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      À Cannes, Serebrennikov et "La femme de Tchaïkovski" embrasent les discussions

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Thursday, 19 May, 2022 - 11:21 · 4 minutes

    Le réalisateur russe Kirill Serebrennikov en compétition avec Le réalisateur russe Kirill Serebrennikov en compétition avec "La femme de Tchaïkovski", le jeudi 19 mai 2022INI / AFP)

    FESTIVAL DE CANNES - On le décrit souvent comme “l’enfant terrible du cinéma russe”. Assigné à résidence depuis près de 5 ans à Moscou, Kirill Serebrennikov -né d’une mère ukrainienne- a pu (enfin) quitter le pays de Vladimir Poutine au début de la guerre. Quelques semaines plus tard, le voici sur le tapis rouge du Festival de Cannes avec son film romanesque et sombre La femme de Tchaïkovski .

    Les deux dernières fois que Kirill Serebrennikov présentait des films en sélection à Cannes ( Leto en 2018 et La Fièvre de Petrov en 2021), le cinéaste avait brillé par son absence. Dans le Palais des festivals, le fauteuil frappé de son nom était symboliquement resté vide, tandis que ses acteurs et producteurs affichaient des badges à son effigie. Accusé par le gouvernement de détournement de fonds et jugé coupable par un tribunal moscovite en 2017, le réalisateur qui a toujours clamé son innocence a vu son assignation à résidence prendre fin le 28 mars dernier.

    Rien d’un biopic ni d’un film en costume

    Ce mercredi 18 mai, il a donc enfin pu fouler le tapis rouge pour présenter La femme de Tchaïkovski , avec lequel il tire de l’ombre l’histoire d’Antonina Milioukova, la femme du compositeur de génie, épousée pour cacher son homosexualité. Et le long-métrage, qui se déroule dans les années 1870 en Russie, n’a rien d’un ennuyant film historique en costume ni d’un biopic destiné aux fans de musique classique.

    “Ce n’est pas un biopic, Tchaïkovski n’est pas le personnage principal. C’est un film sur quelques épisodes de sa vie et sur une femme qui était obsédée par lui”, décrit ainsi à l’AFP Kirill Serebrennikov. “Ca montre sa version des évènements et c’est intéressant car Antonina Milioukova est un personnage complètement oublié”. Le film sombre, parfois onirique, explore pendant 2h23 la vie et les souffrances de cette femme, jouée par l’actrice magnétique Alena Mikhailova à qui on voudrait presque déjà donner la Palme de l’interprétation féminine.

    Ekaterina Ermishina, héroïne de Ekaterina Ermishina, héroïne de "La femme de Tchaïkovski"

    Si l’homosexualité du compositeur était connue depuis longtemps, des passages de lettres de Tchaïkovski, publiés sans censure pour la première fois en 2018, dévoilaient ses chagrins d’amour ou ses désirs pour des hommes. Et Antonina Milioukova? Longtemps, les biographes lui ont imputé toute la souffrance de Tchaïkovski, la qualifiant de folle -lui-même l’a qualifiée de “vipère”-, mais aujourd’hui les recherches sont plus nuancées.

    Roman Abramovitch parmi les financeurs

    Il y a quelques années, alors que Serebrennikov cherchait un financement public pour ce film, l’ex-ministre de la Culture Vladimir Medinski (actuellement chef de la délégation russe aux négociations avec l’Ukraine), “voulait que nous suivions la version soviétique” de la vie du compositeur, raconte-t-il. “Or ce film est un terrible mensonge”. En Russie, “Tchaïkovski est un monument qui n’a pas souffert, qui n’a pas eu de vie privée”, précise-t-il. Pour lui, sa vie intime reste “inconnue des Russes tout comme (celle de) Tchekhov, Dostoïevski ou Tolstoï”.

    C’est finalement grâce, entre autres, à l’homme d’affaires Roman Abramovitch et sa fondation Kinoprime que le film a été financé -comme les précédents. Le nom de l’oligarque russe, sanctionné par l’Union européenne et le Royaume-Uni en raison de sa proximité avec Vladimir Poutine, parmi les producteurs de La femme de Tchaïkovski interroge. “Roman Abramovitch aide l’art contemporain depuis très longtemps. Il joue un rôle de mécène et c’est en partie grâce à lui qu’on du cinéma d’auteur en Russie. Et croyez-moi ce ne sont pas des films de propagande, bien au contraire”, a rétorqué Kirill Serebrennikov lors d’une conférence de presse ce jeudi 19 mai.

    “Non à la guerre!”, a aussi déclaré, ému, le cinéaste sous des applaudissements nourris à l’issue de la projection de son film. “Je suis absolument convaincu que les gens de la culture sont capables de faire que cette guerre cesse... Cette fin va arriver et on vivra dans la paix”.

    Tant que la guerre en Ukraine durera, le rendez-vous mondial du cinéma refuse d’accueillir “des représentants officiels russes, des instances gouvernementales ou des journalistes représentant la ligne officielle” russe. Mais s’est toujours dit prêt à accueillir les voix dissidentes, à commencer donc par celle de Kirill Serebrennikov.

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