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      Réforme des prix de l’électricité : tout changer pour ne rien changer

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Wednesday, 10 January - 16:02 · 13 minutes

    « Nous avons réussi à trouver un équilibre vital entre la compétitivité de notre industrie, la stabilité pour les ménages et le développement d’EDF ». A la mi-novembre 2023, après deux ans de crise sur le marché de l’électricité, Bruno Le Maire était fier d’annoncer un accord entre l’Etat et EDF . A l’entendre, tous les problèmes constatés ces dernières années ont été résolus. Le tout en restant pourtant dans le cadre de marché imposé par l’Union européenne. En somme, la France aurait réussi l’impossible : garantir des prix stables tout en permettant une concurrence… qui implique une fluctuation des prix.

    Alors que la crise énergétique n’est toujours pas vraiment derrière nous et que les investissements pour la maintenance et le renouvellement des centrales électriques dans les années à venir sont considérables, cet accord mérite une attention particulière. Devant la technicité du sujet, la plupart des médias ont pourtant renoncé à se plonger dans les détails de la réforme et se sont contentés de reprendre les déclarations officielles. Cet accord comporte pourtant de grandes zones d’ombre, qui invitent à relativiser les propos optimistes du ministre de l’Économie. Alors qu’en est-il vraiment ?

    Une réforme qui n’a que trop tardé

    D’abord, il faut rappeler à quel point une réforme des prix de l’électricité était urgente. Depuis l’ouverture à la concurrence du secteur imposée par l’Union Européenne (UE) à la fin des années 90, le système est devenu de plus en plus complexe, EDF s’est retrouvée de plus en plus fragilisée et les prix pour les consommateurs ont explosé, contrairement aux promesses des apôtres du marché. En transformant l’électricité d’un bien public au tarif garanti en un bien de marché échangé sur les places boursières, son prix a été largement corrélé à celui du gaz, correspondant au coût marginal de production, c’est-à-dire au coût pour produire un MWh supplémentaire. Une absurdité alors que nos électrons proviennent largement du nucléaire et des renouvelables, notamment l’hydroélectricité.

    Complexification du système électrique français depuis la libéralisation européenne. © Elucid

    Dès la fin 2021, l’envolée des prix du gaz entraîne de fortes hausses des prix de marché de l’électricité, qui se répercutent ensuite sur les consommateurs. Pour la plupart des entreprises et les collectivités, qui ne bénéficient pas du tarif réglementé, l’augmentation a été brutale : +21% en 2022 et +84% en 2023 en moyenne selon l’INSEE ., soit un doublement des factures en à peine deux ans ! Et cette moyenne cache de fortes disparités : les exemples d’entreprises ou communes ayant vu leur facture tripler ou quadrupler, voire multipliée par 10, sont légion . Les conséquences de telles hausses sont catastrophiques : faillites, délocalisations, gel des investissements, dégradation des services publics, hausse de l’inflation… Pour les particuliers, la hausse a été moins brutale, mais tout de même historique : après +4% en 2022, le tarif réglementé a connu une hausse de 15% en février 2023 et une autre de 10% en août. Soit presque +30% en deux ans, avant une nouvelle hausse de 10% prévue pour cette année.

    Face aux effets dévastateurs de cette envolée des prix, l’Etat a bricolé un « bouclier tarifaire»  pour les particuliers et divers amortisseurs et aides ciblées pour les collectivités et les entreprises. Un empilement de dispositifs considéré comme une « usine à gaz » par un rapport sénatorial et qui aura coûté 50 milliards d’euros entre 2021 et 2023 rien que pour l’électricité. L’Etat français a ainsi préféré payer une part des factures lui-même pour acheter la paix sociale plutôt que de taxer les superprofits des spéculateurs ou de reprendre le contrôle sur l’énergie. Privatisation des profits et socialisation des pertes.

    Le bilan des deux dernières années est accablant : les factures des ménages et des entreprises ont flambé, l’Etat a dépensé sans compter pour les aider et l’endettement d’EDF a explosé. Les seuls bénéficiaires de cette période sont les spéculateurs du marché, qui ont engrangé des profits indécents.

    De manière absurde, alors que les prix étaient au plus haut, EDF a enregistré des pertes historiques en 2022 (18 milliards d’euros). Une situation qui s’explique par des erreurs stratégiques et une faible disponibilité du parc nucléaire, qui l’a obligée à racheter à ses concurrents les volumes vendus dans le cadre de l’Accès Régulé à l’Énergie Nucléaire Historique (ARENH). Concession de la France aux fanatiques européens de la concurrence, ce système force EDF à vendre 120 TWh par an, soit environ un tiers de sa production nucléaire, à ses concurrents à un prix trop faible de 42€/MWh. Si la situation de l’énergéticien s’est depuis améliorée , le bilan des deux dernières années est accablant : les factures des ménages et des entreprises ont flambé, l’Etat a dépensé sans compter pour les aider et l’endettement d’EDF a explosé. Les seuls bénéficiaires de cette période sont les spéculateurs du marché, qui ont engrangé des profits indécents.

    Un « tarif cible » encore très flou

    Après un tel échec du marché et alors que le mécanisme de l’ARENH doit prendre fin au 1er janvier 2026, une réforme devenait indispensable. Suite à des mois de négociations, un accord a finalement été trouvé entre l’Etat et EDF pour la période 2026-2040 pour « garantir un niveau de prix autour de 70€ le MWh pour l’électricité nucléaire » selon Bruno Le Maire. Si certains ont jugé la hausse trop forte par rapport aux 42€/MWh de l’ARENH, il convient de relativiser. D’une part, l’ARENH ne concernait qu’une part de la production nucléaire, le reste étant vendu bien plus cher. D’autre part, le tarif de l’ARENH était devenu trop faible par rapport aux coûts de production du nucléaire, estimés autour de 60€/MWh dans les années à venir , et aux besoins d’investissement d’EDF. Une hausse conséquente était donc inéluctable.

    Le nouveau tarif paraît donc élevé, mais pas délirant. Mais voilà : ces 70€/MWh ne sont en fait pas un tarif garanti mais un « tarif cible » que se fixe le gouvernement, « en moyenne sur 15 ans et sur l’ensemble des consommateurs ». Cette cible repose sur des prévisions d’évolution des prix de marché absolument impossibles à valider et sur un mécanisme de taxation progressive des prix de vente d’EDF aux fournisseurs, qui démarre à 78 €/MWh. A partir de ce seuil, les gains supplémentaires seront taxés à 50%, puis à 90% au-delà de 110€/MWh. Rien qui permette de garantir un prix de 70 €/MWh aux fournisseurs… et encore moins aux consommateurs puisque la marge des fournisseurs n’est pas encadrée. Si l’Etat promet que les recettes de ces taxes seront ensuite reversées aux consommateurs, le mécanisme envisagé n’est pas encore connu. S’agira-t-il d’un crédit d’impôt ? D’une remise sur les factures suivantes ? Sans doute les cabinets de conseil se penchent-ils déjà sur la question pour concevoir un nouveau système bureaucratique.

    Ce système bricolé reste vulnérable aux injonctions européennes.

    En attendant, une chose est sûre : les factures vont continuer à osciller fortement, pénalisant fortement les ménages, les entreprises et les communes, à l’image de la situation actuelle. On est donc loin de la « stabilité » vantée par le gouvernement. Enfin, ce système bricolé reste vulnérable aux injonctions européennes : si les tarifs français sont plus attractifs que ceux d’autres pays européens – par exemple, ceux d’une Allemagne désormais largement dépendante du gaz américain particulièrement cher – rien ne garantit que ceux-ci ne portent pas plainte auprès de l’UE pour distorsion de concurrence. Quelle nouvelle concession la France fera-t-elle alors aux gourous du marché ?

    En revanche, le fait que les fournisseurs et producteurs privés continuent à engranger des superprofits sur le dos des usagers ne semble gêner personne. Imaginons par exemple une nouvelle période de flambée des prix durant laquelle TotalEnergies, Eni, Engie ou d’autres vendent de l’électricité à 100 ou 150€/MWh : si les consommateurs ne percevront pas la différence – le mécanisme de taxation prévoyant une redistribution indépendamment de leur fournisseur – les profits supplémentaires n’iront pas dans les mêmes poches suivant qui les réalisent. Chez EDF, d’éventuels dividendes iront directement dans les caisses de l’Etat, désormais actionnaire à 100%. Chez ses concurrents, ces profits sur un bien public enrichiront des investisseurs privés.

    EDF, gagnant de la réforme ?

    Pour l’opérateur historique, la réforme ouvre donc une nouvelle ère incertaine. Certes, en apparence, EDF semble plutôt sortir gagnante des négociations. Son PDG Luc Rémont n’a d’ailleurs pas hésité à menacer de démissionner s’il n’obtenait pas un tarif cible suffisant. Une fermeté qui doit moins à son attachement au service public qu’à sa volonté de gouverner EDF comme une multinationale privée, en vendant l’électricité à des prix plus hauts. Or, EDF doit faire face à des défis immenses dans les prochaines décennies : il faut non seulement assurer le prolongement du parc existant, notamment le « grand carénage » des centrales nucléaires vieillissantes, mais également investir pour répondre à une demande amenée à augmenter fortement avec l’électrification de nouveaux usages (procédés industriels et véhicules notamment). Le tout en essayant de rembourser une dette de 65 milliards d’euros, directement causée par les décisions désastreuses prises depuis 20 ans et en essayant de se développer à l’international.

    A première vue, le tarif cible de 70€/MWh devrait permettre de remplir ces différents objectifs. D’après la Commission de Régulation de l’Énergie , le coût de production du nucléaire sur la période 2026-2030 devrait être de 60,7€/MWh. La dizaine d’euros supplémentaires ponctionnés sur chaque MWh devrait servir à financer la « politique d’investissement d’EDF, notamment dans le nouveau nucléaire français et à l’export », indique le gouvernement. Selon les calculs d’ Alternatives Economiques , cette différence par rapport aux coûts de production permettrait de financer un réacteur EPR tous les deux ans. Que l’on soit pour ou contre la relance du programme nucléaire, cet apport financier supplémentaire pour EDF reste une bonne nouvelle, les énergies renouvelables nécessitant elles aussi de gros investissements.

    Les factures d’électricité des Français serviront-elles à payer les réacteurs EPR britanniques ?

    Cependant, l’usage exact de ces milliards par EDF reste entouré d’un grand flou. L’entreprise est en effet le bras armé de la France pour exporter son nucléaire dans le reste du monde. Or, les coûts des centrales atomiques construites à l’étranger ont eu tendance à exploser. C’est notamment le cas au Royaume-Uni, où EDF construit la centrale d’Hinkley Point C. Un projet dont le coût est passé de 18 milliards de livres au début de sa construction en 2016 à presque 33 milliards de livres aujourd’hui . Des surcoûts que le partenaire chinois d’EDF sur ce projet, China General Nuclear Power Group (CGN), refuse d’assumer. EDF risque donc de devoir assumer seule cette facture extrêmement salée, ainsi que celle de la future centrale de Sizewell C , également en « partenariat » avec CGN. Les factures d’électricité des Français serviront-elles à payer les réacteurs EPR britanniques ? Si rien n’est encore décidé, le risque existe bel et bien.

    La France osera-t-elle s’opposer à l’Union Européenne ?

    Enfin, EDF fait toujours figure d’ennemi à abattre pour la Commission Européenne. Étant donné la position ultra-dominante de l’opérateur national, les technocrates bruxellois cherchent depuis longtemps des moyens d’affaiblir ses parts de marché. Le nucléaire intéresse peu le secteur privé : il pose de trop grands enjeux de sécurité et est trop peu rentable. Les concurrents d’EDF espèrent donc surtout mettre la main sur le reste des activités du groupe, c’est-à-dire les énergies renouvelables et les barrages hydroélectriques, amortis depuis longtemps et qui garantissent une rente confortable. Si un pays européen venait à se plaindre de la concurrence « déloyale » d’EDF, la Commission européenne pourrait alors ressortir des cartons le « projet Hercule », qui prévoit le démembrement de l’entreprise et la vente de ses activités non-nucléaires. Bien qu’ils disent le contraire, les macronistes ne semblent pas avoir renoncé à ce scénario. En témoignent la réorganisation actuelle du groupe EDF, qui ressemble fortement aux plans prévus par Hercule, et leur opposition intense à la proposition de loi du député Philippe Brun (PS) qui vise, entre autres, à garantir l’incessibilité des actifs d’EDF.

    EDF fait toujours figure d’ennemi à abattre pour la Commission Européenne.

    Etant donné la docilité habituelle de Paris face aux injonctions européennes, le retour de ce « projet Hercule » est donc une possibilité réelle. La France pourrait pourtant faire d’autres choix et désobéir à Bruxelles pour pouvoir appliquer sa propre politique énergétique. L’exemple de l’Espagne et du Portugal montre que des alternatives existent : en dérogeant temporairement aux règles européennes pour plafonner le prix du gaz utilisé pour la production électrique, les deux pays ibériques ont divisé par deux les factures des consommateurs bénéficiant de tarifs réglementés . Quand le Parti Communiste Français et la France Insoumise, inspirés par le travail du syndicat Sud Energie , ont proposé que la France revienne à une gestion publique de l’électricité, les macronistes ont agité la peur d’un « Frexit énergétique », estimant que la sortie de la concurrence reviendrait à cesser tout échange énergétique avec les pays voisins. Un mensonge qui témoigne soit de leur mauvaise foi, soit de leur méconnaissance complète du sujet, les échanges d’électricité ne nécessitant ni la privatisation des centrales, ni la mise en concurrence d’EDF avec des fournisseurs nuisibles.

    Si cette réforme s’apparente donc à un vaste bricolage pour faire perdurer l’hérésie du marché, l’insistance sur la « stabilité » des prix dans le discours de Bruno Le Maire s’apparente à une reconnaissance implicite du fait que le marché n’est pas la solution. Les consommateurs, qu’il s’agisse des particuliers, des entreprises ou des collectivités et organismes publics, souhaitent tous de la visibilité sur leurs factures pour ne pas tomber dans le rouge. De l’autre côté, les investissements menés sur le système électrique, tant pour la production que pour le réseau, ne sont amortis que sur le temps long. Ainsi, tout le monde a intérêt à des tarifs réglementés, fixés sur le long terme. Un objectif qui ne peut être atteint que par un retour à un monopole public et une forte planification. Exactement l’inverse du chaos et de la voracité des marchés.

    Note : L’auteur remercie la syndicaliste Anne Debrégeas (Sud Energie) pour ses retours précis et ses analyses sur la réforme en cours.

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      Il faut libéraliser le marché de l’électricité (2)

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 7 February, 2023 - 04:30 · 5 minutes

    Un article de l’Iref-Europe.

    Première partie de cet article ici .

    Des voies et des moyens

    Par suite de la douceur des températures au début de l’hiver et des efforts de réduction des besoins, dans le sillage d’une réduction du prix du gaz, de 300 euros le mégawattheure (MWh) en août 2022 à un prix plus proche 70 euros le MWh, les tarifs de l’électricité sur les marchés de gros se tassent : ils sont montés à 700 euros le MWh l’été 2022 et le 23 janvier 2023 à 121,48 euros en prix spot du lendemain.  Mais la baisse des prix exprime aussi la décélération de l’économie, ce qui est moins bon signe. Et les aléas du climat peuvent nous réserver des surprises.

    Une solution provisoire a été adoptée par l’Espagne d’abord puis par l’Europe pour bloquer le prix du gaz. Mais c’est une solution mauvaise à long terme, notamment parce qu’elle risque de réduire l’approvisionnement en gaz de l’Europe qui doit importer 90 % du gaz dont elle a besoin. La Commission européenne a pris conscience du besoin de réformer le marché électrique : « Nous travaillons à une intervention d’urgence et à une réforme structurelle du marché européen de l’électricité », a dit Mme Ursula von der Leyen le 29 août 2022. Mais on attend toujours.

    L’efficacité de la concurrence

    L’électricité est aujourd’hui aussi importante pour un pays que l’était – et l’est toujours autrement – le blé autrefois. Et malgré cette malchance, pour lui, que ses réformes de libération du marché du blé aient eu lieu au cours de deux années de disette, Turgot a démontré que sur le fond et dans le temps, il avait raison de vouloir instituer « la liberté du commerce, qui seule peut, par son activité,  procurer des grains dans les cantons où se feraient sentir les besoins, et prévenir, par la concurrence, tout renchérissement excessif » (Arrêt de Turgot du 22 avril 1774). C’est la concurrence mondiale qui nous permet aujourd’hui d’avoir partout la possibilité d’acheter du blé.

    Il faut donc réfléchir aux moyens de revenir à un vrai marché de l’électricité plutôt que le marché administré d’aujourd’hui qui recèle les défauts, plutôt que les qualités, des deux systèmes qu’il essaie vainement de concilier.

    Dans de nombreux pays, les centrales nucléaires elles-mêmes sont confiées à la construction et à la gestion d’entreprises privées. C’est le cas aux États-Unis où la plupart de la centaine de centrales existantes sont gérées par des entreprises privées (Exelon, Entergy, Duke Energy…). La Suède faisait gérer ses quatre centrales par la société allemande UNIPER, une société privée jusqu’aux difficultés subies par celle-ci après l’abandon du nucléaire en Allemagne et à la crise du gaz. L’Espagne a confié à deux entreprises privées, Iberdrola et Endesa, la gestion de son nucléaire dont elle veut sortir (sauf si la crise actuelle devait la faire changer d’avis).

    La France pourrait donc utilement sans doute démultiplier ses opérateurs, voire ses maîtres d’ouvrage, notamment pour ses nouvelles installations nucléaires. La concurrence est toujours créatrice de nouvelles offres et de solutions innovantes que les monopoles et oligopole ont de la peine à faire émerger.

    La vérité des prix

    La concurrence qui s’établirait entre opérateurs ne pourrait toutefois être stimulante que si chacun était libre de ses prix.

    Ne faudrait-il pas alors que chaque opérateur ne soit autorisé à exercer sur le marché que s’il peut garantir sa capacité à délivrer l’électricité requise par ses clients par lui-même y compris à la pointe. C’est-à-dire que chacun devrait disposer d’une capacité à la pointe. Les fournisseurs d’énergies intermittentes devraient ainsi pouvoir offrir d’autres sources d’énergie en cas d’arrêt sauf à subir des pénalités dissuasives. Il est probable qu’on verrait fleurir moins d’éoliennes, ce qui améliorerait la fluidité du marché.

    Les prix moyens, plutôt que celui de la dernière centrale, pourraient tenir compte de ce risque de production à des tarifs plus élevés. On éviterait la volatilité des prix de 2022 tout en incitant chacun à investir pour disposer de moyens de production globalement économiques

    Une augmentation des capacités de production

    L’Europe qui importe 90 % de son gaz pourrait chercher à développer son gaz de schiste en fixant les conditions pour que cette exploitation soit peu nuisible.

    Mais il y a surtout urgence à prévoir le renouvellement, voire l’extension de notre parc nucléaire. À cet égard, le récent vote du Sénat pour fixer un plancher à 50 % de nucléaire plutôt qu’un plafond va dans le bon sens, de même que l’annonce de M. Macron d’un plan de construction de six réacteurs EPR (plus huit posés en option) à déployer en urgence. Il faut aussi dès à présent prévoir le renouvellement à terme des centrales actuelles. Des sociétés privées pourraient utilement financer ces projets.

    La recherche doit être privilégiée dans ce domaine crucial pour améliorer les modes de production nucléaire, en trouver de nouveaux (mini réacteurs), développer les solutions de recyclage et enrichissement d’uranium où la France est déjà très riche de compétences (ORANO)…

    Il faut travailler bien entendu à la découverte de nouvelles énergies et à leur stockage. Et pour ce faire, il faudrait peut-être commencer par moins taxer la production d’énergie pour lui donner les moyens de la recherche et de l’investissement.

    Des taxes plus raisonnables

    L’électricité est surtaxée . Le prix de détail de l’électricité intègre en France deux contributions, la contribution tarifaire d’acheminement CTA et contribution au service public de l’électricité  CSPE, ainsi que deux taxes, sur la valeur ajoutée (TVA) et sur la consommation finale d’électricité. Au total, sur les tarifs non réglementés, les taxes représentent 34 % du prix payé par le consommateur. En résumé, le prix de l’électricité payé par les consommateurs résidentiels se répartit en un tiers pour la part fourniture, un tiers pour le transport et la distribution et un dernier tiers pour les taxes. Il n’y a aucune raison que le produit essentiel qu’est l’électricité soit plus taxé que les autres.

    Certes, la question est encore de savoir si et comment on peut sortir de nos accords européens actuels. Mais la décision est politique et question de volonté. L’évolution du marché ne se fera pas sans quelques délais et s’il fallait encore administrer une partie du marché électrique, il serait sans doute préférable de subventionner seulement les centrales de dernières sources pour réduire le prix de référence imposé aujourd’hui. Mais il ne faut pas attendre pour décider d’une réforme en profondeur.

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      Il faut libéraliser le marché de l’électricité (1)

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 1 February, 2023 - 03:50 · 7 minutes

    Un article de l’IREF

    Avec la guerre en Ukraine et la rupture des approvisionnements en gaz russe , les prix de l’électricité ont flambé. Mais l’ Ukraine n’a été qu’un déclencheur sur le marché électrique désormais si administré qu’il a perdu sa flexibilité et sa capacité de réaction. Après un état des lieux, ci-dessous, nous publierons le lundi 6 février une analyse de quelques voies et moyens pour remédier aux difficultés rencontrées.

    État des lieux

    Le marché électrique est compliqué à gérer parce que la demande électrique varie quotidiennement en fonction de paramètres incontrôlables, comme la température, et que ce produit n’est pas stockable.

    L’offre est assurée par des sources très variées (thermiques, nucléaires, hydrauliques, éoliens, etc.) qui proposent à chaque instant leur électricité à un prix différent selon leurs facteurs de production. Certaines sources comme le gaz peuvent être disponibles très rapidement tandis que d’autres sont moins réactives, comme le nucléaire qui a besoin de plusieurs heures pour établir le cycle vapeur. Ici les coûts fixes sont de loin les plus importants, là ce sont les coûts variables.

    L’électricité est un produit de première nécessité

    Elle est indispensable pour tous les services industriels, professionnels ou domestiques.

    Pour répondre à ce besoin, l’Europe a organisé un marché de gros de telle façon que chaque source de production propose en continu ses produits dont le prix est fixé au niveau du coût marginal du dernier des moyens de production classés par coût marginal croissant (ou merit order ).

    Par ailleurs, sur le marché court terme, un mécanisme de couplage de marché a été mis en place il y a une quinzaine d’années pour favoriser la meilleure disponibilité et les échanges au meilleur prix entre les pays au travers d’une étroite coordination entre différentes bourses d’électricité.

    Enfin, en aval, a été encouragée une libre concurrence entre fournisseurs pour que les consommateurs finaux bénéficient des meilleurs prix de distribution. Des gestionnaires du réseau de transport, comme en France RTE, filiale d’EDF, veille à la rencontre à tout moment de l’offre et de la demande, le cas échéant en commerçant avec les réseaux étrangers via les nombreuses interconnections établies.

    Sur le marché de gros, l’idée était que le prix de la dernière centrale permette aux autres fournisseurs de dégager des marges pour investir de façon à améliorer et augmenter leurs outils de production et tendre vers des prix plus bas en augmentant l’offre, contribuant ainsi à ce que le marché puisse se passer progressivement des centrales de production les plus onéreuses et les plus polluantes.

    Sauf que cette vision angélique n’a pas fonctionné notamment à cause de la montée en puissance des énergies renouvelables (EnR) qui a déstabilisé le système pour diverses raisons.

    Ces EnR intermittentes ont bénéficié de larges subventions publiques et de garanties de prix de vente qui ont empêché les marchés de délivrer les bons signaux prix. D’autant plus que ces énergies ont obtenu une priorité de délivrance de leur électricité sur les marchés pour s’assurer que leur production, intermittente et aléatoire, soit utilisée de manière optimale dans un souci écologique. Elles ont ainsi obligé à maintenir de nombreuses sources de production au gaz ou au charbon pour les suppléer et elles ont tout à la fois détruit les incitations à produire de manière plus économique et contribué à augmenter les prix.

    Les pouvoirs publics sont intervenus à tous les niveaux

    Parallèlement, l’électricité étant un élément de consommation très sensible, les pouvoirs publics sont intervenus à tous les niveaux de la production et de la distribution pour en gérer les prix et les moyens d’accès.

    La Cour des comptes observe qu’en France ont été prévus, notamment avec la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, une programmation pluriannuelle des investissements (PPI devenue PPE), des tarifs en obligation d’achat pour les énergies renouvelables (puis des compléments de rémunération organisés en guichet dans le cadre d’arrêtés tarifaires), un accès réglementé au réseau (TURPE) et ses principes de calcul (péréquation géographique, tarification « timbre poste »…), une compensation des surcoûts géographiques à l’approvisionnement (zones non interconnectées – ZNI)…

    Sur le marché de détail, dès avant les aides et plafonds décidés en 2022, ont été mis en place des soutiens aux clients précaires (tarif social ou de première nécessité devenu chèque énergie) et des tarifs réglementés de vente (TRV, dont les tarifs bleus). Sur le marché de gros, des facilités ont été accordées aux fournisseurs alternatifs, en particulier dans le cadre du Virtuel Power Plants de la Commission européenne en 2001), puis depuis 2011, avec le régime de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) créé par la loi NOME qui permet aux fournisseurs alternatifs d’obtenir auprès d’EDF de l’électricité d’origine nucléaire à un prix fixe et imbattable, 42 €/MWh depuis 2012.

    Un marché administré

    L’Europe avait voulu instaurer des mécanismes de marché mais à force de contraintes administratives auxquelles il est soumis, le marché électrique n’est plus que l’ombre d’un marché.

    L’Europe avait cru pouvoir instituer des règles pour que fonctionne un libre marché, mais dès le début se sont donc multipliées les entraves à la concurrence, le marché a été de plus en plus administré, en particulier en France où l’État, qui ne voulait pas laisser la main à d’autres, a transformé EDF en société anonyme de droit privé tout en continuant à détenir plus de 80 % de son capital et en lui imposant des contraintes diverses et variées en même temps qu’en la maintenant comme un quasi-monopole de fait. EDF assure près de 85 % de la production, suivie d’Engie (4 %).

    La position dominante d’EDF lui permet de gérer elle-même ses pointes de fournitures en disposant de moyens de production ou d’effacement nécessaires à la sécurisation de l’alimentation du réseau. Mais à l’effet de garantir l’équilibre des offres et des demandes d’électricité à tout moment, tous les fournisseurs d’électricité sont tenus de s’approvisionner en garanties de capacités pour couvrir la consommation de l’ensemble de leurs clients en périodes de pointe de consommation nationale.

    Ces garanties de capacité sont obtenues en investissant dans des moyens de production ou d’effacement ou auprès des exploitants de capacités. Elles font l’objet de règlements financiers incitatifs fixant des prix administrés et de référence des livraisons, ce qui est une atteinte de plus aux règles d’un libre marché. La gestion des pointes électriques est de plus en plus difficile à piloter au fur et à mesure que progressent les énergies renouvelables et volatiles. En témoigne le blackout électrique du Texas lors des grands froids du 14 au 19 février 2021, dû notamment à l’importance de l’éolien dans cet État américain pour couvrir la demande.

    L’Europe avait voulu instaurer des mécanismes de marché mais à force de contraintes administratives auxquelles il est soumis, le marché électrique n’est plus que l’ombre d’un marché. Les acteurs y sont publics et privés, mais tous, du moins en France, sont comme des marionnettes qui dansent au pas convenu par le marionnettiste qu’orchestre l’État avec l’Europe. Il existe une sorte de collusion entre les fournisseurs privés et publics et les autorités publiques, une sorte de capitalisme ou plutôt d’étatisme de connivence qui protège les intérêts des entreprises sans égard pour les consommateurs quitte à rattraper partiellement les dommages créés en surimposant les profits de ces rentes pour financer des subventions aux consommateurs. L’État n’en est pas mécontent puisqu’il reste au centre du jeu et en contrôle toute la filière.

    Mais cette opacité du marché est aussi sans doute une cause de ses dysfonctionnements en cas de difficultés comme la guerre d’Ukraine ou des vagues de froid ou de chaleur intenses. Alors comment y remédier ?

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