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      L’UE est-elle en proie à un communisme à coloration écologique ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 2 March, 2023 - 04:20 · 9 minutes

    La tâche assignée à cet article est d’analyser comment les institutions européennes sont passées de la promotion du marché libre à un communisme à coloration écologique. Ce fut l’occasion pour son auteur de faire pour la première fois appel à ChatGPT , l’agent conversationnel utilisant l’intelligence artificielle développé par OpenAI. Précisons qu’il n’est pas question ici de dénigrer ni d’encenser cet outil dont le prototype a été lancé en novembre dernier. D’autres s’en chargent, grand bien leur fasse.

    ChatGPT s’en excuse, mais prétend que la prémisse de la question est inexacte. L’Union européenne (UE) n’est pas devenue une entité communiste. L’UE consiste en une union économique et politique  fondée sur les principes de la démocratie, de l’État de droit et de la protection des droits de l’Homme et des libertés. Ses 27 États membres coopèrent et prennent des décisions sur une série de questions qui touchent leurs citoyens dans le respect de ces principes. Dont acte.

    Si l’UE, poursuit le robot, préconise l’économie sociale de marché qui comprend un État-providence fort et des protections pour les travailleurs, elle n’est pas pour autant communiste. Le communisme est un système politique et économique qui prône l’abolition de la propriété privée et l’instauration d’une société sans classes dans laquelle tous les biens et ressources sont collectivement détenus et contrôlés par la communauté dans son ensemble. Ce n’est pas le cas dans l’UE. Il est important, morigène-t-il, de prêter attention aux termes utilisés et d’éviter de diffuser des informations erronées ou de faire des affirmations non fondées. Tout est dans les détails.

    L’auteur de cet article l’est aussi d’un essai, On vous trompe énormément: L’écologie politique est une mystification , dans lequel il développe la thèse qu’à partir de prophéties de malheur et d’alertes mêlant des éléments hétérogènes et pointant vers un futur nécessairement incertain et sur la base d’une propagande alimentée par les médias et s’appuyant sur les faiblesses de l’entendement humain et la peur, nous assistons avec l’avènement de l’écologie politique à la mise en place d’un dispositif, au sens où l’entend le philosophe Giorgio Agamben.

    Le concept est emprunté à Michel Foucault qui l’utilise à propos de la « gouvernementalité » en tant que gouvernement des hommes. Agamben le définit comme suit : « Tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants ».

    Du marché commun à l’écologie politique

    Reprenons les choses dans l’ordre.

    À l’origine, le Traité de Rome de 1957 institua une communauté économique européenne visant à créer un marché commun entre les six pays membres avec la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux. Un second traité fut signé par les mêmes pays le même jour, le traité Euratom, instituant une communauté de l’énergie atomique.

    L’objectif est économique. Il s’agit d’assurer le progrès économique et social, d’améliorer le niveau de vie et d’emploi, de favoriser une saine concurrence, de réduire les écarts de richesse entre régions et de soutenir les régions défavorisées en ligne avec la résolution de Messine (1955), de l’accès à une source indépendante d’énergie abondante et bon marché (l’énergie nucléaire).

    Les traités ont été modifiés à plusieurs reprises et la prise en compte d’objectifs environnementaux (développement durable, changement climatique) et sociaux différents en a considérablement altéré la portée. Économie de marché, libre-échange et création de richesse, s’ils ne sont pas complètement passés à la trappe, ne figurent clairement plus au premier plan. Que seuls trois pays (Irlande, Luxembourg et Estonie) de l’UE sont tenus pour libres au classement de la liberté économique de la Heritage Foundation (qui tient notamment compte de l’État de droit, du poids des pouvoirs publics, de l’efficacité réglementaire et de la liberté d’entreprendre et d’investir) en dit long. Belgique, 37 e , et France, 52 e , figurent dans la catégorie des pays modérément libres au même titre que, par exemple, le Qatar, 44 e , la Jamaïque, 46 e , l’Albanie, 50 e

    Les institutions européennes (la Commission européenne, la Banque centrale européenne, la Cour de justice de l’UE) se sont aussi arrogé des pouvoirs exorbitants pour ce qui est d’interférer dans la marche des affaires publiques et privées. On peut s’interroger s’ils sont légitimes, échappant à tout contrôle démocratique avec un Parlement, retraite dorée pour politiciens décatis, dont les récentes affaires poussent à se demander s’ils n’ont décidément pas la tête ailleurs, un Conseil, des chefs d’État et de gouvernement, leurs ministres trop accaparés par leur train-train de politique politicienne nationale pour s’inquiéter de mettre de l’ordre dans le capharnaüm.

    Ces diverses instances s’inscrivent-elles encore dans un respect strict des principes de démocratie et d’État de droit ? Une même question se pose au sujet des États membres. N’est pas uniquement visé le pouvoir hongrois qui a fait vœu d’illibéralisme. Comme Ivan De Vadder, un journaliste politique belge, l’a amplement démontré dans un livre récent, Wanhoop in de Wetstraat (« Désespoir dans la rue de la Loi »), le système politique belge, par exemple, est pris dans les rets de la particratie, laquelle n’a rien à voir avec l’idée que l’on se fait d’une démocratie parlementaire représentative ; quelques-uns, les présidents de parti, se partagent le pouvoir politique.

    La nouvelle tentation totalitaire

    Le respect de la vie privée, la liberté de pensée et d’expression, voire d’entreprendre et de se prendre en charge, n’en sont pas ressortis renforcés.

    Si l’Europe n’a pas (encore) versé dans le communisme, ne pourrait-on pas soutenir qu’elle s’est engagée sur la voie d’un totalitarisme et suit une évolution comparable à celle du passage de la République romaine à l’Empire romain que l’historien David Engels a si bien décrit dans son remarquable essai sur Le Déclin. La crise de l’Union européenne et la chute de la République romaine. Quelques analogies ?

    Dans son récent essai sur le totalitarisme , le professeur de psychologie clinique de l’Université de Gand Mattias Desmet fait la part des choses entre dictature et régime totalitaire, l’un n’excluant pas l’autre. Le totalitarisme, écrit-il en se référant aux Origines du totalitarisme de Hannah Arendt, est ancré dans un processus psychosocial de formation de masse, que le psychologue français Gustave Le Bon analysa dans La Psychologie des foules en 1895, par lequel des individus perdent tout sens critique et jusqu’à leur identité personnelle dans la masse.

    Desmet décrit le phénomène comme suit :

    « La disposition d’individus à sacrifier aveuglément leurs intérêts personnels au profit de la collectivité ; une intolérance radicale à l’égard des opinions dissidentes ; une propension paranoïde à dénoncer son prochain permettant au contrôle social de s’exercer jusqu’au sein de la sphère privée ; un état réceptif à la propagande et l’endoctrinement, aussi absurde qu’en soit le contenu pseudo-scientifique ; l’adhésion aveugle à une logique étroite (ce qui explique que totalitarisme et religion soient inconciliables) ; le rejet de toute diversité et de toute créativité (ce qui rend totalitarisme d’une part, art et culture d’autre part, incompatibles) ; une inclination pour l’autodestruction qui fait que les systèmes totalitaires finissent toujours par s’autodétruire. »

    Toute ressemblance avec des situations ayant existé ou existant encore n’est nullement fortuite. Tout cela est en effet d’actualité, insiste Desmet. Que l’on songe au climat ou à la pandémie, sans même mentionner l’égalitarisme rampant, jamais n’avons-nous été aussi près de ce qu’ Hannah Arendt avait prévu, à savoir l’émergence d’un système totalitaire dirigé par des technocrates et des bureaucrates dans une société fanatiquement mécaniste, désorientée, victime d’isolement social et d’angoisse, à la recherche d’un absolu. Pour peu qu’une narration alternative soit propagée dans les médias de masse permettant d’objectiver cet état d’angoisse, il existe une chance réelle qu’une large portion du public y adhère, selon Desmet, faisant la part belle aux arguments ad populum (primauté au collectif) et ad auctoritatem (précellence de l’autorité), propices à l’autoritarisme et à l’intolérance.

    La métaphore du réenchantement

    S’agit-il d’une simple vision de l’esprit ? Il n’en est rien. Un rapport de 200 pages dans le cadre du programme FAST (Forecasting and Assessment in Science and Technology), intitulé « Les religions face à la science et la technologie », remis à la Commission européenne en novembre 1991, plaidait pour une « Europe réenchantée par une métaphore éthiquement mobilisatrice », à défaut de laquelle « il y avait un grand risque que l’économie et la technologie ne continuent à diriger nos sociétés ». Il précisait que l’expression du projet sous la forme d’une métaphore était nécessaire afin qu’il puisse être entendu et compris par la plus grand nombre dans une population sur- et mal-informée. L’auteur du rapport se référait explicitement aux travaux d’Anthony Judge, un spécialiste de la gouvernance publique par la métaphore, et, la qualifiant de « manière post-moderne de gouverner », il déclarait :

    « Il semble que les populations réagissent de moins en moins au langage usé des analyses et des rapports. Peut-être cherchent-elles intuitivement une approche globale qui les aide à se déterminer un horizon, une parole qui parle en même temps à leur intelligence, à leur cœur et à leur esprit. Or il y a une carence et une faim de visions et d’espérances globales, cachées sous une indigestion de démarches analytiques et d’informations parcellaires. C’est dans ce contexte qu’apparaît la force des métaphores qui sont un peu comme des paraboles, des histoires qui indiquent un sens sans l’enfermer. »

    Cette nouvelle métaphore visant à faire entrer l’Europe dans le réenchantement, précisait-il, devait être holistique, éthique et participative, affirmer ses valeurs et sa responsabilité vis-à-vis des plus faibles d’ici et d’ailleurs et projeter « une vision à court, moyen et long terme d’un ordre économique social et écologique que nous soyons fiers de léguer à nos enfants ». L’Europe n’est sans doute pas encore acquise au communisme mais elle est déjà pour sûr en plein réenchantement métaphorique.

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      La défaite du libéralisme signifie la victoire des régimes illibéraux

      Alexandre Massaux · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 29 October, 2022 - 03:30 · 3 minutes

    L’actualité n’est pas vraiment marquée par une victoire des idées de libertés. La mondialisation est est de plus en plus remise en cause du fait des restrictions liées au covid puis par les tensions et conflits avec la Chine et la Russie, tout comme l’absence de réformes dans nos pays. La démission de Liz Truss semble en outre avoir ravi les critiques du libéralisme (que beaucoup surnomment néolibéralisme , mot devenu fourre-tout).

    Outre le fait qu’il y aurait des choses à redire sur le libéralisme de Liz Truss, il faut remarquer que ceux qui se réjouissent de la crise du libéralisme ne sont pas conscients des grands gagnants de ce petit jeu politique.

    Car s’ils veulent la fin du libéralisme tel qu’on l’a connu, alors ils vont être servis : les illibéraux ont le vent en poupe et sont bien partis pour occuper le paysage politique.

    Pourtant, beaucoup de critiques du libéralisme et du soi-disant néolibéralisme se disent défenseurs de la démocratie libérale. Mais les choses ne se passent pas comme ils l’espèrent.

    L’illibéralisme consolide son poids politique

    2022 n’a pas été une année agréable pour les partis centristes au pouvoir.

    En France, le parti d’Emmanuel Macron n’a pas réussi à avoir la majorité et a vu la montée en puissance de la France Insoumise et le retour du Rassemblement national à l’Assemblée. En Italie, le gouvernement de centre a perdu et a laissé place à une alliance de droite dirigée par les Frères d’Italie (qui il y a moins de 5 ans représentait moins de 5 %). La Suède gouverne désormais avec un gouvernement soutenu par la droite radicale des Démocrates Suédois.

    En Amérique du Sud, ce sont des populistes de gauche qui ont remporté les élections : en Colombie, un président de gauche a été élu pour la première fois. L’année dernière, la gauche radicale a gagné les présidentielles au Chili . Et le Brésil va choisir ce dimanche entre la droite radicale de Bolsonaro, et celle aussi radicale de Lula.

    Pendant ce temps, les illibéraux se maintiennent.

    Dans les démocraties, Viktor Orban a été réélu avec une majorité absolue. Dans les régimes autoritaires, Xi Jinping vient de consolider son pouvoir suite au Congrès du parti communiste chinois. Quant à Vladimir Poutine, il arrive à se maintenir malgré les aléas du conflit en Ukraine.

    L’alternative au libéralisme n’amènera pas plus de démocratie

    Ces différents exemples montrent que la tendance n’est pas à davantage de démocratie.

    Il est intéressant de remarquer que beaucoup de personnes se déclarant défenseurs de la démocratie libérale passent leur temps à critiquer le libéralisme jugé trop individualiste et trop capitaliste. À bien des égards elles souhaitent un libéralisme avec un État intervenant davantage, une forme de social-démocratie qui irait plus loin que le libéralisme au sens américain.

    Sauf que la situation générale n’ira pas en leur faveur. Si le libéralisme disparait, ce seront des dirigeants illibéraux qui gagneront. Ce sont les valeurs de liberté et du capitalisme qui ont amené la prospérité et la puissance de l’Occident dont jouissent ses élites. Si ces dernières les mettent à bas, elles risquent de subir une montée populiste de grande ampleur.