairement une fin) et intentionnellement (donc à choisir rationnellement un moyen, en sachant ce qu’il fait).

    En combinant philosophie grecque et théologie chrétienne, cette approche présente d’abord l’intérêt de faire émerger le libre arbitre comme une faculté à trouver le principe de ses actes à l’intérieur de soi (critère de spontanéité), alors même que l’individu, du fait même de la chute d’Adam, s’en est rendu incapable, enchevêtré qu’il est dans son environnement qui conditionne ainsi grandement ses actes.

    On comprend mieux que seuls le retour à soi, l’introspection, la méditation, la prière, la reconnexion avec le divin puissent préparer son esprit à recevoir de la grâce de Dieu le « principe intérieur » de ses propres actes.

    Enfin, l’approche scolastique du libre arbitre fait émerger à travers le critère d’intentionnalité la condition de la responsabilité morale – et donc de la dignité – de l’individu, qui est dès lors réputé agir « en conscience », c’est-à-dire, une fois de plus, éclairé par le divin dans sa prise de décision.

    Notamment fondé sur le principe de libre arbitre, le libéralisme fait donc sienne une approche nécessairement ouverte à la transcendance spirituelle par le truchement de la scolastique, donc de la théologie chrétienne, en dehors de laquelle il lui est impossible de rendre compte, d’un même tour, de la propension de l’Homme à être déterminé par son environnement (puisque déchu dans le jardin d’Eden) plutôt qu’à se déterminer en vertu d’un principe intérieur, en même temps que de l’intentionnalité de sa conscience qu’éclaire, de façon privilégiée dans la prière et les sacrements catholiques, la grâce que le croyant reçoit de Dieu et par laquelle chacune de ses actions contribue au salut de son âme.

    Inséparable des doctrines chrétiennes du péché originel et de la grâce salvifique, le concept le libre arbitre de la volonté humaine ne saurait être au cœur du libéralisme sans faire immédiatement de cette philosophie du droit une approche du monde à la fois non réductionniste, non constructiviste, non déterministe et non immanente, donc sans lui retirer de facto tous les attributs d’un matérialisme.

    On comprend mieux pourquoi certains ont osé le qualifier de réalisme abstrait et d’autres de spiritualisme. Je me contenterai d’affirmer que le libéralisme ne peut pas être un matérialisme, sauf à se dénaturer instantanément.

    Article publié initialement le 25 septembre 2020.

    1. Voir L’action humaine de Ludwig von Mises.
    2. Dans son Histoire de l’analyse économique, 1954.
    3. Dans La route de la servitude, Hayek explique qu’il « n’y a rien dans les principes du libéralisme qui permette d’en faire un dogme immuable ; il n’y a pas de règles stables, fixées une fois pour toutes. Il y a un principe fondamental : à savoir que dans la conduite de nos affaires nous devons faire le plus grand usage  possible des forces sociales spontanées et recourir le moins possible à la coercition. »
    4. Seul droit-créance (« droit à ») reconnu par les libéraux, comme composante de la sûreté, de la résistance à l’oppression et du principe de non-agression.
    5. Qui associe par exemple le libéralisme au consumérisme, alors que ce dernier est une déviance de la consommation érigée en ultime réconfort, en horizon de l’âme et fruit – pour paraphraser E Todd – d’un « libre-échange zombie ».
    6. Doctrine à la fois philosophique, juridique et théologique qui, au XIII e siècle, en tentant de concilier philosophie grecque et théologie chrétienne des Pères de l’Eglise explore pour la première fois les notions de propriété privée, de risque, d’intérêt et de contrat, travail qui culminera dans l’Espagne du XVI e siècle avec ladite École de Salamanque.
    7. Contrairement donc à la conception marxiste de la « servitude involontaire » qui nie tout libre arbitre et adopte une conception très large de la violence (symbolique, économique, hiérarchique…) ainsi qu’aux tenants de la « servitude volontaire », qui partagent cette même conception extensive de la violence mais la combinent à un libre arbitre.
    8. De libero arbitrio , II, 18, 48.
    9. Encore appelée « grâce salvifique » puisqu’elle accomplit l’œuvre du Salut.
    10. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique , I, q. 82, a.2, obj. 2.