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      Petit traité de libéralisme à l’attention de Sandrine Rousseau

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 19 April, 2023 - 03:30 · 21 minutes

    Le 5 avril 2023, la députée Europe Écologie Les Verts Sandrine Rousseau a affirmé dans un tweet que « le libéralisme engendre le fascisme ».

    Comment ne pas être résigné, tant ces manipulations sémantiques sont devenues choses courantes dans le paysage intellectuel et politique français ? Cette déclaration devrait susciter une hilarité à la hauteur du travestissement des mots qu’elle engendre. Pourtant, à l’exception de l’indignation de quelques braves libéraux sur les réseaux, le mutisme a régné, et rares ont été les réactions venues d’ailleurs.

    Qu’une députée et universitaire puisse à ce point parodier le réel dans l’indifférence totale ne manque pas d’intriguer. En fait, tout porte à croire que ce silence est hautement significatif. Le libéralisme et ses variantes ( néolibéralisme , ultralibéralisme , turbo libéralisme , libéralisme sauvage …) sont devenus autant de qualificatifs vidés de leur sens et instrumentalisés péjorativement. C’est parce que l’antilibéralisme et ses lieux communs ont progressivement envahi l’univers mental collectif des Français qu’il est possible, en 2023, de soutenir qu’il y aurait continuité ou équivalence entre la philosophie libérale et le fascisme. Ce tour de passe-passe rhétorique prospère au prix d’une méconnaissance profonde de l’histoire, de la diversité et de la richesse de la pensée libérale.

    50 nuances d’antilibéralisme

    Ainsi n’est-il pas rare de lire ou d’entendre que le libéralisme ne serait qu’un vulgaire économisme se résumant à un « laisser-faire » immoral ; un individualisme forcené, construit sur une forme d’anarchisme sauvage et de darwinisme social, menant à l’atomisation du corps social et détruisant la fraternité et l’altruisme ; un « rouleau compresseur » 1 uniformisant et globalisant ; une pensée « conservatrice », « de droite » ; et enfin… le libéralisme serait le germe, le porte-parole, le concepteur, si ce n’est la réplique d’une forme de « totalitarisme ». Son bras armé ? La « dictature du marché ».

    Si cette dernière idée reçue nous intéresse tout particulièrement, c’est qu’elle procède d’une véritable inversion des valeurs : en réalité, le libéralisme est l’opposé le plus chimiquement pur du totalitarisme ou du « fascisme », pour reprendre les mots de madame Rousseau.

    Plutôt que de réfuter ce qu’il n’est pas , tâchons plutôt de rappeler ce qu’est le libéralisme en évoquant succinctement ses fondations conceptuelles, tout en gardant à l’esprit que, par-delà ce socle commun, la pensée libérale brille par sa diversité, et son histoire est caractérisée par d’innombrables tensions sur des points de doctrines capitaux.

    Le libéralisme est une défense de la souveraineté individuelle

    « La liberté naturelle de l’homme, c’est de ne reconnaître sur terre aucun pouvoir qui lui soit supérieur, de n’être assujetti à la volonté de personne »

    John Locke, Traité du gouvernement civil , 1690.

    « Le but des anciens était le partage du pouvoir social entre tous les citoyens d’une même patrie : c’était là ce qu’ils nommaient liberté. Le but des modernes est la sécurité dans les jouissances privées ; et ils nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ces jouissances. »

    Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes , 1819.

    « J’ai défendu quarante ans le même principe, liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique : et par liberté, j’entends le triomphe de l’individualité, tant sur l’autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui réclament le droit d’asservir la minorité à la majorité. Le despotisme n’a aucun droit. »

    Benjamin Constant, Mélanges de littérature et de politique .

    Le libéralisme trouve son origine dans l’absolue nécessité de défendre la souveraineté de l’individu. Au XVII e siècle, John Locke (1632-1704) soutient, dans son Traité du gouvernement civil (1690) que chaque individu possède des droits naturels inaliénables (la vie, la liberté, la propriété) et assigne au gouvernement la mission d’en garantir l’existence.

    Partant de ce constat, la souveraineté de l’individu débouche inévitablement sur la défense des libertés individuelles (liberté d’expression, d’association, de religion, de conscience, d’entreprendre…). Personne n’a exprimé avec plus de brio que Benjamin Constant (1767-1830) le contenu et la spécificité de cette « liberté des Modernes ». Cette dernière, contrairement à la « liberté des Anciens », se concentre sur la protection des droits individuels et la limitation du pouvoir de l’État. Pour Constant, les citoyens devraient être libres de poursuivre leurs propres intérêts et aspirations sans qu’un pouvoir ou une morale extérieure n’interfèrent. Pour ce faire, le pouvoir politique ne peut être absolu, quelle que soit sa source, là où la liberté des Anciens repose sur « l’assujettissement complet de l’individu à l’autorité de l’ensemble » 2 . Le libéralisme défend donc l’autonomie personnelle : à savoir, l’existence d’une sphère d’action propre à l’individu dans laquelle il peut se mouvoir à sa guise, vivre selon ses propres idéaux et convictions, du moment que cette liberté n’altère pas celle d’autrui.

    Contrairement aux caricatures et aux lectures erronées du discours de Constant, La liberté des Anciens comparée à celle des Modernes n’est pas l’éloge d’un individualisme égoïste, de la monade, de l’être replié sur soi. Il avertit au contraire sur les dangers que court la liberté si elle ne s’investit pas dans les arcanes de la cité, dans l’administration de la chose publique. La liberté individuelle et la liberté politique vont de pair. Le citoyen et l’individu doivent cohabiter. Constant nous invite à ne pas mésestimer cette association : « Le danger de la liberté antique était qu’attentifs uniquement à s’assurer le partage du pouvoir social, les hommes ne fissent trop bon marché des droits et des jouissances individuelles. Le danger de la liberté des modernes, c’est qu’absorbés dans la jouissance de notre indépendance privée, et dans la poursuite de nos intérêts particuliers, nous ne renoncions trop facilement à notre droit de partage dans le pouvoir politique » 3 . Ces nuances sont importantes puisqu’elles battent en brèche les caricatures d’un libéralisme et d’un individualisme atomiste, destructeurs du lien social et politique.

    Mais pour qu’elle ne soit pas vidée de son contenu, cette liberté n’est pas une licence, une « liberté métaphysique » illimitée. Elle est encadrée par le réel , qui dessine les contours du faisable et du non-faisable. Et cette liberté va de pair avec la responsabilité individuelle, autre concept maltraité par de nombreuses mécompréhensions et caricatures. Celle-ci est, pour les libéraux, la condition sine qua non d’une liberté bien comprise : « seul un homme maître de ses choix est susceptible d’en recueillir les bienfaits et d’en subir les conséquences » 4 . C’est un point que ses adversaires négligent totalement lorsqu’ils opposent une « liberté réelle » à la « liberté sur le papier » des libéraux. Cette opposition est d’ailleurs intimement liée à l’expression d’un anti-individualisme fort, puisque la croyance en un individu socialement construit implique sa déresponsabilisation. C’est méconnaitre que les libéraux défendent la responsabilité individuelle sur le plan politique avant de la défendre sur le plan métaphysique. Autrement dit, d’un point de vue descriptif, un libéral pourrait totalement admettre l’axiome selon lequel la liberté individuelle n’existe pas réellement car chaque individu serait le produit de sa biologie et de son environnement, tout en continuant à prôner normativement que la responsabilité individuelle est une nécessité d’un vivre-ensemble respectueux des libertés individuelles.

    Les libéraux ne s’accorderaient pas tous sur cette conception de la responsabilité (voir l’anthologie d’Alain Laurent, L’autre individualisme ). Mais ce qui nous importe ici est surtout de défaire l’idée selon laquelle les progrès récents des sciences sociales et des neurosciences rendraient caduques la notion libérale de responsabilité individuelle, et in fine de l’individualisme qu’elle implique.

    Le libéralisme est un système de gouvernement

    « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».

    Charles de Montesquieu, L’Esprit des Lois , 1748.

    « Prions l’autorité de rester dans ses limites ; qu’elle se borne à être juste. Nous nous chargerons d’être heureux ».

    Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes , 1819.

    Ce primat donné à l’individu et à sa souveraineté, traduit politiquement, est très loin de se résumer à un simple antiétatisme primaire. Au contraire, le libéralisme intègre la question étatique au cœur de ses préoccupations, et ce depuis ses origines. Seulement, si les libéraux ne s’opposent pas à la présence d’un pouvoir politique, ils s’attachent à lui poser des limites strictes.

    L’émergence du libéralisme politique est intimement liée aux grands débats de la période moderne autour de la légitimité du pouvoir politique. Cette dernière ne résulte plus de l’onction divine ; la monarchie absolue perd de son prestige ; subsiste désormais le contrat social issu du consentement des individus. C’est le contractualisme . Thomas Hobbes (1588-1679) sera le premier théoricien à penser l’individu, né des nécessités de l’état de guerre – s’en prémunir pour sauvegarder sa personne – désormais devenu l’échelon légitime pour céder à l’État la prérogative de garantir sa sécurité via le contrat social. Suivra alors John Locke qui développera, dans sa version « libérale » du contrat social, l’existence de droits naturels inaliénables, qui consacrent dès lors une souveraineté et une dignité préalables à l’instauration de la société politique. En ce sens, l’absolutisme est rejeté dans ses fondations : il y a un droit qui précède l’État, et qui l’astreint. Si le gouvernement venait à sortir du cadre de ses attributions, ou s’il échouait à protéger ces droits, alors les citoyens seraient fondés à le renverser.

    De ce souci de lutter contre le gouvernement absolu naîtra le besoin de limiter et de contrôler le pouvoir. Charles de Montesquieu (1689-1755) est sur ce point un penseur incontournable tant sa théorie de la séparation des pouvoirs a joué un rôle considérable dans l’histoire de la philosophie politique, établissant la nécessité de diviser le pouvoir entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Cet outillage institutionnel serait pour Montesquieu le moyen le plus efficace pour se prémunir contre toute forme de tyrannie. Cette théorie inspirera largement l’un des pères de la Constitution américaine de 1787, James Madison , à laquelle il ajoutera la défense du fédéralisme, autre moyen de partager et décentraliser le pouvoir politique.

    Enfin, pour les libéraux, la séparation des pouvoirs ne saurait constituer un garde-fou suffisant. Il faut aussi et surtout inscrire dans le contrat qu’est la Constitution des limites fixes et indépassables au pouvoir afin de garantir les droits de l’Homme. Ils ajoutent ici, comme le fait merveilleusement Benjamin Constant (voir la citation ci-dessus), que le rôle de l’État n’est pas de « faire le bien », mais d’empêcher le mal en donnant aux individus les moyens de se réaliser et de rechercher leur bonheur. Comme le dit très justement Mathieu Laine dans son dictionnaire 5 , les libéraux s’intéressent davantage au contenu du pouvoir qu’à sa source.

    C’est pour cette raison qu’ils se méfient de la « démocratie absolue » car la légitimité de la source du pouvoir ne l’empêche pas d’être tyrannique. Au contraire même, le surplus de légitimité que confère la décision prise de manière démocratique peut favoriser et justifier la négation des droits de l’individu au nom de l’intérêt général de la collectivité. Constant encore, dans ses Principes de politique (1806), met en garde contre « l’erreur de ceux qui, de bonne foi dans leur amour de la liberté, ont accordé à la souveraineté du peuple un pouvoir sans bornes » 6 . Si ces derniers ont « vu dans l’histoire un petit nombre d’hommes, ou même un seul, en possession d’un pouvoir immense, qui faisait beaucoup de mal ; […] leur courroux s’est dirigé contre les possesseurs du pouvoir, et non contre le pouvoir même. Au lieu de le détruire, ils n’ont songé qu’à le déplacer » 7 .

    Dans son célèbre ouvrage De la démocratie en Amérique (1835), Alexis de Tocqueville fait part d’inquiétudes semblables au sujet du « despotisme de la majorité » : « Les démocraties sont naturellement portées à concentrer toute la force sociale dans les mains du corps législatif. Celui-ci étant le pouvoir qui émane le plus directement du peuple, est aussi celui qui participe le plus de sa toute-puissance. On remarque donc en lui une tendance habituelle qui le porte à réunir toute espèce d’autorité dans son sein. Cette concentration des pouvoirs, en même temps qu’elle nuit singulièrement à la bonne conduite des affaires, fonde “le despotisme de la majorité” » 8 . Pour lutter contre ce despotisme, Tocqueville affirme que « le pouvoir accordé aux tribunaux de se prononcer sur l’inconstitutionnalité des lois, forme encore une des plus puissantes barrières qu’on ait jamais élevée contre la tyrannie des assemblées politiques » 9 .

    L’ordre spontané contre l’interventionnisme

    « Le vice est aussi nécessaire dans un État florissant que la faim est nécessaire pour nous obliger à manger. Il est impossible que la vertu seule rende jamais une Nation célèbre et glorieuse. »

    Bernard Mandeville, Fable des abeilles , 1714

    « La liberté générale d’acheter et de vendre est donc le seul moyen d’assurer, d’un côté, au vendeur, un prix capable d’encourager la production ; de l’autre, au consommateur, la meilleure marchandise au plus bas prix. Ce n’est pas que, dans des cas particuliers, il ne puisse y avoir un marchand fripon et un consommateur dupe ; mais le consommateur trompé s’instruira et cessera de s’adresser au marchand fripon ; celui-ci sera discrédité et puni par là de sa fraude ; et cela n’arrivera jamais fréquemment, parce qu’en général les hommes seront toujours éclairés sur un intérêt évident et prochain. »

    Turgot, Deuxième Lettre à un grand vicaire sur la tolérance , 1754

    Si les principes du libéralisme politique font relativement consensus aujourd’hui, ceux du libéralisme économique sont au contraire presque unanimement rejetés, et c’est sur ce plan que madame Rousseau condamne le libéralisme dans son ensemble, « parce qu’il broie les humains, qu’il se fout des conséquences de son économie, que seul le court terme l’intéresse et surtout le profit et l’accumulation. Il détruit tout, de nos États sociaux à notre planète en passant par nos démocraties ».  Cette diatribe ambiguë et désordonnée, qui ne fait que reprendre de manière confuse la panoplie des clichés sur la pensée libérale, cache en réalité une incompréhension des enjeux que recouvre le thème des libertés économiques.

    Dans ce monde simpliste et manichéen que dessine maladroitement madame Rousseau, les libéraux ne seraient que des financiers cyniques, obsédés par les indices économiques, traversés par une vision statistique et mathématique de la réalité sociale et imprégnés d’un mépris pour le « bas peuple » n’ayant d’égal que sa fascination pour les « élites » dominantes. En fait, la défense du libre marché et d’une économie libérale est tout aussi fondée sur des arguments moraux et politiques qu’utilitaristes. Pour les libéraux, le marché est un outil au service d’un modèle socio-économique basé sur « l’ordre spontané », jugé plus juste, efficace et respectueux des libertés individuelles que son antithèse, l’interventionnisme.

    Loin d’être une machine qui « broie les humains », le concept de marché désigne un « Espace abstrait qui désigne l’ensemble des transactions entre individus, il s’agit d’une procédure qui permet à chacun de découvrir et de recueillir des informations indispensables à sa propre action, […] il s’agit d’un processus de découverte » 10 . Murray Rothbard (1926-1995) explique ainsi que le « laisser-faire ou le libre marché ne supposent pas que chacun connaît toujours le mieux dans son propre intérêt, il affirme plutôt que chacun devrait avoir le droit d’être libre de poursuivre son propre intérêt comme il considère le mieux » 11 . Les libéraux reconnaissent donc l’imperfection du marché, mais ils jugent qu’aucun système socio-économique n’atteint son niveau d’efficacité et de justice.

    L’adhésion au marché et la lutte contre l’interventionnisme sont en fait les pendants politiques d’une très riche réflexion épistémologique soutenant l’individualisme contre le constructivisme . La pensée de Friedrich Hayek (1899-1992) est à ce sujet inégalable. Pour le penseur autrichien, il suffit d’approcher l’immense complexité du monde, et donc notre incapacité à l’appréhender totalement, pour réfuter toute approche constructiviste. Il soutient ainsi que les planificateurs centraux ne disposent jamais de l’ensemble des informations nécessaires pour prendre des décisions économiques optimales, tant ces dernières sont nombreuses, dispersées et difficiles à identifier. Il oppose à cette planification étatique et centralisatrice le concept de catallaxie , qui désigne l’ordre spontané émergeant de l’infinité des interactions prenant place sur le marché. Les prix jouent un rôle important en tant que mécanisme de communication transmettant à l’ensemble des acteurs du marché les informations nécessaires à leurs actions, leur permettant de prendre des décisions « éclairées » sans l’aide d’un acteur central quelconque. Avec la catallaxie, Hayek illustre comment un ordre complexe et coordonné peut émerger des interactions volontaires et décentralisées des acteurs du marché.

    Surtout, cette lutte contre l’interventionnisme s’inscrit dans une lutte contre la croissance du pouvoir étatique. En effet, les libéraux considèrent qu’il ne peut y avoir de libertés individuelles sans libertés économiques. Ils ajoutent que l’absence de ces dernières mène inévitablement à un système politique autoritaire. Lorsqu’Hayek soutient, dans La route de la servitude (1944), qu’un contrôle excessif de l’État dans l’économie conduit nécessairement à une perte de libertés individuelles, il s’inscrit dans la droite lignée de la défense des libertés modernes de Benjamin Constant. Produire et consommer sont des actes profondément intimes et personnels, et une trop grande intervention du pouvoir politique dans la vie économique correspond à une intrusion liberticide d’un pouvoir toujours arbitraire dans la vie des individus.

    L’esprit totalitaire n’a pas disparu…

    « Une élite, qui prétend édifier une société parfaite, incline d’autant plus à la brutalité qu’elle s’imagine viser une fin plus sublime. Du messianisme à la violence, de la violence à la tyrannie, la leçon n’a pas le mérite d’être neuve, et l’on n’ose même pas espérer qu’elle soit jamais retenue. »

    Raymond Aron, Préface de Lénine et la IIIe Internationale (Branko Lazitch), 1950

    Ces quelques lignes auront suffi à démontrer que, loin de tenir la main au fascisme ou au totalitarisme, le libéralisme s’est en fait bâti, tout au long de son histoire, contre toute forme de tyrannie. Les totalitarismes du XX e siècle se sont tous construits autour d’une vision constructiviste de l’Homme et de la société dans une perspective profondément antilibérale. Il est d’ailleurs marquant d’observer à quel point l’illibéralisme et la lutte contre « la bourgeoisie libérale » sont les dénominateurs communs du fascisme italien, du stalinisme soviétique et du national-socialisme allemand.

    Contre ces visions totalisantes et autoritaires « prétendant édifier une société parfaite », les auteurs libéraux se sont soulevés sans aucune forme d’ambiguïté, reconnaissant bien que ces projets visaient à détruire l’individu pour en faire un simple outil au service d’un projet politique holistique. Ce n’est pas un hasard si, parmi les grands analystes du phénomène totalitaire et des religions séculières, on trouve nombre de penseurs libéraux : Élie Halévy, Ludwig Von Mises, Raymond Aron , Friedrich Hayek, François Furet, Jean-François Revel , pour ne citer qu’eux…

    Les prises de position de madame Rousseau autour de la crise environnementale ou des enjeux autour de la défense des minorités montrent bien qu’à travers le contrôle de l’économie, il est en fait question de soumettre l’individu aux exigences d’un intérêt général toujours plus abstrait et arbitraire. N’y a-t-il pas, dans la volonté d’interdire certains types de productions et de consommations (on pense par exemple à la volonté d’ interdire les jets privés ), une vision profondément morale de l’économie, visant à distinguer des « pollutions légitimes » et des « pollutions illégitimes » selon des critères profondément arbitraires et subjectifs ? Dans le monde décroissant et égalitaire de madame Rousseau, quelle sera la place du divertissement sur YouTube ? Légitime ? Illégitime ? Que dira-t-elle à ceux qui veulent voyager ? Visiter de la famille sera-t-il plus légitime que de participer à un colloque universitaire à l’autre bout du monde ? Est-ce que des vacances studieuses dans des musées seront considérées comme plus légitimes que des vacances oisives sur une plage de sable blanc ? N’est-ce pas également une posture potentiellement totalitaire que de considérer que le privé est politique et que, ce faisant, aucun aspect de la vie ne devrait échapper au contrôle du pouvoir politique ? Ou encore, qu’en est-il de la liberté de conscience quand certains se réjouissent de l’apparition de sensibility readers dont le rôle est de réécrire des œuvres , dans le but très admis d’agir jusque dans l’inconscient des individus en expurgeant certains mots ou certaines idées d’œuvres classiques ?

    Ces différents exemples tracent tous un même dessein : la volonté de contrôler l’ensemble de la réalité sociale afin de faire advenir une société parfaite, débarrassée de tous ses maux. Face à cette prétention totalisante, la pensée libérale apparaît plutôt comme un antidote à ces dérives pernicieuses. Pour ne prendre que l’exemple de la crise climatique (puisque madame Rousseau est députée écologiste) : plutôt que d’interdire la viande et les jets privés, de limiter la consommation de débit internet et d’imposer des pratiques, de manière égalitaire, au prix d’une négation totale des individus et de leurs aspirations profondes, les libéraux proposent l’instauration d’un prix carbone afin de laisser arbitrer le marché en donnant à l’ensemble des acteurs privés les informations nécessaires pour faire des choix informés et personnels selon leurs propres conceptions d’une bonne vie. Cette solution permettrait de concilier la sauvegarde des libertés individuelles aux enjeux climatiques, tout en conservant un système économique à même de favoriser les innovations qui seront nécessaires pour nous adapter aux bouleversements déjà enclenchés par le changement climatique et la perte de biodiversité. Madame Rousseau, loin de l’épouvantail que vous dressez et qui est infiniment plus aisé à combattre, le véritable libéralisme, pour qui veut l’appréhender avec un tant soit peu d’honnêteté et de curiosité, révèle une richesse, une vigueur, une force d’âme insoupçonnée qui, pour les « Hommes de bonne volonté », est une source inaltérable face aux maladies de notre temps.

    Tâchons simplement de ne pas confondre le mal et le remède, car assurément, l’esprit totalitaire est ailleurs.

    1. On trouvera une liste des idées reçues les plus fréquentes sur le libéralisme dans l’excellent : Mathieu Laine, Dictionnaire du libéralisme , Paris, France, Larousse, 2012
    2. Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes , 1819.
    3. Benjamin Constant, De la liberté des anciens comparée à celle des modernes, 1819.
    4. M. Laine, Dictionnaire du libéralisme …, op. cit. , p. 526.
    5. M. Laine, Dictionnaire du libéralisme …, op. cit.
    6. Benjamin Constant, Principes de politique applicables à tous les gouvernements: version de 1806-1810 , Paris, Hachette Littératures, 2006.
    7. Ibid. Constant Benjamin, Principes de politique applicables à tous les gouvernements: version de 1806-1810 , Paris, Hachette Littératures, 2006
    8. Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique , Paris, France, Garnier-Flammarion, 1981, vol. 2/.
    9. Ibid. , p. 172.
    10. Mathieu Laine, Dictionnaire du libéralisme , Paris, France, Larousse, 2012.
    11. https://www.wikiberal.org/wiki/ Laissez-faire
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      Non à la monnaie numérique proposée par la banque centrale

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 9 February, 2023 - 03:50 · 5 minutes

    Par Connor O’Keeffe.

    Que cela vous plaise ou non, les monnaies numériques des banques centrales (CBDC pour « central bank digital currencies » ) arrivent. C’est ce qui ressort d’une récente chronique technique du Wall Street Journal . Des organisations telles que le Forum économique mondial , le Fonds monétaire international et l’ Atlantic Council adoptent un ton similaire.

    La lecture de ces sources pourrait vous amener à assimiler les soi-disant CBDC aux camions autonomes ou aux écrivains à intelligence artificielle (IA) – une technologie qui répond si bien aux besoins des consommateurs qu’il est impossible d’y résister. Mais ce n’est pas le cas. Les CBDC ne constituent pas un développement révolutionnaire de la technologie financière. Elles constituent la prochaine étape de la corruption de l’argent par le gouvernement et une grave menace pour la liberté.

    L’argent a évolué de manière organique sur le marché libre. Des personnes travaillant à leurs propres fins, contraintes par la rareté et la loi économique, ont choisi différentes marchandises pour les aider à transcender le troc et à s’engager dans des échanges indirects . Le bétail, les coquilages, le cuir et le bronze sont les premières formes de monnaie. Mais lorsque les nations qui peuplaient la surface du globe ont commencé à interagir et à commercer, les métaux précieux comme l’or et l’argent sont devenus la forme dominante de monnaie.

    Les hôtels des monnaies privés ont commencé à façonner les métaux pour en faire des pièces, jouant leur réputation sur leur capacité à indiquer avec précision le poids et la finesse d’une pièce – des attributs importants pour les commerçants. Plus tard, les marchands ont compris qu’ils pouvaient éviter de transporter de lourdes pièces en stockant leur argent et en échangeant avec les reçus de dépôt .

    La monnaie s’est développée sans autorité centrale, mais comme pour le droit et la langue, la classe politique a détourné cette institution apatride pour servir ses propres intérêts. Le contrôle de l’État a représenté un tournant pour la monnaie, passant d’une évolution ascendante à une corruption descendante. Cela a commencé avec les monnaies d’État et les lois sur le cours légal, qui permettaient aux gouvernements de déprécier les pièces.

    Puis vint la banque centrale, un partenariat entre le gouvernement et les banques pour gonfler le nombre de reçus de dépôt au-delà de la masse monétaire qu’ils sont censés représenter. La dépréciation de la monnaie s’est poursuivie jusqu’à ce que les gouvernements rompent le lien entre les billets de banque et la monnaie réelle en suspendant l’étalon-or. C’est ce qui s’est passé dans la plupart des pays occidentaux dans les années 1930 et aux États-Unis en 1971. Cette décision a marqué le début de l’ère de la monnaie par décret gouvernemental, ou monnaie fiduciaire, dans laquelle nous vivons aujourd’hui.

    Comment les monnaies numériques des banques centrales s’inscrivent-elles dans cette histoire ?

    Elles représenteraient la prochaine étape de la déchéance monétaire. Jusqu’à présent, les gouvernements se sont lentement octroyé un contrôle direct sur la masse monétaire. Les CBDC iraient encore plus loin et donneraient au gouvernement le contrôle de la distribution et de la circulation de l’argent. Le système contournerait le système bancaire et obligerait les Américains à détenir des dollars numériques sur un compte auprès de la Réserve fédérale.

    Le fait que les banques politiquement liées seraient abolies avec l’adoption des CBDC de détail est probablement le plus grand obstacle auquel se heurte le programme. Les CBDC testées aujourd’hui sont des CBDC de gros ou des réserves numériques que les banques déposent auprès de la Fed. Le déploiement des CBDC de détail directement auprès des particuliers se produirait très probablement lors d’un effondrement bancaire national, lorsque Washington pourrait laisser tomber les banques du pays sans crainte de représailles.

    Mais remarquez la différence entre l’évolution économique et la corruption politique de l’argent. L’une est choisie, et l’autre est imposée. Et si quelque chose est imposé, on peut y résister. Il n’y a rien de naturel ou d’inévitable dans les CBDC, malgré ce que disent certains chroniqueurs techniques. Si suffisamment de personnes se levaient et disaient « non », il n’y aurait pas de CBDC. Il suffit de regarder ce qui est arrivé au mandat de vaccination de l’Occupational Safety and Health Administration (OSHA) du président Joe Biden.

    Les personnes de toutes tendances politiques devraient s’opposer aux CBDC. Ce nouveau système bancaire nationalisé permettrait au gouvernement fédéral d’ajouter ou de retirer des dollars numériques des comptes bancaires des ménages et de retracer la destination de ces dollars. Les chèques de relance pourraient être déposés et contrôlés et peut-être même assortis d’une limite de temps. Washington, en quête de sanctions, pourrait rendre les boycotts étrangers obligatoires. Le gouvernement fédéral pourrait geler l’argent de n’importe qui à tout moment pour des raisons allant de la suspicion de crime à la dissidence politique. Les implications inquiétantes ne manquent pas. Et même si certaines semblent exagérées, il est naïf de confier au gouvernement le contrôle total de l’argent et d’espérer qu’il s’abstiendra d’utiliser tout ce pouvoir à son propre avantage.

    Comme tout programme gouvernemental, le moment pour annuler les CBDC serait avant leur mise en œuvre. Un autre argument en faveur des CBDC de détail est qu’elles aideront les personnes non bancarisées à accéder au système financier mondial. Il existe de nombreuses façons de résoudre ce problème sans violer les droits de quiconque. Mais si les CBDC sont utilisées, ceux qui dépendent de ces monnaies seront utilisés pour vilipender toute personne tentant de réduire le programme. « Retirez-nous le contrôle de l’argent, et les pauvres seront coupés de l’économie » sera la menace implicite utilisée par la classe politique, sous couvert d’un langage compassionnel.

    Les monnaies numériques des banques centrales ne sont pas une technologie financière nouvelle et innovante. Elles représentent l’étape suivante de la corruption de l’argent par les gouvernements. Mais si suffisamment de personnes sont sensibilisées aux dangers que représente un système bancaire nationalisé, le programme de la CBDC de détail pourrait ne jamais voir le jour. Comme il est beaucoup plus difficile de faire reculer un programme gouvernemental que d’en empêcher la mise en œuvre, c’est maintenant qu’il faut dénoncer haut et fort le gouvernement qui ose même envisager une prise de pouvoir aussi flagrante.

    Traduction Contrepoints

    Sur le web

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      Les centres de progrès (27) : Hong Kong (non-interventionnisme)

      Chelsea Follett · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 8 January, 2023 - 03:30 · 10 minutes

    Un article de Human Progress

    Notre vingt-septième Centre du progrès est Hong Kong pendant sa rapide transformation en marché libre dans les années 1960. Après avoir longtemps lutté contre la pauvreté, la guerre et la maladie, la ville a réussi à atteindre la prospérité grâce à des politiques libérales classiques.

    Aujourd’hui, la liberté qui a été la clé du succès de Hong Kong est en train de disparaître. La Chine continentale a réprimé les libertés politiques et civiles de la ville, laissant son avenir incertain. Mais comme l’a fait remarquer ma collègue Marian Tupy , « quel que soit l’avenir de Hong Kong, nous devons admirer son accession à la prospérité grâce à des réformes libérales. »

    La région où se trouve aujourd’hui Hong Kong est habitée depuis l’époque paléolithique, certains des premiers résidents étant le peuple She . Le petit village de pêcheurs qui allait devenir Hong Kong est passé sous la domination de l’Empire chinois pendant la dynastie Qin (221-206 av. J.-C.). Après la conquête mongole au XIII e siècle, Hong Kong a connu sa première augmentation significative de population, les loyalistes de la dynastie Song cherchant refuge dans cet obscur avant-poste côtier.

    La position de Hong Kong sur la côte a permis à ses habitants de vivre de la pêche, de la collecte de sel et de la chasse aux perles. Cependant, elle les exposait aussi à la menace constante des bandits et des pirates. Cheung Po Tsai (1786-1822) était un pirate particulièrement célèbre qui aurait commandé une flotte de 600 navires pirates avant que le gouvernement ne le recrute pour devenir colonel de la marine et combattre les Portugais. Sa cachette présumée sur une île située à six miles de la côte de Hong Kong est aujourd’hui une attraction touristique.

    La Chine a cédé une grande partie de Hong Kong à la Grande-Bretagne en 1842 par le traité de Nanjing qui a mis fin à la première guerre de l’opium. Avec l’intensification du commerce de la soie, de la porcelaine et du thé entre la Chine et la Grande-Bretagne, la ville portuaire est devenue un centre de transport et s’est rapidement développée. Cette croissance a d’abord entraîné surpopulation et insalubrité. Il n’est donc pas surprenant que la troisième pandémie de peste (1855-1945) a fait quelque 12 millions de victimes dans le monde et a dévasté l’Asie, et n’a pas épargné Hong Kong.

    En 1894, la peste bubonique est arrivée dans la ville et a tué plus de 93 % des personnes. La peste et l’exode qui en a résulté ont provoqué un ralentissement économique majeur, un millier de Hongkongais quittant la ville chaque jour au plus fort de la pandémie. Au total, environ 85 000 des 200 000 résidents d’origine chinoise de la ville ont quitté Hong Kong. La peste bubonique est restée endémique sur l’île jusqu’en 1929. Et même après, Hong Kong est restée insalubre et ravagée par la tuberculose, ou « peste blanche ».

    Outre la maladie, la vie à Hong Kong était également compliquée par la guerre et l’instabilité sur le continent chinois. En 1898, la deuxième guerre de l’opium (1898) a placé la péninsule de Kowloon de Hong Kong sous contrôle britannique.

    Les souffrances à Hong Kong ont été bien documentées par la journaliste Martha Gellhorn, arrivée avec son mari, l’écrivain Ernest Hemingway, en février 1941. Hemingway ironisera plus tard sur le fait que ce voyage était leur lune de miel. Gellhorn écrit : « La nuit les trottoirs étaient envahis de personnes endormies… Les délits étaient la vente ambulante sans permis et une amende que personne ne pouvait payer. Ces gens étaient le vrai Hong Kong et c’était la pauvreté la plus cruelle, pire que tout ce que j’avais vu auparavant. » Pourtant, les choses allaient encore empirer pour la ville.

    Au cours de la deuxième guerre sino-japonaise (1937-1945), une grande partie de l’aide matérielle que la Chine recevait des nations alliées arrivait par ses ports – en particulier la colonie britannique de Hong Kong, qui acheminait environ 40 % des fournitures extérieures. En d’autres termes, la ville était une cible stratégique. Les autorités britanniques ont évacué les femmes et les enfants européens de la ville en prévision d’une attaque. En décembre 1941, le matin même où les forces japonaises ont attaqué Pearl Harbor à Hawaï, le Japon a également attaqué Hong Kong en commençant par un bombardement aérien. Les Britanniques ont choisi de faire sauter de nombreux ponts et autres infrastructures clés de Hong Kong pour ralentir l’avancée de l’armée japonaise, mais en vain.

    Après la bataille de Hong Kong, les Japonais ont occupé la ville pendant trois ans et huit mois (1941-1945). L’université des sciences et de la technologie de Hong Kong considère cet épisode comme étant peut-être « la période la plus sombre de l’histoire de Hong Kong ». Les forces d’occupation ont exécuté environ 10 000 civils de Hong Kong et ont torturé, violé et mutilé de nombreux autres. La situation a incité de nombreux Hongkongais à fuir et la population de la ville a rapidement diminué, passant de 1,6 million à 600 000 habitants pendant l’occupation. L es Britanniques sont revenus à Hong Kong après la reddition des Japonais aux forces américaines en 1945.

    La même année, un fonctionnaire écossais de 30 ans, Sir John James Cowperthwaite, est arrivé dans la colonie pour aider à superviser son développement économique dans le cadre du ministère des approvisionnements, du commerce et de l’industrie. Il devait initialement se rendre à Hong Kong en 1941 mais l’occupation japonaise l’a contraint à être réaffecté en Sierra Leone. Lorsqu’il arrive enfin à Hong Kong, il découvre une ville ravagée par la guerre, dans un état de pauvreté encore pire que celui décrit par Gellhorn. On la surnomme à juste titre « l’île stérile ». Les affaires étant au point mort, les Britanniques envisagent de rendre à la Chine cette ville apparemment sans espoir, remplie de réfugiés de guerre.

    Mais Cowperthwaite avait quelques idées qui permettraient de transformer Hong Kong d’un des endroits les plus pauvres de la planète en un des plus prospères.

    Quelle était l’intervention miraculeuse qu’il proposait ?

    Tout simplement de permettre aux habitants de Hong Kong de reconstruire leurs magasins, de se livrer à des échanges et en fin de compte de se sauver eux-mêmes et d’enrichir leur ville.

    Cowperthwaite avait confiance dans les capacités des personnes ordinaires à gérer leur propre vie et leurs affaires. Lui et ses collègues administrateurs ont assuré à la ville la liberté, la sécurité publique, l’État de droit et une monnaie stable, et ont laissé le reste aux habitants. En d’autres termes, il a adopté une politique de non-intervention. Cela ne veut pas dire qu’il n’a rien fait, car il était très occupé à surveiller les autres bureaucrates. Il affirmera plus tard que l’une des actions dont il était le plus fier était d’empêcher la collecte de statistiques susceptibles de justifier une intervention économique.

    Cowperthwaite a gravi les échelons de la bureaucratie et a fini par devenir le secrétaire financier de Hong Kong, poste qu’il a occupé de 1961 à 1971. Au cours des années 1960, de nombreux pays ont expérimenté une planification économique centralisée et un niveau élevé de dépenses publiques financées par de lourds impôts et d’importants déficits. L’idée que les gouvernements doivent tenter de piloter l’économie, de la planification industrielle à l’inflation intentionnelle, fait pratiquement l’objet d’un consensus mondial. Cowperthwaite résiste à la pression politique pour suivre le mouvement. De 1964 à 1970, la Grande-Bretagne est dirigée par un gouvernement travailliste favorable à une intervention économique musclée, mais Cowperthwaite s’interpose constamment pour empêcher ses compatriotes de s’immiscer dans le marché de Hong Kong.

    Alors que la Chine continentale contrôlée par les communistes purgeait violemment tout vestige de capitalisme (entre autres) pendant le règne de la terreur appelé plus tard Révolution culturelle (1966-76), Hong Kong a suivi une voie nettement différente.

    En 1961, dans son premier discours sur le budget, M. Cowperthwaite a déclaré : « À long terme, l’ensemble des décisions prises par des hommes d’affaires exerçant leur jugement individuel dans une économie libre, même si elles sont souvent erronées, sont moins susceptibles de causer du tort que les décisions centralisées d’un gouvernement, et le tort est certainement susceptible d’être contré plus rapidement. »

    Il avait raison. Une fois libérée, l’économie de Hong Kong est devenue d’une efficacité époustouflante et a connu une croissance économique explosive. La ville a été l’une des premières d’Asie de l’est à s’industrialiser complètement et a connu une prospérité post-industrielle tout aussi rapide. Hong Kong est rapidement devenue un centre international de finance et de commerce, ce qui lui a valu le surnom de « ville mondiale de l’Asie ». L’essor économique de Hong Kong a considérablement amélioré le niveau de vie local. Pendant le mandat de Cowperthwaite en tant que secrétaire financier, les salaires réels à Hong Kong ont augmenté de 50 % et le nombre de ménages en situation de pauvreté aiguë a diminué des deux tiers.

    Lorsque l’Écossais est arrivé à Hong Kong en 1945, le revenu moyen y était inférieur à 40 % de celui de la Grande-Bretagne. Mais lorsque Hong Kong a été rendu à la Chine en 1997, son revenu moyen était supérieur à celui de la Grande-Bretagne.

    Le successeur de Cowperthwaite, Sir Philip Haddon-Cave, a nommé la stratégie de Cowperthwaite la « doctrine du non-interventionnisme positif ». Le non-interventionnisme positif est devenu la politique officielle du gouvernement de Hong Kong et l’est resté jusque dans les années 2010. Pendant des années, la ville s’est targuée d’être l’économie la plus libre du monde, avec des industries financières et commerciales florissantes et un bilan en matière de droits de l’Homme bien supérieur à celui de la Chine continentale.

    Puis, en 2019, Pékin a commencé à exiger l’extradition des fugitifs de Hong Kong vers la Chine continentale – érodant l’indépendance du système juridique de Hong Kong. En réponse aux manifestations de masse qui en ont résulté, le gouvernement de la Chine continentale a mis en œuvre une répression brutale de l’indépendance politique et économique de Hong Kong. En juillet 2020, une nouvelle loi sur la sécurité nationale imposée par le gouvernement communiste de Pékin a criminalisé les manifestations et supprimé plusieurs autres libertés dont jouissaient auparavant les Hongkongais. Les changements radicaux se poursuivent, notamment la refonte du système éducatif de Hong Kong.

    Hong Kong a été rendu à la Chine à la condition qu’il reste autonome jusqu’en 2047. Mais le « territoire autonome » n’est malheureusement plus vraiment autonome.

    D’une ville affamée en proie à la guerre et à la pauvreté à un phare brillant de prospérité et de liberté, l’ascension de Hong Kong a illustré le potentiel d’un gouvernement limité, de l’État de droit, de la liberté économique et de la probité fiscale. Malheureusement, les piliers sur lesquels s’est construit le succès de Hong Kong s’effritent aujourd’hui sous les poings serrés du parti communiste chinois. Quel que soit l’avenir de la ville insulaire, sa transformation reflète tout ce que les gens peuvent accomplir lorsqu’ils sont libres de le faire. Cette leçon politique historique mérite que Hong Kong soit considéré comme notre 27e Centre de progrès.

    Traduction Contrepoints

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      Pourquoi le libéralisme n’est ni le laisser-faire, ni le laisser-aller

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 2 January, 2023 - 03:40 · 8 minutes

    Par Johan Rivalland.

    « Laissez-nous faire, laissez passer le grain. »

    Voilà le cri du cœur lancé par un certain Legendre, marchand de son État, répondant à Colbert sur les moyens d’aider le commerce. Une formule sortie de son contexte et manipulée par la suite… mais toujours d’actualité.

    Douzième volet de notre série « Ce que le libéralisme n’est pas ».

    La liberté d’action et de circulation

    Voici ce que rappelait Jean-Yves Naudet , en lien avec l’actualité en 2014, à ce sujet :

    « Il faut remonter au XVII e siècle et à Colbert. Celui-ci recevait une délégation de chefs d’entreprises menée par Legendre. Colbert, en interventionniste fondateur du colbertisme, leur demande « que puis-je faire pour vous aider ? » . Dans son esprit, cela signifie : subventions, privilèges, monopoles, réglementations, fermeture des professions… La réaction de Legendre a laissé Colbert perplexe : « Laissez-nous faire » . Nous n’avons pas besoin de votre aide et de vos fonctionnaires, pas besoin que l’État se mêle de ce que nous savons faire nous-mêmes. Mais au moins ne nous mettez pas de bâtons dans les roues, rendez-nous notre liberté, le reste, nous nous en chargeons. »

    Cet épisode et ce Legendre ont-ils vraiment existé ou s’agit-il d’une formule qui serait en réalité l’œuvre de Vincent de Gournay, dont Turgot dressait un éloge vibrant , celui-ci l’ayant largement inspiré dans ses réflexions et ses actions ?

    Peu importe.

    Ce qui est sûr est que les disettes étaient courantes encore à l’époque et qu’il était d’une complète aberration et proprement inouï que, par ses mesures réglementaires et protectionnistes, empêchant la libre-circulation des grains d’une contrée à une autre en France, des gens souffrent ou meurent alors même qu’à quelques kilomètres à peine de chez eux des excédents de récoltes leur auraient permis de manger à leur faim. Tout cela parce que, par son interventionnisme criminel, l’État empêchait la liberté du commerce .

    Et on voudrait incriminer le libéralisme, lui prêter des intentions dites « égoïstes » n’ayant rien à voir avec ses principes ? Nous n’avons affaire là qu’à pure ignorance. Et il est un fait que l’ignorance prend bien plus souvent le pas sur la connaissance que l’inverse.

    Laissez-nous faire, cessez de nous mettre des bâtons dans les roues !

    Plus de 300 ans après, c’est un autre cri du cœur similaire qui est lancé par le maire de Mandelieu-la-Napoule le 25 novembre 2019, suite aux inondations qui ont touché de manière impressionnante les Alpes-Maritimes. Là encore, on peut qualifier l’interventionnisme de criminel – même si ce n’est bien évidemment nullement intentionnel – pour ne pas dire absurde, en tous les cas inconséquent.

    Car c’est une nouvelle fois le poids de la réglementation – pire, ses contradictions parfois absurdes – qui mène à la catastrophe et à la mort d’individus. Lisons un extrait de l’article de presse mis en lien ci-dessus concernant l’appel de ce maire (et de plusieurs autres responsables publics locaux en accord avec ses propos) :

    « … Il dénonce « une contrainte totalement contradictoire » en matière d’urbanisme : « On nous demande de faire des logements en nombre – je dois en faire 2500 pour être dans la loi et on me punit de ne pas les faire et de l’autre côté on me demande de rendre à la nature le plus de sols possible », explique-t-il. « Moi, je préfère privilégier la lutte contre l’inondation mais pour faire des aménagements contre l’inondation, il me faut des dizaines d’années de procédures puisque c’est très compliqué », poursuit-il. « J’en appelle donc au président de la République et aux parlementaires : je leur demande de simplifier la législation, de simplifier les réglementations, de rendre le pouvoir aux locaux pour pouvoir aménager. Laissez-nous faire, on peut le faire, mais laissez-nous agir et arrêtez de nous contraindre avec des procédures qui n’en finissent pas.

    Le libéralisme, un « laisser-aller » ?

    Le « laisser-fairisme » n’est donc qu’une simple vision de l’esprit créée par des ennemis du libéralisme, puis répandue médiatiquement, pour s’ancrer dans les esprits de tout un chacun de manière insidieuse et difficilement réversible.

    La philosophie libérale est bien plus fine que les caricatures que l’on veut bien en dresser de manière souvent scandaleuse . Et lorsque d’aucuns prônent le « laissez faire » (avec un « z » et non un « r ») dans tel ou tel domaine ce n’est jamais avec l’intention qui lui est généralement prêtée.

    Pire encore, il en va de même avec cette idée parfaitement insidieuse qui consiste à associer le libéralisme avec le « laisser-aller ». Une nouvelle fois nous sommes dans la grossière caricature. Et le plus désolant est que des gens, même de bonne foi, sont parfaitement convaincus de la validité de ce type d’assertion.

    Hier encore, j’écoutais face à moi quelqu’un de tout à fait sympathique et agréable, nullement mal intentionné et plutôt assez instruit, qui devisait – à la veille des grandes grèves qui allaient débuter ce 5 décembre 2019 – sur les risques et dérives de notre société actuelle. Les inquiétudes face aux mouvements sociaux, les Gilets jaunes, casseurs et autres voyous venant de banlieues jusqu’à Paris, Christophe Guilluy et la France périphérique … jusqu’au moment où, évoquant certains quartiers fermés à la police où règne la loi des dealers, cette personne se met à sortir un couplet sur l’ultralibéralisme qui régnerait dans ces quartiers.

    Je n’ai rien dit – parfois c’est vain et je n’avais de toute façon pas du tout le temps car j’étais très occupé – mais c’était hélas tout à fait représentatif ce que beaucoup pensent, emportés par leurs croyances et ignorants des fondements philosophiques du libéralisme. Poursuivant sa pensée, cette personne mélangeait alors loi de la cité, absence d’autorité, trafic en toute impunité, règlements de comptes par le moyen d’une balle dans la tête et « ultralibéralisme » à la Alain Madelin (qui, si d’aventure il lit ces lignes, ne pourra que s’en attrister, tant cette caricature est d’une ignominie consternante). Je ne pouvais que prendre ma plume pour tenter de lutter à ma toute petite échelle contre de telles horreurs d’attributions intellectuelles…

    Laisser-aller et État-gendarme

    Ceci m’a aussi laissé entrevoir la contradiction incroyable qui peut régner dans certains esprits (universitaires) entre d’un côté cette idée absurde que nous venons d’évoquer d’un « laisser-aller », et une autre facette souvent caricaturale – en parfaite contradiction – prêtée au libéralisme, souvent apparenté à une sorte « d’État-gendarme ». Avec toute l’évocation péjorative que l’on peut imaginer derrière cette formule réductrice… Comme quoi nous ne sommes plus à une contradiction près et que lorsqu’on évoque le libéralisme, on ne sait pas très bien de quoi on parle, si ce n’est d’une sorte d’épouvantail protéiforme qui a bon dos et permet une forme de défoulement apaisante.

    Rappelons, si besoin est, que le libéralisme est par nature attaché au respect des droits des individus, aux libertés fondamentales, au droit de propriété, à la protection de la personne à la fois dans son intégrité physique et morale, à la responsabilité.

    Comment imaginer un seul instant que « loi de la cité » et libéralisme auraient quoi que ce soit à voir ensemble ?

    Laisser-aller : mais de qui parlons-nous ?

    Pour conclure, car le thème de cet article pourrait largement occuper un ouvrage entier à lui seul – mais il faut ici faire court – j’aurais tendance à renverser les propos contenus dans les idées reçues esquissées précédemment en faisant remarquer que c’est plutôt l’État, par son interventionnisme excessif , qui a tendance – malgré lui – à conduire dans de nombreux domaines au laisser-aller. Joli paradoxe. À vouloir se mêler de tout et de rien il finit par être très souvent inefficace et causeur de troubles. Cela ne date pas d’hier, ainsi que nous l’avons vu, et ses interventions, par leur absurdité parfois et leurs contradictions comme nous l’avons vu aussi, peuvent s’avérer nuisibles.

    Un seul exemple – en lien avec l’actualité : le système des retraites. Avec un petit rappel à tous ceux qui marquent leur refus inflexible de toute réforme ( ou changement de système ) quelle qu’elle soit : à force de laisser-aller et d’inconséquence politique de la part de « l’État » et ceux qui le représentent, la Grèce dos au mur a fini par devoir consentir d’autorité une baisse généralisée des retraites de 30 % du jour au lendemain. Voilà qui laisse songeur. Et qui pourrait bien nous arriver. Mais c’est sans doute là un autre sujet… quoique.

    À lire : articles de la série « Ce que le libéralisme n’est pas » :

    Article initialement publié en décembre 2019 .

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      Après la pandémie, il nous faut un monde plus libre

      Auteur invité · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 27 April, 2020 - 03:25 · 5 minutes

    libre

    Par Bob DiCostanzo.
    Un article de The Libertarian Republic

    Le coronavirus a pris la vie de plus de 154 000 personnes (au 18 avril, NdlR). C’est profondément triste et grave. J’ai quelquefois l’impression que nous perdons de vue cette tragédie dans le débat sur la « réouverture » du pays.

    Mais je sais aussi que la réaction des administrations face à la crise a des conséquences sur la vie et sur la mort. Et nous devons résister énergiquement à toutes les décisions qui produiraient des effets bien pires encore.

    Bien que le combat concernant l’avenir du pays ne soit pas au centre des préoccupations de beaucoup d’Américains, les libéraux doivent être prêts à exprimer en quoi une société plus libre est cruciale pour la reprise et en quoi elle est le meilleur moyen de nous préparer à une autre pandémie.

    Commençons par la liberté économique

    Ce principe a sorti des milliards de personnes de la pauvreté et a créé d’énormes quantités de richesses,  nous permettant de lutter contre le coronavirus mortel.   Élargir la liberté économique n’a jamais été plus important. C’est ce qui accélérera la reprise, mais cela exige d’abattre les barrières – impôts élevés, dépenses faramineuses, fardeaux réglementaires, etc. – qui ont entravé la création de richesses et refusé à tant de monde la chance d’une vie meilleure.

    La leçon de la dépression de 1920-1921 est instructive. Si vous n’en avez jamais entendu parler, c’est sans doute parce qu’elle s’est terminée très rapidement. En réaction à un ralentissement économique brutal au début des années 1920, le gouvernement fédéral a coupé dans les dépenses et a laissé le marché fonctionner librement . L’économie a repris rapidement et a ouvert la voie aux « années folles ». Cet exemple qui montre le pouvoir des marchés forme un contraste saisissant avec la Grande Dépression qui a été prolongée par l’intervention de l’administration et n’a pris fin que lorsqu’on a laissé le marché récupérer de la Seconde Guerre mondiale.

    Espérons que les officiels apprennent des leçons du passé car dans tout le pays les administrations font face à leurs propres crises économiques et fiscales. Selon le Comité pour un budget fédéral responsable, le déficit du budget fédéral est attendu à 3800 milliards de dollars pour cette année fiscale . Et il va probablement augmenter encore plus lorsque le Congrès aura voté un autre programme de dépenses pour aider les entreprises et les États qui font face au coronavirus. Pour situer les choses, le budget fédéral total pour 2015 était de 3700 milliards.

    Si les administrations avaient mieux maîtrisé les dépenses, le secteur public et le secteur privé seraient en meilleure posture pour réagir à la pandémie. Au lieu de ça, le gouvernement fédéral laisse filer des déficits historiques ; la Réserve fédérale a engagé une augmentation jamais vue des prêts ; et les officiels qu’ils soient au niveau de l’État ou au niveau local, supplient pour obtenir des aides.

    Cette crise ne devrait pas être utilisée pour promouvoir des administrations irresponsables et consolider des bureaucraties campées sur leurs positions. Les administrations et autres agences indépendantes devraient réagir à ces défis en réduisant leurs dépenses et en restructurant leur fonctionnement pour être plus agiles et en meilleure posture pour affronter les crises futures.

    Les officiels fédéraux devraient envisager de réduire leurs dépenses actuelles pour compenser le coût du quatrième programme d’aide Coronavirus qui doit être approuvé par le Congrès dans les prochaines semaines.

    La liste de recommandations constituée par Chris Edwards du Cato Institute est un bon point de départ pour chercher la réduction de dépenses. L’administration fédérale devrait aussi attacher des conditions à toute aide fédérale, afin de s’assurer que les organismes étatiques et locaux, ainsi que des organisations indépendantes, utilisent l’argent comme un tremplin pour la reprise plutôt que comme une béquille temporaire qui facilite la prodigalité .

    Il nous faut une décentralisation radicale

    La réaction en situation d’urgence sanitaire ne devrait pas dépendre d’agences fédérales telles que l’Agence des produits alimentaires et des médicaments ou les Centres de contrôle et de prévention des maladies. Les organisations hiérarchiques écrasent l’innovation, ce qui peut avoir des conséquences mortelles. Alléger ou éliminer les restrictions sur, par exemple, les tests et les vaccins devra être une priorité lorsque la crise sera passée.

    Un autre facteur qui entrave la réaction au virus est la dépendance des États et des entreprises vis-à-vis de l’administration fédérale. C’est le produit de notre échec collectif à empêcher la croissance du Léviathan. Washington D.C. a fait croître son pouvoir aux dépens de nous tous, ainsi que des administrations étatiques et locales.   New-York est malheureusement un bon exemple.

    D.C. prend régulièrement plus d’argent aux New-Yorkais que ce qu’il restitue à l’État sous forme d’aide fédérale . C’est problématique pour plusieurs raisons, y compris le fait de limiter ce que des États comme celui de New-York peuvent faire en réaction à une pandémie. La décentralisation atténue ce problème en permettant une plus grande proximité des ressources et du pouvoir auprès de la population de chaque État plutôt que de les concentrer à D.C. où ils sont souvent mal utilisés ou détournés.

    La décentralisation devrait aussi prendre la forme de l’abrogation de lois et règlements qui restreignent artificiellement la fourniture de services et de personnel médicaux, en laissant les décisions d’allocation de ressources au marché plutôt qu’à des bureaucrates de l’administration ou des intérêts particuliers qui cherchent à se protéger contre la concurrence. Laisser au secteur privé des moyens d’agir est la meilleure manière de sauver des vies.

    Le chemin qui nous attend sera difficile. Les libéraux vont devoir se battre plus durement que jamais pour s’assurer que les politiques existant de longue date ou celles adoptées récemment ne deviennent pas notre ordinaire quotidien.

    Nos vies et nos libertés en dépendent.

    Traduction pour Contrepoints de What should a post-pandemic America look like ?

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      3 maladies bien françaises qui pèsent lourd dans le budget

      Rémy Prud'homme · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 27 April, 2020 - 03:20 · 5 minutes

    dépense publique

    Par Rémy Prud’homme.

    La dépense publique est plus importante en France qu’ailleurs, relativement au PIB. Cependant, la qualité des services publics y est plus faible qu’ailleurs. La crise du Covid-19 le montre : tous les pays ont eu à faire face, au même moment, à la même maladie ; mais dans tous les pays (sauf l’Italie, l’Espagne et la Belgique), elle a tué, par rapport à la population, moins, généralement beaucoup moins, qu’en France.

    L’enquête PISA qui mesure avec des tests impartiaux le niveau des collégiens en mathématiques, en sciences, et en compréhension de texte, place nos écoles au vingtième ou trentième rang des pays testés, quelque part entre la Slovénie et le Portugal. Ce qui est vrai de la santé et de l’éducation l’est également de la justice, de la sécurité, ou de l’emploi.

    Au moment où la crise économique générée par un confinement plus long qu’ailleurs va porter cette dépense publique de 57 % du PIB bien au-delà de 65 %, il faut essayer de comprendre ce paradoxe de la dépense publique française.

    La courbe de Laffer appliquée à la dépense publique

    Une analogie avec la courbe de Laffer peut nous aider à représenter le phénomène. Arthur Laffer , s’intéressant à aux recettes publiques, représente les recettes fiscales en fonction des taux d’imposition.

    Avec un taux zéro, les recettes sont égales à zéro. Avec un taux de 100 % elles sont également égales à zéro. Entre les deux, une courbe plus ou moins parabolique atteint un maximum pour un certain taux présenté comme optimal. C’est la représentation graphique d’un vieux principe fiscal : les hauts taux tuent les totaux.

    Cette courbe, conçue pour les recettes budgétaires, peut être utilisée pour les dépenses budgétaires. Remplacez sur l’axe des x, « taux d’imposition » par « taux de dépense » (en % du PIB), et sur l’axe des y, « recettes publiques » par « services publics », et vous avez une description du lien entre montant de la dépense publique et quantité/qualité des services publics.

    La question n’est pas de savoir si on est pour ou contre les services publics (comme la santé ou l’éducation), mais de déterminer le montant de dépenses qui va nous donner le plus de ces services publics. La courbe montre que peut venir un moment où davantage de dépenses publiques produit moins, et pas davantage, de services publics.

    Comment est-ce possible ? On peut évoquer trois pistes, trois virus, trois maladies.

    La précautionite : empêcher les autres de mal faire

    La première est la précautionite. De plus en plus, l’action publique ne consiste pas à bien faire, mais à empêcher le reste de la société de mal faire. Elle prend la forme de règles, de normes, de contraintes, d’autorisations, de prescriptions, de préalables, d’interdictions. L’image des avions pleins de masques bloqués par les douanes est un symbole de cette maladie.

    La délocalisation de l’industrie pharmaceutique a semble-t-il été motivée autant ou davantage par des différences de contraintes que par des différences de salaires, par Nicolas Hulot plus que par Philippe Martinez.

    L’administrativite : empêcher de faire son travail

    L’administrativite est une autre maladie qui affecte la production des services publics. Parkinson avait montré que l’administration fonctionne et grossit indépendamment de ses finalités ; par exemple, le nombre de fonctionnaires du ministère anglais de la Marine est au cours des années inversement corrélé au nombre des vaisseaux de Sa Majesté.

    James Buchanan a expliqué que les bureaucrates, comme tous les agents économiques, sont motivés par leur intérêt propre , qui implique l’augmentation de leurs budgets ; cette observation, qui fait depuis toujours le fond de la conversation des cafés du Commerce, lui a valu un prix Nobel d’économie.

    L’actualité nous a appris que plus du tiers des agents des hôpitaux français ne voient jamais un malade . S’ils faisaient des cocottes en papier, il n’y aurait que demi-mal ; mais ils travaillent dur, à organiser, orienter, contrôler, surveiller, etc. et finalement empêcher médecins et infirmières de faire leur métier.

    Un autre symbole : l’Hôtel-Dieu à Paris. Cet hôpital était depuis Saint-Louis consacré à soigner des malades ; il a été en partie vidé de ses praticiens pour faire place à l’administration des hôpitaux et à un projet immobilier.

    La politisationite : l’État s’occupe de tout, partout

    Un troisième virus, pas le moins paralysant, est la politisationite. Les politiciens veulent s’occuper de tout : de la recherche, de la solitude, de la culture, de l’alimentation, du sport, des entreprises, de la reconstruction de Notre-Dame de Paris comme de Boko Haram, et des masques.

    Dans un monde de plus en plus complexe et incertain, leur temps et leurs connaissances sont limités ; plus ils les étalent sur un champ d’intervention large, et plus la couche est mince – et insuffisante. Le tout-politique est alors le tout-superficiel. Les politiques ont, comme disait ma grand’mère, « les yeux p’us gros que l’ventre » . Ils le savent parfois, et mettent leur talent à le cacher, derrière de belles phrases ou de vilains mensonges.

    Ce déficit de gestion est en France encore aggravé par le jacobinisme . La crise du covid-19 l’a bien montré, puisque les régions et les départements, qui ne sont pourtant pas des parangons d’efficacité, ont fait mieux que l’État.

    Notre État, qui est obèse parce que malade, et inefficace parce que obèse, s’apprête à prendre une dizaine de kilos : cela n’est pas très rassurant.

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