• Co chevron_right

      S’inspirer de Jean Jaurès pour sauver le système de retraites

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 28 January, 2023 - 03:30 · 2 minutes

    Une chronique de Cécile Philippe.
    Un article de l’ Institut économique Molinari .

    Jean_Jaurès,_1904 S’inspirer de Jean Jaurès pour sauver le système de retraites ?

    Oui car le sujet de la retraite a été trop souvent traité sous un angle purement politicien, ce qui contribue à entretenir un statu quo intenable.

    Relire Jaurès nous montre qu’on peut être à gauche et défendre la capitalisation.

    Il suffit de se replonger dans L’Humanité de 1909. Jaurès y expose comment la capitalisation « en soi est parfaitement acceptable » et peut constituer « un gage plus certain, une base plus solide » pour l’assurance retraite. Pour le cofondateur du Parti socialiste français (1902) et de L’Humanité (1904), la capitalisation « peut même, bien maniée par un prolétariat organisé et clairvoyant, servir très substantiellement la classe ouvrière » .

    En effet, en rendant la classe ouvrière « à la fois capitaliste et salariée », elle lui permettrait de recevoir « tout le produit social qui résulte de la mise en œuvre de ce capital par le travail ouvrier ». En permettant au salarié de devenir épargnant, elle lui donnerait les moyens de préparer ses vieux jours tout en s’appropriant une partie du rendement du capital.

    D’où l’idée – qui n’est pas neuve – d’introduire une dose de capitalisation dans le système de retraites actuel… Reste à respecter j’imagine certaines conditions pour que ça marche…

    Il s’agit de faire du neuf avec de l’ancien et de cesser de matraquer l’épargne. Depuis plusieurs années les pouvoirs publics ont taxé les produits dédiés à la retraite. On se souvient tous du forfait social, prélèvement de 2 % instauré sous Fillon et porté à 20 % sous Ayrault.

    Ensuite, cessons de faire des différences. Il n’y a pas de raison d’attaquer les mécanismes d’épargne du privé, tandis qu’on oblige par ailleurs le public à capitaliser, avec l’ERAFP , un fonds de pension qui ne dit pas son nom.

    Mais donc le système par répartition n’est absolument pas pérenne tel qu’il existe aujourd’hui ?

    Non. Nous avons fait preuve d’une imprévoyance collective majeure. Tous les experts savent que les régimes de retraite par répartition constituent des bombes à retardement. Avec de moins en moins d’actifs et de plus en plus en plus de retraités, la répartition est condamnée à distribuer des retraites de plus en plus maigres. Les réformes initiées en France depuis la fin des années 1980 limitent l’essor des dépenses, avec à la clef des économies représentant aujourd’hui de l’ordre de 2 % du PIB. Pour autant elles ne permettent toujours pas d’équilibrer les comptes et de résorber la dette implicite liée aux retraites par répartition, estimée à 3,6 années de revenu.

    D’ici 50 ans, ces réformes devraient nous permettre d’économiser de l’ordre de 8 % du PIB par an, en contenant les dépenses de retraite à un niveau proche d’aujourd’hui. Cela se fera par une réduction massive des pensions. En bonne logique, il faudrait que cette baisse des retraites par répartition soit compensée par une épargne retraite. Il faudrait que les pouvoirs publics – de droite comme de gauche – incitent massivement les Français à épargner, ce qui est loin d’être le cas.


    Chronique de Cécile Philippe, directrice de l’ Institut économique Molinari , diffusée sur les ondes de Radio classique le 17 juin 2014.

    Article publié initialement le 3 juillet 2014.

    • Co chevron_right

      Quand Jean Jaurès prônait la capitalisation pour tous

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 21 January, 2023 - 03:30 · 5 minutes

    Par Nicolas Marques.
    Un article de l’Institut Molinari

    L’institut économique Molinari vient de republier quatre textes de Jean Jaurès éclairant le débat sur l’intérêt d’une capitalisation pour tous. Ces articles sont représentatifs du débat sur la capitalisation collective se déroulant dans les colonnes de L’Humanité dans les années 1909 et 1910. Retour sur un moment oublié d’histoire sociale toujours bien actuel, alors que nombre de syndicalistes n’osent pas défendre ouvertement la capitalisation, en dépit des avantages qu’elle procure à leur mandants via des structures qu’ils co-gèrent depuis des décennies (Préfon, ERAFP…)

    Au début du XX e siècle, un intense débat se développe dans le monde ouvrier. L’État doit-il s’impliquer dans les retraites ? La capitalisation est-elle une opportunité ou un risque ?

    Le texte de loi sur les Retraites ouvrières et paysannes (ROP) donne lieu à un intense débat au sein de la gauche syndicale et politique. Il s’agit d’une des premières confrontations à propos du sens que le socialisme peut donner à la capitalisation et à la répartition.

    Jean Jaurès, cofondateur du Parti socialiste français et fondateur de L’Humanité soutient pied à pied le projet de loi instaurant la capitalisation ouvrière.

    Selon lui, la capitalisation a l’avantage de rendre la classe ouvrière « à la fois capitaliste et salariée », lui permettant de recevoir « tout le produit social qui résulte de la mise en œuvre de ce capital par le travail ouvrier » 1

    Pour le lecteur intéressé, nous avons reproduit quatre articles clefs de l’auteur sur le sujet :

    1. « Les termes de la question » présente l’état du débat fin 1909.
    2. « Capitalisme et capitalisation » explique comment la loi sur les retraites doit, grâce à la capitalisation, permettre de rééquilibrer le partage de la valeur et du pouvoir en faveur des ouvriers. Cette démarche préfigure avec un siècle d’avance l’approche du Comité intersyndical de l’épargne salariale (CIES) réunissant la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC et la CGT.
    3. « Escroquerie » bat en brèche l’idée que le gouvernement pourrait détourner la capitalisation collective.
    4. « Sécurité » insiste sur les gages de sécurité apportés par la capitalisation par rapport à la répartition.

    Les socialistes révolutionnaires, marxistes, anarchistes et la CGT s’opposaient à Jaurès. Ils étaient inquiets à l’idée d’une expropriation des versements qui aurait permis aux pouvoirs publics de financer un effort de guerre 2 .

    Jean Jaurès s’opposa notamment à Paul Lafarge, gendre de Karl Marx, qui considérait que la loi sur les « retraites aux morts » était une « escroquerie » 3 . Paul Lafarge, comme Jules Guesde, considérait que « la société bourgeoise et capitaliste, qui crée et favorise l’exploitation du prolétariat, doit pourvoir au bien-être et à la subsistance des vieux travailleurs » 4 .

    Cette position était partagée par les anarcho-syndicalistes qui avaient proposé, lors du Congrès de Limoges, le financement des retraites au moyen de « fonds provenant d’économies à réaliser sur… la présidence de la République, du Sénat, des Ministères de la guerre et de la marine, etc. » 5 .

    Néanmoins, cette position était loin de faire l’unanimité.

    Une intervention publique gênait les militants ouvriers qui l’analysaient « comme une ingérence dans la vie privée et dans la communauté ouvrière, imposée de l’extérieur par un Etat dominateur et adversaire de classe » 6 . Le texte de loi gouvernemental était considéré par certains comme une agression visant à intégrer la classe ouvrière à la société bourgeoise. De nombreux militants de la CGT le percevaient « comme un moyen de briser l’élan insurrectionnel et révolutionnaire, cette violence créatrice censée caractériser une classe ouvrière en lutte ». Ils étaient rejoints par les libertaires qui considéraient que la « loi des traîtres » risquait de provoquer un « avachissement » d’ouvriers devenus dépendants de la manne étatique 7 .

    Ajoutons que les libéraux étaient eux aussi réticents à l’instauration d’une capitalisation collective. Ils redoutaient les conséquences indirectes d’une accumulation de capitaux considérable à la Caisse des dépôts et consignations 8 . Cela conduira les sénateurs à défendre un panachage répartition et capitalisation. À les entendre, ce panachage, réduisant les montants à capitaliser, permettait de limiter les risques politiques et de préserver d’éventuelles perturbations sur le marché des capitaux.

    Au final, ce texte sera un échec.

    La loi est votée le 5 avril 1910 mais dès le 11 décembre 1911, la Cour de cassation annule son caractère obligatoire, au motif qu’un employeur ne peut pas « forcer » un salarié à cotiser. La cotisation devient facultative et ne rencontre pas un fort succès populaire. Il faut dire qu’en cas de survie elle donnait accès à des rentes viagères calculées sur des bases inadaptées. Elles étaient calculées à partir de l’espérance de vie d’anciens rentiers, « têtes de choix » ayant vécu sensiblement plus longtemps que les ouvriers et paysans des années 1910, ce qui réduisait l’espérance de gain de ces derniers 9 Cotiser n’était pas rentable, indépendamment des gains générés par la capitalisation…

    Sur le web

    Un article publié initialement le 21 février 2020.

    1. JAURES, Jean (1909), « Capitalisme et capitalisation », L’Humanité , lundi 27 décembre, p.1 ou JAURES, Jean (1910) « Tous escrocs ! », L’Humanité , 1 er janvier, p.1 .
    2. Voir par exemple BRACKE (1910), « La discussion sur les retraites », L’Humanité ,  dimanche 9 janvier, p1.
    3. TANGER, Albert (1910), « De Limoges à Nîmes », Revue Socialiste Syndicaliste et Coopérative , n°303 mars p. 202.
    4. Art. 7 du programme du Parti ouvrier français. DUMONS B. & POLLET G. (1994 ) L’État et les retraites, genèse d’une politique , Paris : Belin, p. 162.
    5. « La naissance de la CGT. Le Congrès de Limoges, septième congrès national corporatif. 23-28 septembre 1895 », Les cahiers d’histoire sociale , p. 169.
    6. DUMONS & POLLET – 1994, op cit p. 162.
    7. DUMONS & POLLET – 1994, op cit p. 151 & 154.
    8. Lors des débats parlementaires, plusieurs orateurs soulignèrent la « tentation permanente, bien dangereuse en temps de crise pour les pouvoirs publics de piocher dans des caisses si voisines des siennes et pleines d’or quand le Trésor public pourra être vide » cf. LEROLLE, Paul (1910), « séance du 30 mars », JO Chambre des députés , pp. 1783-84 & 1804.
    9. Voir MARQUES, Nicolas (2000), Le monopole de la sécurité sociale face à l’histoire des premières protections sociales, Journal des Économistes et des Etudes Humaines , De Gruyter, vol. 10(2-3), pages 1-30, Juin .