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      « Postures médiatiques : Chronique de l’imposture ordinaire » d’André Perrin

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 6 November, 2022 - 04:00 · 9 minutes

    Cet ouvrage est intéressant en ce qu’il analyse les nouvelles tares de notre époque. Celles notamment de la concurrence victimaire et des postures visant à s’afficher comme appartenant à une minorité opprimée . Ou à s’afficher comme un résistant courageux . Ou encore comme faisant partie du camp du Bien face à ceux dont on doit prononcer la condamnation morale pour ce qu’ils sont ou ce qu’ils pensent.

    L’idéologie dominante

    Selon l’auteur, il n’existe pas véritablement de « pensée unique », qui n’est qu’une vue de l’esprit visant à se singulariser. Par contre, il existe bien une idéologie dominante. Il montre qu’elle n’est pas caractérisée par le nombre mais avant tout par « ceux dont la parole est légitime, ou encore autorisée ».

    Sur la scène intellectuelle française, c’est la gauche qui, depuis longtemps, tient le bâton [skeptron]. Son autorité auto-instituée a un tel pouvoir d’intimidation que ceux qui la contestent ne peuvent le faire qu’en adoptant son langage et en intériorisant la légitimité dont elle s’est investie .

    Quelques pages avant, André Perrin rappelle d’ailleurs, sondages imparables à l’appui, que si la droite est réputée dominante dans le champ politique, la gauche l’est on ne peut plus nettement dans le champ culturel, en très grande partie accaparé par les professeurs, journalistes et artistes dans leur domaine considéré. Et il reprend le célèbre et très parlant propos d’ Alain , toujours d’actualité quand on s’intéresse à l’état d’esprit de beaucoup de gens de gauche :

    Lorsqu’on me demande si la coupure entre partis de gauche, hommes de droite et hommes de gauche a encore un sens, la première idée qui me vient est que l’homme qui pose cette question n’est certainement pas un homme de gauche.

    François Mitterrand ne disait-il pas avec ironie, rappelle-t-il également, que le centre n’est « ni de gauche, ni de gauche » ? Autant d’éléments qui permettent de mieux comprendre le jusqu’auboutisme d’esprits intransigeants à l’image par exemple d’une Sandrine Rousseau qui fait tant parler d’elle , mais pas seulement.

    Comme beaucoup d’intellectuels sensibles depuis longtemps aux idées de gauche (sans avoir jamais été militant), l’auteur lui-même s’en est éloigné peu à peu, étant traité de réactionnaire pour ne pas avoir toujours manifesté des opinions suffisamment en ligne avec les positions éminemment dogmatiques affichées par celle-ci sur différents sujets (ce qui est tout à fait classique, hélas). Pour autant, il considère à juste titre qu’en réalité aujourd’hui les frontières entre gauche et droite ont été brouillées, et n’ont plus les mêmes significations qu’auparavant.

    Anathèmes et ennemis à abattre

    Mais surtout l’auteur déplore que ce qui a fondamentalement changé est la pratique généralisée de l’anathème et de la distinction entre le bien et le mal en lieu et place de celle entre le vrai et le faux, ce qui est la caractéristique essentielle de l’idéologie dominante de notre époque. D’interlocuteurs avec qui débattre ou adversaires à combattre, on est passé à « des ennemis à abattre ».

    La démocratie elle-même est remise en cause par ceux qui « contestent systématiquement la légitimité de ceux à qui le peuple a accordé sa confiance et qualifient de « fascisme démocratique » le verdict des urnes chaque fois qu’il ne leur est pas favorable , ce qui est le cas le plus souvent ». C’est l’objet du premier chapitre du livre dans lequel André Perrin nous apporte de nombreux exemples de cette fâcheuse tendance des médias ou intellectuels de gauche (« intellectuels de droite », rappelons-le avec l’auteur, étant considéré par certains comme un oxymore, c’est bien connu), à remettre en cause le verdict des urnes pour lui préférer la logique de la rue, où quelques dizaines de milliers de manifestants bruyants devraient imposer leur volonté à 48 millions d’électeurs.

    À travers ses chroniques, on trouve aussi moult extraits ahurissants de la manière dont la presse de gauche ou des journalistes y écrivant traitent l’information : de manière non seulement extrêmement partiale et prompte à la dénonciation ou au lynchage médiatique mais virant même régulièrement à la désinformation ou à des conceptions pour le moins étonnantes, édictées sur un ton péremptoire, voire outrancier (je conseille vivement la lecture du livre pour en avoir un aperçu).

    Dans l’ affaire Polanski , sur laquelle il revient longuement, il montre de quelle manière la présomption d’innocence se trouve non seulement allègrement bafouée mais même quasiment transformée en présomption de culpabilité. De même que dans le cas de Gérald Darmanin, entre autres. Mais là où le bât blesse, c’est que l’acharnement dans les accusations, mauvaise foi, mensonges, manipulations et désinformation, ne sont évidemment pas du tout valables lorsqu’il s’agit de personnalités de gauche. L’auteur en apporte là encore de multiples exemples au fil du livre. Le langage joue toujours un rôle bien particulier dans la manière d’aborder les sujets et de décrédibiliser l’adversaire.

    Une liberté d’expression à géométrie variable

    Pour des personnalités « ennemies » telles qu’ Alain Finkielkraut , Éric Zemmour et tant d’autres, rien n’est épargné. Des conférences sont annulées, empêchées ou tenues sous haute protection policière, soit par appel au boycott, soit par la violence pure et simple dans le cas de personnalités aussi diverses que Marcel Gauchet , Laurent Alexandre, Sylviane Agacinski , Alain Finkielkraut, ou même François Hollande ; aucun problème, en revanche, pour une Clémentine Autain, accueillie bien sûr à bras ouverts dans les mêmes lieux.

    Le fascisme est bien entendu toujours convoqué et mis à toutes les sauces lorsqu’il s’agit de dénoncer l’ennemi, celui à qui la libre parole ne doit pas être laissée, procédé bien pratique et généralement efficace pour justifier cette entorse à la liberté d’expression. Dans le cas d’Éric Zemmour, il se trouve diabolisé à l’extrême , qualifié par le chercheur en philosophie Philippe Huneman « d’utile cas Zemmour ». Le chercheur ne fait aucunement dans la dentelle lorsqu’il écrit qu’Éric Zemmour « soumet les Noirs français à quelque chose de similaire à, mettons, ce que serait pour un juif de 1934 l’audition 24 h sur 24 de Goebbels », jugeant ainsi légitime de le chasser des médias.

    Ne parlons pas des électeurs de Marine Le Pen, comparés avec beaucoup de subtilité à un tas de merde sur une couverture de Charlie Hebdo exhibée pour sa plus grande joie par Laurent Ruquier à la télévision à l’approche de l’élection présidentielle de 2012. Il est vrai que les humoristes eux aussi, en bons donneurs de leçons , ne manquent jamais d’être de la partie lorsqu’il s’agit de tirer parti de l’opportunité de railler « doucement » leurs ennemis, là encore André Perrin en apporte quelques exemples.

    L’art de l’insulte et de la disqualification de l’adversaire par tous les moyens

    La vision des bonnes élites médiatiques de gauche est bien inscrite dans des visions purement manichéennes. Mais au-delà, tout est bon pour disqualifier l’ennemi qui a le tort de ne pas penser comme elles, plutôt que de simplement chercher à le réfuter, ce qui en ferait un simple adversaire et non un ennemi à abattre.

    André Perrin nous rappelle ainsi un certain nombre d’insultes ou de paroles violentes parfaitement admises voire applaudies lorsqu’il s’agit de personnalités classées à gauche (Virginie Despentes, Guy Bedos, Pierre Bergé, etc.), mais qui ne passeraient absolument pas si elles l’étaient par des personnalités classées à droite ; ou pas assez à gauche.

    Beaucoup de personnalités médiatiques de gauche éprouvent aussi une certaine hostilité qu’elles n’hésitent pas à faire valoir lorsqu’il s’agit de s’en prendre à la police à travers des jugements de valeur qui frisent parfois le mensonge ou la malhonnêteté. Médiapart , Amnesty International, y ajoutent beaucoup de mauvaise foi, comme l’auteur l’illustre à travers un ensemble de pages.

    Dans le cas de Notre-Dame-des-Landes , on a un aperçu particulièrement éloquent du sens profond de la démocratie dont peuvent faire preuve des jusqu’au boutistes allant même jusqu’à remettre en cause la valeur d’un référendum lorsque son résultat ne leur est pas favorable.

    Des indignations à géométrie variable

    Nombreux sont les sujets évoqués dans le livre.

    Les spécialistes de la posture médiatique ont bien sûr leurs dadas au sujet desquels leurs positions sont souvent quelque peu fluctuantes et loin d’être claires : immigration, religion, voile islamique , pédophilie, présomption d’innocence, racisme , culture woke … Se livrant en moult occasions et en bons spécialistes du genre à de véritables chasses aux sorcières.

    Ces personnalités médiatiques peuvent ainsi être mues par des contradictions permanentes. Par exemple, l’auteur montre comment deux anciens directeurs de la revue Esprit ont un véritable problème avec la liberté d’expression. Se référant aux caricatures, ils émettent ainsi des réserves spécifiques à propos de celles relatives à la religion musulmane, de peur de froisser la susceptibilité et de susciter l’incompréhension de populations « largement illettrées ou faiblement lettrées ». Outre le fait que selon l’auteur cela revient à mépriser l’immense majorité des musulmans du monde en les considérant comme inférieurs ou incapables de libre-arbitre, il cite à propos cette intéressante réflexion d’Emmanuel Kant :

    J’avoue ne pas pouvoir me faire très bien à cette expression dont usent aussi des hommes avisés : un certain peuple (en train d’élaborer sa liberté légale) n’est pas mûr pour la liberté ; les serfs d’un propriétaire terrien ne sont pas encore mûrs pour la liberté ; et de même aussi, les hommes ne sont pas encore mûrs pour la liberté de croire. Dans une hypothèse de ce genre, la liberté ne se produira jamais ; car on ne peut mûrir pour la liberté si l’on n’a pas été mis au préalable en liberté (il faut être libre pour pouvoir se servir utilement de ses forces dans la liberté).

    France Inter et France Culture et leur positionnement assumé comme très nettement à gauche, financés par l’argent public, sont les prototypes par excellence de toutes ces postures médiatiques que l’auteur dénonce. Lui qui les écoute quotidiennement depuis de nombreuses années est particulièrement à même de nous en montrer quelques facettes révélant les visions très manichéennes et les indignations à géométrie variable qui y règnent, quitte à distordre les faits ou l’histoire.

    André Perrin, Postures médiatiques : Chroniques de l’imposture ordinaire , L’artilleur, octobre 2022, 224 pages.